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Introduction

Bien que fortement impactés par les activités humaines, les sols en milieu urbain sont capables de rendre des services écosystémiques essentiels à la viabilité des sociétés humaines. Mais aujourd’hui encore, ils sont une ressource insuffisamment reconnue pour la conception et la construction de la ville durable (Morel et al., 2014).

Les bénéfices que les populations humaines peuvent tirer des écosystèmes, aussi appelés « services écosystémiques » (Costanza et al., 1997) font l’objet d’études de plus en plus nombreuses, car la gestion raisonnée et optimisée des écosystèmes apparaît indispensable à la viabilité de nos sociétés (Gómez-Baggethun et Barton, 2013). Cependant ces travaux se focalisent aujourd’hui, dans une large mesure, sur les écosystèmes forestiers et les agrosystèmes. Ceci s’explique en premier lieu par le fait que ces milieux font l’objet, depuis plusieurs millénaires, d’une gestion de plus en plus intense par les sociétés. D’autre part, leur exploitation s’est longtemps attachée à tirer profit d’un nombre restreint de services (c.-à-d. approvisionnement en biomasse à vocation alimentaire, énergétique) alors que la gamme des services qu’ils peuvent potentiellement offrir est beaucoup plus vaste (par exemple, régulation des pluies acides, prévention de l’érosion, habitat pour la biodiversité, tourisme et stockage de carbone).

De nos jours, 54 % de la population mondiale vit en milieu urbain et selon l’Organisation des Nations Unies, ce taux devrait atteindre 66 % d’ici à 2050 (Nations Unies, 2014). Aujourd’hui, les zones urbaines concentrent de nombreuses problématiques environnementales (par exemple, atténuation de l’îlot de chaleur urbain, régulation du risque inondation, autosuffisance alimentaire et filtration des eaux pluviales) (Craul, 1992, Jenerette et al., 2011, ONU, 2014). Dans un contexte de forte expansion urbaine, ces enjeux locaux s’ajoutent aux enjeux globaux (par exemple, régulation climatique et qualité des milieux) et font des villes des espaces où se concentrent désormais une réelle attention aux questions environnementales (Bolund et Hunhammar, 1999 ; Chambers et al., 2016). Ceci se traduit de manière emblématique par la place de plus en plus forte accordée au végétal en ville. Il y joue un rôle social, culturel et écologique (Nielsen et Hansen, 2007). En effet, la nature en ville permet d’améliorer notre santé physique et mentale, l’air que nous respirons ou encore l’eau que nous utilisons (Douglas et James, 2015). À ce titre, le sol est un compartiment essentiel de l’écosystème urbain, contribuant directement ou indirectement à notre qualité de vie (de Hollander et Staatsen, 2003 ; van Kamp et al., 2011). Toutefois, les classifications existantes ne contribuent guère à intégrer les sols urbains comme une ressource potentielle fournissant des services. En effet, la transposition du concept de services écosystémiques dans les environnements urbains et l’aménagement urbain est récente (Bolund et Hunhammar, 1999). Plus récemment, l’écosystème urbain est devenu un sujet de plus grand intérêt, avec une description et une classification des services écosystémiques urbains (TEEB, 2011). Cependant, les travaux menés jusqu’à présent se réfèrent à des sujets spécifiques, tels que le stockage du carbone dans les villes (Davies et al., 2011 ; Jim et Chen, 2009 ; Lorenz et Lal, 2009 ; Pouyat et al., 2009), en particulier la contribution de la production de biomasse à la séquestration du carbone (Lehmann, 2006), et la régulation de l’îlot de chaleur urbain (Cameron et al., 2012 ; Jenerette et al., 2011 ; Lehmann et al., 2014 ; Norman et al., 2012). Pourtant, le rôle du sol en milieu urbain en tant qu’écosystème capable de fournir un plus large éventail de services écosystémiques est aujourd’hui peu abordé dans la littérature scientifique. Cependant, dans une logique de gestion raisonnée des sols et en vue d’une optimisation de l’organisation territoriale, il apparait nécessaire dans le développement des villes de tirer avantage de tous les écosystèmes, y compris des environnements hautement anthropisés (Gómez-Baggethun et Barton, 2013). En vue de concilier à la fois les « services urbains » rendus par la ville (par exemple, activité économique, transports et soins de santé) et les « services écosystémiques » rendus par les écosystèmes, des questions d’aménagement des sols se posent.

Des surfaces à aménager, c’est ainsi que les acteurs urbains considèrent le sol. En aménagement du territoire, la prise en compte du sol en tant que volume fonctionnel intervient alors seulement pour aborder : 1) les questions de propriétés géomécaniques du sol en vue de l’implantation de voies de circulation et de bâtiments ou 2) le traitement éventuel de contaminants issus d’activités anthropiques pour prévenir les risques sanitaires. Une illustration de la faible considération apportée au sol urbain dans les projets d’aménagement s’illustre par le recours quasi systématique à des apports de terre végétale issue de milieux naturels ou agricoles pour l’implantation de végétation en ville (Rokia et al., 2014).

