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En 2003, le Musée Pointe-à-Callière organisait à Montréal (Canada) une grande exposition internationale intitulée « L’archéologie et la Bible — Du roi David aux manuscrits de la mer Morte », pour laquelle le professeur Jean Duhaime agit à titre de conseiller scientifique (Baril 2003). L’exposition, qui mit en valeur plusieurs pièces prêtées par le Musée d’Israël à Jérusalem, par l’Autorité israélienne des antiquités, ainsi que par la Bibliothèque et les Archives du Canada, connut un succès inédit non seulement auprès du grand public (Lamarche 2003), mais aussi auprès des experts, qui purent admirer à Montréal les manuscrits de Qumrân, dont le Manuscrit de la Guerre des Fils de la lumière contre les Fils des ténèbres et le Manuscrit d’Isaïe B exposés pour la première fois hors d’Israël[2].

Six ans plus tard, le Musée royal de l’Ontario (au Canada) connut un succès semblable en tenant l’exposition intitulée « Dead Sea Scrolls. Words that Changed the World » (voir Royal Ontario Museum 2009) en collaboration avec l’Autorité israélienne des antiquités. Cet événement ne sera toutefois pas sans embuche, puisque, avant même la tenue de l’exposition, une controverse portant sur la propriété des Manuscrits fut soulevée, entre autres par la Direction générale du Département d’archéologie du Ministère palestinien du tourisme et des antiquités, qui alléguait que l’Autorité israélienne des antiquités n’était pas le véritable propriétaire des Manuscrits et qu’en conséquence le Musée royal de l’Ontario — et par extension le Canada, violaient plusieurs normes de droit international (Oakland 2009).

De même, en décembre 2009, alors que l’exposition tirait à sa fin, le Royaume de Jordanie signifia une requête au chargé d’affaire de l’ambassade canadienne à Amman, sommant le Canada de lui restituer les Manuscrits prêtés illégalement, selon lui, par Israël au Canada pour les fins de l’exposition (Valpy 2010). Alors que le Musée royal de l’Ontario précisait que l’Autorité israélienne des antiquités était le seul propriétaire des manuscrits (Douillet 2010), un porte-parole du Ministère canadien des affaires étrangères déclarait qu’il serait inapproprié qu’Ottawa intervienne dans le conflit, considérant que le différend concernant la propriété des Manuscrits devait plutôt être réglé par Israël, la Jordanie et l’Autorité palestinienne (Douillet 2010). Pour sa part, le porte-parole du Ministère israélien des affaires étrangères déclarait que ces parchemins appartenaient à l’héritage culturel et historique du peuple juif et n’avaient aucun lien avec la Jordanie ou son histoire (Douillet 2010).

Ces deux incidents ne sont pas sans rappeler ceux qui avaient entouré l’acquisition de certains fragments de parchemins qumrâniens par l’Université McGill (Canada) dans les années 1950 qui s’était soldée par une contestation de la part de la Jordanie et, comme nous le verrons ci-après, une annulation de cette vente.

Ces tensions illustrent bien les enjeux juridiques, politiques et stratégiques entourant la question de la propriété légitime des biens culturels antiques dans notre société globalisée. Ces dernières années, l’archéologie est en effet de plus en plus souvent au coeur de revendications politiques (Coningham et Lewer 2000,707-712) ou territoriales complexes (Asch et Bell 1993, 503) et le droit peine à y apporter des réponses simples (Harper 2014 ; Rennie 2014).

Cette contribution tentera donc d’explorer les enjeux juridiques soulevés par la question de la propriété des Manuscrits de la mer Morte, plus spécifiquement en ce qui a trait aux normes de droit international public. Dans un premier temps, il sera nécessaire de faire un bref rappel chronologique de la découverte et de l’appropriation de ces documents (section 1). Ensuite, il est proposé d’explorer plus avant le cadre normatif du droit international public relatif aux biens culturels, en portant une attention particulière aux règles issues du droit international humanitaire applicables en situation de conflit armé international ou d’occupation (section 2c). Enfin, il sera opportun de discuter brièvement des modes de règlement des différends relatifs au patrimoine qui ont émergé au cours des dernières décennies (section 3).

1. La Découverte des Manuscrits

Au cours de l’hiver 1946-1947, un jeune bédouin de la tribu Ta’a Mireh, Muhammad edh-Dhib Hassan, part à la recherche d’une bête de son troupeau sur les pentes désertiques de Qumrân, sur les rives nord-ouest de la mer Morte (Duhaime et Legrand 2010, 3 ; Schiffman 2003, 3). Au cours de cette expédition, le jeune homme découvre par hasard une grotte dans laquelle se trouvent plusieurs jarres, contenant pour la plupart des rouleaux relativement bien conservés enveloppés dans du tissu (VanderKam 2010, 2 ; Fuchs 2000, 2)[3].

Espérant certainement tirer un peu d’argent de cette trouvaille, le Bédouin se tourne vers un antiquaire de Bethléem, Khalil Iskander Schahin, dit Kando. L’antiquaire se doutant, sans en être certain, de la valeur marchande des 7 rouleaux qui lui sont présentés, promet aux Bédouins les 2/3 de l’argent qu’il tirerait de leur vente (VanderKam 2010, 4). Conformément à cet accord, les rouleaux sont mis en vente par Kando qui, s’il en soupçonne l’importance, ignore toujours la nature des inscriptions qu’ils contiennent. Dès 1947, trois parchemins sont alors achetés par le professeur Eliezer Sukenik de l’Université hébraïque de Jérusalem, et quatre sont achetés par le Père Mar Athanasios Samuel, supérieur du couvent syrien de Saint-Marc à Jérusalem. Alors que les travaux de déchiffrage des manuscrits débutent avec l’aide des écoles archéologiques anglaise et américaine de Jérusalem, la nouvelle de la découverte des Manuscrits se répand et arrive notamment aux oreilles du Père Roland de Vaux, directeur de l’école biblique et archéologique française de Jérusalem, qui organise alors pour son compte une nouvelle chasse aux manuscrits (Fuchs 2000, 3). En 1948 cependant, l’instabilité politique dans la région oblige à interrompre les fouilles tandis que le Père Mar Samuel décide de mettre les quatre rouleaux qu’il possède en sécurité aux États-Unis (VanderKam 2010, 12).

En effet, au moment où les premiers rouleaux sont découverts durant l’hiver 1947, le mandat britannique sur la Palestine touche à sa fin[4]. Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations unies adopte la Résolution 181 qui prévoit le partage de la Palestine en deux États distincts : un État juif, un État arabe et Jérusalem placée sous administration internationale (voir ONU 1947). Le projet de partage est toutefois rejeté et, dès le 30 novembre 1947, un conflit éclate entre les populations juives et arabes. Le 14 mai 1948, l’État israélien est officiellement proclamé, transformant ce qui était alors une guerre civile en première guerre israélo-arabe. Le 24 février 1949, après un ultime cessez-le-feu, un armistice est finalement signé entre les belligérants. Au terme de ce premier conflit, la situation géopolitique dans la région est considérablement modifiée : le nouvel État israélien occupe 81 % du territoire de la Palestine et a pris possession de la partie Ouest de la ville de Jérusalem désormais coupée en deux. En face, les territoires qui devaient former le nouvel État arabe, dont la Cisjordanie (où se trouve Qumrân) et Jérusalem Est, sont annexés par la Jordanie, mais sans reconnaissance de la communauté internationale dans la mesure où ces démarcations ne devaient être que provisoires, en attendant des négociations de paix qui n’auront finalement jamais lieu.

