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Introduction

Services écosystémiques : Bénéfices que tire la société des écosystèmes ; ils reflètent les interactions entre les dynamiques écologiques, l’utilisation des terres et les priorités données par les acteurs locaux et les décideurs politiques dans leur gestion du territoire (MEA 2005b).

Née en 2000 « l’évaluation des écosystèmes pour le millénaire » (Millenium Ecosystem Assessment) présente l’état, les tendances et les fonctions des Services Écosystémiques (SE) à travers le monde. En 2011, les objectifs d’Aichi mettent en place un plan stratégique d’actions pour préserver la biodiversité et les SE à l’horizon 2020. Suite à ces reconnaissances politiques et consensus scientifiques au niveau mondial, le concept de SE s’est largement diffusé et suscite un intérêt croissant à des échelles décisionnelles plus fines. Au niveau européen, l’application opérationnelle des SE est recherchée tant dans le cadre de la mise en œuvre de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE, 2000) que pour la stratégie de la biodiversité pour 2020. Au niveau national, le Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie (MEDDE) met en place l’Évaluation Française des Écosystèmes et des Services Écosystémiques (EFESE). Elle s’intéresse aux méthodes d’évaluation écologique et socio-économique des SE et à leur intégration dans les processus de décision. Ainsi, la notion de SE tend à être de plus en plus mobilisée dans les processus de prise de décision, notamment d’aménagement du territoire avec la nouvelle loi Biodiversité votée début 2016, l’objectif étant d’améliorer la prise en compte du capital naturel dans les choix de développement. Cependant, les méthodes pour la prise en compte des SE dans la gestion environnementale ne sont pas fixées et résultent en partie des expertises scientifiques mises à disposition des gestionnaires ou des institutions (comme c’est le cas pour l’EFESE). Dans ce contexte, l’opérationnalisation des recherches portant sur les SE, consistant à développer des liens fonctionnels entre les acteurs et gestionnaires des territoires et l’expertise scientifique pour mieux prendre en compte les SE dans la gestion et la planification, apparait nécessaire (Klein, Celio, et Grêt-Regamey, 2015 ; Bierry et al., 2015 ; de Groot et al., 2010).

À l’échelle d’un territoire, la prise en compte des services dans la planification et la gestion nécessite l’utilisation de données spatialement explicites et suppose au préalable un exercice de modélisation et de cartographie des SE. La plupart de ces modèles se basent sur ou utilisent comme proxy des cartes d’Occupation ou d’Utilisation des Sols (OS/US) (Verhagen et al., 2016 ; Lautenbach et al., 2015 ; Egoh et al., 2012 ; Martínez-Harms et Balvanera, 2012 ; Seppelt et al,. 2011). Différentes bases de données publiques mettent à disposition librement des données d’OS/US, du fait de l’intérêt qu’elles suscitent dans de nombreux domaines. Nombre de cartes d’OS/US disponibles sont produites à large échelle (par exemple Corine Land Cover à l’échelle de l’Union européenne ou GlobCover à échelle mondiale) ce qui restreint leur résolution spatiale. Bien que fréquente, l’utilisation à l’échelle locale des informations produites à large échelle génère une forte incertitude pour la cartographie des SE. Par ailleurs, il existe un ensemble de bases de données d’OS/US à échelle fine, produites pour répondre à des demandes ciblées sur un seul type de milieu (Urban Atlas pour l’étude des densités urbaines, Registre Parcellaire Graphique basé sur les déclarations de la PAC). Cependant, la spécificité typologique de ces cartes d’OS/US rend impossible leur utilisation directe pour la cartographie des SE. En effet, ces données détaillent particulièrement un type d’OS/US (le milieu urbain pour l’Urban Atlas, le milieu agricole pour le Registre Parcellaire Graphique) et les types d’objets géographiques représentés ne sont pas forcément en adéquation les uns avec les autres (pas la même échelle d’analyse ni le même grain de finesse des éléments). De plus, les territoires renseignés par ces bases de données ne sont pas forcément continus ni exhaustifs (l’Urban Atlas n’est développé que dans un rayon restreint autour des grandes agglomérations européennes et la typologie n’est détaillée que pour le milieu urbain, le Registre Parcellaire Graphique ne renseigne que les îlots parcellaires soumis aux déclarations à la Politique Agricole Commune). Pour toutes ces raisons, l’utilisation de ces bases de données d’OS/US, fournissant des informations hétérogènes nécessite un exercice de fusion afin de mettre en cohérence les informations renseignées et constituer une base de données spatialement exhaustive et géographiquement cohérente (Marceau et Hay 1999 ; Vannier 2011 ; Hubert-Moy et al. 2012 ; Mathian et Sanders 2014 ; Warnock et Griffiths 2015). En parallèle, les données de télédétection sont de plus en plus utilisées pour cartographier l’OS/US de manière adaptée aux configurations et dynamiques locales (Kuenzer et al., 2014 ; Giri et al., 2013 ; Hansen et Loveland, 2012). Il apparait alors intéressant de se baser sur l’ensemble de ces données disponibles (à la fois bases de données publiques et données de télédétection) afin de produire des cartes d’OS/US précises en termes de résolution spatiale et typologique afin de refléter au mieux les particularités et pratiques locales d’un territoire donné.