Cet article vise, en premier lieu, à proposer une description des propriétés bio-physico-chimiques des sols urbains, en particulier leur forte hétérogénéité, qui expliquent les difficultés des acteurs de l’aménagement à appréhender les potentialités qu’ils peuvent offrir. Ensuite, un travail de synthèse de la littérature scientifique est ici proposé pour mettre en évidence les nombreux services écosystémiques rendus par le compartiment pédologique en milieu urbain. Il s’appuie sur différents modes d’exploitation de données bibliographiques afin de dresser un panorama de la prise en compte émergente des opportunités offertes par les sols pour faire face aux enjeux environnementaux des territoires urbains. Enfin, des perspectives de développement d’outils pour améliorer la prise en compte des sols par les aménageurs seront évoquées.

1. Matériel et méthodes

Afin de rendre compte de la place qu’occupe la thématique des services écosystémiques rendus par les sols en milieu urbain dans le monde de la recherche scientifique et pour comprendre quels sujets d’étude y sont associés, nous avons réalisé des analyses bibliométrique et bibliographique sur une sélection d’articles pertinemment choisis entre 1995 et 2016. Ci-dessous, nous vous présentons le matériel et la méthode attachés à chacune de ces analyses.

1.1 Analyse bibliométrique

La première approche méthodologique mise en œuvre est une analyse bibliométrique. Elle permet de caractériser l’évolution du nombre de publications scientifiques traitant des services écosystémiques en milieu urbain rendus par les sols. Cette analyse a été réalisée dans le moteur de recherche Web of Science de Thomson Reuters (il s’agit de l’une des bases de données de littérature scientifique les plus complètes). Différentes recherches ont été conduites en introduisant différents mots-clés qui sont listés dans le Tableau 1. Les articles contenaient ces mots-clés dans le champ « topic ». Effectuer cette recherche avec ces différents mots-clés a permis, par la suite, de comparer l’évolution du nombre de publications scientifiques traitant des services écosystémiques en milieu urbain rendus par les sols avec celui traitant des services écosystémiques en milieu agricole ou forestier par exemple. Les résultats de ces listes d’articles ont été interprétés en termes d’effectifs, d’année de publication (entre 1995 et 2016) et de champ disciplinaire des revues dans lesquels ils ont été publiés.

Tableau 1 Liste des mots-clés utilisés lors de l’analyse bibliométrique

Tableau 1 Liste des mots-clés utilisés lors de l’analyse bibliométrique

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1.2 Analyse bibliographique

L’analyse de la littérature s’est basée sur une lecture critique de plus de 200 articles sur la base d’une sélection pour la pertinence de leur titre et de leur résumé. Toutes les publications dont le titre associait « ecosystem service », « urban » et « soil » ont été analysées. Les publications de référence (présentant le plus grand nombre de citations) utilisant les autres mots-clés « ecosystem service », l’association « ecosystem service » et « urban » et l’association « urban » et « soil » ont également fait l’objet de cette analyse.

2. Résultats

2.1 Les sols urbains

2.1.1 Définitions

Définir l’objet sol urbain n’est pas aisé. En effet, l’on s’aperçoit dans la littérature que les acteurs de l’aménagement du territoire (par exemple, élus, aménageurs et urbanistes) et des sciences du sol (par exemple agronomes et pédologues) n’ont pas la même porte d’entrée pour décrire cet objet. Les premiers adoptent une démarche orientée vers la spatialisation pour décrire les sols en milieu urbain ; considérant que tout sol situé dans une aire urbaine fait référence à un sol urbain. Au contraire, les pédologues s’attachent à caractériser un sol par son origine et sa genèse, en particulier la quantification de l’impact anthropique. Ces scientifiques identifient, selon la classification internationale (IUSS, 2014), les sols contenant plus de 20 % d’artefacts (c’est-à-dire, matériaux créés, substantiellement modifiés ou amenés à la surface par des activités humaines) dans les 100 premiers centimètres ou présentant une couche imperméable continue en surface ou en profondeur comme des Technosols. Une définition approchante est donnée dans la classification française (Rossignol et al., 2008) qui décrit les Anthroposols comme des sols fortement modifiés ou fabriqués par les sociétés. En première intention, les pédologues ne définissent pas les sols en fonction de leur position géographique au sein des territoires. Néanmoins, l’historique d’utilisation des sols en milieux urbains indique qu’une large majorité de la couverture pédologique de ces espaces est constituée de Technosols ou d’Anthroposols. Ceci explique que le groupe de travail de l’IUSS (Union Internationale de Sciences du Sol) intitulé SUITMA (Soil in Urban, Industrial, Traffic and Mining and Military Areas) soit celui qui ait contribué à l’émergence puis à la diffusion de la définition de Technosol.

