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Les essais de Réjean Bergeron et Jean-François Roberge semblent difficiles à comparer à première vue. Si les deux ouvrages adoptent des perspectives différentes — l’une philosophique et l’autre résolument politique —, ils ont bien un thème en commun : celui de l’enseignant comme vecteur d’une culture générale basée sur les connaissances. Plus largement, le discours sous-jacent est celui du « c’était mieux avant » qui trouve un grand écho dans les médias. Ainsi, Roberge indique que les jeunes ne savent plus écrire (chapitre 18) et Bergeron mentionne qu’un livre numérique n’est pas un livre (p. 51). Ces critiques de surface sont représentatives du propos que tiennent les auteurs qui peinent à aller au fond des choses en s’appuyant sur les sciences de l’éducation.

Roberge parle somme toute peu de pédagogie et traite plutôt du système éducatif primaire et secondaire ainsi que de la formation des maitres à l’université. Bureaucratie scolaire, ordre professionnel, conditions de travail des enseignants, école obligatoire jusqu’à 18 ans et place de l’éducation financière sont des éléments importants du discours politique que tient Roberge.

Pour sa part, Bergeron accorde une place centrale à l’éducation dans la première section de son essai. Ses propos concernent principalement la pédagogie et la présence de la technologie dans la salle de classe, mais des thèmes comme la gouvernance des universités ou la spécialisation des parcours de formation ne sont pas épargnés.

Les deux auteurs insistent sur l’importance « d’ouvrir les esprits » et d’offrir une culture générale riche. Leur vision de l’enseignant idéal présente aussi des similarités. Ils le décrivent comme quelqu’un d’inspirant qui discourt de manière structurée et passionnée.

Bergeron va plus loin en dénonçant tout ce qui s’approche de près ou de loin à ce qu’il associe au Renouveau pédagogique et aux approches centrées sur l’élève. Pour lui, le développement des compétences se fait au détriment de l’apprentissage des connaissances et engendre la dévalorisation du rôle de l’enseignant qui devient un « animateur » de classe plutôt qu’un pédagogue, ainsi qu’un formateur au marché du travail. En somme, guidé par les dictats du marché et armé de la technopédagogie, il devient un marchand d’esclaves.

Son discours, en faveur de l’enseignement magistral, est fondé sur un objectif noble : celui de ne pas asservir l’éducation aux besoins des entreprises, mais bien d’outiller les citoyens de demain à penser librement.

Il est difficile d’être contre cette visée, mais l’opposition entre le développement de compétences et l’acquisition de connaissances est un faux dilemme. L’esprit critique doit s’appuyer sur un solide bagage culturel de connaissances afin de pouvoir se manifester de manière pertinente. S’il reproche aux tenants des pédagogies centrées sur l’élève de caricaturer l’enseignement magistral où les apprenants sont passifs, il utilise le même procédé lorsqu’il décrit les enseignants qui désirent mettre davantage les élèves en action en disant qu’on demande à ceux-ci d’apprendre à tâtons, sans intervention ou démarche didactiques.

Mon expérience comme enseignant au secondaire et chercheur en sciences de l’éducation me laisse perplexe face à ces deux ouvrages qui multiplient les lieux communs pour faire avancer une cause, d’une part politique, de l’autre idéologique.