Observer et analyser un territoire et les éléments d’un territoire dans le but de le cartographier ou de le modéliser fait appel à l’analyse d’un système complexe tant dans sa structure que dans ses processus (Hay et al. 2002) et engendre de manière inévitable certaines incertitudes dans les démarches adoptées (Hou, Burkhard, et Müller 2013). Notamment, les méthodes de cartographie par la fusion de données hétérogènes posent la question de l’adéquation entre d’une part les données utilisées et d’autre part la complexité des processus territoriaux ou écologiques qu’elles doivent permettre de représenter. Ces méthodes de cartographie, comme tout exercice de cartographie en général, sont une source majeure d’incertitude dans l’information apportée (MacEachren et al., 2005). Modéliser les SE en se basant sur des cartes d’OS/US est incontournable, mais multiplie les sources d’incertitude (Hou, Burkhard, et Müller, 2013 ; Schulp et al., 2014), et donc les limites de l’analyse de ces cartes. Ces sources d’incertitude sont parfois analysées dans la littérature scientifique, pas de manière systématique, et selon des angles d’approche différents, soit en cherchant à représenter cartographiquement cette incertitude (MacEachren et al., 2005), soit en recherchant les causes de cette incertitude dans l’analyse à postériori des données produites par la connaissance experte du terrain et des données (Uusitalo et al., 2015 ; Arnaud et Davoine, 2009 ; Refsgaard et al., 2007). C’est cette seconde approche, plus empirique, que nous chercherons à développer dans cet article. L’incertitude cartographique de l’OS/US et des SE y sera discutée plus spécifiquement à partir de la connaissance experte des bases de données et du territoire d’étude, ce qui nous permettra également de discuter des limites rencontrées lors de la production des cartes et des modèles. Cette approche apparait essentielle pour la transmission et l’interprétation des résultats dans le cadre d’une démarche participative, scientifique et opérationnelle.

Les objectifs du travail présenté dans cet article sont, à partir d’une base de données d’OS/US à une résolution spatiale et typologique extrêmement précise 1- d’analyser la contribution de la base de données OS/US pour la modélisation de SE ; 2- analyser les liens entre le paysage proposé par la base de données OS/US et le paysage des SE modélisés et cartographiés et 3- identifier les limites et incertitudes liés à cette démarche pour proposer des pistes d’amélioration efficaces.

Pour ce faire nous proposons :

  • de travailler à partir d’une cartographie précise de l’OS/US au sein d’un paysage extrêmement diversifié, le bassin de vie la région de Grenoble. Cette cartographie existante est basée sur la fusion de bases de données publiques aux résolutions spatiales fines et l’utilisation de données de télédétection à moyenne et très haute résolution spatiale ;

  • de décrire la contribution des cartes d’OS/US dans le panel de modèles de SE déterminé : le choix de ce panel a été élaboré en concertation avec les acteurs et gestionnaires du territoire du bassin de vie de Grenoble ;

  • d’analyser cette contribution des cartes d’OS/US dans la modélisation des SE ;

  • de discuter des limites et incertitudes rencontrées dans le processus de cartographie de l’OS/US et les conséquences sur la modélisation des SE.

