Corps de l’article

Une littérature de plus en plus abondante dans le domaine de la périnatalité présente des résultats choquants : plusieurs femmes subissent de mauvais traitements ou vivent des expériences marquées par le manque de respect lors de leur accouchement (Bowser et Hill 2010; Brüggemann, Wijma et Swahnberg 2012; Freedman et Kruk 2014; Hodges 2009; Schroll, Kjaergaard et Migtgaard 2013). Les appellations attribuées à ces expériences diffèrent : « comportements abusifs », « négligence », « mauvais traitements », « manque de respect », ou « déshumanisation des soins », pour ne nommer que celles-ci. Par contre, force est de constater que le concept de violence obstétricale est moins présent dans la littérature scientifique, quoiqu’il figure dans des articles de loi en Amérique latine (Beck 2004; Elmir et autres 2010; Goer 2010; Rivard 2014). Il nous apparaît important de nous y intéresser puisque c’est un enjeu social et de santé important, sur le plan tant international que canadien. Ces expériences ont des conséquences négatives, que ce soit sur les femmes ou sur les enfants nouveau-nés, et constituent une violation des droits fondamentaux, une menace à leurs droits à la vie, à la santé, à l’intégrité physique et à l’absence de discrimination (Organisation mondiale de la santé 2014).

Bien que certains chercheurs et chercheuses aient contribué à clarifier l’expression « violence obstétricale » au cours des dernières années, son emploi est relativement peu répandu dans les milieux de pratique. Nous avons donc choisi d’employer cette tournure, qui rend davantage justice à l’expérience des femmes, afin de mener une analyse conceptuelle englobant un ensemble d’expériences d’accouchement marquées par les violences nommées autrement dans la littérature scientifique. Nous estimons que les principaux termes employés (dont plusieurs ont été nommés plus haut) paraissent édulcorés, car ils évacuent tant la référence directe à la violence systémique et genrée qui y est associée que la charge émotive rattachée à ces expériences. Ainsi, nous pensons que l’expression « violence obstétricale » comprend une dimension dénonciatrice qui reprend la construction sociale liée à la violence genrée et s’inscrit dans une perspective historique des luttes des femmes pour se réapproprier leur expérience d’accouchement.

L’accouchement, une histoire marquée par des visions distinctes

Durant les années 70 et 80, le Québec connaît un choc entre deux conceptions de la naissance. Tout d’abord, la vision portée par l’État, qui se concrétise par l’instauration de la première politique québécoise de périnatalité en 1973, s’oppose à la conception non interventionniste de l’accouchement (Rivard 2014). Ayant pour objet la réduction de la mortalité et de la morbidité périnatale, la vision étatique soutient une conception biomédicale et se manifeste notamment par des cours prénataux conditionnant l’accouchement en milieu hospitalier (Rivard 2014). À partir de la fin des années 70, l’insatisfaction de nombreuses femmes devant cette conception biomédicale se fait entendre, et une montée des revendications sur l’humanisation et la réappropriation des naissances s’observe (Rivard 2014). La problématique des violences vécues au moment de l’accouchement apparaît dans les revendications des femmes et des groupes de défense des droits pendant les années 90, tant au Québec qu’à l’international (Coalition for Improving Maternity Services 1996; International MotherBaby Childbirth Initiative 2008; RNR 2000; White Ribbon Alliance for Safe Motherhood 2011). Ces revendications deviennent davantage visibles au cours des années 2000 par la création de plateformes structurées demandant des changements de pratiques obstétricales (Braun et Lalman 2014) et avec l’usage des médias sociaux comme espace de dénonciation (Négrié et Cascales 2016).

Le courant d’humanisation des naissances des années 70, en réaction à la médicalisation de l’accouchement, a suscité une réflexion sociale des contextes dans lesquels se déroulent les accouchements au Québec. Des thèses doctorales et des ouvrages québécois s’intéressent à ce sujet, notamment depuis le début des années 2000 (Cadorette 2006; Rivard 2014; St-Amant 2013; Vadeboncoeur 2004). Reconnaissant un manque important de travaux sur les violences vécues au moment de l’accouchement, une étude exploratoire lancée par le RNR a été réalisée de 2008 à 2011 (Rodriguez del Barrio et autres 2011). Afin de poursuivre la réflexion entamée par cette étude, le RNR a mis en oeuvre une deuxième recherche partenariale de laquelle est tiré le présent article (Lévesque et autres 2016). L’un des objectifs de ce projet était que, par le fait de se donner « les mots pour le dire », comme le titrait Marie Cardinal (1975), les différentes manifestations de violence obstétricale puissent être reconnues plus aisément, ce qui devait permettre aux femmes qui les vivent et aux intervenantes communautaires en périnatalité qui les accompagnent d’y faire face et de les dénoncer.