Au regard de ces différents termes et définitions propres à chaque discipline, nous proposons de considérer distinctement une définition génétique (sols anthropisés) et géographique (sols urbains). Les sols anthropisés sont des sols dont les propriétés et la pédogénèse sont dominées par leur origine anthropique. Ils se caractérisent soit par de fortes quantités d’artéfacts, soit par un scellement anthropique en surface ou en profondeur (IUSS, 2014). Ils s’opposent aux sols naturels qui sont peu affectés par les activités humaines. Les sols urbains sont définis comme tout sol appartenant à une aire urbaine. L’aire urbaine constitue un ensemble de communes d’un seul tenant et sans enclave, formé par un pôle urbain (unité urbaine offrant plus de 5 000 emplois) de plus de 10 000 emplois et par sa couronne périurbaine, c’est-à-dire les communes dont 40 % de la population active résidente travaillent dans une autre commune de l’aire urbaine (INSEE, 2011). En complément, nous définissons la couverture du sol comme la couverture physique (et biologique) de la surface des terres émergées (FAO, 1998). Cette définition, qui se rapproche de celle d’occupation du sol, évoque la couche superficielle qui recouvre le sol à un instant donné, telle qu’une pelouse, une couche de bitume, un arbre ou un bâtiment. Concernant l’occupation du sol, nous ciblons ici cette couverture sans distinguer l’utilisation que les humains en font.

Nous pouvons alors en déduire que les sols urbains sont dans leur large majorité des sols anthropisés, mais peuvent également être des sols naturels. La proportion de sols anthropisés et de sols naturels parmi les sols urbains peut varier significativement d’une aire urbaine à l’autre. Il est également possible d’avancer que, pour le territoire métropolitain français, les sols urbains présentent un gradient d’anthropisation depuis les zones périphériques jusqu’au centre. Enfin, si les sols urbains se caractérisent par une forte proportion de couvertures de sol scellées, ils se distinguent aussi par une gamme particulièrement large de couvertures (par exemple, semi-scellé, sol nu, potager, arbre ou pelouse).

2.1.2 Une forte hétérogénéité dans la couverture pédologique urbaine

La principale caractéristique des sols urbains est de présenter une forte hétérogénéité spatiale (de l’échelle centimétrique à décamétrique) à la fois verticale et horizontale de leurs propriétés physiques, chimiques et biologiques (Craul, 1992 ; Schwartz, 2001 ; Morel et al., 2005 ; Bechet et al., 2009). Cette variabilité s’explique par le fait qu’ils assurent des usages très variés : support de bâtiments (par exemple, d’habitation, commerciaux et industriels), d’infrastructures (par exemple, routières et ferroviaires), d’installations de loisirs (par exemple, sportives, récréatives, etc.) ou encore la production de biomasse (par exemple, jardins potagers ou parcs) sur une zone restreinte : la ville. Ces nombreux usages, fréquemment superposés dans le temps, se traduisent par des modifications profondes de l’état initial du sol par mélange, incorporation et exportation de matériaux terreux et techniques, par tassement et par scellement partiel ou total (Baumgartl, 1998). Cette hétérogénéité implique une bien plus grande variété des sols urbains que dans d’autres milieux.

2.1.3 Des sols récents

Du fait des activités humaines qui modifient leurs propriétés en profondeur, l’âge des sols urbains, en particulier des sols anthropisés est souvent inférieur ou égal à la centaine d’années ce qui fait d’eux des sols très jeunes (Morel et al., 2005) en comparaison des sols naturels (plusieurs milliers d’années). Toutefois, certains sols de villes historiques peuvent être plus âgés, comme les sols pluriséculaires des jardins de Generalife du Patio de la Acequia de la ville de Grenade en Espagne (Delgado et al., 2007). En outre, lorsqu’ils ne sont pas scellés, les sols anthropisés se caractérisent fréquemment par une cinétique d’évolution rapide qui s’explique par un déséquilibre avec leur environnement (Séré et al., 2010). Ceci implique que leurs propriétés physico-chimiques sont susceptibles d’évoluer rapidement.

2.1.4 Des sols aux propriétés physiques souvent extrêmes

Les valeurs de densité apparente rencontrées dans les sols anthropisés sont extrêmes (moins de 0,5 jusqu’à plus de 2) (Morel et al., 2005). De plus, il n’est pas rare de rencontrer des zones de scellement (béton, matériaux compactés) en surface ou en profondeur (Baumgartl, 1998). La structure de ces sols est ainsi fréquemment dégradée d’un point de vue pédologique. Les structures massives ou au contraire particulaires dominent et, plus globalement, ces sols présentent un déficit fort d’agrégation (Baumgartl, 1998). Globalement, l’étude de la texture de ces sols montre qu’ils présentent à la fois des teneurs faibles en argiles et fortes en sable et en éléments grossiers, par comparaison avec les sols naturels.

Enfin, les propriétés précédemment décrites conditionnent à leur tour le régime des températures et de l’albédo des sols urbains. En effet, la faible représentativité des couvertures de sol végétalisées, les irrégularités de surface ou la présence éventuelle de scellement ont pour conséquence de modifier fortement les flux d’énergie de surface, souvent dans le sens d’une augmentation et donc d’une élévation de la température de l’air (Farouki, 1986). De plus, ces paramètres peuvent être influencés significativement par la couleur des horizons de surface. En effet, ces horizons, pour la plupart anthropiques, sont non seulement caractérisés par une gamme de couleurs plus étendue, mais également par des couleurs plus contrastées que les sols naturels.