Profitant du statu quo ainsi établi, la recherche des Manuscrits reprend. De 1949 à 1956, on assiste alors à une véritable « course aux fragments » sur les bords de la mer Morte. Comme le résume Véronique Chemla :

Cette aventure conjuguant enjeux scientifiques et politiques, met en scène de nombreux protagonistes : des Bédouins chasseurs de trésors, des intermédiaires plus ou moins scrupuleux, des hommes de main, des chercheurs-épigraphistes de génie, des acheteurs anonymes, des archéologues de terrain […].

Chemla 2015

L’achat par l’Université McGill de plusieurs centaines de fragments illustre bien la diversité des acteurs impliqués dans la recherche des Manuscrits.

En 1953 en effet, lors du congrès de l’International Organization for the Study of the Old Testament qui se déroule alors à Copenhague, le Père Roland de Vaux profite de l’occasion pour exposer la situation extrêmement précaire dans laquelle se trouvent les fragments découverts dans la Grotte no. 4 : faute de fonds suffisants, ces fragments sont toujours en attente d’être rachetés aux Bédouins qui les ont trouvés. Pour éviter que les fragments ne se retrouvent à terme sur le marché noir et soient ainsi inévitablement dispersés, Roland de Vaux lance un appel aux représentants d’universités pour qu’ils se portent acquéreurs des fragments en question. Dans le cas où une institution fournirait les fonds manquants, les droits d’exportation et de propriété des fragments achetés seraient garantis à l’institution, à condition toutefois que les fragments restent en Palestine jusqu’à ce qu’ils aient pu être étudiés et publiés, soit pour une durée estimée à 2 ou 3 ans selon le directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Kalman et du Toit 2014, 24).

Au printemps 1954, puis une seconde fois en 1955, l’Université McGill de Montréal répond favorablement à l’appel du Père Roland de Vaux. Grâce au financement de la Fondation John Henry Birks, et suite à des négociations prolongées avec le Département des Antiquités du gouvernement jordanien, la Faculty of Divinity de l’Université McGill achète aux Bédouins quelque 450 fragments découverts dans la Grotte no.4, faisant ainsi de l’Université McGill le propriétaire, à l’époque, de la plus grande collection de fragments qumrâniens au monde en dehors de la Jordanie (Kalman et du Toit 2014, 25)[5].

Finalement, la compétition entre une multiplicité d’acteurs est telle qu’à la fin de l’année 1956, plusieurs dizaines de grottes ont été excavées. Dans onze d’entre elles ont été retrouvés des Manuscrits en quantité et dans un état de conservation variable, ainsi que plusieurs centaines de milliers de fragments. L’essentiel des découvertes est acheté par le gouvernement jordanien et acheminé au Musée archéologique de Palestine dans Jérusalem Est, ce qui n’empêche pas de nombreux fragments d’être aussi éparpillés à travers le monde et conservés dans différentes institutions en Europe, aux États-Unis et au Moyen-Orient (VanderKam 2010, 16-18 ; Fuchs 2000, 4 ; Estrin 2013 ; Flouquet 2010). Toutefois, si l’immense partie des documents et des recherches reste bien en possession des autorités jordaniennes, les 7 Manuscrits originaux découverts en 1946-1947 sont, quant à eux, aux mains des autorités israéliennes. En effet, en juin 1954, les quatre Manuscrits envoyés par le Père Mar Samuel aux États-Unis sont mis en vente dans le Wall Street Journal. Ils sont acquis par l’État israélien et finalement réunis avec les 3 premiers rouleaux achetés à l’époque par Sukenik (Fuchs 2000, 3). Or, en 1955 déjà, cette vente est condamnée en vain par le gouvernement jordanien qui remet alors en question la légalité du transport de ces antiquités à l’extérieur de leur territoire de découverte en 1948 (VanderKam 2010, 12).

En 1960, alors que les fouilles archéologiques s’essoufflent et que les travaux de déchiffrage piétinent (Fuchs 2000, 5)[6], Roland de Vaux contacte les différentes institutions qui avaient acheté des fragments pour les informer que les travaux seraient bientôt terminés, et qu’il était désormais temps de demander au gouvernement jordanien des permis d’exportation. Or, le 27 juillet 1960, dans le souci de préserver l’ensemble de ses découvertes archéologiques, le gouvernement jordanien annule les arrangements antérieurs. Préférant conserver les fragments, celui-ci procède alors au remboursement des sommes versées par les institutions étrangères, notamment par l’Université McGill, pour les acquérir (Schiffman 2003, 17). Une des raisons avancées par le gouvernement jordanien pour expliquer ce changement de politique, était que « […] these scrolls constitute an indivisible part of the history of Jordan in particular and of the spiritual legacy of all mankind. This being the case, neither the antique treasure as a whole nor any part thereof shall be allowed to be lost through transfer of property rights to any party » (Kalman et du Toit 2014, 118). Les représentants de l’Université McGill tenteront en vain d’obtenir un prêt à long terme des fragments achetés, mais n’obtiendront, comme les autres acheteurs, que le remboursement des sommes déboursées pour les acquérir (Kalman et du Toit, 2014, 119-120).

En 1966, dans un ultime effort pour préserver l’unité de ses trésors archéologiques nationaux, la Jordanie procède à la nationalisation du Musée archéologique de Palestine au sein duquel se trouvent l’essentiel des Manuscrits et fragments découverts depuis 1949 (Kalman et du Toit 2014, 120 ; Schiffman 2003, 17).

En 1967, toutefois, un dernier bouleversement géopolitique se produit avec la Guerre des Six Jours. En effet, au terme d’une guerre éclair l’opposant à ses voisins arabes, et notamment à la Jordanie, Israël prend le contrôle de l’intégralité de la ville de Jérusalem et occupe la Cisjordanie, s’emparant ainsi du Musée archéologique où sont alors conservés la plupart des Manuscrits et fragments découverts depuis 1949. Bien que l’annexion de Jérusalem et l’occupation de la Cisjordanie aient été considérées comme illégales au regard du droit international par la communauté internationale, et condamnées à plusieurs reprises par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies, Israël a depuis ce jour, de facto, le statut de puissance occupante[7]. Concernant les Manuscrits de la mer Morte, suite à la prise de Jérusalem Est, les collections conservées au Musée archéologique de Palestine passent sous le contrôle du Département des antiquités d’Israël. Elles sont aujourd’hui conservées et exposées au Musée du Livre de Jérusalem Ouest.