La démarche méthodologique de l’analyse conceptuelle

L’analyse conceptuelle est un processus employé pour clarifier et permettre l’émergence de sens d’un concept qui est vague ou ambigu, et ce, dans le but d’uniformiser son utilisation (Rhodes 2012). Ce processus diffère d’une recension des écrits qui établit un état de la situation de l’objet d’étude, puisque l’objectif de l’analyse conceptuelle consiste à faire ressortir les attributs caractérisant le concept à l’étude par un travail de déconstruction et d’analyse[2]. À cette fin, Walker et Avant (2005) proposent une méthode comprenant plusieurs étapes que nous avons légèrement adaptées pour notre projet : 1) sélectionner le concept (ici la violence obstétricale); 2) déterminer le but de l’analyse (ici clarifier ce concept); 3) mettre en évidence les usages du concept dans la littérature; 4) définir les attributs associés au concept; 5) illustrer le concept à l’aide d’un cas modèle; 6) repérer les antécédents de la violence obstétricale; 7) déterminer ses conséquences; et 8) proposer notre définition du concept. Toutefois, comme les stratégies d’analyse conceptuelle ont le désavantage reconnu de moins s’attacher aux biais ethnocentrique, androcentrique ou de classe liés au concept à l’étude, nous visons aussi à intégrer une analyse féministe, en prêtant attention de façon soutenue aux dimensions subjectives de notre objet d’étude, mais aussi à ses dimensions sociales, historiques et politiques, ancrées dans une posture théorique d’intersectionnalité (Wuest 1994).

Les sources des données

Nous avons eu recours aux articles et aux ouvrages scientifiques présentant des données empiriques publiés au fil des 20 dernières années, de même qu’à des documents provenant de différentes instances spécialisées en promotion de la santé reproductive et de défense des droits des femmes, en contexte canadien et international. Pour ce faire, nous avons consulté les bases de données suivantes : MEDLINE, ERIC, ÉRUDIT, CINHAL, PSYCINFO, Cochrane, Social Science Index, MIDIRS, et ISI Web of Knowledge. Nous avons employé des mots clés selon une combinaison des termes suivants : 1) pregnancy, childbirth, maternity, respect, empowerment, informed consent, labor support, obstet*, violence, abuse, mistreatment, disrespect, trauma, birth trauma, birth rape, maltraitance, accouchement et mauvais traitements; 2) intervention support, practices, birth, childbirth, pregnancy, obstet*. Les articles devaient correspondre aux critères d’inclusion suivants : a) être rédigés en langue française ou anglaise; b) présenter des données quantitatives ou qualitatives liées à la violence obstétricale ou aux concepts apparentés; c) avoir été publiés pendant la période 1995-2015. Des sites Web gouvernementaux et d’organisations internationales qui travaillent en droits reproductifs et en santé des femmes ont aussi été retenus, ceux-ci proposant notamment des résumés de communications et des documents relatifs aux droits de la personne. Les bibliographies des articles retenus nous ont permis de consulter des références additionnelles. Au total, 38 documents, dont 22 articles publiés dans des revues avec comité scientifique, constituent le corpus sur lequel s’appuie notre analyse conceptuelle. D’autres ouvrages importants dans le domaine de l’obstétrique, de la maternité et de l’histoire des femmes y ont été ajoutés pour documenter les antécédents.

Les résultats

Les usages du concept de violence obstétricale

Le concept de violence obstétricale se situant dans le domaine plus large des violences faites aux femmes, nous débutons par une définition de la violence, suivie de celles de la violence structurelle et de la violence faite aux femmes, pour terminer par la présentation des différents usages du concept de violence obstétricale et de ses concepts apparentés que nous avons répertoriés dans les écrits consultés.

Au Québec, le Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes et aux enfants (CRI-VIFF) (2015), définit la violence de la façon suivante :

[C’est un] exercice abusif de pouvoir par lequel un individu en position de force cherche à contrôler une autre personne en utilisant des moyens de différents ordres afin de la maintenir dans un état d’infériorité ou de l’obliger à adopter des comportements conformes à ses propres désirs. Cette définition ne se limite pas aux conduites individuelles puisque la violence peut s’exercer par des systèmes plus larges.

Cette définition met en évidence le rapport inégal qui existe entre ces personnes, où l’une est en position de force par rapport à l’autre. Cette définition fait aussi référence à la violence structurelle. Attribué à Galtung (1969), le concept de violence structurelle appelle aux contraintes imposées à l’individu, du fait des structures politiques et économiques, donnant lieu à un accès inéquitable aux ressources, à l’éducation, à la santé, à la justice et au pouvoir politique. La violence structurelle peut être produite par un État et ses institutions, ou par des normes sociales. Pour sa part, l’Organisation des Nations unies (2006 : 12) définit ainsi la violence à l’égard des femmes et des filles : « Tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou la vie privée ». La violence obstétricale est nommée différemment selon l’emplacement géographique et la législation, l’année d’apparition et le contexte social du pays. Actuellement, l’expression « violence obstétricale » est employée dans le domaine légal par trois pays : le Venezuela, le Mexique (État du Chiapas) et l’Argentine. Selon l’article 13 de la loi vénézuélienne, la violence obstétricale se définit comme suit (Pérez D’Gregorio 2010; traduction libre) :

L’appropriation du corps et du processus reproducteur des femmes par les personnes qui travaillent dans le domaine de la santé, appropriation qui se manifeste sous les formes suivantes : traitement déshumanisé, abus d’administration de médicaments, et la conversion de processus naturels en processus pathologiques. Cela entraîne pour les femmes une perte d’autonomie et de la capacité à décider en toute liberté en ce qui concerne leur propre corps et leur sexualité, ce qui influe négativement sur leur qualité de vie.

