Corps de l’article

Introduction

La présente recherche s’inscrit, dans une large mesure, dans le développement de compétences en littératie des personnes, dont celles ayant des incapacités intellectuelles. La littératie désigne « la capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes » (Lacelle, Lafontaine, Moreau et Laroui, 2016, para. 4). Pour que la personne développe ses compétences à communiquer et à comprendre, elle doit fréquenter des milieux ayant des capacités à soutenir ses apprentissages tant à l’oral qu’en lecture-écriture.

En effet, la Convention relative aux droits des personnes handicapées (Organisation des Nations Unies [ONU], 2006) rappelle que ces personnes ont droit d’accéder aux différents systèmes de communication. En outre, pour réussir à se développer pleinement, à s’adapter et à participer activement à la société moderne comme citoyen, toute personne doit développer ces systèmes de communication. Ainsi, le droit de communiquer et de comprendre de l’information à l’oral, mais aussi d’avoir l’accès au langage écrit (lecture et écriture), dans le cas présent, constitue un droit fondamental reconnu dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Ce droit, qui incite à recourir à « tous les moyens de communication de leur choix » (ONU, 2006, p. 15), appliqué par l’article 21, représente un défi à relever lorsqu’il s’agit d’enfants ou d’apprenants de tous âges vivant avec des incapacités intellectuelles sévères ou profondes, la clientèle d’élèves ciblée par le présent texte.

À ce sujet, une littérature scientifique émergente pointe les tâches complexes de l’enseignement avec la littérature de jeunesse auprès de l’élève ayant un faible niveau de compétence en lecture et en écriture (Hasni et Ratté, 2001; Mims, Hudson et Browder, 2012; Parent et Morin, 2008). Cet enseignement représente une alternative gagnante à offrir comme opportunité à ces apprenants afin de diversifier les supports à la communication et à la compréhension et, ainsi, proposer divers choix en situation d’apprentissage, de loisirs ou de communication (Gremaud et Tessari Veyre, 2017). Ici, il s’agit de donner des opportunités à l’élève d’accéder à un monde de communication orale et écrite riche, qu’offre la lecture par l’adulte à l’apprenant de l’album de littérature de jeunesse (accès au texte, aux illustrations, à l’oral et à l’écrit), afin d’augmenter la compréhension orale d’un texte et ainsi de permettre à cet élève de développer son vocabulaire et aussi d’avoir des loisirs liés au monde de l’écrit, entre autres.

Le présent texte résume une recherche réalisée en collaboration entre une chercheuse et une enseignante et vise à présenter la mise en oeuvre de l’enseignement avec la littérature de jeunesse, spécifiquement avec l’album de jeunesse, que sont les livres courts destinés aux enfants ou aux adolescents, où l’illustration et l’image soutiennent la compréhension, et ce, auprès d’une élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes. Les sections suivantes étayent la problématique, le contexte théorique, la méthode, les résultats et la discussion. Enfin, la conclusion soulève des pistes pour d’autres recherches.

Problématique et contexte

Au Québec, la plupart des élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes sont scolarisés dans des classes spéciales au sein d’écoles régulières ou spéciales (ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport [MELS], 2007). Ce placement en classe spéciale s’explique par les défis importants que vivent ces élèves, entre autres ceux liés au développement de la communication du langage oral et écrit. Aussi, s’ajoutent à ces besoins de communication, des besoins davantage médicaux pour survivre et pour bien fonctionner quotidiennement, tels les soins en alimentation, les soins en santé, et les soins en rééducation. Ces besoins importants entrainent un aménagement particulier de la classe afin de répondre à leurs besoins très spécifiques (MELS, 2007).

Ainsi, les classes spéciales ont pour avantage de regrouper l’ensemble des services médicaux essentiels pour la survie de certains de ces élèves, dont les services de gavage, l’ergonomie de l’environnement physique, le mobilier adapté, le matériel sensoriel, etc. En revanche, des études américaines montrent que le matériel de l’écrit ou les traces écrites seraient très peu présents dans ces classes pour soutenir leurs besoins de communication (Michael et Trezek, 2006; Wehmeyer, 2006b). En effet, les pictogrammes sont affichés sur les objets pour remplacer les mots ; également, les livres sont très peu présents comparativement aux classes ordinaires (Michael et Trezek, 2006; Wehmeyer, 2006a). À ce sujet, Hessels, Bosson, Hessels, Schaltatter et Balli (2009) pointent les croyances persistantes du personnel enseignant voulant que les élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes ne puissent pas accéder à la communication écrite comme possible cause explicative à la quasi-absence du livre dans ces classes d’élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes. Ces mêmes auteurs nuancent également que cette croyance n’a jamais été démontrée; aucune recherche recensée ne fait la preuve que les élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes ne peuvent pas développer, à leur façon, des compétences en lien avec le livre et la compréhension de l’écrit : réagir et comprendre un texte lu par l’enseignante à l’oral, interagir à la présentation d’images, faire des liens entre le texte et les images, faire des prédictions sur la suite d’une histoire, réinvestir le contenu dans une tâche autre sont des intentions signifiantes de communication à mettre en place.