1. Matériel et Méthodes

1.1 Caractéristiques générales du bassin de vie de Grenoble

Le bassin d’emploi de la région de Grenoble s’étend sur 4 450 km², il regroupait près de 800 000 habitants et environ 500 000 emplois en 2012 (sources INSEE). Les limites de ce territoire ont été définies selon le rayonnement économique de l’agglomération grenobloise, et la diversité des paysages qui structurent cette région (Figure 1) :

  • du point de vue du rayonnement économique de la ville de Grenoble, les limites sont constituées par le périmètre des EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunale) du SCOT[1] (Schéma de Cohérence Territoriale) de Grenoble et des EPCI des massifs aux abords de l’agglomération.

  • du point de vue de la diversité paysagère, la région de Grenoble présente des caractéristiques physiques et naturelles variées qui expliquent la grande diversité des paysages que l’on y trouve. Les fonds de vallées planes de Grenoble et du Grésivaudan favorisent l’extension de la croissance urbaine, de même que la plaine de la Bièvre, trois massifs montagneux viennent structurer ce territoire (le Vercors, la Chartreuse et Belledonne) offrant des paysages naturels et semi-naturels qui bénéficient de nombreuses mesures de protection (Parcs Naturels Régionaux, Réserves naturelles, etc.).

Fig. 1

Figure 1 - Présentation du bassin de vie de Grenoble : localisation, géographie physique et zonage administratif.

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Ainsi, le bassin d’emploi de la région de Grenoble regroupe 311 communes dans un rayon d’une cinquantaine de kilomètres qui sont structurées en dix EPCI : l’agglomération Grenobloise, le Sud Grenoblois, le Grésivaudan et le Voironnais (ces secteurs constituants le « Y » Grenoblois), la Chartreuse et le Vercors (qui constituent les zones de montagne en dehors du périmètre du SCoT), le Trièves, la Matheysine, le Sud-Grésivaudan, la Bièvre Valloire (qui constituent des espaces de plaine et plateaux à dominante agricole).

1.2 Une base de données d’occupation et d’utilisation des sols adaptée aux caractéristiques paysagères du site d’étude

Vannier et al. (2016) et Lefebvre (2014) décrivent avec précision les données et méthodes développées pour la constitution de la base de données d’OS/US (tableau 2, niveaux 1-2-3).

En résumé, nous avons assemblé, découpé et nettoyé les bases de données publiques au format vectoriel de la BD Topo, l’Urban Atlas, et le Registre Parcellaire Graphique ; prétraité et projeté les données de télédétection RapidEye (résolution spatiale 10*10 m) et MODIS (résolution spatiale 250*250 m), basé sur la géométrie de la BD Ortho de l’IGN (Figure 2). L’ensemble de ces données a été fusionné et segmenté puis photo-interprété afin de corriger certaines affectations typologiques et compléter les espaces non couverts par les bases de données publiques (Figure 2). Cette étape a permis de produire une base données précise spatialement et dont la typologie est adaptée aux conditions locales (Tableau 1). Ces cartes ont été validées par un photo-interprétateur extérieur à la chaine de traitement.

Afin d’affiner la description de l’utilisation des sols agricoles, nous avons utilisé les données de télédétection à moyenne résolution spatiale du capteur MODIS (Moderate Resolution Imaging Spectroradiometer) (Figure 2). Lasseur et al. (à paraitre) décrivent la méthode de classification et de validation des données utilisées dans cette étude. En résumé, nous avons classifié ces images en utilisant les spécificités phénologiques des différents types de cultures et des informations sur les conditions locales (altitude et climat). Cette classification nous a permis de produire une cartographie des grandes cultures sur un pas de temps annuel entre 2008 et 2012. Concaténées sur 5 ans ces résultats permettent l’identification des grands types de successions culturales de la zone d’étude. Ces cartes ont été validées à l’aide des données du RPG avec un indice de Kappa variant entre 0,78 et 0,82 selon les années.

La cartographie des successions culturales a ensuite été intégrée au sein de la carte générale d’OS/US. Il en résulte une base de données exploitable à l’échelle du 1/15 000ème avec, comme unité minimale de numérisation des objets dont la surface est supérieure ou égale à 0,01 ha, soit 100 m². La précision au positionnement est quant à elle comprise entre 5 et 10 mètres.

Fig. 2

Figure 2 - Organigramme général de la méthode pour la constitution de la base de données d’OS/US.

