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Face à l’image est un ouvrage pédagogique destiné à intégrer l’image dans différents contextes de formation et de création. Les auteurs expliquent en détail les étapes de cette démarche artistique et pédagogique et proposent des pistes de solution pour répondre aux besoins de ceux qui n’auraient pas l’expérience de l’intégration du son et de l’image à la scène ou qui voudraient repenser leur pratique. C’est l’une des forces de ce manuel qui donne des avenues à explorer et propose des outils pour mieux comprendre l’approche artistique. Il est construit à partir d’une trajectoire qui, peu à peu, laisse place à une plus grande liberté. En effet, la formule pédagogique proposée par les auteurs favorise les initiatives et les essais, permettant ainsi au débutant comme à l’expert de progresser, et ce, à travers des exercices et des explorations traitant de la composition de l’image. Cette façon de faire favorise une maîtrise progressive de l’utilisation du matériel, ce qui permet au participant d’acquérir une plus grande autonomie dans sa propre création.

Les auteurs, avant de présenter les propositions pédagogiques et les exemples d’ateliers, établissent les balises théoriques de leur propos. Tout d’abord, ils abordent les différentes conceptualisations de l’image puis, en traitant de l’absence, du gouffre, du face-à-face et du double, ils nous ramènent à l’origine de nos rapports à l’image, soit aux premiers dessins réalisés sur les parois des grottes. S’ensuit une réflexion portant sur la mise en relation de l’image et de la scène ainsi que sur les diverses fonctions (dramaturgique, scénographique et médiatique) de la vidéoscénique. Ces différentes modalités seront par la suite adaptées à un contexte de création artistique lors des exercices, des explorations et des expérimentations proposés un peu plus loin dans le livre.

Les ateliers vidéoscéniques demandent une organisation spécifique de l’espace, divers types d’accessoires, des ressources matérielles et une connaissance minimale des moyens techniques qui permettent de fabriquer des images. Ludovic Fouquet et Robert Faguy énumèrent et décrivent les outils qui sont nécessaires aux différentes expérimentations proposées. Ils donnent aussi des exemples de fabrication d’objets simples et plus complexes, en plus de présenter et de décrire l’équipement numérique susceptible de favoriser la conception d’images.

Les auteurs proposent une démarche de formation en crescendo en commençant par des exercices d’environ trois heures dont les contenus abordent la relation entre le corps, l’image et l’espace. À cette étape, les auteurs insistent sur le travail corporel basé sur une recherche autour du reflet et de l’ombre, essentielle à l’intérieur de cette démarche artistique. On met également l’accent sur l’importance du corps faisant face à l’image, sur cette présence physique qui rend compte de l’image. Les exercices amènent le participant à mieux comprendre le rapport entre le corps et la caméra, à mieux saisir le langage des images en mouvement et son potentiel évocateur. Les activités proposées « permettent de se familiariser avec la “caméra-média” et les relations que celle-ci tisse avec le sujet filmé (performeur-comédien), le corps filmeur (caméraman) et par extension le spectateur » (70). Cette première étape de la formation permet de comprendre les possibilités techniques de la caméra, de mieux connaître sa propre sémantique et de découvrir le potentiel créateur des images ainsi que leur impact comme moteur d’une dramaturgie scénique. Les auteurs abordent ensuite la notion d’espace physique (la scène) et virtuel (la vidéo) qui contribuera à créer une dramaturgie spatiale : espace mental / intérieur, espace métaphorique, espace dramatique, espace textuel et espace gestuel. C’est à travers onze subdivisions d’exercices que l’on sensibilise les participants à la relation entre le corps et l’espace, aux cadres d’expérimentation, à la fragmentation et au fusionnement de cet espace ainsi qu’aux qualités architecturales d’un lieu. On aborde également à la matérialité des surfaces faisant écran et aux formes possibles de l’image. En effet, on s’intéresse à la qualité de l’espace architectural pouvant recevoir la projection. On examine les formes possibles de l’image pouvant être différentes des cadres rectangulaires habituels ou les échelles de plan pouvant aller du plus petit au plus grand. Cette section « images » nous permet de comprendre « la complexité et la richesse de ce jeu d’espace au coeur du dispositif vidéoscénique » (90).

À la suite de ces exercices préparatoires, les auteurs proposent des explorations développant davantage les contenus et les thématiques. De plus longue durée, elles traitent plus spécifiquement de l’autoportrait, de doubles (ombre, reflet, écho), de cinéma (utilisation d’une caméra et d’écrans, précisions sur leur emplacement et sur les significations qui s’y rattachent), de construction et de bricolage, de forme, d’espace et de point de vue. Les propositions de création, présentées dans le manuel, visent à favoriser le développement de performances vidéo, permettant d’appréhender la relation à l’image et de s’intéresser à la manière dont la caméra devient créatrice d’espace. L’idée, ici, est d’essayer plusieurs façons de concevoir des images à partir de thématiques et de dispositifs proposés. Les objectifs de ces explorations ne sont pas la réalisation d’un produit fini. Elles visent, d’une part, à découvrir des associations possibles entre les différentes composantes de l’environnement technique et physique et, d’autre part, à reconnaître leur potentialité d’action et de signification. À partir de différentes stratégies pédagogiques, le processus de création d’images se retrouve au coeur des propositions. Par exemple, on expérimente plusieurs façons de faire, et ce, à partir d’une consigne identique menant à des résultats différents. Chacun doit oser émettre des propositions puisque l’attention est davantage mise sur le processus, favorisant ainsi les échanges et les discussions. Certaines explorations abordent plus spécifiquement la thématique du face à l’image où la notion de miroir évolue progressivement vers la notion d’autoportrait. D’autres s’appuient sur la transformation d’oeuvres connues, mais dans tous les cas, le processus de fabrication d’images se fait dans une liberté d’action garantissant la richesse d’une banque d’images, d’idées, d’exemples pouvant nourrir une démarche de création plus approfondie lors de l’élaboration d’un autre projet.