Ces manuscrits constituent certainement l’une des découvertes archéologiques les plus importantes du xxe siècle. Il s’agit de quelque 900 manuscrits (bien conservés mais le plus souvent en fragments) rédigés entre 250 avant JC et 70 de notre ère, par des scribes esséniens, un groupe de juifs religieux qui s’était exilé à cette époque dans le désert près de la mer Morte. Ils contiennent non seulement la plus ancienne version connue des livres de la Bible hébraïque (à l’exception du livre d’Esther), des commentaires de ces textes, mais également diverses règles relatives à la communauté et ses pratiques. Sur le plan historique et théologique, cette découverte est également fondamentale. En effet, « [a]ujourd’hui, l’on sait que les fragments de rouleaux bibliques découverts sont essentiels pour mieux comprendre comment s’est constitué le texte reçu de la Bible hébraïque » (Duhaime et Legrand 2010, 162).

Depuis 1967, c’est ainsi sur fond de tensions politiques et religieuses que se dispute la propriété des Manuscrits de la mer Morte, dont l’histoire ne cesse de connaître des rebondissements.

Du côté d’Israël, premièrement, les autorités considèrent que les Manuscrits de la mer Morte font partie intégrante du patrimoine et de l’héritage national, historique et culturel du peuple juif, et qu’en conséquence ils devraient demeurer en sa possession à des fins de conservation et de recherche (Estrin 2013). Toutefois, Israël ne revendique pas à proprement parler la propriété des documents. Israël considère en effet n’être que le « gardien » des Manuscrits et, à ce titre, estime avoir le droit de les conserver et de les exposer (Douillet 2010 ; Oakland 2009 ; Nadeau 2010). C’est ainsi en tant que « gardien » des Manuscrits que, depuis 1967, Israël a largement contribué à la recherche sur les Manuscrits, à leur réunification et à leur publicisation. En effet, en plus d’avoir ouvert l’accès aux Manuscrits à tous les chercheurs et de les conserver dans une aile du Musée d’Israël dédiée, le Département israélien des Antiquités, en partenariat avec l’entreprise Google, a notamment mis en oeuvre depuis décembre 2012 un projet visant à rendre accessibles gratuitement sur Internet les Rouleaux de la mer Morte ainsi que leurs traductions (Chemla 2015)[8]. En outre, depuis la fin des années 1960[9], et en particulier depuis les années 1990, les autorités israéliennes se sont également lancées dans une nouvelle traque des fragments qui apparaissent ponctuellement sur le marché des antiquités (Estrin 2013) [10].

Or, loin de faire l’unanimité, la position d’Israël et sa possession des Manuscrits sont aujourd’hui contestées aussi bien par les autorités palestiniennes que jordaniennes.

Côté palestinien, les revendications relatives aux Manuscrits sont étroitement mêlées aux revendications nationalistes de la population : « pour les Palestiniens, ces manuscrits ont été volés à la terre palestinienne et à son peuple par les occupants israéliens » (Ansar 2011 ; Valpy 2010). En effet, depuis 1967, la question de la reconnaissance de l’existence, ou non, d’un État palestinien en Cisjordanie et sur la bande de Gaza, avec Jérusalem Est pour capitale, est au coeur des débats dans la région. Or, ces dernières années, la situation semble évoluer favorablement pour les Palestiniens. Depuis octobre 2011, la Palestine est devenue le 195e État membre de l’UNESCO[11], tandis que depuis 2012, elle a le statut « d’État observateur non-membre » à l’ONU (voir ONU 2012). Le 7 janvier 2015 enfin, la Palestine est officiellement devenue le 123e État membre de la Cour pénale internationale[12]. Confortée dans son statut d’État reconnu par la majorité de la communauté internationale, la Palestine semble désormais en droit de faire jouer sa souveraineté sur son patrimoine historique et culturel, et notamment sur les Manuscrits de la mer Morte, découverts sur le territoire de la Cisjordanie qui constitue en principe aujourd’hui le territoire palestinien (Estrin 2013).

La Jordanie, enfin, invoque des raisons patrimoniales pour appuyer son droit de propriété sur les Manuscrits. Elle souligne notamment que les premiers rouleaux ont été trouvés par des Bédouins dans ce qui constitue aujourd’hui les territoires palestiniens occupés par Israël, et que toutes les découvertes réalisées entre 1949 et 1967 l’ont été en Cisjordanie alors contrôlée par la Jordanie (Estrin 2013). En 2009, lors de l’exposition des Manuscrits en Ontario, la ministre jordanienne du Tourisme et le chef jordanien des Antiquités avaient ainsi indiqué détenir tous les documents juridiques prouvant que la Jordanie avait acheté les parchemins découverts depuis 1949, et qu’elle en était donc le propriétaire légitime (Nadeau 2010 ; Douillet 2010). En outre, pour Robert David, professeur de théologie à l’Université de Montréal, les premiers Manuscrits de la mer Morte découverts en 1946-1947 appartiennent à la Jordanie, parce que l’État d’Israël n’existait pas encore lorsqu’ils ont été découverts : « L’essentiel des textes appartient effectivement au patrimoine historique de la Judaïté, mais jusqu’à maintenant, on s’occupait du territoire [sur lequel un bien a été découvert] plutôt que du contenu » (Nadeau 2010).

2. Le développement du droit relatif aux biens culturels[13]

Formalisées en droit international au courant du xxe siècle, les questions soulevées par les déplacements de biens culturels, et par la restitution de ces biens, sont en réalité beaucoup plus anciennes. Dès le xvie siècle en effet, les penseurs européens s’interrogeaient sur les conséquences du pillage des trésors indigènes dans les Amériques espagnoles, tandis qu’au xviie siècle, les Traités de Westphalie prévoyaient déjà le retour des objets pillés pendant la Guerre de Trente Ans (Prott 2011, 2). En 1861 également, Victor Hugo condamnait dans un célèbre texte le pillage des trésors du Palais d’été durant l’expédition de Chine, qualifiant la France et l’Angleterre de « bandits » (Hugo 1861). C’est aussi à partir du début du xixe siècle que la question de la restitution des biens culturels appropriés en temps de guerre est à nouveau considérée dans le cadre de certains accords de paix. Ainsi lors du Congrès de Vienne de 1814-1815, on se demanda si les objets d’arts enlevés par Napoléon et conservés par Dominique Vivant Denon au Musée du Louvre devaient être retournés à leur propriétaire originel. Toutefois, bien qu’une large partie du butin fût restituée, aucune obligation formelle de restitution ou d’indemnisation ne fut incorporée expressément dans les Traités (Desmoulins 2012, 13). Au lendemain de la Première Guerre mondiale ensuite, les efforts des vainqueurs pour réparer les conséquences des déplacements illicites de patrimoine ont abouti à l’inscription de l’obligation de restitution dans les différents traités de paix signés entre les belligérants. En plus de cristalliser la notion d’imprescriptibilité des crimes relatifs au patrimoine culturel, les restitutions réalisées à la suite du conflit sont effectuées dans le souci de restituer les objets au lieu auquel ils étaient traditionnellement rattachés. C’est ainsi, par exemple, que le Coran offert par les Ottomans à l’empereur Guillaume II est restitué à Médine d’où il avait été saisi (Desmoulins 2012, 13). Si divers cas de restitution ont ainsi lieu bien avant cette époque, c’est toutefois à partir de la Seconde Guerre mondiale que les revendications relatives au patrimoine trouvent véritablement leur place sur la scène internationale avec l’émergence de trois mouvements de revendications.