2.1.5 Des sols dont les propriétés chimiques sont fortement contrastées

Au regard de leur fertilité, les sols urbains se caractérisent en premier lieu par une très forte dispersion des valeurs observées. En effet, si les valeurs moyennes de phosphore disponible et d’azote total des sols anthropisés sont peu différentes de celles des sols naturels, notamment forestiers et agricoles, elles présentent des écarts-types beaucoup plus élevés, témoignant des contrastes très forts entre eux (Joimel et al., 2016). Ceci est également vrai pour le carbone organique, mais dans ce cas, il est à noter que la valeur moyenne mesurée sur les sols anthropisés est supérieure à celle de tous les autres sols (Joimel et al., 2016).

Le recours massif au béton et autres liants hydrauliques constitue une explication supplémentaire au fait qu’une très large majorité des sols anthropisés présente des pH nettement alcalins (Morel et al., 2005). En effet, il s’avère que les sols urbains ont, en moyenne, des pH supérieurs à la neutralité, avec une dispersion limitée, au contraire des sols agricoles (pH moyen = 7), des sols de prairie (pH moyen = 6) et forestiers (pH moyen = 5) (Joimel et al., 2016).

2.1.6 Des sols marqués par des contaminations résiduelles

La connaissance des processus de genèse des sols urbains et de leurs rôles dans les écosystèmes urbains est essentielle pour l’évaluation des impacts environnementaux, considérant le fait que le sol est une source importante de contaminants (Norrä et Stüben, 2003). L’incorporation de matériaux d’origine anthropique (par exemple, industrielle ou de construction) ainsi que le support ou la proximité d’activités humaines polluantes, entraine une pollution fréquente des sols urbains (Bechet et al., 2009), à la fois dans la fraction grossière, mais également dans la partie fine (El Khalil et al., 2008). Par exemple, les résultats de Joimel et al. (2016) indiquent des concentrations moyennes en éléments traces métalliques supérieures dans les sols urbains par rapport aux autres sols. De plus, la publication scientifique d’Ajmone-Marsan et Biasoli (2010) indique que la plupart des sols urbains présentent des valeurs de contamination supérieures à celles retrouvées en milieux agricoles et forestiers (Johnson et Ander, 2008). À ce titre, les sols de jardin ont une concentration en métaux (Cd, Pb et Zn) deux fois plus élevée que les sols agricoles (Schwartz, 2013). Cette présence de métaux dans les sols urbains présente un risque pour l’être humain, en raison de leur possible lixiviation dans les eaux souterraines, de leur entrée dans la chaine alimentaire par l’absorption de ces métaux par les plantes, de leur inhalation ou de leur ingestion directe (Thornton, 1990 ; Gallagher, 2008 ; Poggio et al., 2009).

2.2 Dynamiques temporelle et thématique de la bibliométrie

L’analyse bibliométrique indique une croissance constante du nombre de publications scientifiques entre 1995 et 2016 concernant les services écosystémiques, y compris celles traitant des services écosystémiques rendus par les sols en milieu urbain (Figure 1). Pour la période 1995-1996, le nombre de publications scientifiques recensées dans Web of Science comme traitant des services écosystémiques est de 84. Ce chiffre est de 7296 pour la période 2015-2016. Ces résultats traduisent un intérêt grandissant de la recherche scientifique pour cette problématique, notamment à partir des années 2005-2006, où le nombre de publications double par rapport aux périodes précédentes (372 publications en 2003-2004 et 619 en 2005-2006 ; 1151 en 2007-2008). Ceci peut s’expliquer par les publications du Millenium Ecosystem Assessment en 2003 puis en 2005, qui popularisent la notion de services écosystémiques. Après cette croissance de publications entre 2005 et 2008 (le taux d’accroissement de publications entre 2005 et 2008 est de 86 % ; il est de 83 % entre 2007 et 2010), le nombre de publications sur les services écosystémiques augmente encore jusqu’à aujourd’hui, mais avec un plus faible taux d’accroissement (51 % entre 2009 et 2012, 63 % entre 2011 et 2014 et 41 % entre 2013 et 2016). Cette tendance évolutive se retrouve également dans les résultats de l’analyse bibliométrique sur les publications scientifiques ayant trait aux services écosystémiques en milieux urbains. En effet, de 1995 à 2016 le nombre de publications sur cette thématique ne cesse d’augmenter (5 publications en 1995-1996 et 933 en 2015-2016). De plus, le taux d’accroissement, tout comme celui concernant les publications sur les services écosystémiques, diminue avec le temps (de 114 % entre 2003 et 2006, il passe à 69 % entre 2013 et 2016). Enfin, ces tendances sont les mêmes pour les publications scientifiques concernant les services écosystémiques rendus par les sols urbains. Les résultats indiquent en effet une augmentation du nombre de publications entre 1995 et 2016 (4 en 1995-1996 et 80 en 2015-2016) et un taux d’accroissement qui s’atténue avec le temps (125 % entre 2003 et 2006 et 56 % entre 2013 et 2016).