La conception de l’enseignement et de l’apprentissage de la lecture a grandement évolué depuis les années 90, d’une conception axée sur la reconnaissance des mots, les chercheurs ont mis en évidence l’importance de la compréhension en contexte de lecture à voix haute, pour finalement mettre en lumière les concepts de réaction aux oeuvres littéraires (Brodeur, Deaudelin, Bournot-Trites, Siegel et Dubé, 2003; Burns, Espinosa et Show, 2003; Byrne, 1992; Morin, Dupin de Saint-André et Montésinos-Gelet, 2007). Selon Falardeau (2003), la lecture renvoie à un processus interactif entre le lecteur et le texte. En contexte de lecture par l’adulte à l’élève, le lecteur sollicite l’apprenant à comprendre, à interpréter, à réagir et à utiliser le contenu du texte. Ainsi, comprendre dépasse les habiletés à décoder et à reconnaitre les mots globalement et englobe la capacité de se représenter un discours, d’en avoir une image mentale permettant de l’interpréter, de donner un sens (Falardeau, 2003). De plus, certains auteurs vont jusqu’à dire que l’enfant de deux ans qui se fait lire une histoire par son parent est déjà lecteur, parce que la lecture va bien au-delà de la reconnaissance des mots. Cet enfant peut très bien interpréter, réagir et utiliser le contenu (Hébert, 2009). Somme toute, lire est bien plus que le développement de la conscience phonologique, la découverte du principe alphabétique et les stratégies de reconnaissance des mots.

En revanche, plusieurs recherches en lien avec l’enseignement et l’apprentissage de la littératie auprès des élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes renvoient à une conception de la lecture d’avant les années 90 : à des activités isolées qui sont liées à la conscience phonologique, à la découverte du principe alphabétique et des processus de reconnaissance des mots, loin des tâches d’interprétation, de réaction et d’utilisation (Iacono, Balandin et Cupples, 2001). Les pratiques en lien avec l’enseignement de la lecture auprès des élèves ayant des incapacités intellectuelles rejoignent ces travaux des années 90 selon lesquels lire revient à reconnaitre des mots, à développer la conscience phonologique et à s’approprier le principe alphabétique qui sont un passage obligé pour tout lecteur (Giasson, 2011; Gremaud et Tessari Veyre, 2017). Cependant, selon les recensions d’écrits sur ce sujet, peu de recherches recensées s’intéressent aux pratiques d’enseignement [1]en lien avec l’interprétation, la réaction et l’utilisation auprès des élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes (Mims et al., 2012).

Pourtant, dans leurs travaux visant à augmenter les opportunités de communiquer, Gremaud et Tessari Veyre (2017) suggèrent aux professionnels et aux parents d’observer et d’évaluer avec la matrice de communication (MC; Rowland, 2004) pour introduire des choix de communication à explorer, comme les livres issus de la littérature de jeunesse, les iPad ou les tablettes électroniques.

À la connaissance des auteurs, la mise en oeuvre de pratiques d’enseignement avec l’album de littérature de jeunesse n’a jamais été spécifiquement analysée auprès d’élèves québécois ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes. Une seule recherche recensée s’est intéressée au sujet et elle ne décrivait pas les pratiques enseignantes (Mims et al., 2012). Parallèlement, il est connu que l’implantation de pratiques d’enseignement avec l’album de littérature de jeunesse constitue une démarche complexe en classe ordinaire (Dupin de Saint-André et Montésinos-Gelet, 2015). En effet, selon cette auteure, les enseignants, dans leur formation initiale, auraient peu ou pas appris à décoder les images et à considérer les aspects porteurs de sens dans un album de littérature de jeunesse ; l’enseignement avec la littérature de jeunesse est donc une appropriation de nouvelles pratiques par plusieurs enseignantes.

Le modèle d’accompagnement d’une nouvelle pratique d’enseignement avec la littérature de jeunesse

Les recherches dans le domaine de l’éducation montrent que le lien entre la qualité de la mise en oeuvre de nouvelles pratiques d’enseignement et l’accompagnement ne seraient plus à faire (Bélanger et al., 2012; Brousselle, 2004; Chatterji, 2004; Durlak et Dupré, 2008). La mise en oeuvre de nouvelles pratiques d’enseignement avec la littérature de jeunesse doit être encadrée par des modalités d’accompagnement qui permettent au personnel de se les approprier et de les mettre en place en classe.

Les modèles d’accompagnement et d’évaluation de nouvelles pratiques. Forts de l’idée qu’il faut encadrer de nouvelles pratiques, Bélanger et ses collaborateurs (2012) et Kirkpatrick (1994) proposent une démarche générale de mise en oeuvre de nouvelles pratiques qui seront utilisées dans le cadre de cet article. Il est permis de faire ressortir trois étapes communes qui peuvent se résumer comme présentées ici-bas.

  1. D’abord, les nouvelles pratiques sont présentées aux enseignants. Il s’agit ici de l’enseignement avec l’album de littérature de jeunesse. Un travail d’échange débute alors.

  2. Un accompagnement se concrétise par ces échanges ; les enseignants acquièrent des connaissances d’ordre déclaratif sur la nouvelle pratique. Plus explicitement, il s’agit de questionner les enseignants sur leurs connaissances et sur leurs croyances en enseignement du langage écrit auprès de cette clientèle ; il importe de faire le portrait de ces connaissances acquises.

  3. À la suite de séances d’accompagnement, les enseignants sont incités à transférer ou à mettre en actions les connaissances déclaratives ayant été explicitées, soit à les transformer en connaissances procédurales. Il s’agit de transposer leurs connaissances en savoir-faire ; capacité de mettre en oeuvre cette nouvelle pratique en classe, par exemple. Il s’agit de l’étape de mise en oeuvre des pratiques d’enseignement avec l’album de littérature de jeunesse, tâche explorant l’identification du vocabulaire, les images pour le nouveau vocabulaire, les intentions possibles d’activités au regard des capacités de l’élève.