En Argentine, le texte de loi comprend trois éléments qui ont pour objet de prévenir la violence obstétricale en s’assurant : 1) que les femmes sont considérées avec respect, de façon individualisée et personnalisée, avec une intimité assurée durant l’entièreté du processus de l’accouchement et en tenant compte des normes culturelles; 2) qu’elles sont considérées, durant tout le processus d’accouchement, comme des personnes en santé afin que leur participation soit facilitée, ce qui leur permet de mener leur propre accouchement; 3) qu’elles ont le droit d’avoir un accouchement naturel, qui est décrit comme respectueux des temps biologiques et psychologiques, qui évite les pratiques invasives et l’administration de médication non justifiée par l’état de santé de la mère ou de l’enfant (Sanchez 2014). Au Mexique, l’État du Chiapas a mis en place une loi portant précisément sur la violence obstétricale qui implique l’interdiction de s’approprier le corps de la femme par un traitement déshumanisant, se caractérisant par une médicalisation abusive et une pathologisation des processus naturels de l’accouchement (Comisión Nacional de los Derechos Humanos 2011).

Pour ce qui est des mouvements militants et citoyens, l’association canadienne Humanize Birth (2015) avance que la violence obstétricale se traduirait par des interventions médicales non nécessaires et par la perception des femmes d’avoir été contraintes ou forcées par le personnel médical à subir des interventions ou une procédure particulière. Enfin, une recension des concepts apparentés a permis d’en dénombrer six qui sont actuellement utilisés dans la littérature empirique :

  1. manque de respect et maltraitance dans les services de santé (Bowser et Hill 2010; Brüggemann, Wijma et Swahnberg 2012);

  2. manque de respect et maltraitance dans les services de santé obstétricaux (Freedman et autres 2014; Goer 2010);

  3. négligence au moment de l’accouchement (D’Oliveira, Diniz et Schraiber 2002; Moyer et autres 2014);

  4. déshumanisation dans les soins de santé (Haslam 2006; Schroll, Kjaergaard et Migtgaard 2013);

  5. maltraitance des femmes à l’accouchement (Bohren et autres 2015; Jewkes et Penn-Kekana 2015); et

  6. manque de respect et mauvais traitements subis par les femmes durant l’accouchement en établissement de soins (Organisation mondiale de la santé 2014).

Les attributs de la violence obstétricale

Mettre en évidence les attributs associés au concept de violence obstétricale s’avère une étape clé pour clarifier le sens qui lui est donné (Nuopponen 2010). Ceux-ci représentent les caractéristiques apparaissant de façon systématique avec le phénomène à l’étude (Walker et Avant 2005). En regroupant les écrits sur les violences vécues lors de l’accouchement et en nous inspirant des différentes définitions proposées précédemment, nous en arrivons à proposer trois attributs.

L’accord et le consentement éclairé des femmes sont brimés par des pratiques médicales ou obstétricales

L’un des enjeux liés au respect des femmes au moment de l’accouchement concerne l’obtention du consentement libre et éclairé. Celui-ci signifie que : 1) la personne doit être informée; 2) elle doit être en mesure de comprendre et de recevoir l’information; et 3) elle doit exprimer qu’elle la comprend (Cadorette 2006). L’article 11 du Code civil du Québec énonce que « nul ne peut être soumis sans son consentement à des soins, quelle qu’en soit la nature, qu’il s’agisse d’examens, de prélèvements, de traitements ou de toute autre intervention ». Par conséquent, si le consentement n’est pas respecté, suivant une prise de décision éclairée, il s’agit d’une atteinte aux droits et à l’intégrité de la personne. Le consentement est aussi spécifique et doit être réitéré à chaque nouveau soin, de routine ou non (Cadorette 2006). Or, plusieurs actes médicaux, tels que des touchers vaginaux au cours de l’accouchement, le décollement ou la rupture des membranes ou bien une épisiotomie, sont effectués sans obtenir préalablement le consentement des femmes (Bowser et Hill 2010; Braun et Lalman 2014; Freedman et autres 2014; St-Amant 2013).