À partir de 1945, en effet, le premier mouvement de revendications qui émerge s’inscrit dans la continuité des efforts développés à la suite de la Première Guerre mondiale. Les restitutions de biens culturels déplacés durant le conflit, ou les indemnisations lorsque ces biens ont disparu, sont ainsi organisées par les traités de paix signés entre les différents belligérants. Ce fut entre autres le cas du Traité de paix entre les Alliés et l’Italie en vertu duquel le gouvernement italien dut retourner certains biens culturels capturés pendant les campagnes italiennes en Éthiopie et en Yougoslavie (Henckaerts et Doswald-Beck 2006)[14]. Les biens déplacés, confisqués ou détruits par les nazis, en particulier, font alors l’objet de nombreuses plaintes et procédures de restitution, aussi bien de la part des États que d’institutions ou de particuliers, qui sont présentées comme des tentatives de réparer les souffrances et les spoliations de la guerre.

Un deuxième mouvement a ensuite vu le jour en lien avec le processus de décolonisation dans la mesure où les occupations coloniales avaient largement favorisé le déplacement de patrimoines culturels locaux vers les métropoles occidentales (Prott 2011, 207). Dès leur accession à l’indépendance, les nouveaux États se sont alors naturellement montrés désireux de récupérer les éléments importants de leur patrimoine, dont beaucoup se trouvaient, et se trouvent encore, éparpillés dans les musées à travers le monde, ou dans des pays voisins du fait des modifications frontalières (Prott 2011, 195). Ces États exigeaient notamment que des principes de restitution similaires à ceux mis en place après un conflit armé leur soient appliqués, dans la mesure où la plupart considérait la colonisation comme une forme d’occupation étrangère (Prott 2011, 11). Bien qu’il n’existe aucune obligation internationale de la part des anciennes puissances coloniales de rendre les objets déplacés durant cette période[15], les restitutions sont généralement perçues comme relevant d’un devoir moral et s’intègrent dans un sentiment d’obligation de réparation ou de compensation des dommages du passé (Desmoulins 2012, 14-18).

Enfin, plus récemment, un troisième mouvement de revendication s’est développé avec la question de la restitution du patrimoine autochtone. En effet, les peuples autochtones ont également émergé ces dernières années comme de nouveaux sujets collectifs de droits[16] et estiment devoir bénéficier de la même sensibilité éthique que celle manifestée dans les cas de spoliations de guerre (Prott 2011, 43). Les demandes de restitution autochtones se basent en outre sur la nécessité de rétablir les liens sacrés entre population, territoire et patrimoine culturel, et sur le développement d’une notion élargie du droit à l’autodétermination des peuples qui doivent pouvoir conserver, revitaliser et développer leur identité culturelle et collective (Prott 2011, 208). Bien que l’existence d’une obligation juridique de restitution stricto sensu soit contestée par plusieurs[17], l’appropriation des biens culturels autochtones est aujourd’hui souvent considérée comme indigne a posteriori, et le retour des biens est alors à privilégier (Desmoulins 2012, 20).

Pour répondre à ces multiples revendications, le droit relatif au retour des biens culturels s’est développé très rapidement, aussi bien au niveau des législations internes que du droit international.

En effet, dès le début du xxe siècle, la plupart des États ont pris conscience que leurs biens culturels, de par leur valeur particulière, devaient bénéficier de protections spécifiques. À cette fin, de nombreux États ont ainsi protégé leur patrimoine par le biais de la propriété publique, ou en classant leurs biens culturels comme « trésors nationaux », en les inscrivant dans des registres dédiés. Nombre d’États ont également opté pour la mise en place de législations protectrices spécifiques supplémentaires concernant ces biens, par exemple en interdisant leur exportation, ou en soumettant celle-ci à l’obtention d’autorisations préalables, y compris lorsque ces biens appartiennent à des particuliers (Desmoulins 2012, 4-15). Au Canada par exemple, la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels[18] établit la nomenclature des biens ou des catégories de biens culturels dont l’exportation est contrôlée, et prévoit notamment que toute personne, société ou établissement qui souhaite exporter de tels biens doit impérativement obtenir une autorisation de l’Agence des services frontaliers du Canada, ou selon les cas, du Programme des biens culturels mobiliers du Ministère du Patrimoine canadien[19].

Au niveau du droit international, diverses conventions relatives au patrimoine culturel ont été progressivement adoptées pour encadrer les pratiques liées au patrimoine, règlementer les échanges de biens culturels, et surtout pour prévenir et sanctionner les pratiques illicites. C’est notamment le cas de Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels (UNESCO 1970) ratifiée par 131 États, dont le Canada, la Jordanie et la Palestine (mais non par Israël), ou encore de la Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (UNIDROIT 1995). Adoptée en 1995, cette Convention est souvent présentée comme une sorte de « décret d’application » de la Convention de 1970 en ce qu’elle tente d’organiser la restitution des propriétés volées par le moyen d’une règlementation matérielle uniforme et par une coopération administrative et judiciaire entre les États[20]. À ces diverses conventions internationales s’ajoutent enfin des dispositions adoptées par des instances régionales, notamment l’Union européenne[21], ainsi que de nombreuses résolutions et recommandations onusiennes ou d’ONG ayant une valeur morale à défaut d’être contraignantes[22].

Concernant spécifiquement les Manuscrits de la mer Morte, l’essentiel des revendications de la Jordanie et de la Palestine se fonde sur l’annexion de Jérusalem Est par Israël au terme de la Guerre des Six Jours en 1967. Cette annexion, et la saisie des Manuscrits par Israël qui en a découlé, exige donc d’examiner les dispositions particulières du droit international humanitaire (DIH) susceptibles de s’appliquer.

Le droit international humanitaire, appelé également droit de la guerre ou droit des conflits armés (c’est-à-dire le régime juridique international adopté par les États pour règlementer la conduite des belligérants, leurs droits et leurs obligations dans ce contexte)[23] a en effet progressivement développé certaines normes juridiques relatives à la protection des biens culturels (Sassoli et Bouvier 2012 ; Bugnion 2004, 313 ; Desch 1999, 63 ; Henckaerts 1999, 147 ; Hladik 2006 ; Konopka 1997 ; Mainetti 2004, 337 ; O’keefe 2006 ; Stavraki 1996 ; Tanja 1994, 115 ; Techera 2007, 1 ; Toman 1996 ; Van Woudenberg et Lijnzaad 2010) en temps de conflit armé international ou interne[24].

Ainsi, alors que les accords de paix et la gestion des relations internationales post-conflit armé ont pu, à l’occasion, aborder l’épineuse question de la restitution des biens culturels appropriés pendant une guerre, le droit international humanitaire ou jus in bello, s’est quant à lui essentiellement intéressé aux obligations qu’ont les belligérants de ne pas mener des attaques contre des biens culturels, l’obligation positive de protéger ces biens, et l’obligation de ne pas se les approprier illégalement.