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La typologie de cette base de données est composée de 34 classes d’OS/US (Tableau 1), hiérarchisée en quatre niveaux de précision, décrivant les milieux artificialisés (en distinguant les zones d’habitat des zones d’activités ainsi que les réseaux routiers, ferrés, etc.), les milieux agricoles (en proposant le détail des pratiques agricoles de monocultures ou de successions de cultures et prairies, en identifiant les zones de maraichage d’arboriculture). Les milieux forestiers et semi-naturels sont décrits à l’échelle des peuplements. Le degré de description de cette typologie dépasse celui généralement proposé par la plupart des bases de données publiques (qui se situe plutôt entre le niveau 2 et 3 de notre typologie selon le type d’OS/US considéré).

Tableau 1 - Typologie de l’OS/US cartographiée selon quatre niveaux imbriqués.

Tableau 1 - Typologie de l’OS/US cartographiée selon quatre niveaux imbriqués.

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1.3 Un large panel de services écosystémiques à modéliser

1.3.1 Choix des services écosystémiques dans le bassin de vie de Grenoble

Le choix du panel de SE d’intérêt a été effectué dans le cadre d’une démarche participative, réunissant à la fois les acteurs locaux impliqués dans la gestion du territoire d’étude et de ses ressources d’une part, et des scientifiques travaillant sur les ressources environnementales de ce territoire d’étude d’autre part (Bierry et Lavorel, 2016).

Un travail d’expertise scientifique et territoriale de la part des acteurs locaux a été effectué sous la forme d’ateliers de travail pour élaborer un panel de 15 SE d’intérêt pour le bassin de vie de Grenoble (Tableau 2). Le choix final des SE retenus pour l’étape de modélisation résulte du croisement entre les SE d’intérêt pour les acteurs et l’expertise de l’équipe scientifique en termes de modélisation et de la disponibilité de données permettant de les modéliser. Les SE retenus sont organisés selon quatre catégories : les services d’approvisionnement, les services culturels, les services de régulation et la biodiversité. La biodiversité est considérée comme le support et le contributeur direct de l’ensemble de ces services (MEA 2005a).

Tableau 2 — Les Services Écosystémiques d’intérêt retenus et les indicateurs qu’ils doivent quantifier, dans le cadre d’une démarche participative pour le bassin de vie de Grenoble.

Tableau 2 — Les Services Écosystémiques d’intérêt retenus et les indicateurs qu’ils doivent quantifier, dans le cadre d’une démarche participative pour le bassin de vie de Grenoble.

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1.3.2. Choix et mise en place des modèles de services écosystémiques dans le bassin de vie de Grenoble

Choix des types de modèles

Afin de cartographier le panel de SE définit par notre démarche participative, nous nous sommes appuyés sur les travaux de Lavorel et al. (2017) qui ont formalisé une classification des grands types de modèles de SE. Ces travaux présentent un cadrage conceptuel des échelles auxquelles chaque type de modèle peut être représenté, le degré de connaissances et de données nécessaires, ainsi que le niveau de représentation de la biodiversité. La figure 3 reprend l’ensemble de ces préconisations et les types de modèles choisis pour l’ensemble du panel des 15 SE au regard des données et connaissances disponibles sur le site d’étude. En l’absence de données et de connaissances très précises (observations et mesures de terrain) sur les bases fonctionnelles de certains services à notre échelle travail (entre l’échelle paysage et l’échelle régionale — Figure 3), une grande partie des modèles sur lesquels nous nous basons sont des modèles de type « proxy » (c’est-à-dire fusion de données spatialisées) ou phénoménologiques (également basés sur l’OS/US comme donné d’entrée).

Fig. 3

Figure 3 — Typologie des modèles de services écosystémiques détaillant les échelles d’analyse, degrés de connaissances et données nécessaires à la modélisation (Lavorel et al. 2017), et types de modèles choisis dans notre étude pour cartographier notre panel de services écosystémiques.

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Mise en place des modèles pour la cartographie des 15 SE choisis

Le tableau 3 explicite les choix et adaptation des modèles pour la quantification et la cartographie des 15 SE déterminés dans le processus participatif. La plupart des modèles développés sont adaptés de modèles existants pour mieux prendre en compte les caractéristiques paysagères du site d’étude.

Le tableau 3 détaille les données utilisées dans les modèles, où la donnée d’entrée principale est le plus souvent la carte d’OS/US développée spécifiquement pour cette étude.