L’agentivité reproductive des femmes n’est pas reconnue

Dans sa forme plus globale, l’agentivité fait référence à la capacité d’agir de façon compétente, raisonnée, consciencieuse et réfléchie (Smette, Stefansen et Mossige 2009). L’agentivité reproductive[3] se réfère aux capacités de réflexion, de planification et d’articulation des préférences et des choix des personnes quant à la grossesse et à l’accouchement (Unnithan-Kumar 2005), dans un contexte où sont présentes des relations de pouvoir (Weigl 2010). Dans les situations de violence obstétricale répertoriées dans la littérature, les intentions et les choix des femmes quant au déroulement de leur accouchement ne sont pas reconnus, alors qu’il serait possible de le faire. Par exemple, les conditions et le rythme de l’accouchement sont imposés par l’hôpital (Cadorette 2006; Vadeboncoeur 2004). Ainsi, les intentions des femmes (comme le fait de ne pas accélérer le travail) sont parfois peu ou pas considérées par les professionnels ou les professionnelles de la santé, ce qui place les femmes dans une position d’obéissance (Elmir et autres 2010; Forssén 2012). Par ailleurs, les symptômes ressentis par les femmes, notamment la force et la durée des contractions ou le fait que l’épidurale est non fonctionnelle, ne sont pas toujours entendus et doivent être validés par le personnel soignant (à l’aide d’un moniteur foetal en continu) (Elmir et autres 2010; Forssén 2012; Rivard 2014). L’autonomie des femmes et leur pouvoir d’autodétermination ne sont donc pas reconnus dans ces situations (Sanchez 2014).

La violence obstétricale est une expérience dont la reconnaissance varie d’une personne à l’autre, d’un contexte à l’autre et d’une culture à l’autre

À l’heure actuelle, sauf exception du Venezuela, de l’État du Chiapas et de l’Argentine qui encadrent légalement les manifestations de la violence obstétricale, les écrits consultés attribuent à cette dernière un caractère subjectif, basé sur une réalité objective constituée de faits (Sanchez 2014). La littérature propose peu d’outils d’opérationnalisation de la violence obstétricale, ce qui place l’expérience subjective des femmes et des personnes qui sont parties prenantes de cette expérience (conjoint ou conjointe, membres du personnel médical, etc.) comme filtre d’analyse principal. Ainsi, ce qui est perçu comme violent par une femme accouchant peut ne pas l’être par une autre, par son conjoint ou sa conjointe ou encore par les personnes qui l’accompagnent. Toutefois, la littérature nous guide lorsqu’il s’agit d’attribuer un caractère violent ou non aux gestes accomplis ou aux abstentions liées aux soins de santé associés à la grossesse. Dans une revue systématique recensant les données tant quantitatives que qualitatives, Bohren et autres (2015) déterminent cinq catégories d’expériences de mauvais traitements au moment de l’accouchement : 1) la violence physique, sexuelle et verbale; 2) la stigmatisation et la discrimination; 3) des soins ne répondant pas aux normes professionnelles et aux standards de pratique; 4) des rapports insuffisants entre les femmes et le personnel soignant (par exemple, l’absence de communication); et 5) les contraintes liées aux systèmes de santé.

Les antécédents

Un antécédent est un élément ou un évènement qui est présent avant la survenue du concept (Walker et Avant 2005) et qui augmente donc les risques d’avènement de ce dernier ou en facilite l’émergence. Nos analyses suggèrent quatre antécédents.

Parce que ce sont les femmes qui accouchent, les inégalités de genre ont un impact sur la présence de la violence obstétricale

Pour Christine Delphy (2001), le genre serait déterminé par l’oppression, et non par le sexe anatomique d’une personne. Ainsi, les corps et ses fonctions sont produites socialement en vue de répondre à cette partition hiérarchique. Parce que l’oppression est exercée sur les femmes par les hommes, le genre féminin est jugé comme faible, de sorte à légitimer ce rapport de force inégal. Cela construit l’idée selon laquelle le corps des femmes est inapte à enfanter seul, à tel point qu’un caractère naturel est donné à cette inaptitude et permet de justifier « l’appropriation du corps féminin reproducteur par le corps médical tout en désignant ce dernier comme le sauveur de la faible constitution féminine » (Négrié et Cascales 2016 : 97). Il en résulte une attitude sexiste de la part du personnel de la santé qui travaille en obstétrique en ce qui concerne la reproduction des femmes qui l’incite à prendre lui-même la décision quant aux soins plutôt que de laisser cette autonomie aux femmes (Cahill 2001; Cohen Shabot 2015; Jewkes et Penn-Kekana 2015; Martin 2003; St-Amant 2013). L’analyse des données empiriques consultables permet également d’affirmer que la discrimination survient plus fréquemment auprès de femmes présentant certaines caractéristiques liées à l’ethnicité, à l’âge, au statut socioéconomique et à une condition médicale particulière (par exemple, une femme vivant avec le VIH) (Bohren et autres 2015; Bowser et Hill 2010).