Dans un premier temps, il nous faut d’abord rappeler que le DIH a très tôt interdit aux belligérants[25] de mener des attaques qui ne répondent pas strictement aux exigences de la nécessité militaire (Gardham 2004). Conformément au principe de la distinction, les belligérants ne doivent en effet pas mener d’attaque contre des biens à caractère civil, c’est à dire des biens qui ne constituent pas des objectifs militaires « qui, par leur nature, leur emplacement, leur destination ou leur utilisation apportent une contribution effective à l’action militaire et dont la destruction totale ou partielle, la capture ou la neutralisation offre en l’occurrence un avantage militaire précis » [26] (Sassoli et Bouvier 2012, 131-139). Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, entré en vigueur en 2002, identifie d’ailleurs comme un crime de guerre passible de poursuites « la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire », ainsi que « le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens de caractère civil, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des objectifs militaires » (ONU 1998, art. 8).

Par conséquent, on peut considérer que le DIH interdit de façon générale aux belligérants de mener des attaques contre des biens culturels puisque ceux-ci sont, par nature, des biens civils et ne constituent pas des objectifs militaires (dans la mesure toutefois où ils ne sont pas utilisés à des fins militaires). Rappelons que le DIH prévoit qu’en cas de doute « un bien qui est normalement affecté à un usage civil, tel qu’un lieu de culte, une maison, un autre type d’habitation ou une école, est présumé ne pas être utilisé en vue d’apporter une contribution effective à l’action militaire »[27].

Le DIH a toutefois également développé de nombreuses normes qui interdisent explicitement toute forme d’attaque contre des biens culturels. En effet, dès 1907, les États convinrent de l’obligation internationale de prendre, « dans les sièges et bombardements, toutes les mesures nécessaires […] pour épargner, autant que possible, les édifices consacrés aux cultes, aux arts, aux sciences et à la bienfaisance, […] à condition qu’ils ne soient pas employés en même temps à un but militaire »[28].

Depuis, le droit moderne des conflits armés a également introduit et développé ce type d’interdiction expresse. Ainsi en 1954, les États ont adopté la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, en vertu de laquelle les États parties s’engagent notamment à « respecter les biens culturels situés tant sur leur propre territoire que sur celui des autres Hautes Parties contractantes en s’interdisant l’utilisation de ces biens, celle de leurs dispositifs de protection et celle de leurs abords immédiats à des fins qui pourraient exposer ces biens à une destruction ou à une détérioration en cas de conflit armé, et en s’abstenant de tout acte d’hostilité à leur égard » (ONU 1954a, n. 19 à l’art. 4). Adoptés en 1977, les deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève, se rapportant respectivement aux conflits armés internationaux et non internationaux, interdisent également « de commettre tout acte d’hostilité dirigé contre les monuments historiques, les oeuvres d’art ou les lieux de culte qui constituent le patrimoine culturel ou spirituel des peuples ; d’utiliser ces biens à l’appui de l’effort militaire ; de faire de ces biens l’objet de représailles »[29]. Depuis 2004 enfin, le Deuxième Protocole relatif à la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, auquel la Jordanie et la Palestine ont adhéré, mais non Israël, prévoit que commet une violation grave du Protocole

toute personne qui, intentionnellement […] accomplit l’un des actes ci-après : c. détruire ou s’approprier sur une grande échelle des biens culturels protégés par la Convention et le présent Protocole ; […] e. le vol, le pillage ou le détournement de biens culturels protégés par la Convention, et les actes de vandalisme dirigés contre des biens culturels protégés par la Convention.

ONU 1999, art. 15

Il est généralement reconnu aujourd’hui que cette interdiction d’attaquer les biens culturels ne lie pas uniquement les États ayant ratifiés ces traités, mais constitue une norme de droit international coutumier liant tous les belligérants. En effet, le droit international reconnaît l’existence de normes juridiques issues d’une pratique constante et répétée, d’une majorité d’États, qui agissent de la sorte par ce qu’ils se sentent liés par une norme internationale, même non écrite. Au fil du temps, une majorité d’États ont ainsi évité d’attaquer des biens culturels, parce qu’ils considéraient que le droit international le leur interdisait (Henckaerts et Doswald-Beck 2006)[30]. La violation de cette norme coutumière constitue également un crime de droit pénal international pouvant engager la responsabilité pénale individuelle des belligérants impliqués, comme ce fut notamment le cas lors de la destruction de biens culturels dans le récent conflit en Ex-Yougoslavie[31].

Dans un deuxième temps, il nous faut rappeler qu’au-delà de la simple interdiction d’attaquer des biens culturels en temps de conflit armé, le DIH impose également aux belligérants d’adopter des mesures pour protéger ces biens. Ces obligations sont essentiellement contenues dans la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de 1954, qui prévoit diverses normes encourageant les États à identifier leurs biens culturels par un signe distinctif et à mettre leurs biens culturels en sécurité, à bonne distance des objectifs militaires pouvant faire l’objet d’attaques (ONU 1954a, n. 19 aux art. 6, 10 et 16).

Cette obligation de protéger les biens culturels est également valable dans le cadre de l’occupation du territoire ennemi par une partie belligérante. En effet, en vertu de la Convention de 1954, les parties belligérantes doivent « dans la mesure du possible, soutenir les efforts des autorités nationales compétentes du territoire occupé à l’effet d’assurer la sauvegarde et la conservation de ses biens culturels » (ONU 1954a, n. 19 à l’art 5, par. 1). De même,

[s]i une intervention urgente est nécessaire pour la conservation des biens culturels situés en territoire occupé et endommagés par des opérations militaires, et si les autorités nationales compétentes ne peuvent pas s’en charger, [l’occupant doit prendre], autant que possible, les mesures conservatoires les plus nécessaires en étroite collaboration avec ces autorités.

ONU 1954a, n. 19 à l’art. 5, par. 2

Pour les fins de la présente discussion, rappelons que, au moins depuis 1907, le DIH interdit « la saisie, la destruction ou dégradation intentionnelle » « des biens des communes, ceux des établissements consacrés aux cultes, à la charité et à l’instruction, aux arts et aux sciences », « de monuments historiques, d’oeuvres d’art et de science »[32]. La Convention de 1954 (ratifiée par Israël et par la Jordanie — rappelons-le) étend la portée de cette norme, obligeant les parties belligérantes « à interdire, à prévenir et, au besoin, à faire cesser tout acte de vol, de pillage ou de détournement de biens culturels, pratiqué sous quelque forme que ce soit, ainsi que tout acte de vandalisme à l’égard desdits biens ». De plus ces parties ne peuvent « réquisitionner les biens culturels meubles situés sur le territoire d’une autre [partie] » (ONU 1954a, n. 19 à l’art 4, par. 3).

Encore une fois, il ne semble faire aucun doute que ces interdictions constituent aujourd’hui, une norme de droit international humanitaire coutumier[33] liant tous les belligérants partis à un conflit armé et pouvant engager la responsabilité pénale internationale individuelle des personnes qui violent ces normes (Henckaerts et Doswald-Beck 2006)[34]. Ce fut entre autres le cas de plusieurs criminels de guerre condamnés lors des procès de Nuremberg ainsi que par des tribunaux militaires français et américains pour avoir saisi ou détruit des biens culturels pendant la Deuxième Guerre mondiale (Henckaerts et Doswald-Beck 2006)[35] et, bien plus récemment, de la condamnation à 9 ans de prison d’Ahmad Al-Faqi Al-Mahdi par la Cour pénale internationale pour crime de guerre, suite à la destruction des Mausolées de Tombouctou au Mali (Maupas 2016)[36].