Or, avant de mettre en oeuvre une nouvelle pratique, Bélanger et al. (2012) suggèrent de prendre en compte différents facteurs, afin de s’assurer que les effets visés puissent persister dans le temps et que ces effets puissent être transférables d’un milieu à un nouveau milieu. À cet égard, Bélanger et al. (2012) précisent quatre grandes catégories de facteurs associés à l’appropriation d’une nouvelle pratique en milieu scolaire : 1) les caractéristiques de l’enseignant ou de l’enseignante (connaissances et compétences acquises; besoins associés au développement professionnel et au sentiment d’autoefficacité; vision du changement attendu ou du processus de développement professionnel, etc.); 2) les caractéristiques de l’environnement scolaire et de ses partenaires sociocommunautaires (climat éducatif et de travail, leadership sur les plans de la gestion et de la pédagogie, lien avec la communauté, caractéristiques des clientèles scolaires, ressources, réseaux internes et externes, structures organisationnelles, etc.); 3) les caractéristiques du soutien extérieur au développement et à l’implantation d’une nouvelle pratique (soutien technique et administratif, expertise universitaire, orientations et priorisation de la part des instances administratives supérieures telles que les commissions scolaires, etc.); et 4) les caractéristiques de l’objet à mettre en oeuvre (intervention individuelle ou ciblant des milieux; changement assorti ou non de ressources supplémentaires; activités faisant partie d’un programme circonscrit ou d’une politique gouvernementale large et peu ciblée, etc.). Ces quatre dimensions sont reliées les unes avec les autres. En ce sens, l’implication d’une équipe d’accompagnants peut faire en sorte de mieux cibler les besoins des enseignants à l’égard de leurs caractéristiques, des caractéristiques de l’environnement scolaire et de ses partenaires communautaires, des caractéristiques du soutien extérieur et des caractéristiques de l’objet à mettre en oeuvre. L’appréciation de l’interaction entre ces différentes dimensions permet de réguler l’implantation de ces nouvelles pratiques (Bélanger et al., 2012).

En somme, l’intégration de ces modèles de Bélanger et al. (2012) et de Kirkpatrick (1994) offre des assises théoriques solides à la mise en oeuvre et à l’évaluation d’une nouvelle pratique en milieu scolaire. Cette base théorique de l’accompagnement mène à préciser la méthode adoptée dans le cadre de la mise en oeuvre d’une nouvelle pratique : l’enseignement avec l’album de littérature de jeunesse aux élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes. Il faut d’abord définir ce qui est entendu par littérature de jeunesse.

L’enseignement avec la littérature de jeunesse. La littérature de jeunesse renvoie à l’ensemble des oeuvres littéraires destinées au public d’enfants et de jeunes lecteurs ; l’album de littérature de jeunesse constitue l’une des catégories d’oeuvres littéraires (Viola et Desgagné, 2004). En anglais l’album de littérature de jeunesse se nomme « picturebook ». Ce nom évoque bien le lien entre l’image et le texte au sein de l’album de littérature de jeunesse.

L’album de littérature de jeunesse est bien plus qu’un livre illustré. Le texte et l’image se nourrissent l’un de l’autre. L’album de littérature de jeunesse est destiné aux enfants ou aux adolescents et vise, entre autres, à promouvoir la lecture chez les jeunes (Rouxel et Langlade, 2004), à exploiter l’intertextualité (Biagioli, 2006) et à accorder une place à l’interprétation, à la réaction et à l’utilisation du récit en sollicitant le jeune lecteur à réfléchir sur l’histoire et, ainsi, à formuler des inférences ou des hypothèses lors d’animations ou d’activités d’enseignement. Elle constitue également un contexte propice à l’acquisition de nouveau vocabulaire. Certaines recherches se sont intéressées à ces dispositifs et aux apprentissages en lecture observés chez les élèves en difficultés (Parent et Morin, 2008). Il a aussi été démontré, en amont, que la compréhension de ce qu’est lire a évolué.

Ainsi, l’objectif du présent article vise à présenter la mise en oeuvre de l’enseignement, spécifiquement avec les albums de jeunesse, auprès d’une élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes. Les résultats de cette analyse complexe décrits donc : a) comment l’enseignante ajuste ses pratiques selon la réaction, l’interprétation et l’utilisation de son élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes; et b) comment elle s’approprie ces nouvelles pratiques d’enseignement avec les albums de littérature de jeunesse. L’intérêt pour cet article est double puisqu’il : 1) s’intéresse aux élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes, ce qui est rarement étudié en éducation ; et 2) s’attarde aux pratiques d’enseignement et aux changements de pratiques auprès de ces élèves, ce qui est peu ou pas documenté dans les écrits scientifiques (Mims etal., 2012; Wehmeyer et Palmer, 2003).

Méthode

Les choix méthodologiques reflètent l’importance accordée au milieu de pratique dans ce projet ; il s’agit d’une recherche collaborative. Dans ce cadre, mener une recherche collaborative consiste à abandonner l’idée de faire de la recherche sur les enseignants, mais bien à faire de la recherche avec les enseignants (Desgagné, Bednarz, Lebuis, Poirier et Couture, 2001). La recherche collaborative exige du chercheur et du milieu de pratique de s’entendre sur un « […] objet d’investigation conjoint au carrefour des préoccupations de l’ensemble des participants » (Desgagné et al., 2001, p. 52). Pour ce faire, chercheur et enseignants ciblent un thème principal, puis un objet de formation aux fins des praticiens et un objet de recherche pour la recherche. Les activités réflexives mènent à documenter les nouvelles connaissances issues des actions et des échanges de réflexion; les résultats documentés répondent tant aux visées du milieu de pratique comme objet de formation qu’à celles de la recherche.