Fig. 1

Figure 1 Augmentation de l’intérêt de l’étude des services écosystémiques, y compris ceux rendus en milieu urbain et par le compartiment sol – entre 1995 et 2016

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Outre ces grandes tendances évolutives, les résultats de l’analyse bibliométrique indiquent également que 1) les services écosystémiques restent encore, à ce jour, peu étudiés en milieu urbain et que 2) malgré l’intérêt croissant constaté pour les services écosystémiques en milieu urbain, le sol urbain n’est à ce jour que peu considéré comme un écosystème fournissant des services. En effet, entre 1995 et 2016, le nombre de publications concernant les services écosystémiques en milieu urbain ne représente que 11 % du nombre de publications ayant trait aux services écosystémiques en général (Figure 2). Il apparait que ce sont les milieux forestiers et agricoles qui concentrent le plus les études sur les services écosystémiques sur cette période (26 % pour l’environnement forestier et 11 % pour celui agricole). Ceci renvoie au propos introductif de l’article, mentionnant le fait qu’à l’origine, les services écosystémiques étaient essentiellement discutés dans les milieux forestiers et agricoles. En effet, en 1995-1996, 39 publications scientifiques traitaient des services écosystémiques en milieu forestier, contre seulement 5 en milieu urbain. Aujourd’hui, cette tendance est plus équilibrée et les résultats de l’analyse bibliométrique traduisent un intérêt grandissant pour les services écosystémiques en milieu urbain. En 2015-2016, 933 publications scientifiques recensées dans Web of Science traitent des services écosystémiques et de l’environnement urbain, 814 publications traitent de ce sujet en milieu agricole et 1938 en milieu forestier. Les études traitant des services écosystémiques en milieu urbain sont publiées en plus grand nombre par les États-Unis (40 %), puis par les Chinois (14 %) et les Anglais (9 %) (Jeanneaux, 2012 ; Selmi, 2013). Les publications françaises sont rares et représentent moins de 0,04 % de la littérature, selon l’analyse du moteur de recherche Web of Science (2015). Selon l’analyse bibliographique, ce sont Bolund et Hunhammar (1999) qui proposaient pour la première fois une application des services écosystémiques au milieu urbain. La complexité et les particularités de l’environnement urbain nécessitent alors une adaptation des listes des services écosystémiques par rapport aux classifications précédemment établies. Effectivement, les études sur zones urbaines citent parfois des services écosystémiques absents des listes de Groot (2002 ; 2010) ou du MEA (2003 ; 2005). Par exemple, Bolund and Hunhammar (1999) et Gómez-Baggethun et Barton (2013) tiennent compte de la réduction des nuisances sonores et du drainage de l’eau. Ces services sont également cités par Dobbs et al. (2011), qui y ajoutent encore « filtration des particules de poussière » et « productivité » (comprenant l’apport de biomasse sous forme d’arbres). L’apport énergétique est proposé comme service de support et le stockage de carbone comme service de régulation par Lauf et al. (2014). Gómez-Baggethun et Barton (2013) argumentent qu’à chaque type d’habitat correspond une liste de services. Il convient alors d’adapter les classifications à l’écosystème considéré.

Fig. 2

Figure 2 Les services écosystémiques sont principalement discutés en milieux forestiers et agricoles – entre 1995 et 2016

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Enfin, malgré l’intérêt croissant constaté pour les services écosystémiques rendus par le milieu urbain et pour l’aménagement durable des sols, la préoccupation est encore récente et il existe aujourd’hui très peu de publications traitant des services écosystémiques et des sols urbains (Haase et al., 2014). En effet, dans la littérature, des listes de services écosystémiques rendus par les sols sont établies. Par exemple, une liste de services écosystémiques propres au sol est établie pour la première fois avant les années 2000 (Daily, 1997). Une dizaine d’années après la parution de cette liste, Dominati et al. (2010) établissent une autre classification des services du sol sur la base d’une revue bibliographique. Plus récemment, Adhikari et Hartemink ont travaillé sur la mise en exergue des relations entre propriétés d’un sol et services écosystémiques rendus. À ce titre, ils publient en 2016 une liste de fonctions et services écosystémiques rendus par les sols. Mais la majorité de ces publications ne concernent pas les sols de l’environnement urbain. En effet, entre 1995 et 2016, seules 308 publications scientifiques référencées dans Web of Science traitent de ce sujet (Figure 1), représentant 1,5 % du nombre total de publications sur les services écosystémiques en général.

D’après un classement basé sur les catégories proposées par Web of Science, il est possible de comprendre la manière dont le sol urbain est appréhendé dans chaque discipline par rapport aux autres milieux (par exemple, environnements urbains) dans sa contribution aux services écosystémiques (Figure 3). Cette répartition du nombre d’articles scientifiques publiés entre 1995 et 2016 en fonction des disciplines de recherche permet en effet de rendre compte que les études sur les services écosystémiques sont principalement abordées en sciences environnementales (6870 publications), dans les problématiques de conservation de la biodiversité (2008 publications) et en économie (993 publications). Celles sur les services écosystémiques rendus par les sols en milieu urbain sont principalement appréhendées par les sciences environnementales (129 publications) ; ceci pouvant s’expliquer notamment par un grand nombre de recherches scientifiques traitant de la pollution des sols en zones urbaines. L’urbanisme est également une discipline qui traite des services écosystémiques fournis par le sol en milieu urbain (53 publications) du point de vue de l’aménagement du territoire. Enfin, certaines disciplines des sciences humaines appréhendent également ce sujet de recherche, par exemple la géographie (22 publications). Ainsi, certaines disciplines qui traitent fortement des services écosystémiques ne traitent pas, ou très peu, des services écosystémiques rendus par les sols urbains, par exemple les recherches en conservation de la biodiversité (29 publications) ou encore en économie (3 publications). Ceci renforce l’idée qu’il existe une certaine méconnaissance, encore aujourd’hui, de la communauté scientifique au regard des services écosystémiques que les sols urbains peuvent rendre.