Les limites de modèles sont également précisées afin de connaitre l’exacte validité et interprétation possible de l’ensemble des modèles et des cartes produites. Ces informations ont été explicitées et diffusée sous la forme de fiches de SE à destination des acteurs du territoire du projet et des futurs utilisateurs des cartes produites.

Tableau 3: Modèles de SE : données mobilisées (OS/US et données additionnelles), méthodes de cartographie et limites rencontrées. (partie 1/5)

Tableau 3: Modèles de SE : données mobilisées (OS/US et données additionnelles), méthodes de cartographie et limites rencontrées. (partie 1/5)

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Tableau 3 - suite (partie 2/5)

Tableau 3 - suite (partie 2/5)

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Tableau 3 - suite (partie 3/5)

Tableau 3 - suite (partie 3/5)

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Tableau 3 - suite (partie 4/5)

Tableau 3 - suite (partie 4/5)

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Tableau 3 – (suite partie 5/5)

Tableau 3 – (suite partie 5/5)

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2. Résultats et discussion

La base de données d’OS/US développée a permis de modéliser le panel des 15 SE d’intérêt ou d’adapter des modèles existants aux spécificités locales, grâce à une résolution spatiale et typologique développée selon les types de paysages présents sur le site d’étude. Nous proposons 1 — d’analyser la contribution de cette base de données dans les modèles de SE ; 2— de montrer les degrés de dépendance différents à la carte initiale selon les modèles développés ; et enfin 3 — de discuter des choix méthodologiques effectués pour prendre en compte au mieux l’incertitude liée à ces cartes d’OS/US dans notre démarche de modélisation.

2.1 Contribution de la base de données d’occupation et d’utilisation des sols pour la modélisation des Services Écosystémiques

L’ensemble des modèles développés intègre une variable d’OS/US (de manière plus ou moins dominante dans le processus de modélisation), basé sur la carte détaillée d’OS/US développée dans cette étude. Les autres types de données d’entrée sont soit relatifs à des facteurs physiques du milieu (climat, sols, altitude, pente), soit à des facteurs socio-économiques (type de propriété, pratiques culturales, pratiques de loisir).

Sur les 15 modèles de SE développés, 8 utilisent comme données d’entrée principale des cartes d’OS/US (Tableau 3) : Habitat, Production agricole (cultures), Production fourragère, Stock de bois, Production de bois, Récréation, Stock de Carbone, Pollinisation.

Le niveau le plus fin de la typologie de la carte d’OS/US est toujours le niveau privilégié dans les modèles de SE renseignant un seul type de milieu (milieu agricole, milieu forestier, etc.) (Tableau 3). Le service de récréation est développé pour l’ensemble des types de milieux du site d’étude, mais il ne mobilise la finesse typologique qu’à un niveau intermédiaire (niveau 2) (Tableau 3). En effet, c’est à ce niveau de la typologie que l’on trouve une description suffisamment fine et homogène pour tous les types de milieux considérés. Seule la caractérisation des habitats a nécessité de mobiliser l’ensemble de la typologie (niveau 4) (Tableau 3) développée pour tous les milieux. Dans ce cas, le manque de cohérence typologique au niveau 4 pour tous les types de milieux n’a pas été pris en compte puisque dans ce modèle la description de l’OS/US pour la caractérisation des habitats se base sur la typologie des habitats donnée par le GlobCover (© ESA 2010 and UCLouvain). Il s’agissait donc de mettre en correspondance le plus précisément possible notre typologie détaillée avec celle proposée par le GlobCover (© ESA 2010 and UCLouvain).

Notre base de données d’OS/US a donc constitué l’information principale permettant de produire des modèles parfois simples dans la description des processus, mais cependant informatifs du fait de la finesse typologique des données d’entrée (Tableau 3). L’utilisation d’une base de donnée existante, soit à une résolution spatiale plus grossière (Corine Land Cover), soit avec une finesse typologique basique (cinq grands types de milieux) n’aurait pas permis de cartographier et quantifier si précisément autant de SE sur l’ensemble du territoire du bassin de vie de Grenoble.

2.2. Résultats cartographiques de la fourniture de Services Ecosystémiques

La figure 4 présente l’ensemble des cartes produites à partir de la modélisation des SE, normalisée selon la formule utilisée par Paracchini et al., (2011).

Fig. 4

Figure 4 - Résultat cartographique de la modélisation des 15 services écosystémiques.