Participant et contexte d’enseignement

La sélection de la participante est opportuniste, en fait, puisque ce projet est issu d’une discussion entre la chercheuse principale et l’enseignante. Il a été co-construit avec cette enseignante en particulier. La participante est une enseignante qui compte plus de 25 années d’expérience à titre d’enseignante en adaptation scolaire auprès d’élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes. Elle enseigne dans une école spéciale, qui accueille des élèves ayant des incapacités intellectuelles. Le contexte d’enseignement réfère à une élève de 15 ans qui fréquente un groupe-classe composé de trois autres élèves. Ces élèves sont scolarisés ensemble, ont un même enseignant titulaire, sont le plus souvent dans le même local et ont un même horaire ; ils participent à leurs périodes de musique et d’éducation physique ensemble. Au sein de cette classe, deux techniciennes en éducation spécialisée interviennent pour soutenir le bon fonctionnement pédagogique. L’élève présente plusieurs problèmes de santé qui l’empêche de se déplacer librement ; sa condition de santé ne lui permet pas de regarder des écrans ni de rester concentré sur une même tâche longtemps, entre autres. Cette élève, scolarisée depuis sept ans dans cette école, fréquente le même groupe-classe depuis trois ans. Elle a été ciblée pour sa capacité manifeste à regarder ou à s’intéresser à un livre de littérature de jeunesse, contrairement aux autres élèves ayant des problèmes graves de vision. Cette élève se déplace dans un fauteuil roulant. Elle sait nommer les mots : « non », « oui », son nom, « maman », « papa » et « moi ». Elle utilise une méthode de communication alternative; elle pointe des pictogrammes pour nommer ce qu’elle veut communiquer.

L’instrumentation et l’analyse des données

Pour collecter des données sur l’accompagnement d’implantation d’une nouvelle pratique d’enseignement avec la littérature de jeunesse auprès d’une élève ayant des incapacités intellectuelles, deux instruments ont été mis en place : un résumé d’entretiens-échanges et un journal de bord. Ainsi, un canevas ouvert d’entrevues a été établi par la chercheuse reprenant les réussites et les défis dans la mise en oeuvre de la lecture dialoguée auprès de l’élève et les stades de mises en oeuvre de nouvelles pratiques. Ces réussites ou ces défis touchaient tant la classe, le livre que les caractéristiques de l’élève et de l’enseignante. Ainsi, lors de chaque rencontre, un résumé des échanges-entretiens a été transcrit aux fins de l’analyse. Ces résumés intègrent les contenus liés à la lecture dialoguée avec la littérature de jeunesse et au stade d’appropriation de nouvelles pratiques (Kirkpatrick, 1994). Le deuxième outil de collecte de données est le journal de bord. L’enseignante a rempli un journal de bord à la suite de son enseignement intégrant la littérature de jeunesse : les contenus du journal de bord sont liés à la lecture dialoguée avec la littérature de jeunesse, aux défis et aux réussites d’enseignement avec la littérature de jeunesse auprès de l’élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes.

Une analyse qualitative des échanges-entrevues avec l’enseignante a permis de rendre compte de manière exploratoire des propos, des observations ou des réflexions sur l’action de l’enseignante quant à la pratique ciblée. Tous les échanges-entrevues ont été enregistrés, codés et ensuite contre codés; il en est de même des notes du journal de bord. Le logiciel de traitement des données qualitatives NVivo a servi pour l’analyse des entrevues.

La démarche de mise en oeuvre d’une nouvelle pratique d’enseignement

La démarche suit le cadre théorique de Kirkpatrick (1994) présenté ci-dessus. Ainsi, l’enseignante a été accompagnée par la chercheuse principale à raison d’une rencontre aux deux semaines durant les quatre premiers mois et, ensuite, une rencontre par mois durant le reste de l’année scolaire. Les rencontres durant les quatre premiers mois ont servi à échanger sur les savoirs déclaratifs concernant l’enseignement intégrant la littérature de jeunesse. Connaitre l’élève et apporter des idées de livres de littérature de jeunesse, des idées d’activités d’intégration et les meilleures conduites d’étayage ont été les principaux thèmes abordés. Afin d’assurer l’implantation de cette nouvelle pratique d’enseignement en communication écrite, l’enseignante a mis à l’horaire trois périodes de 30 minutes pour intervenir avec des albums de littérature de jeunesse auprès de son élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes. Ces périodes se déroulaient avec un ratio d’un élève pour une enseignante. Les albums de littérature de jeunesse ont été choisis en fonction des gouts et des intérêts de l’élève.

Résultats

Dans cette visée de décrire la mise en oeuvre de l’enseignement avec la littérature de jeunesse, spécifiquement avec l’album de jeunesse auprès d’une élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes (réaction, interprétation et utilisation), le cadre conceptuel propose une trame d’éléments clés pour documenter l’appropriation de pratiques par l’enseignante. Ainsi, la description des caractéristiques du personnel enseignant représente un élément central. Puis, une description des caractéristiques de l’environnement éducatif physique et humain, ainsi que celle des caractéristiques du soutien éducatif liées à l’objet à enseigner terminent cette section.