La vision selon laquelle l’accouchement est un acte médical : « la femme se fait accoucher »

La vision selon laquelle l’accouchement est un acte médical est historiquement située. Après la Seconde Guerre mondiale, l’influence de la pédiatrie augmente et la préoccupation liée à la mortalité périnatale s’accentue (Rivard 2014). Cela provoque le déplacement de l’accouchement à domicile en milieu hospitalier (Cahill 2001). Au Québec, ce déplacement est facilité par l’accès gratuit aux services hospitaliers pour tous et toutes, en 1970, et par l’influence plus importante de la médecine dans le domaine de l’obstétrique (Rivard 2014). À cela s’ajoute une conception biomédicale de l’accouchement qui conçoit ce dernier comme une pathologie (Young 1984). Cette représentation de l’accouchement est couplée à un sentiment de danger que seule la médicalisation permet de soulager (Négrié et Cascales 2016). Ainsi, l’accouchement est régi par une médecine obstétricale dominée par les hommes (De Koninck 2015), ce qui discrédite la connaissance qu’ont les femmes de leur propre corps et du processus physiologique de l’accouchement (Cohen Shabot 2015). Ce modèle médical patriarcal aurait pour conséquence de réduire le pouvoir des femmes au moment de l’accouchement (Cohen Shabot 2015; Young 1984), en les restreignant à titre de participantes qui répondent aux indications du personnel médical (« Pousse maintenant, c’est bien… Respire »).

La relation se trouve hiérarchisée entre la parturiente et le personnel soignant

La relation entre la parturiente et le personnel soignant est facilement hiérarchisée (Bohren et autres 2015). Ce type de relation se caractérise par une absence de coopération ou une faible collaboration du ou de la médecin et d’autres membres du personnel avec la parturiente en ce qui concerne sa participation au processus décisionnel (Cadorette 2006; Elmir et autres 2010; Goldberg 2009). Ce manque de collaboration se concrétise aussi par une forme d’« autorité », où le pouvoir décisionnel dans le domaine médical appartient au personnel soignant (Baker et autres 2005; Bohren et autres 2015; Brüggemann, Wijma et Swahnberg 2012; Goer 2010; Machizawa et Hayashi 2012; Vadeboncoeur 2004). Ainsi est établie une hiérarchie qui impose une asymétrie des pouvoirs dans le système de santé en accordant une « surpuissance » aux membres du personnel soignant (Baker et autres 2005; Cadorette 2006; Elmir et autres 2010; Vadeboncoeur 2004). Par conséquent, celles-ci ou ceux-ci peuvent aussi effectuer des interventions médicales non validées ou non conformes aux meilleures pratiques (Braun et Lalman 2014; Humanize Birth 2015).

Des failles sont notées dans les structures organisationnelles des soins de santé

Des failles structurelles observées dans les centres de soins de santé ne permettraient pas l’administration de soins de santé optimaux pour les femmes. Selon Hélène Vadeboncoeur (2004), les probabilités de violence obstétricale augmentent lorsque le système de santé présente des déficits, notamment par la surcharge de travail du personnel médical. Cette condition peut mener à une frustration qui nuit à la pratique des professionnelles et des professionnels, outre qu’elle peut contribuer à une mécanisation des soins (Baker et autres 2005; Vadeboncoeur 2004). À ce sujet, Bohren et autres (2015) révèlent les multiples failles systémiques liées aux mauvais traitements au moment de l’accouchement, notamment le manque de personnel soignant, sa formation inappropriée, l’absence d’une procédure pour porter plainte ou dénoncer des situations problématiques ou l’absence de prise en considération des plaintes, ainsi qu’un manque de matériel (chambres séparées ou rideaux pour permettre une zone d’intimité). Se produisant de façon répétitive, ces failles tendent à devenir invisibles parce qu’elles sont ainsi normalisées.

Les conséquences

Les conséquences sont des évènements ou des réactions qui se produisent à la suite de la manifestation du concept étudié (Walker et Avant 2005). Des conséquences de la violence obstétricale dans les soins de santé sont observées sur le plan individuel, familial ou conjugal, systémique et sociétal ou légal.

Sur le plan individuel ‒ Vivre de la violence obstétricale blesse les femmes et porte atteinte à leur intégrité physique, sexuelle, morale et psychologique (Da Silva et autres 2014; Vadeboncoeur 2004). Cela peut mener à des symptômes de stress post-traumatique, une fréquence accrue d’attaques de panique, le sentiment d’avoir été abusée et la perception d’avoir été invisibilisée (Elmir et autres 2010). Un niveau de stress élevé et de l’anxiété ont également été observés (Elmir et autres 2010; Sanchez 2014; Vadeboncoeur 2004). En outre, certaines femmes rapportent avoir des idées suicidaires depuis leur accouchement et des symptômes associés à la dépression (Elmir et autres 2010; Romito 1992). Les femmes peuvent ressentir une certaine déception, de l’impuissance, de la colère et de la culpabilité (Baker et autres 2005; Elmir et autres 2010; Rodriguez del Barrio et autres 2010). Certaines évoquent le sentiment d’avoir perdu leur dignité et estiment avoir été agressées sexuellement lorsqu’elles ont été contraintes à une procédure médicale sans avoir été suffisamment informées au préalable (Elmir et autres 2010). La reconnaissance des impacts traumatiques n’est toutefois pas immédiate, certaines femmes pouvant mettre des mois, voire des années, avant de reconnaître l’évènement comme violent et traumatique (Beck, Watson Driscoll et Watson 2013).