En troisième lieu enfin, rappelons que le DIH prévoit que les puissances occupantes ont l’obligation de prévenir l’exportation illicite de biens culturels en provenance du territoire occupé et se doivent de rendre aux autorités compétentes occupées, le cas échéant, les biens ainsi exportés. En effet, le premier Protocole pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, adopté en 1954 également, un traité auquel Israël et la Palestine ont adhéré et que la Jordanie a ratifié, prévoit que « chacune des Hautes Parties contractantes s’engage à empêcher l’exportation de biens culturels d’un territoire occupé par Elle lors d’un conflit armé […] » (ONU 1954b, art. 1) et impose aux États partie de « mettre sous séquestre les biens culturels importés sur son territoire et provenant directement ou indirectement d’un quelconque territoire occupé » (ONU 1954b, art. 2). Une fois encore, le contenu de cette norme constitue aujourd’hui une norme de droit international humanitaire coutumier[37], qui semble reconnue non seulement par le Conseil de Sécurité de l’ONU (Henckaerts et Doswald-Beck 2006)[38], mais aussi par les autorités d’Israël et de ses voisins[39].

Comme nous pouvons le constater, le droit international humanitaire a su développer, avec les années, une série de normes très précises qui interdisent non seulement l’attaque de biens culturels lors de conflits armés internationaux ou non internationaux, mais qui obligent aussi les parties belligérantes à protéger ces biens, entre autres en ne procédant pas à leur réquisition ou saisie, et en interdisant à leur endroit le pillage, le vol, le vandalisme ou la destruction, et même leur exportation en cas d’occupation.

3. Les modes de règlement des différends relatifs aux biens culturels

Les disputes relatives aux biens culturels sont généralement compliquées par la diversité des biens et des entités juridiques concernées. En effet, il existe une très importante variété de situations non seulement en fonction de la nature du bien revendiqué, mais également selon que les revendications sont adressées d’État à État, d’État à particulier, de particulier à État, à une communauté ou à un autre particulier. Les particuliers ou les communautés peuvent en outre revendiquer un bien situé au sein de leur propre État, ou chercher à obtenir réparation auprès d’un autre État, ou d’une communauté, d’une institution ou d’un particulier issu d’un autre État (Desmoulins 2012, 3). Aussi, face à la complexité et à la diversité des situations relatives aux restitutions de patrimoine culturel, plusieurs modes de règlement des différends ont été élaborés[40].

Les demandes de restitutions présentées devant les tribunaux, tout d’abord, exigent le plus souvent de mêler l’étude du droit public et du droit privé, voire du droit international et du droit interne. En effet, lorsqu’un tribunal est saisi d’une demande de restitution, plusieurs questions doivent être résolues, en particulier lorsque le différend a un caractère international.

En premier lieu, et afin de soutenir toute demande de restitution, la partie revendiquant un bien culturel doit pouvoir prouver l’existence d’un droit de propriété sur ce bien. Pour fonder leur droit de propriété et établir ainsi le lien d’appartenance qu’ils possèdent avec leur patrimoine, certains États se basent sur la législation protectrice qu’ils ont adoptée. Or, si le pays d’origine ou de provenance d’un bien est défini dans les textes internationaux comme celui qui le désigne et le distingue comme relevant de son patrimoine culturel, les États n’identifient pas toujours les biens culturels auxquels ils accordent une importance. De plus, les critères qui déterminent l’appartenance d’un bien à un patrimoine national sont vastes et la définition du lien d’appartenance peut être reconnue non d’un point de vue formel mais plutôt au regard du lien réel noué entre une communauté et un bien. Selon Prott, notamment, la possession et la conservation d’un bien pendant une période prolongée peuvent en effet créer des liens d’adoption, ou des « liens culturels privilégiés ». Ainsi des oeuvres peuvent être considérées comme faisant partie du patrimoine d’un État sans pour autant avoir de lien direct avec la culture de cet État (par exemple la Joconde, bien que n’ayant pas de lien avec la culture française est désormais pleinement assimilée au Louvre et au patrimoine français) (Prott 2011, 353)[41]. Enfin, des conflits d’appartenance et de légitimité peuvent apparaitre lorsque deux États revendiquent un droit sur un même bien.

Lorsqu’un différend est de nature internationale, les tribunaux doivent également déterminer quel est le droit applicable. Sur ce point, c’est généralement la « loi de la situation du bien » (lex rei sitae) qui fait consensus. En cas de litige entre des juridictions étrangères, la loi applicable est ainsi celle du pays où se trouve le bien (Desmoulins 2012, 6-7)[42]. Dans certains cas toutefois, des solutions de « rattachement spécial » sont proposées pour concilier les parties. Ces solutions visent à identifier la juridiction ayant les liens les plus étroits avec la situation en litige et amènent parfois à reconnaitre la législation du lieu de vol d’un bien culturel comme étant la plus appropriée pour résoudre un différend.

Dans certains cas, le principe des immunités d’État prévu par le droit international public[43] et le droit interne de chaque pays[44], en vertu desquelles un État est notamment protégé contre des poursuites intentées devant un tribunal étranger, entre également en ligne de compte et est souvent invoqué pour freiner, voire empêcher ce type de revendication.

Passés ces principaux obstacles procéduraux, les revendications présentées devant les tribunaux doivent encore faire face à de nombreuses difficultés. Elles sont ainsi souvent compliquées par des règles de droit traditionnelles, telles que le principe de prescription, la protection des acheteurs de bonne foi ou encore les normes relatives au droit des contrats, qui varient considérablement d’une juridiction nationale à une autre. Les revendications peuvent également être compliquées par la détermination du caractère illicite de la dépossession elle-même[45], ou encore par des difficultés matérielles relatives à la traçabilité des biens culturels (Prott 2011, 325 ; ArThemis).

Considérées par beaucoup comme des procédures trop longues, complexes et couteuses, on estimait en 2006 qu’un petit nombre seulement de cas de restitution avaient été le résultat direct d’une injonction d’un tribunal (Prott 2011, 384). En 1982 par exemple, dans l’affaire République de l’Équateur c Danusso, la revendication par l’Équateur devant le tribunal de Turin a abouti. Les biens revendiqués par l’Équateur provenaient de fouilles archéologiques sur le territoire équatorien. Ils avaient été achetés par Danusso sur place et exportés illicitement vers l’Italie. Un droit de propriété était attribué ex lege à l’Équateur, c’est-à-dire que ce droit découlait directement de sa législation protectrice interne sur ces biens. Malgré l’absence d’un tel droit dans l’ordre juridique italien, le tribunal italien a été amené à reconnaître le titre de propriété équatorien, établi dans le territoire de l’État d’origine (Desmoulins 2012, 6). Dans une autre affaire qui illustre bien la complexité du parcours de nombreux biens culturels, un tribunal américain a statué que l’Église orthodoxe grecque pouvait récupérer des icônes provenant d’une église chypriote parce que « le négociant basé aux États-Unis, qui les avait achetées en Suisse à un vendeur turc, n’avait pas exercé la diligence requise pour s’assurer de leur provenance » (Prott 2011, 412).