Les caractéristiques de l’enseignante

Lorsque la présentation du projet dans le milieu a été réalisée, l’enseignante cherchait à avoir du matériel pour enseigner à une élève en particulier. Elle remarquait qu’une de ses élèves manifestait un haut niveau d’intérêt pour les livres de littérature de jeunesse et qu’elle pourrait mieux l’accompagner. L’enseignante était dans une approche très individualisée; elle tentait de répondre du mieux qu’elle pouvait aux besoins tout en considérant les forces de l’ensemble des élèves de sa classe, de manière individuelle.

L’enseignante : « Je pense que cela va répondre aux besoins de mon élève, mais les livres doivent être accessibles et je dois avoir des idées d’activités en lien avec ces livres. ».

L’enseignante se permet de réfléchir, elle n’a jamais mis en place d’activités structurées avec la littérature de jeunesse.

L’enseignante : « D’habitude les déficients intellectuels n’ont pas d’intérêt, mais elle oui, elle veut voir des livres. C’est pour ça que je veux essayer d’enseigner avec les livres. Les autres élèves ne sont pas là, ils sont malvoyants, ce serait beaucoup trop difficile pour eux. Par contre, cette élève a le potentiel pour y arriver. ».

Les résultats ci-dessous sont présentés selon les étapes d’appropriation de nouvelles pratiques (inspirées de Kirkpatrick, 1994) au regard du cadre théorique entourant l’enseignement avec la littérature de jeunesse (Morin et al., 2007) : réaction, apprentissage, amorce du processus de changement et évaluation.

Étape 1 : Réaction. En début d’année scolaire, un portrait de l’élève a été documenté. L’enseignante était alors dans la phase de réaction. Elle note à la chercheuse :

« Je crois que tu ne comprends pas à quel point ces élèves sont atteints. Elle ne demande pas pour aller à la salle de bain seule. ».

L’enseignante mentionne également que ses élèves ne pourront jamais apprendre à lire. Cette première réaction documentée au début du projet rejoint les propos repris par différents auteurs qui ont côtoyé le personnel engagé en enseignement auprès des élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes (Ezell, Justice et Parsons, 2000).

Par ailleurs, lorsqu’elle est questionnée sur ce qu’est « savoir lire », les propos de l’enseignante sont beaucoup plus nuancés. En effet, l’élève pourrait être capable de suivre avec son doigt les mots lus par l’adulte; elle pourrait également connaitre ce que veut dire un mot, une phrase; elle pourrait reconnaitre des rimes, reconnaitre la première lettre de son nom, réagir à un texte, peut-être même interpréter. Somme toute, l’élève pourrait s’inscrire dans un développement de la conception de l’écrit (Rouxel et Langlade, 2004).

L’élève pourrait peut-être interpréter un texte, faire un lien entre le texte et l’image, faire des prédictions. Elle pourrait peut-être également, selon l’enseignante, réagir au texte, en pointant, par exemple, sur une liste de personnages son émotion à l’égard du texte. En outre, selon l’enseignante, cette élève ne pourra pas reconnaitre à l’écrit les mots dans un texte, mais elle croit que cette élève pourrait participer à différentes activités en contexte de communication écrite si les tâches lui sont accessibles : un doute est exprimé par l’enseignante quant à sa capacité à bien planifier les tâches menant à des réussites.

Étape 2 : Apprentissage. L’enseignante a été rencontrée une fois aux deux semaines pendant quatre mois. Ces rencontres servaient à analyser du matériel pédagogique, des livres de littérature de jeunesse et à planifier comment transférer ce qui a été discuté dans son enseignement auprès d’un élève ayant une déficience intellectuelle sévère ou profonde. Ainsi, l’enseignante a peu à peu développé ses habiletés à choisir du matériel pour son élève. Elle s’est approprié l’enseignement avec la littérature de jeunesse et elle a fait des essais d’adaptation au contexte de l’enseignement auprès d’une élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes, non verbal. Elle nomme ses intentions pédagogiques, elle nomme le potentiel d’utilisation des illustrations auprès de l’élève et des questions à poser afin d’amener l’élève à réagir, à interpréter et à utiliser les informations, etc. Elle doit planifier et faire tout un travail d’adaptation des tâches d’appropriation destinées à son élève non verbal.

Ainsi, les livres sélectionnés suscitaient une attention particulière sur la limpidité des images et sur la relation entre les images et le texte, ce qui ouvre à de possibles façons de répondre à des questions d’interprétation et de réaction. L’enseignante peut ainsi proposer des choix, questionner l’élève, l’inciter à faire des interprétations, des prédictions en orientant ses questions sur des images, la stimuler à faire des liens entre les images, à préciser des moments, des lieux. Il s’agit ici de permettre à l’élève non verbal d’établir une communication et d'exprimer sa compréhension par différents moyens non verbaux.

L’enseignante : « Où était cachée la souris? ».
L’élève pointe le trou dans le mur, en référence au texte.

Ici, il s’agit d’une question de compréhension littérale du texte.

L’enseignante : « Pourquoi la souris est-elle cachée?  ». L’élève pointe son pictogramme, gênée.

Ici, l’élève a interprété, avec les indices présents dans le texte, elle a déduit l’émotion ressentie par la souris.

L’enseignante : « Pourquoi aimes-tu ce livre? ».
L’élève pointe les princesses sur la première page.
L’enseignante : « Parce que tu aimes les princesses?  » L’élève : « oui. ».

Ici, l’élève exprime une réaction face à l’oeuvre.