Sur le plan familial ou conjugal ‒ Les travaux de Rakime Elmir et autres (2010) permettent de relever plusieurs conséquences sur le plan familial ou conjugal. Ainsi, le lien affectif peut être affecté, notamment si la mère rejette son enfant, se montre distante à son égard ou lui attribue la responsabilité de l’expérience négative vécue. Dans ces situations, certaines femmes rapportent une absence de liens émotionnels et physiques avec leur enfant. Il pourrait aussi y avoir une incidence négative sur le sentiment de compétence parentale (Beck 2004; Forssén 2012). À l’inverse, des femmes rapportent des comportements surprotecteurs envers leur enfant, ceux-ci étant considérés comme une stratégie pour surmonter le trauma. Le couple peut être affecté par un manque de compréhension mutuelle. Également, certains couples rapportent une difficulté à avoir des relations sexuelles, situation qui découle de la peur de la femme de redevenir enceinte ou parce que les traumatismes de l’accouchement sont réactivés (Elmir et autres 2010).

Sur le plan systémique ‒ Afin d’éviter d’être humiliées ou blessées à nouveau, des femmes s’abstiendront de fréquenter le système de santé à l’occasion d’une autre grossesse (Bohren et autres 2015; Forssén 2012). Il en résulte une perte de confiance et une baisse de fréquentation des centres de soins de santé, ainsi qu’une exposition à des risques accrus de morbidité et de mortalité pour la femme et son enfant.

Sur le plan sociét>al et légal ‒ Bien que leurs droits ne soient pas respectés, la plupart des femmes ne porteront pas plainte ni n’émettront leur opinion quant aux traitements reçus (Bohren et autres 2015). Ce silence peut résulter de la culture de l’autorité médicale qui incite les femmes à s’abstenir de remettre en question la procédure médicale, notamment parce qu’elles sont dépendantes des soins et qu’elles craignent les représailles (par exemple, ne pas recevoir de soins à l’avenir) (Sanchez 2014). De plus, le manque de connaissances sur leurs droits peut amener certaines femmes à éviter d’exprimer ce qu’elles pensent (Bohren et autres 2015; McMahon et autres 2014). Par ailleurs, des femmes légitiment les gestes de violence accomplis à leur égard et les interventions subies en les croyant nécessaires à l’arrivée de leur enfant en santé. D’autres s’attribuent la responsabilité de mauvais traitements en raison de leur « mauvaise conduite » en salle d’accouchement (lié à une difficulté de s’adapter à l’autorité médicale, par exemple, puisque la conformité à l’autorité médicale est valorisée) (Wuest 1994).

Un exemple de cas modèle

Les exemples de cas permettent de contextualiser les attributs mis en évidence et les usages du concept par la présentation de différentes situations (Walker et Avant 2005). Nous avons choisi d’illustrer la violence obstétricale à l’aide d’un cas modèle comprenant tous les attributs que nous avons déterminés, élaboré à partir d’une mise en commun de différents cas réels et fondés (Lévesque et autres 2016) :

Je suis arrivée à l’hôpital d’urgence : j’avais des contractions fréquentes et très douloureuses. J’étais anxieuse, car c’était ma première grossesse; je pleurais sans cesse. Cela a visiblement irrité l’infirmière qui m’a dit, brusquement et sans empathie, d’arrêter de pleurer. L’infirmière et le résident ont ensuite chacun procédé à un examen vaginal sans me prévenir au préalable, bien que j’avais dit que je préférerais qu’on me le demande avant. Après plusieurs heures, le médecin m’a dit que le travail ne progressait pas assez vite et il a décidé de stimuler le travail en me donnant de l’ocytocine par intraveineuse, sans même me demander mon avis. On m’a ensuite mise sous épidurale, puis couchée sur le dos. Lorsque le temps de pousser est venu, je ne comprenais pas vraiment comment m’y prendre. Le médecin m’a dit : « Voyons, pousses-tu ou tu fais semblant? » Il m’a alors dit qu’il allait m’aider un peu et a utilisé les ventouses pour sortir mon bébé. Je ne sais même pas pourquoi il les a utilisés, ou si c’était nécessaire, parce qu’il n’a pas répondu à mes questions. À ce moment, je croyais que mon bébé était en danger. Cette expérience m’a profondément fâchée et attristée, car j’avais l’impression de n’avoir aucun contrôle sur mon accouchement, de n’être écoutée par personne, en plus d’être dans un environnement qui me semblait négatif. Encore aujourd’hui, j’en garde un très mauvais souvenir et j’hésite à revivre une autre grossesse pour ne pas revivre une expérience similaire.