Fig. 3

Figure 3 Les services écosystémiques des sols urbains sont principalement discutés en sciences environnementales et urbanisme

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2.3 Nature des services écosystémiques rendus par les sols urbains

Suivant les propositions et les recommandations de nombreux auteurs (Escobedo et al., 2011) et l’adaptation des listes (Costanza et al., 1997 ; de Groot et al., 2002 ; MEA, 2003 ; Adhikari et Hartemink, 2016), nous proposons ici une liste de services écosystémiques pertinents au regard des enjeux spécifiques de l’espace urbain et à celui des rôles du sol dans ces milieux (Tableau 2). Cette liste se compose de trois des quatre catégories de services écosystémiques habituellement présentées dans la littérature (support, régulation, approvisionnement et culture). En effet, nous avons fait le choix d’intégrer les services écosystémiques de support dans chacune des trois autres catégories, comme proposé par la classification internationale commune des services écosystémiques (European Environment Agency, 2011), considérant que les services de support sont des prestations écosystémiques intermédiaires et n’ont par conséquent pas leur place dans un inventaire de services écosystémiques finaux. De plus, l’adaptation de la liste au contexte urbain conduit à ouvrir la catégorie des services d’approvisionnement à des services tels que le soutien aux activités humaines, le soutien aux infrastructures humaines ou les ressources ornementales qui sont des questions essentielles en matière d’urbanisme. Chacun de ces services écosystémiques fournis directement par le sol et souvent par le couple sol-végétation en milieu urbain est par la suite détaillé.

Tableau 2 Proposition de classification des services écosystémiques rendus par les sols urbains

Tableau 2 Proposition de classification des services écosystémiques rendus par les sols urbains

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2.3.1 Régulation de la qualité de l’air

Les sols et les végétaux, du fait de leurs surfaces d’échange élevées, contribuent à la fixation des polluants (métaux lourds, HAP, NOx et SOx) (Pouyat et al., 2007) émis par les activités humaines. C’est un service écosystémique très recherché en ville (Pataki et al., 2011).

2.3.2 Régulation du climat global

Les sols et les végétaux constituent les principaux réservoirs continentaux de carbone. À ce titre, ils permettent de piéger des gaz à effets de serre, limitant ainsi le réchauffement climatique. En effet, les sols dans le monde représentent un réservoir de carbone de 615 milliards de tonnes pour la couche allant jusqu’à 20 cm de profondeur, et de 2 344 milliards de tonnes si l’inventaire est étendu à 3 m de profondeur (Alibeu, 2007). Au même titre que les sols agricoles et les sols forestiers, les sols urbains participent à ce stockage du carbone : par exemple, la séquestration de carbone de ces sols est estimée à 19 billions de tonnes aux États-Unis, soit trois fois plus que les arbres en ville (Pouyat et al., 2006). De plus, les services de l’écosystème devraient avoir du poids dans cette problématique, quand on sait qu’à l’échelle d’une ville, le taux de séquestration du carbone est inversement proportionnel à la densité des habitations (Tratalos et al., 2007). Cependant, selon Nowak et al. (2013 b), les sols de l’environnement urbain ne sont pas assez pris en compte dans les travaux sur le carbone. Plus efficace avant l’urbanisation, le stockage est généralement altéré lorsque les sols sont scellés (Pouyat et al., 2002). Dans la littérature scientifique, il existe quelques articles traitant de ce sujet. Il y est avancé que dans les zones résidentielles, le taux de stockage de carbone organique est souvent plus élevé que dans les autres zones (Pouyat et al., 2006), variant en fonction des couvertures de sol (Pouyat et al., 2002), des régions. Il est donc soumis à l’activité de l’être humain et à sa gestion des sites. Par exemple, dans les jardins, la structure organisationnelle des espèces et de l’espace joue sur la quantité de carbone séquestré (Cameron et al., 2012). Les engrais répandus induisent une augmentation de la production de matière organique, laquelle assure la fonction de puits de carbone (Pouyat et al., 2007). Grâce aux efforts de gestion humaine, certains sols urbains (d’occupation arborée, arbustive ou herbacée) ont donc une bonne capacité de stockage de carbone et d’azote (Pouyat et al., 2002 ; Pouyat et al., 2009 ; Tratalos et al., 2007).