Force est de réaliser qu’un travail doit être fait en amont par une analyse d’un album de littérature de jeunesse qui mène à identifier toutes les possibilités de manifestations de l’interprétation, de la réaction et de l’utilisation du texte lu par l’adulte par l’élève ayant des incapacités intellectuelles sévères. En effet, une planification fine de tâches ou de la sélection d’attentes doit être réalisée. Les livres choisis doivent comporter des images qui soutiennent le texte et qui ne le contredisent jamais. L’enseignante a privilégié les images qui soutiennent l’interprétation du texte, afin d’accompagner l’élève dans le développement de ce processus de lecture.

Dans certaines situations, les textes, les bouts de textes, ou des mots dans les textes ont été reformulés ou modifiés pour s’assurer que les mots (vocabulaire) ou les phrases lues étaient compris par l’élève.

L’enseignante : « Le petit chat a bondi sur la souris. Qu’est-ce que ça veut dire bondi? ». L’élève dispose de pictogrammes dont celui illustrant l’action de sauter. L’élève ne sait pas. L’enseignante reformule : « Le chat a sauté. ». En pointant le pictogramme, sauter.

Le livre de littérature de jeunesse semble donner des occasions à l’apprenant de faire des liens entre le matériel concret et les éléments semi-concrets et abstraits, les images, les mots ou le texte. Avoir des occasions fréquentes de contact avec ces unités de sens permettrait à l’élève ayant des incapacités intellectuelles sévères de s’approprier une image globale d’un texte, d’intégrer ces petites unités de sens, les mots, aux plus grandes unités, les phrases, pour former un tout, la compréhension du texte permettant l’interprétation, la réaction et l’utilisation de ce texte.

Étape 3 : Amorce/processus de changement menant à la mise en oeuvre d’une nouvelle pratique d’enseignement. Après deux mois d’appropriation de principes et de concepts théoriques entourant l’enseignement avec la littérature de jeunesse, l’enseignante a osé davantage mettre en place sa nouvelle pratique.

L’enseignante : « Je lis le titre, je lui demande de regarder les images et je lui pose une question fermée, une question d’interprétation avec des choix de réponses ou de réactions avec ses pictogrammes. ».

Peu à peu, l’enseignante a aussi commencé à encourager sinon stimuler l’élève à interagir et à la questionner sur le personnage principal, entre autres. L’enseignante, par exemple, pointe le personnage qui a de la peine sur l’image. Pointe la raison pour laquelle ce personnage a de la peine. L’élève était capable de pointer le ballon qui avait heurté le personnage.

Il va s’en dire qu’il faut, dans le choix des livres de littérature de jeunesse, s’assurer que les réponses à des questions d’interprétation soient illustrées. Cela demande d’autant plus de temps pour la sélection de livres de littérature de jeunesse. À cet égard, une et parfois deux lectures de l’album de littérature de jeunesse s’avèrent nécessaires afin de bien cibler les intentions de lecture. L’enseignante note par contre que l’élève est de plus en plus capable de dépasser le texte en faisant des interprétations.

L’enseignante : « Comment se sent le lapin dans l’histoire? ». L’élève pointe le pictogramme relié à l’émotion triste.

L’enseignante : « Pourquoi? ». L’élève pointe la cause de la tristesse du lapin sur l’image.

Les réponses aux questions d’interprétation devaient donc être concrètes, rattachées à des images ou à des pictogrammes connus de l’élève. L’élève est capable, en se fiant au contexte, d’interpréter la fin d’une phrase. À ce sujet, lorsque l’enseignante lui lit plusieurs fois la même histoire, l’élève démontre de la frustration quand l’enseignante modifie l’histoire. Cette réaction souligne que l’élève semble comprendre ce qu’est une histoire et que celle-ci est stable. En fin d’année scolaire, l’élève se permet de pointer un mot pour exprimer sa compréhension; elle peut aussi suivre avec son doigt, dans le bon sens, lorsque l’enseignante lui lit un album de littérature de jeunesse. Lorsque l’enseignante ne parle pas, l’élève sait que, pour poursuivre la lecture, il est nécessaire de tourner la page.

Également, la relecture d’histoires à voix haute a permis à l’élève d’enrichir son vocabulaire. Par exemple, l’enseignante lisait le mot manchot, reformulait en disant pingouin et, peu à peu, utilisait seulement le mot manchot. Ces essais ont mené à ce que l’élève puisse répondre à des questions sur le personnage de ce texte. Au plan émotionnel, l’élève semble éprouver de la sympathie pour les personnages. Par exemple, lorsqu’un personnage de l’histoire a de la peine, elle dit non et refuse de répondre aux questions. Elle répète plusieurs fois, « non pas », « non pas ». Selon l’enseignante, l’élève exprime son malaise avec les émotions négatives. Elle manifeste le même comportement lorsque des élèves de sa classe sont tristes ou en colère. Sa réaction démontre une compréhension de l’histoire.

Étape 4 : Portée des changements. La portée des changements dépasse le changement de pratique vécu par l’enseignante. L’enseignante commence maintenant à questionner l’élève sur ce qu’elle a fait et avec qui elle l’a fait lors de rencontres avec d’autres enseignants ou professionnels.

L’enseignante : « Lorsque l’élève revient d’un cours avec le spécialiste de musique, je lui demande avec qui elle était. Qu’est-ce qu’elle a fait? Un peu sur le modèle de l’enseignement avec les albums de la littérature de jeunesse. Elle peut ainsi me pointer ses pictogrammes. Cela améliore grandement sa communication et par le fait même sa participation sociale. Elle peut maintenant répondre à des questions simples sur ce qu’elle a fait. L’élève peut également répondre davantage à des questions de réaction sur les activités de la classe. ».