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L’analyse générale de ces quinze cartes met en avant la complémentarité des différents territoires au sein du site d’étude. En effet, selon le SE considéré, les espaces de montagne ou de plaine s’opposent, mais lorsqu’on considère l’ensemble des SE, chaque type de milieu permet de produire un ou plusieurs SE.

On note également que les patrons spatiaux de l’OS/US restent très présents dans les patrons spatiaux des cartes de SE. Cela est du 1- au fait que l’usage des sols favorise directement ou non la production de services par l’écosystème présent, et 2- sa représentation cartographique dans les modèles utilisés est prépondérante. Selon le degré d’utilisation de la carte d’OS/US du site d’étude dans les modèles, la signature spatiale de l’usage des sols est plus ou moins marquée dans les sorties cartographiques des modèles. La figure 5 propose un zoom sur quatre exemples de modèles de SE, dont les données d’entrée dans les modèles varient de l’utilisation simple de la base de données d’OS/US (modèle de production agricole), à la combinaison avec un (modèle de stock de Carbone) ou plusieurs autres types de données (modèle récréation), ou l’utilisation première des facteurs physiques du milieu intégrant en second lieu la connaissance de l’OS/US (modèle érosion). Selon le degré de complexité des relations et variables décrivant les processus écologiques en jeu, les résultats cartographiques rendent compte d’une corrélation des patrons spatiaux plus ou moins importante avec ceux de la carte d’OS/US :

  • La carte issue du modèle de production agricole par les cultures (figure 5-b) ne concerne que les milieux agricoles et renvoie des valeurs fortes de production énergétique dans les espaces de grande culture (plaine de la Bièvre, vallée du Grésivaudan) et des valeurs faibles dans les espaces de coteaux, représentant la transition agricole entre les plaines intensives très productives et les hauteurs dédiées aux prairies et pâturages. La relation de dépendance entre la carte d’OS/US (Figure5-a), et plus particulièrement les pratiques agricoles caractérisées dans cette dernière, et la carte issue du modèle développé est totale et inhérente à la manière de procéder (modèle proxy simple).

  • La carte issue du modèle de stock de Carbone (Figure 5-c) fait ressortir également les milieux prédominants déterminés par l’OS/US (des espaces forestiers où le stockage de Carbone est le plus fort et varie selon les types de peuplement forestiers prédominants, vs. des espaces agricoles où le stockage de Carbone est faible et simplement représenté au sein des espaces prairiaux) (Figure 5-a). Là encore, la relation de dépendance entre la carte d’OS/US et la carte finale issue du modèle est forte et inhérente au procédé utilisé.

  • La carte issue du modèle de récréation (Figure 5-d), bien que dépendante au départ à l’OS/US, produit des patrons spatiaux indépendants de cette dernière (Figure 5-a). Dans ce modèle, le poids des facteurs récréatifs et d’accessibilité jouent un rôle fondamental sur la capacité du paysage à fournir un service récréatif, plus que le type de milieux dans lequel il se trouve.

  • La carte issue du modèle d’érosion (Figure 5-e), bien que développée par une approche phénoménologique et utilisant la carte d’OS/US dans le procédé, propose des patrons spatiaux très différents des types milieux présents sur le site d’étude (Figure 5-a). Le processus de modélisation donne plus de poids à des facteurs physiques du milieu (comme la pluviométrie, le type de sol et la pente) déterminant le risque érosif potentiel, qu’aux effets de l’OS/US sur ce risque (l’OS/US vient nuancer un risque potentiel déterminé par les caractéristiques physiques du milieu).

Bien que la plupart des modèles de SE développés dans cette étude (comme la plupart des modèles de SE en général) se basent sur ou utilisent comme variable d’entrée une information d’OS/US, les résultats cartographiques ne sont pas forcément déterminés uniquement par cette donnée d’entrée et dépendent essentiellement du degré de complexité des processus écologiques intégrés dans les modèles.

Fig. 5

Figure 5 - Exemple de quatre modèles de services écosystémiques : illustration de l’implication des données d’OS/US dans les sorties cartographiques des modèles.

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2.3. Quelles incertitudes cartographiques rencontrées et quelles solutions apportées ?