Les exercices et les explorations de courte durée préparent le participant à passer à l’élaboration d’un projet de plus longue haleine (spectacle scolaire, performance d’images, installation performative). Maintenant familiarisé avec les outils (prise de vue, diffusion, projection, mixage), le participant est encouragé, à cette étape de la formation, à réinvestir les connaissances techniques acquises lors des exercices et des explorations. Il est maintenant en mesure de visualiser les dispositifs et les images lui permettant de nourrir un projet vidéoscénique.

Dans ce chapitre, les auteurs donnent des exemples d’expérimentations réalisées dans différents contextes. Par exemple, dans un cadre scolaire, on propose un protocole de travail selon le contexte de réalisation (spectacle de fin d’année, variétés, comédie musicale ou théâtrale, hommage, concert, danse). Ici, l’image est subordonnée à la scène, appuyant l’action dramatique. Les auteurs proposent des stratégies de réflexion, de fabrication, d’expérimentation permettant aux enseignants de se donner les moyens de réaliser un projet vidéoscénique. Certaines mises en garde sont aussi soulevées : par exemple, penser la conception et la réalisation vidéo dès le début du projet et non pas à la fin comme c’est souvent le cas. Des pistes pour bien planifier le projet tant sur le plan des installations que sur celui de l’organisation des équipes de travail sont également proposées aux enseignants.

Dans la seconde partie du chapitre, la proposition initiale est renversée et c’est l’image qui guide l’action dans les expérimentations exposées. Trois cas de figure sont alors présentés : le théâtre image sans narration, la performance d’images et les formes improvisées. Les auteurs proposent les outils nécessaires à l’établissement d’un protocole de travail tenant compte du fait que le déclencheur n’est pas le texte. Par exemple, pour le théâtre image sans narration, on propose une méthodologie de création en neuf images : la rencontre initiale, le face-à-face, la mise en mémoire des émotions, la recherche, le tri des données recueillies, les réactions, l’organisation, la mise à l’épreuve et finalement la présentation. La démarche proposée demande de l’intuition et de l’ouverture afin de se laisser porter sans essayer de tout comprendre et de se permettre de réagir autrement (gestes, mots, dessins).

La performance d’images nous amène dans des expérimentations où le corps et l’image se rencontrent. On aborde ici la question de l’équilibre entre les deux, et ce, dans un espace particulier qui conditionne la proposition, allant parfois jusqu’à devenir une source d’inspiration. Plusieurs exemples sont donnés et plus spécifiquement en ce qui concerne les notions d’autoportrait et de performance vidéo pouvant déboucher sur la création d’une performance. Les exemples offerts intègrent les diverses techniques décrites dans les premiers chapitres. Ces acquis sont également réinvestis dans les formes improvisées, et ce, à partir de tableau vivant, de figure de style ou d’« impro pub ».

En dernier lieu, les auteurs abordent le texte, du texte dramatique au texte prétexte. Peu importe la ressource textuelle, l’analyse dramaturgique guide l’exploration quant à la possibilité d’intégrer l’image. L’écrit sert de point de départ et toutes les entrées sont possibles (annuaire, extrait de texte scientifique, texte narratif, roman, nouvelle, conte, poésie). Appuyés par des exemples permettant de comprendre le passage d’un texte, d’une image ou d’une thématique à sa réalisation vidéoscénique, les auteurs soulignent au passage la nécessité de croiser l’analyse, la réflexion et l’expérimentation tout au long de la démarche.

Ces différentes expérimentations permettent de répertorier les connaissances nécessaires à l’élaboration d’un projet vidéoscénique selon son contexte de réalisation. Par le biais de plusieurs dispositifs traversés par la vidéo et de différentes approches méthodologiques de création, l’ouvrage nous permet de considérer l’image sous un aspect plus artistique que technique.

Écrit à quatre mains, ce manuel témoigne de l’expertise pédagogique et artistique des auteurs. On y retrouve plusieurs exemples de planification, des croquis, ou encore des photos de différents dispositifs. Une liste exhaustive du matériel nécessaire à la réalisation des exercices, des explorations et des expérimentations est proposée. On remarque le souci des auteurs de rendre leur discours accessible, les propositions se complexifiant au fur et à mesure que le lecteur intègre les notions préalables à l’étape de création suivante. Les expériences, les explorations et les exercices décrits avec précision permettront aux formateurs intéressés par la composition de l’image et qui voudraient intégrer la vidéo dans leurs projets pédagogiques d’aborder ces contenus avec leurs étudiants. L’ouvrage saura également intéresser l’enseignant d’art dramatique, d’arts plastiques ou d’arts visuels désireux de développer dans sa classe des ateliers lui permettant d’explorer l’intégration du son et de l’image à travers les créations de ses élèves. Le metteur en scène qui n’aurait pas l’expérience de la vidéoscénique et qui aimerait explorer et exploiter cette nouvelle ressource pourra également plonger dans cet univers, mieux comprendre la fonction de l’image et l’utilité de son insertion dans un processus de création.