Ainsi, ses compétences de réaction et d’interprétation peuvent se transférer à sa vie quotidienne.

Les séances d’enseignement avec la littérature de jeunesse ont permis de montrer un grand potentiel de communication de la part de l’élève. L’enseignante semble avoir l’impression d’aider son élève, de lui donner du matériel qui la motive et de répondre à ses besoins. La vision de l’enseignante a grandement évolué, car elle observe clairement que l’élève est maintenant capable de réagir au texte lu, de faire des tâches d’interprétation et d’utiliser sinon d’améliorer sa communication et sa compréhension avec le matériel de la langue écrite comme les albums de littérature de jeunesse. L’enseignante consacre trois heures par semaine à faire ces tâches scolaires et cherche du matériel écrit pour stimuler sinon enseigner la lecture.

Les caractéristiques de l’environnement liées aux caractéristiques de l’objet à enseigner

Plusieurs aspects mènent à décrire les caractéristiques de l’environnement physique et humain d’une situation pédagogique en lien avec les caractéristiques de l’enseignement de la compréhension en lecture intégrant la littérature de jeunesse. Les principaux aspects évoqués concernent la bibliothèque et la démarche d’animation avec les livres de la littérature de jeunesse, incluant les tâches de l’élève.

La bibliothèque de la classe et les livres. La classe dispose d’une bibliothèque d’une vingtaine de livres de littérature de jeunesse cartonnés, que l’enseignante utilise régulièrement (Michael et Trezek, 2006; Wehmeyer, 2006a). Les livres intègrent : a) soit une séquence d’animation nommée « cherche et trouve » où l’élève est invitée à chercher dans une page une image identique à celle pointée par l’enseignante; b) soit des livres sonores regroupant des textes de type narratif de moins de 100 mots chacun en lien avec un thème ou des activités quotidiennes; et c) soit des livres texturés ayant pour thème les activités de la vie de tous les jours. Ces livres de littérature de jeunesse sont placés sur une étagère qui n’est pas à la portée des élèves. Le livre de littérature de jeunesse étant un élément central du projet, l’enseignante est menée à expliquer son choix de placer les livres à cet endroit.

Les caractéristiques du soutien éducatif liées à l’objet à enseigner. Deux techniciennes en éducation spécialisée travaillent avec l’enseignante. Le ratio est donc de presque un adulte pour un élève (3 adultes pour 4 élèves). L’enseignante peut intervenir individuellement avec l’élève ciblé sans être dérangée; il s’agit essentiellement de pratiques individualisées pour chacun des élèves. L’enseignante met en oeuvre sa pratique dans un local fermé pour ainsi limiter les éléments distrayants, de sorte que l’animation se réalise sans distracteur sensoriel externe. Dans ce contexte, l’enseignante est responsable du volet pédagogique dans la classe. C’est elle qui planifie et anime les activités pédagogiques. Les éducatrices spécialisées ont la responsabilité du bien-être physique des élèves, gèrent les déplacements et les transitions avec l’enseignante et soutiennent l’apprenant dans la réalisation d’activités autonomes. C’est l’enseignante qui coordonne la vie dans la classe et la mise en place de matériel pédagogique (p. ex., choix des nouveaux pictogrammes pour exprimer un besoin). La directrice est disponible pour soutenir les efforts de l’enseignante et elle promeut ce type de pratique pédagogique.

Discussion

La description, par une enseignante oeuvrant auprès d’une élève ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes, de l’appropriation de nouvelles pratiques d’enseignement avec la littérature de jeunesse qui s’appuient sur une théorie de l’accompagnement à l’implantation de celle-ci (Bélanger et al., 2012; Chatterji, 2004; Durlak et Dupré, 2008), permet de réfléchir entre autres aux obstacles à cette appropriation. Cette discussion propose de croiser les résultats de la présente recherche et des écrits scientifiques recensés et présentés dans la problématique et le cadre conceptuel de cet article. Ainsi, cette analyse montre que les obstacles et les apports observés au cours de la dernière année sont en lien : a) avec les hésitations de l’enseignante à amorcer ce type d’enseignement en littératie impliquant le matériel de la littérature de jeunesse; b) avec le contexte; et c) avec l’environnement.

En effet, force est de constater qu’il existe très peu de matériel conçu pour des élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes (Wehmeyer, 2006a). Jusqu’à maintenant, aucune liste d’albums détaillée n’a été identifiée. En effet, nulle n’avait à la fois : des images particulièrement explicites et variées; complète pour différents âges (de l’enfance à l’adolescence) afin de permettre à l’enseignant de faciliter son travail d’accompagnement et, ainsi, de stimuler l’élève à réagir, à interpréter et à utiliser le récit pour développer son vocabulaire et sa compréhension (Rouxel et Langlade, 2004). Des critères de sélection d’ouvrages seraient intéressants à développer à l’égard de la personne ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes, puisque leurs caractéristiques entrainent des répercussions sur leur capacité de compréhension et de manipulation des oeuvres.

L’enseignante doit accompagner l’élève, le questionner pour qu’il s’approprie une compréhension de l’histoire. Il s’agit d’un travail de planification important, si ce n’est que de prévoir les bonnes questions pour amener l’élève à interpréter et à réagir, tout en gardant en tête sa capacité à comprendre et à communiquer (Mims et al., 2012; Morin et al., 2007). Les questions doivent respecter les acquis de l’élève en vocabulaire et en compréhension tout en soulevant des défis pour susciter des échanges et l’expression du potentiel de compréhension du texte (Viola et Desgagné, 2004). L’élève ayant une incapacité sévère ou profonde a besoin de pictogrammes correspondant aux contextes et aux questions ciblées afin d’avoir la possibilité de faire référence à une illustration pour s’exprimer.