Jugées le plus souvent inadaptées pour régler des questions complexes mêlant droit, éthique, histoire, et morale, et pour tenir compte d’autres facteurs de base importants dans les revendications touchant les biens culturels, les voies judiciaires laissent souvent la place à des mécanismes alternatifs qui permettent d’éviter un recours aux tribunaux et de trouver des solutions de compromis (Cornu et Renold 2009)[46].

Ainsi, bien que cette situation se révèle rare, quelques États, institutions ou particuliers font le choix de procéder à des donations ou des restitutions « volontaires ». À titre d’exemple, c’est par une décision unilatérale et inconditionnelle qu’en 2000 l’Italie a entrepris de restituer la Venus de Cyrène emportée pendant la période coloniale et réclamée par la Libye (Desmoulins 2012, 18). Un processus similaire a également été utilisé en 2011 par la France pour restituer à la Nouvelle-Zélande une tête Maori conservée au Musée de la ville de Rouen depuis 1875 (ArThemis). Toutefois, la majorité des différends en matière de patrimoine est aujourd’hui réglée par le biais de processus de médiation ou d’arbitrage entre les parties. Ces derniers présentent en effet plusieurs avantages : ils diffèrent du droit strict et permettent de faire appel à des normes et valeurs autres que purement juridiques, ils sont davantage orientés vers la satisfaction des parties et la conciliation de leurs intérêts que vers la réparation pure et simple des torts, et permettent enfin de faire intervenir directement des acteurs tels que les musées[47]. De fait, les solutions élaborées au terme de ces processus sont extrêmement variées.

La restitution peut, par exemple, être accompagnée de conditions, ou être réalisée dans le cadre d’un échange. En 2007, le British Museum of Natural History a ainsi restitué les restes de 13 aborigènes à une communauté de Tasmanie, en échange de la conservation de prélèvements ADN effectués sur les dépouilles à des fins scientifiques (ArThemis ; Prott 2011, 426-429)[48]. Dans le même ordre d’idée, un accord de 2006 entre les autorités italiennes et le Metropolitan Museum of Art de New York prévoyait qu’en échange de la restitution du Cratère d’Euphronios, le musée se verrait prêter d’autres biens de beauté et d’importance historique et culturelle égales (Cornu et Renold 2009, 518). Les accords adoptés lors de médiations peuvent également prévoir la reconnaissance formelle de l’importance des objets pour l’identité culturelle de l’une des parties. L’accord de février 2002 par exemple, entre la France et le Nigeria, reconnaît la propriété du Nigeria sur des oeuvres Nok et Sokoto, en échange d’un prêt gratuit et renouvelable de 25 ans en faveur du Musée du Quai Branly (Cornu et Renold 2009, 520). Les processus extrajudiciaires permettent également aux avocats de réaliser des montages juridiques pour aménager des régimes de propriété particuliers. En 1984 notamment, suite à l’échec d’une procédure judiciaire, un accord de copropriété a été mis en place entre le Fine Arts Museum de San Francisco et l’Institut national d’anthropologie et d’histoire du Mexique sur des fresques aztèques de Teotihuacán[49]. Cet accord prévoyait notamment un partage des fresques entre les deux institutions, ainsi que le partage des frais relatifs à leur exposition et préservation (ArThemis). Dans certains cas, les musées qui conservent les biens peuvent également accepter qu’ils soient utilisés par la communauté d’où ils proviennent pour un usage rituel, ou peuvent accepter de présenter des copies d’oeuvres ou de biens originaux (Desmoulins 2012, 21). Enfin, d’autres solutions telles que le rachat d’un bien par un État déjà en possession de ce dernier, la mise en place de programmes de coopération culturelle ou encore le versement d’indemnités, peuvent être adoptées par les parties.

C’est notamment dans cette logique visant à privilégier la médiation que l’UNESCO a mis en place le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leurs pays d’origine ou de leur restitution en cas d’appropriation illégale[50] vers lequel, au moment où nous écrivons ces lignes, la Jordanie (Douillet 2010) et l’Autorité palestinienne (Lazaroff 2016) semblent avoir choisi de se tourner pour porter l’affaire des Manuscrits.

Instauré en 1978, ce Comité a pour fonction de faciliter les négociations bilatérales pour la restitution des biens culturels, en particulier lorsque les litiges se situent hors du champ d’application des conventions internationales existantes. Composé de 22 États membres de l’UNESCO, le comité dispose d’une fonction exclusivement consultative et offre un cadre de discussion et de négociation pour les États sans chercher à trancher les litiges interétatiques par une décision contraignante. Depuis sa mise en place, le comité de l’UNESCO a ainsi servi de lieu d’échange pour la résolution de quelques litiges relatifs aux restitutions de patrimoine culturel. À titre d’exemple, c’est sous les auspices du Comité, et après plus de 7ans de négociations, qu’en 1983, l’Italie a restitué à l’Équateur plus de 12 000 objets précolombiens. L’appui moral du Comité avait alors été reconnu par les autorités équatoriennes comme un facteur significatif dans le succès de leur cause. Toutefois, la plupart des litiges semblent aujourd’hui se résoudre en dehors du cadre du Comité intergouvernemental.

Si la médiation offre des voies de solutions prometteuses et adaptées, de nombreux et importants litiges restent toutefois irrésolus dont, notamment, la question de la restitution des trésors du Palais d’été, celle des marbres du Parthénon, ou encore, bien entendu, celle des Manuscrits de la mer Morte. De fait, bon nombre de demandes de retour et de restitution présentent des caractéristiques spécifiques, si bien qu’il est très difficile de formuler des règles juridiques, ou des principes de règlement, d’application générale. La diversité même des biens culturels et de la manière dont ils ont été perdus et acquis rend encore aujourd’hui toute généralisation sujette à caution (Prott 2011, 161).

4. Remarques finales et pistes de réflexion

Ce bref survol des enjeux juridiques et des cadres normatifs relatifs à la protection des biens culturels illustre assez bien la complexité des questions soulevées par la controverse entourant la propriété des Manuscrits de la mer Morte, et explique — au moins en partie — la réticence du Canada et des autres pays hôtes de l’exposition[51] à prendre officiellement position dans la dispute entourant leur propriété[52], bien que le gouvernement canadien ait ratifié la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de 1954 et la Convention de l’UNESCO de 1970, en vertu de laquelle il est tenu de saisir tout bien culturels importé ou exporté illicitement sur son territoire[53].

Tout d’abord, il convient de rappeler que la polémique trouve son origine dans une situation géopolitique historiquement complexe. En effet, force est de constater que ni Israël, ni la Palestine, n’existaient, à proprement parler, au moment de la découverte des sept premiers Manuscrits en 1947 puisque cette région se trouvait sous mandat britannique. À partir de 1948 ensuite, la région se réorganise autour d’une succession de situations de fait, sans reconnaissance de la communauté internationale. Qu’il s’agisse de l’annexion temporaire de la Cisjordanie et de Jérusalem Est par la Jordanie de 1948 à 1967, ou de l’occupation des territoires palestiniens et de Jérusalem Est par Israël depuis 1967, ces bouleversements territoriaux n’ont en effet jamais été officiellement sanctionnés par la communauté internationale.