La base de données d’OS/US a constitué une ressource fondamentale dans le processus de modélisation de services écosystémiques développé dans cette étude. Rappelons qu’à des degrés divers, cette donnée est mobilisée dans tous les services écosystémiques que nous avons modélisés. La qualité de l’information produite, tant spatialement qu’au niveau de la typologie, a conditionné la qualité des sorties cartographiques des 15 modèles de services écosystémiques. Cependant, comme dans tout travail de cartographie, un certain nombre d’incertitudes quant à la qualité de la donnée produite persiste. Ces incertitudes sont liées aux données et aux démarches de cartographie d’OS/US et peuvent être regroupées en quatre grandes catégories : 1- la perte d’information liée aux conversions vecteurs/rasters, 2- la fusion de données de différentes résolutions, 3- les erreurs de classification et 4- les limites liées à la typologie.

Pour pallier au mieux ces différentes sources d’incertitudes liées aux démarches cartographiques, nous avons fait les choix méthodologiques suivants :

  1. conversions de vecteurs/rasters : nous avons travaillé essentiellement en format vectoriel. Ce format « objet » présente l’avantage de représenter directement les objets géographiques étudiés (parcelle agricole, parcelle forestière, route, quartier, parc, etc.) à la résolution choisie (ici moins d’1 ha). L’information vectorielle produite (base de données d’OS/US) a ensuite été rastérisée pour être intégrée aux modèles qui nécessitent ce format de données. La résolution spatiale des rasters a été choisie selon la taille des objets représentés et l’étendue de la carte générale (c’est-à-dire la prise en compte du poids des cartes dans les temps de calcul des modèles). Cette résolution est de 15x15 mètres, ce qui permet de perdre le minimum d’information spatiale à la conversion tout en conservant un poids de données raisonnable.

  2. fusion de données de différentes résolutions : la fusion de données à résolution spatiale hétérogène a été gérée « à la taille minimale ». Tous les objets découpés ont été conservés, ceux en dessous de la taille minimale désirée pour la carte finale de l’OS/US ont été photo-interprétés afin d’être réagrégés. C’est le cas notamment de la base de données du Urban Atlas dont la taille minimale des objets est de 0,05 ha (500 m²), tandis qu’elle est de 0,1 ha (1000 m²) pour notre base de données finale. Les plus petits objets (allées, bâtiments au sein de la matrice urbaine) ont été agrégés aux objets voisins par photo-interprétation.

  3. erreurs de classification : elles ont été gérées par la validation complète de la base de données (aux trois premiers niveaux) par un second photo-interprétateur extérieur au processus de cartographie initial. Concernant le niveau 4 de la typologie, le plus précis concernant les surfaces agricoles, il est issu de la classification d’images satellites MODIS. Un processus de validation a été appliqué afin de déterminer la quantité d’erreurs globale (erreurs d’omission et de commission), en générant des matrices de confusion, coefficients de Kappa et coefficients de localisation (Pontius et Millones 2011) (Pontius 2000). Les classifications ont été validées par l’ensemble de ces indicateurs (Kappa variant entre 0,78 et 0,82 selon les années, location toujours supérieure à 0.8).

  4. limites typologiques : la plus grande incertitude cartographique réside dans le choix de la typologie initiale des classes d’OS/US. Dans le bassin de vie de Grenoble, le paysage étudié est extrêmement complexe du fait (i) du fort gradient topographique (de 130 à 2915 mètres), (ii) de la présence de trois massifs montagnards (Vercors, Chartreuse, Belledonne) aux influences climatiques différentes (influence méditerranéenne au Sud, continentale à l’est), (iii) d’une grande diversité de l’OS/US dans les vallées (agriculture de grandes cultures intensives dans la vallée du Grésivaudan, arboriculture de noyers dans la vallée du Sud Grésivaudan), (iv) des espaces de plateau aux paysages multifonctionnels (plateau du Trièves et de la Matheysine), (v) des espaces de transition à la fois agricoles et forestiers (plateau des Chambarans et nord du Voironnais), (vi) une vaste plaine agricole aux cultures intensives (plaine de la Bièvre). La typologie de l’OS/US doit prendre en compte cette diversité. Nous avons choisi de travailler à partir d’une typologie imbriquée en différents niveaux, ce qui est une approche reconnue pour la caractérisation des territoires complexes, et utilisée à l’échelle européenne par la base de données Corine Land Cover. Notre typologie s’imbrique en quatre niveaux :

  • les deux premiers niveaux permettent de décrire les grands ensembles classiques des paysages français, c’est-à-dire les milieux aquatiques, artificialisés, agricoles, forestiers et semi-naturels.