Ces nouvelles pratiques s’inscrivent dans un processus de réflexion, de planification et de changement de croyance menant, au départ, à exprimer ses premières croyances que l’élève ne pourra pas lire jusqu’à s’engager à concevoir des activités menant à favoriser la communication orale avec la littérature de jeunesse.Ainsi, après avoir surmonté son hésitation, l’animation d’activités de lecture à voix haute a été comprise comme un outil pédagogique qui favorise l’interaction élève-enseignante (Mims et al., 2012); il s’agit d’un changement important de croyances et d’attitudes. Rapidement, l’apport de ces activités sur la communication, la réaction, l’interprétation et l’utilisation du texte par l’élève a émergé; ces effets sur l’apprentissage en lien avec le changement de pratiques d’enseignement constituent, à la fin de ce projet, la motivation première de cette enseignante à poursuivre cette pratique.

Toutefois, il semble que pour obtenir des résultats, cet enseignement doit s’actualiser selon une approche individualisée d’enseignement. Certes, l’apport de la connaissance de l’enseignante sur son élève, de la connaissance de ses capacités et de ses intérêts sur le monde constitue un facteur important de réussite à l’implantation de cette pratique (Ezell et al., 2000; Prud’homme, Dolbec, Brodeur, Presseau et Martineau, 2005). Hésitante au début du projet à croire au potentiel de l’élève, en sa capacité à développer les compétences en littératie par l’utilisation d’albums de littérature de jeunesse, l’enseignante s’est mise à y croire en observant les progrès de son élève en communication, en interprétation et en réaction d’histoires lues à voix haute. Par ses activités et la qualité d’animation des lectures à voix haute, elle a tissé des liens entre ce qui est lu et des objets ou événements familiers de l’élève en rappelant le vécu de la famille, notamment par l’usage de photos rappelant des situations de la famille de l’élève. Sa connaissance de l’élève lui a permis de stimuler celle-ci à dépasser le texte et à faire des liens avec sa propre vie, ainsi qu’à y réagir (Rouxel et Langlade, 2004). Aussi, l’enseignante savait précisément sur quoi questionner l’élève afin de lui faire vivre des réussites. Elle savait, par exemple, que si elle employait le mot « père » pour désigner « papa », l’élève ne comprenait pas. Elle disait donc le mot « père », mais reprenait en disant « papa ». Rapidement, il semblait clair pour cette enseignante qu’il est possible d’enrichir le vocabulaire de cette élève et de transférer les apprentissages réalisés avec le livre à d’autres contextes, par exemple en posant des questions d’interprétation et de réaction en lien avec des périodes avec le spécialiste. L’élève peut maintenant décrire ses réactions à propos de son cours de musique et faire des interprétations sur les causes de l’absence d’une technicienne oeuvrant dans sa classe.

De cette année scolaire d’accompagnement, il ressort l’idée qu’il est possible d’enseigner avec du matériel en communication écrite auprès des élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes; l’apport sur les apprentissages est considérable. Pour l’élève, on observe entre autres une bonification des gestes de communications de réaction, d’interprétation et d’utilisation des textes lus. Pour l’enseignante, il semble nécessaire de réaliser cet enseignement d’une façon individualisée, ce qui permet de l’adapter aux besoins de l’élève. Le développement de la compétence à lire pour des élèves ayant des incapacités intellectuelles sévères ou profondes est flou dans la littérature; les capacités en lecture de ces individus demeurent peu ou pas expliquées (Wehmeyer et Palmer, 2003). Dans le cadre de cette recherche, les apprentissages en lecture de l’élève de manière directe n’ont pas été évalués puisque l’objectif ici étant de décrire une mise en oeuvre d’une nouvelle pratique d’enseignement.

Par ailleurs, en portant un regard plus large que celui employé traditionnellement en enseignement et en apprentissage de la lecture (Falardeau, 2003; Giasson, 2011) et en exploitant la réaction, l’interprétation et l’utilisation du texte, il a été possible d’observer, par la mise en oeuvre de cette nouvelle pratique d’enseignement, que l’élève a amélioré son rapport à l’écrit. Ce dernier rapport consiste à réagir, à interpréter et à utiliser le texte à diverses fins. Il importe maintenant que d’autres recherches soient menées, afin de décrire les répercussions de cet enseignement de manière plus fine.

Conclusion

Les élèves qui ont des incapacités intellectuelles sévères ou profondes sont très peu nombreux, ce qui explique peut-être pourquoi très peu de matériel leur est destiné (Savoie, 2008). La littérature de jeunesse offre une belle flexibilité (Hasni et Ratté, 2001). Aussi, pour leur enseigner, l’enseignant est dans une situation très exploratoire puisque peu de recherches sont menées directement auprès de cette clientèle (Mims et al., 2012). Cet article met en relief toute la difficulté d’oeuvrer avec une clientèle d’élèves aux potentiels inconnus et de tenter d’innover. Les enseignants doivent sans cesse s’adapter aux élèves, s’adapter aux obstacles. Le tout doit se faire sans beaucoup de support du milieu de recherche qui ignore trop souvent cette clientèle d’élèves. D’autres recherches devront être menées afin de mieux documenter la progression de la communication en contexte d’utilisation de différentes formes de communications et d’activités mettant en valeur l’usage de textes en format papier et, aussi, en format électronique.