2.3.3 Régulation du climat local

Les sols et les végétaux contribuent à des mécanismes d’évaporation ou de transpiration de l’eau, mais également à la réflexion des rayons du soleil ; ainsi, ils contribuent à la diminution du phénomène d’ilot de chaleur urbain (températures élevées en milieu urbain). La régulation du climat local est une préoccupation centrale parmi les services écosystémiques en zone urbaine et est largement étudiée. En ville, les hautes températures engendrent des désagréments sur la santé humaine et sur les écosystèmes, à la base des services écosystémiques. Elles ont ainsi un impact sur la croissance des plantes, sur l’activité microbienne ou sur la température des eaux souterraines (Pouyat et al., 2007). Cet ilot de chaleur urbain peut être régulé à l’aide de divers services écosystémiques, tels que l’évaporation de l’eau ou la réflexion des rayons du soleil. De plus, en milieu urbain, les végétaux sont également des acteurs de régulation (Escobedo et al., 2011). Dans les espaces verts et les jardins, l’évapotranspiration (Cameron et al., 2012 ; Nowak et al., 2000 ; Pataki et al., 2011), la réflexion et l’ombre créées par les végétaux (Nowak et Crane, 2000) permettent de réguler la température. Aux abords des bâtiments, la présence de végétaux permet notamment d’économiser l’énergie de refroidissement et de chauffage (Nowak et Crane, 2000). Au plus près des murs et des toits, la végétation remplit des rôles supplémentaires. Elle sert d’isolant thermique et diminue la vitesse du vent, réduisant ainsi le risque d’infiltration d’air à l’intérieur (Wang et al., 2014). Enfin, le refroidissement par les arbres a pu être quantifié (Nowak et Crane, 2000 ; Zhang et al., 2006a ; Zhang et al., 2006b). Il s’agit d’un des plus grands services fournis par les arbres en ville (Hunter et al., 2014).

2.3.4 Décomposition et filtration des déchets et des pollutions

Les sols peuvent jouer le rôle de réceptacle de déchets issus des activités humaines ; ce stockage peut être intentionnel ou non, il peut également être aménagé (mise en place d’équipements pour limiter les risques de transferts de contaminants provenant des déchets) ou non. Dans tous les cas, certaines propriétés intrinsèques du sol et certains aménagements (par exemple, présence de couches imperméables en profondeur) lui permettent de rendre de manière plus ou moins satisfaisante ce service. Le rôle du sol urbain dans la filtration de la pollution peut dépendre de paramètres caractéristiques du milieu urbain.

Certains sols urbains ont des taux élevés en matière organique, des taux élevés en oxydes et des niveaux de pH neutres à alcalins. Ces caractéristiques engendrent a priori une biodisponibilité des métaux relativement faible. En d’autres mots, les métaux ne migreraient pas facilement vers les organismes vivants et ne seraient pas facilement lixiviés vers la nappe phréatique (Brown et al., 2003). Cependant, lorsque le sol est physiquement altéré, comme cela peut être le cas en milieu urbain, il perd de la matière organique, la mobilité des métaux augmente et les risques de dissémination des polluants deviennent plus élevés (Farfel et al., 2005). Effectivement, le tassement réduit le nombre et le volume de macropores, nécessaires à l’habitat des organismes décomposeurs (Byrne, 2007). De même, cette compaction réduit les compétences des organismes vivants, dont les plantes, en termes de recyclage de carbone et d’azote (Byrne, 2007). Les cycles biogéochimiques peuvent donc être plus ou moins altérés en ville par ce phénomène et par le fait que les matériaux composant les sols sont très hétérogènes. De plus, en milieu urbain, les sols peuvent être soumis à d’importants taux de nitrates. La dynamique de l’azote est principalement influencée par les fonctions naturelles du sol, comme la nitrification et la minéralisation qui relèvent de caractéristiques des sols (Dominguez et al., 2001). Les changements d’usage de sol affectent la dynamique de l’azote de manière complexe. Cependant, ces processus naturels répondraient efficacement aux dépôts atmosphériques azotés, à la fertilisation des sols et aux dépôts de déchets organiques en zone urbaine.

2.3.5 Purification de l’eau

Comme évoqué précédemment les sols et la végétation constituent une interface incontournable dans le cycle de l’eau. À ce titre, ils jouent un rôle de filtre et d’échange. En effet, en fonction de leurs propriétés intrinsèques, ils sont susceptibles de dégrader ou d’améliorer la qualité de l’eau qui percole en leur sein (Dorfliger et Gascuel, 2014). Le service de purification est défini comme la capacité d’un sol à améliorer cette qualité.