  • le troisième niveau de la typologie décrit plus précisément les milieux artificialisés grâce aux données issues de la BD Topo de l’IGN et de l’Urban Atlas notamment. En effet, les vallées alpines connaissent une dynamique d’urbanisation rapide entrainant des conflits d’usage (entre agriculture, récréation et urbanisation par exemple). Il est donc apparu important de bien décrire et caractériser le plus finement possible ces milieux artificialisés sur l’ensemble du territoire d’étude. Cela a permis de mieux caractériser les patrons spatiaux et temporels des zones d’habitats et des zones industrielles et commerciales.

  • le quatrième niveau de la typologie décrit précisément les milieux agricoles et en particulier les pratiques observées sur 5 ans, grâce à l’utilisation de données de télédétection multitemporelles. Les SE liés à l’approvisionnement par l’agriculture étant les premiers touchés par la dynamique d’urbanisation, il nous est apparu fondamental de pouvoir décrire précisément les espaces agricoles.

L’incertitude principale liée à la question typologique dans notre travail réside dans la description de l’utilisation des espaces forestiers et semi-naturels. En effet, l’OS/US y est décrit relativement précisément (4 classes différentes pour les milieux forestiers et 3 classes pour les milieux semi-naturels), cependant les dynamiques et les usages de ces milieux n’ont pas pu être décrits. Par exemple, concernant les milieux forestiers, la connaissance de la dynamique des coupes et repousses et le degré d’ouverture des massifs forestiers auraient permis une approche plus précise des SE de stock et production de bois, et du stockage de Carbone. De même, une meilleure connaissance de la diversité floristique des milieux semi-naturels aurait permis une approche plus précise des SE liés à la biodiversité notamment. Pour pallier à ces deux manques typologiques, l’observation et le suivi du paysage à partir de données de télédétection apparaissent comme une première approche à privilégier. Les travaux de (Chen et al. 2015) ont permis de suivre la dynamique forestière entre 1990 et 2010 à une résolution spatiale fine (entre 15 et 30 m de taille de pixels) à partir de données Landsat 8 disponibles gratuitement ; les travaux de (Nagendra et al. 2013) et (Eva et al. 2010) mettent également en évidence la possibilité de suivre la croissance ou la dégradation des espaces forestiers à partir de données de télédétection de type Landsat ou Spot et donc à moindre coût. Les travaux de (Nagendra et Rocchini 2008) ont montré le potentiel de données plus ciblées (très haute résolution spatiale et hyperspectrale) pour caractériser les habitats dans des milieux hétérogènes. Enfin le recours au couplage de données spécifiques (LiDAR et Très Haute Résolution Spatiale et/ou Spectrale) est de plus en plus développé pour la caractérisation des habitats naturels (Vogeler et Cohen 2016) nécessitant tout de même un coût d’acquisition des données et de l’expertise de terrain non négligeable, ces informations n’étant pas possiblement utilisables sur un large terrain d’étude.

Conclusion

Il est possible de produire des bases de données d’OS/US extrêmement précises, tant du point de vue spatial que typologique, sur de larges étendues aux paysages contrastés pour contribuer à la modélisation des SE. Nous avons montré l’intérêt de développer une telle base de données, à la fois à partir de données publiques existantes et du traitement de données de télédétection multirésolution et multitemporelles. La base de données d’OS/US produite a contribué de manière significative à la modélisation d’un panel de 15 SE d’intérêt pour le bassin de vie de Grenoble. La finesse spatiale et typologique de cette base de données a été la clé de la réussite d’un tel travail de modélisation, notamment dans la caractérisation des milieux agricoles. Cependant, certaines limites ont été mises en lumière concernant la description des milieux forestiers et semi-naturels, où l’usage de données de télédétection adaptées constitue une piste d’amélioration appropriée.

BIERRY, A. et LAVOREL, S. (2016). Implication des parties prenantes d’un projet de territoire dans l’élaboration d’une recherche à visée opérationnelle. Sciences Eaux & Territoires, numéro 21,(4), 18-23. http://www.cairn.info/revue-sciences-eaux-et-territoires-2016-4-page-18.htm.