La définition de la violence obstétricale vécue dans les soins de santé

Nous appuyant sur les différents éléments de l’analyse conceptuelle, nous proposons la définition suivante de la violence obstétricale vécue au moment de l’accouchement[4] dans les soins de santé :

La violence obstétricale vécue dans les établissements de soins de santé englobe des gestes accomplis ou l’exercice de certaines pratiques professionnelles ‒ ou leur omission ‒, durant l’accouchement, sans l’accord et le consentement éclairé des femmes, ce qui entraîne une négation de leur agentivité reproductive. Cette violence systémique crée et renforce les inégalités de pouvoir qui existent au moment de l’accouchement, et cause de la souffrance et de la détresse chez les femmes. Les manifestations, la reconnaissance, l’impact et l’ampleur de cette violence varient d’une personne à l’autre, d’un contexte à l’autre et d’une culture à l’autre.

Discussion

La violence obstétricale est une notion encore peu documentée dans le domaine de la recherche sur les violences. Le but d’une analyse conceptuelle étant d’améliorer sa compréhension et de contribuer ultimement à son opérationnalisation dans les domaines de la recherche et de la pratique clinique, nous avons jugé pertinent de cibler ce type de violence pour en faire l’objet d’une analyse. Nous croyons que ce concept permet de centraliser différentes réalités connues, mais libellées de façons variées, et de le situer dans le mouvement de remise en cause des pratiques obstétricales. Bien que notre analyse conceptuelle permette de clarifier certaines composantes de la violence obstétricale, notamment ses attributs et ses antécédents, plusieurs interrogations demeurent, particulièrement en ce qui concerne son caractère intentionnel. Certains articles recensés soulèvent le caractère intentionnel du geste de violence obstétricale (Jewkes et Penn-Kekana 2015; Krug et autres 2002). Même si cette intention ne résulte pas nécessairement d’une volonté de nuire au bien-être de la personne, elle se caractérise par l’intention de passer outre aux choix de la parturiente. Elle pose l’hypothèse que le personnel soignant conçoit qu’il détient un savoir ou un pouvoir plus important et donc prédominant sur la femme. Ce rapport de pouvoir engendrerait une perte de contrôle des femmes relativement à leur corps et à leur capacité d’accoucher par elles-mêmes (Braun et Lalman 2014; De Koninck 2015; Elmir et autres 2010; Forssén 2012; Machizawa et Hayashi 2012; St-Amant 2013).

Par ailleurs, s’il est reconnu que la violence obstétricale s’ancre dans un contexte de violence systémique et structurelle, ce qui favorise la survenue de cette violence n’est pas clair. D’importantes questions demeurent à documenter. Les conditions de travail souvent difficiles des professionnelles et des professionnels de la santé (heures supplémentaires élevées, climat de stress, charge de travail importante, personnel réduit, etc.) soutiennent-elles la présence d’attitudes non respectueuses, les mauvais traitements et la violence obstétricale au moment de l’accouchement? La structure hiérarchique entre les membres du personnel dans le domaine de la santé contribue-t-elle à la présence de violence obstétricale? Ces questionnements quant aux systèmes de santé ne sont pas nouveaux et se posent également dans le domaine du droit, notamment, où des recherches se penchent sur la violence en milieu hospitalier au sens large (Lefeuvre-Darnajou 2004). À ce sujet, il serait intéressant de tracer un portrait plus juste de la prévalence de la violence obstétricale en milieu hospitalier au Québec en vue de pouvoir contextualiser sa manifestation au regard de la structure des soins de santé et, éventuellement, mettre en place des mesures pour la prévenir.

Force nous est de constater que nos résultats n’indiquent malheureusement pas une tendance nouvelle dans le domaine de la reproduction et trouvent écho dans les écrits de nombreuses auteures féministes (Knibiehler 2000; Rich 1980; Tabet 1985; Young 1984). Iris Marion Young relevait avec justesse les limites liées au fait de concevoir la santé des femmes, plus précisément au moment de la grossesse et de l’accouchement, en s’ancrant dans une conception fixe de celle-ci qui repose sur l’expérience des hommes. Elle parlait d’aliénation pour désigner le caractère structurel des contraintes imposées aux femmes durant leur accouchement et le caractère instrumentalisé de ce dernier (Young 1984). Notre analyse conceptuelle présente cependant certaines limites. Sur le plan géographique, notons que les systèmes de santé diffèrent grandement d’un pays à l’autre. Or, les manifestations de violence obstétricale semblent subir l’influence des contextes culturels et médicaux dans lesquels elles surviennent (Bohren et autres 2015). Conséquemment, les composantes de la violence obstétricale proposées dans notre analyse ne représentent pas l’ensemble des situations de violence obstétricale pouvant être vécues. Une autre limite concerne la littérature consultable au moment de réaliser notre analyse. Malgré nos efforts pour répertorier les écrits correspondant aux critères d’inclusion, notamment par la consultation de chercheuses et d’intervenantes préoccupées par la question, de même que des spécialistes dans des disciplines apparentées (par exemple, du droit), nous pourrions avoir omis certaines références. Des limites linguistiques nous ont empêchées d’inclure des écrits en espagnol, à l’exception des traductions de lois adoptées en Amérique latine. De même, les possibles biais liés à la publication dans les revues universitaires (par exemple, la mise en relief de résultats positifs ou la probabilité plus grande de publications dans des domaines de recherche déjà reconnus que dans des domaines « novateurs ») peuvent avoir influé sur notre analyse conceptuelle en orientant la définition proposée au terme du processus suivi. Il importe donc de souligner le caractère évolutif de notre définition, tributaire des articles et des documents publiés à ce jour sur le sujet.