À cette situation géopolitique particulièrement délicate, s’ajoute ensuite un enchevêtrement juridique complexe mêlant des règles de droit international humanitaire, de droit international public et privé et de droit interne des États. Or, aucun de ces régimes juridiques ne semble en mesure d’apporter une réponse définitive ou pleinement satisfaisante aux questions juridiques soulevées. Il nous faut même constater que certaines solutions issues d’un régime juridique peuvent en contredire d’autres, issues d’autres régimes juridiques. La fragmentation du droit international (Delmas-Marty 2004) et l’absence de hiérarchisation entre des régimes normatifs concurrents constituent, en l’espèce, une pierre d’achoppement qui limite l’identification d’une solution juridique unique et simple.

Par ailleurs, au niveau du droit international public général et du DIH, si les conventions adoptées à ce jour définissent des règles et tentent de fournir des pistes de solution aux litiges les plus récents, elles souffrent d’importantes limites, en particulier en raison de leur statut non rétroactif et de leur inapplication aux États non parties : si la situation à l’origine du litige est antérieure à leur adoption, ou ne correspond pas à un vol ou à une exportation illicite, ou encore si les pays concernés ne sont pas parties à ces textes, les biens ne pourront faire l’objet d’une action en revendication sur la base de ces conventions. Concernant l’achat des Manuscrits par l’Université McGill en 1954 et 1955 par exemple, Kalman et du Toit indiquent ainsi que bien que les fragments n’aient finalement jamais quitté le territoire jordanien et aient été le fruit d’excavations « illégitimes », l’achat par l’Université McGill des fragments ne constituait pas en soi une infraction au regard du droit international relatif aux biens culturels puisque ceux-ci ont été achetés en toute légalité au gouvernement jordanien. Pour les auteurs, il est en effet important de rappeler que la Convention de l’UNESCO de 1970 n’existait pas encore, et qu’elle n’a pas de force rétroactive. D’autre part, toujours selon les deux auteurs, bien que les circonstances de la découverte des fragments dans les années 1950 (peu de temps après le premier conflit israélo-arabe) soient « volatiles », le contexte de la découverte et de la vente des fragments n’était pas celui d’un conflit armé à proprement parler. De ce fait, selon eux, les dispositions de la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé ne devraient pas s’appliquer non plus (Kalman et du Toit 2010, 129-130).

De plus, si Israël et la Jordanie étaient bel et bien liés par ladite Convention, ainsi que par son premier Protocole lors de la Guerre des Six Jours en 1967, et donc bien qu’Israël eût l’obligation de ne pas s’approprier des biens culturels en territoires occupés, plusieurs questions juridiques continuent de faire l’objet de controverses. Par exemple, certains pourraient remettre en doute la qualification du régime juridique applicable en Cisjordanie depuis 1967, arguant qu’il ne s’agit pas, techniquement, d’une occupation de territoires jordaniens[54]. D’autres pourraient avancer que la Jordanie elle-même occupait la Cisjordanie entre 1948 et 1967 et ne pouvait donc pas s’approprier les biens culturels découverts sur ce territoire à l’époque ou en réclamer la propriété depuis 1967. Enfin, la Palestine, dont la reconnaissance internationale progresse vers la pleine jouissance de la personnalité juridique, pourra également formuler ses propres revendications sur les biens culturels appropriés à la fois par Israël et la Jordanie.

D’une façon similaire, au niveau du droit international privé et du droit interne des États ensuite, une multiplicité de règles juridiques propres à chaque État en matière de protection de leur patrimoine national, ainsi qu’une multiplicité de principes juridiques (principe de prescription, protection des acheteurs de bonne foi, droit des contrats, etc.), qu’il peut être difficile de concilier, doivent être prises en compte. Ainsi, la propriété d’Israël sur les 7 Manuscrits originaux (achetés respectivement en 1947 par Sukenik, puis lors de la vente aux enchères de 1954) et l’achat par la Jordanie des Manuscrits découverts entre 1948 et 1956 soulèvent de nouvelles interrogations et contestations mêlant plusieurs régimes juridiques concurrents.

Enfin, un troisième niveau de complexité émerge dans la mesure où les critères d’appartenance d’un bien culturel à un État ou à un peuple ne font pas l’objet de consensus international et ne sont pas juridiquement définis. Ainsi, l’Autorité palestinienne et la Jordanie fondent leurs revendications sur des aspects territoriaux (lieux de découverte des Manuscrits), humanitaires (dépossession illégale suite à la prise de Jérusalem Est par Israël) et juridiques (elles affirment détenir les preuves d’achat de plusieurs Manuscrits) tandis que, de son côté, Israël s’appuie essentiellement sur des notions religieuses, en invoquant l’histoire sacrée du peuple juif et en rappelant que les manuscrits découverts à Qumrân constituent, pour la plupart, les plus anciennes copies connues de textes bibliques et ont donc une importance fondamentale pour le patrimoine historique et religieux du judaïsme.

Or, à ce jour, force est de constater que la doctrine, tout comme la jurisprudence, ne parviennent pas à apporter de réponse définitive à la question de la primauté entre les liens d’appartenance territoriaux et les liens réels noués entre un bien et une communauté, ni à la question de la primauté entre des revendications basées sur des normes juridiques et celles fondées sur des considérations morales, éthiques ou encore religieuses concurrentes (Desmoulins 2010, 17). Il sera intéressant de voir si, et comment, l’UNESCO abordera ces enjeux dans le cadre de l’éventuelle instruction de la plainte qu’a portée la Jordanie à propos de la possession des Manuscrits par Israël.

Rappelons enfin que ce débat s’inscrit dans une situation géopolitique actuelle toujours tendue entre l’État israélien et ses voisins, dont le conflit pour la propriété des Manuscrits est une des nombreuses manifestations[55]. Comme le souligne Desmoulins, la question du patrimoine confère souvent aux biens culturels une dimension hautement politique et diplomatique du fait de l’implication des États dans la protection des biens culturels, ou dans la revendication de l’existence d’un patrimoine national, et de la notion de territoire qu’elle implique (Desmoulins 2010, 3). En l’espèce, la question des Manuscrits de la mer Morte s’inscrit parfaitement dans cette problématique et transcende indéniablement les frontières des États, dans une situation géopolitique extrêmement complexe.

Espérons que les limites du droit, illustrées dans la présente contribution, pousseront les parties concernées à trouver une solution diplomatique négociée, notamment sous les auspices de l’UNESCO, permettant une meilleure compréhension des trésors révélés par ces Manuscrits et bénéficiant à l’ensemble de l’humanité. Dans cette perspective, le Canada aura l’occasion, dans les années à venir, de faire montre de leadership en trouvant des solutions novatrices pour répondre à ce type d’enjeux. Pensons notamment à la célébration du 150e anniversaire du Canada en 2017 qui a entre autres pour thème la réconciliation de nation à nation avec les peuples autochtones[56], et rappelons certaines mesures des gouvernements tant provinciaux que fédéral qui tentent de faciliter la restitution de patrimoines autochtones dispersés à travers le pays et à l’étranger (Dupré, Laugrand et Maranda 2008)[57].