De plus, il serait de bon aloi de partager, en toute transparence, que la formulation de notre définition a fait l’objet de nombreuses discussions, de tensions et d’allers-retours au sein de l’équipe du projet de recherche. La définition présentée plus haut dans la section « Les résultats » réunit exclusivement les éléments consensuels de l’équipe de recherche, dans le respect de la démarche d’une analyse conceptuelle. Toutefois, le RNR est d’avis que cette définition comporte une lacune, soit l’absence d’une phrase additionnelle mentionnant que la violence obstétricale englobe également les soins ne respectant pas la physiologie de l’accouchement et du postpartum immédiat ainsi que les attitudes déshumanisantes. Cela refléterait, pour le RNR, une composante présente dans les témoignages que les femmes partagent avec ses membres à la suite d’un accouchement traumatique. Puisque le RNR a été fondé en réaction au contexte de médicalisation de la naissance au Québec, soutenir l’accouchement dans son mode industrialisé serait, à ses yeux, équivalent au fait d’appuyer une source d’oppression pour les femmes pouvant générer des violences. Toutefois, ces deux éléments n’ont pas été intégrés à la définition actuellement proposée puisque qu’ils ne découlent pas du processus d’analyse mis en oeuvre à partir de la littérature empirique sondée.

Malgré ces limites, les forces de notre analyse conceptuelle résident notamment dans la proposition d’un cadre permettant de mieux comprendre le phénomène qu’est la violence obstétricale, en mettant en avant les violences liées au genre ainsi que les violences systémiques et institutionnelles qui s’y superposent. Le recensement des écrits relatifs à cette problématique nous a permis de constater l’emploi d’une terminologie distincte selon chaque domaine visé, les pays où ont été menées les études et l’absence d’un vocabulaire commun pour nommer cette violence faite aux femmes. Par la conceptualisation de ce phénomène et par la proposition d’une définition, nous croyons que notre analyse conceptuelle permettra de développer ce nouveau champ de recherche, notamment en travaillant à opérationnaliser cette forme de violence. Considérant que les expériences de violence sont modulées par les différents systèmes d’oppression, il sera aussi nécessaire de mener des recherches futures en vue d’explorer l’expérience de la violence obstétricale dans le cas des femmes qui vivent à l’intersection des systèmes d’oppression : femmes racisées, immigrées, allophones, en situation de handicap, en milieu carcéral, autochtones, en situation de pauvreté, toxicomanes, ou encore en attente d’un statut d’immigration.

Au final, notre démarche partenariale avait pour objet une clarification de l’expression « violence obstétricale » en vue d’une reconnaissance accrue des différentes manifestations largement relatées par de nombreuses femmes. Cependant, cette reconnaissance ne fait pas encore consensus, tant dans les milieux de pratique ou de la recherche qu’auprès des femmes. À ce titre, il y a lieu de soulever la question suivante : les femmes sont-elles à l’aise avec les termes « violence obstétricale », c’est-à-dire le fait d’attribuer un caractère violent aux gestes subis au moment de l’accouchement? En regard des entrevues menées pour un autre volet de cette recherche (Lévesque et autres 2016), les intervenantes membres du RNR observent, chez certaines femmes, une difficulté à reconnaître les manifestations de la violence, difficulté que les intervenantes s’expliquent par la visibilité encore restreinte de la violence obstétricale sur le plan social, notamment en raison de la banalisation, de la normalisation ou de la minimisation des gestes de violence. Un parallèle peut être établi avec la violence conjugale au Québec et le long travail nécessaire pour sa reconnaissance comme problématique sociale (Lavergne 2016). Cette reconnaissance a nécessité des actions féministes, combinées à un mouvement social et aux revendications d’actrices et d’acteurs issus de la sphère des politiques publiques (Lavergne 2016). Il importe donc que le champ de la violence obstétricale soit investi par l’engagement d’actrices et d’acteurs venant de différents horizons, par de nombreuses actions et mobilisations citoyennes, mais aussi par la mise en place de politiques, le tout pour permettre sa reconnaissance à titre de problématique sociale.