2.3.6 Régulation des aléas naturels : inondations et érosions

Les sols constituent la principale interface entre l’eau atmosphérique et les masses d’eaux superficielles et souterraines ; ce sont eux – en fonction de leurs propriétés intrinsèques, mais également de leur couverture (en particulier la présence d’un scellement – fréquent en milieu urbain en surface ou en profondeur) – qui permettent l’infiltration de l’eau. Leur rôle, ainsi que celui des végétaux dans une moindre mesure, est ainsi primordial dans l’atténuation des inondations lors de précipitations de forte intensité. Cependant, en milieu urbain, les sols impactés par l’activité anthropique ont souvent une surface peu ou pas perméable et/ou hydrophobe, réduisant ainsi la capacité d’infiltration de l’eau (Craul, 1992). Les textures et structures extrêmes des sols urbains participent également à cet effet réducteur (Pouyat et al., 2007). Or, l’eau qui ne s’infiltre pas ruisselle en surface. Pour cette raison notamment, la protection contre les inondations est un des services écosystémiques très recherchés en ville (Pataki et al., 2011). En milieu urbain, de nombreuses solutions sont imaginées pour pallier ce risque : augmentation du nombre de zones vertes (par exemple, développement des trottoirs engazonnés permettant l’infiltration de l’eau dans le sol, plantation dans les espaces verts d’espèces végétales grandes consommatrices d’eau comme le peuplier ou le saule pleureur) ; mise en place de bassins de rétention des eaux pluviales (à l’échelle du quartier, sont souvent également prévus un réseau de noues, des zones humides et la création d’un secteur inondé en cas de crue) ; emploi au sol de matériaux perméables (bétons et bitumes drainants) ; ou encore conception de bâtiments compatibles avec les grandes crues (par exemple, maisons flottantes). De plus, les jardins, espaces verts et toits végétalisés participent tous à la régulation des flux hydriques (Oberndorfer et al., 2007). Des exemples de réhabilitation de sols urbains indiquent que l’implantation de végétaux adaptés permet un développement racinaire conduisant à une augmentation de la conductivité hydraulique dans le sol (Johnson et Lehmann, 2006), réduisant ainsi le risque d’inondation.

Le risque d’érosion, c’est-à-dire l’ablation des couches superficielles du sol et du déplacement de ces éléments sous l’action de l’eau, du vent, des rivières, des glaciers ou de l’être humain est un processus qui peut conduire à la dégradation d’écosystèmes et d’infrastructures en aval. Au même titre que les conditions climatiques, la topographie ou de l’usage qui est fait du sol et de sa couverture (par exemple, végétation, construction ou infrastructure), les propriétés intrinsèques des sols conditionnent l’intensité du phénomène d’érosion (Payet et al., 2012).

2.3.7 Approvisionnement en végétaux alimentaires

Le service d’approvisionnement en aliments est recherché en zone urbaine, car le rapport demande/approvisionnement en nourriture et en eau est plus grand qu’ailleurs (Kroll et al., 2012). Les sols constituent le support sur lequel est cultivée la végétation destinée à la consommation humaine, mais également destinée à l’alimentation animale. En milieu urbain, il s’agit essentiellement de pratique de maraîchage et de jardinage ; la fertilité des sols c’est-à-dire leur capacité à fournir un ancrage et des nutriments aux plantes dépend d’un ensemble de propriétés intrinsèques du sol en sus des pratiques d’entretien et d’amendement par les humains. Selon Edmondson (2014), la production de nourriture par les potagers de jardins domestiques urbains n’affecte pas autant la qualité du sol que l’agriculture traditionnelle. Au contraire, le sol est entretenu et permet de maintenir de manière satisfaisante le niveau du service d’approvisionnement. Ces propos peuvent être nuancés avec la récente publication de Joimel (2016), dans laquelle est avancé que les pratiques de jardinage des jardins associatifs urbains semblent être plus intensives qu’en milieu agricole.

2.3.8 Approvisionnement en énergie

Notre revue de la littérature scientifique ne nous a pas permis de recenser des travaux de recherche visant à évaluer le potentiel des sols à être utilisé comme support pour la production de biomasse à vocation énergétique. Le potentiel de ce service peut néanmoins, en première approche, être évalué à partir du potentiel d’approvisionnement en biomasse.

2.3.9 Habitat pour la biodiversité

La pertinence de considérer l’habitat pour la biodiversité en tant que service écosystémique plutôt que comme fonction a été âprement discutée dans la littérature scientifique. Dans le cas des sols urbains, il a semblé pertinent de considérer comme telle la capacité d’un sol à héberger et à offrir un habitat pour les organismes vivants (c’est-à-dire, végétaux, champignons et faune) du fait de ses propriétés intrinsèques.

La richesse spécifique des plantes est très diversifiée en ville. Cela s’explique en partie par la présence d’espèces exotiques introduites (Pouyat et al., 2007). Cependant, en cas de mauvaise gestion, ces introductions peuvent poser problème sur les services écosystémiques, en déséquilibrant les cycles du carbone et de l’azote (Pouyat et al., 2007), ou en entrant en compétition avec des espèces natives et menaçant alors l’équilibre des écosystèmes. Quant aux espèces indigènes présentes, elles ont besoin d’habitats pour survivre. En ville, les espaces verts (Müller et Werner, 2010), les toits végétalisés (Oberndorfer et al., 2007) et les jardins (Cameron et al., 2012) sont des refuges, par exemple pour les amphibiens, les insectes et les oiseaux.

La biodiversité et les autres services écosystémiques rendus par les espaces verts en ville sont précieux en terme de résilience, c’est-à-dire pour faire face aux changements environnementaux futurs (changement climatique, insécurité alimentaire, manque de ressources) (Lovell et Taylor, 2013). Cette résilience peut être améliorée par la complémentarité des usages de sols. En d’autres termes, la connectivité entre les espaces de jardins, de parcs, d’espaces verts ou de cultures forme la composition d’un espace élargi de biodiversité (Colding, 2007). La composition de la faune est le résultat d’interactions entre des facteurs naturels et anthropiques (Pouyat et al., 2010). En plus des sols de jardins ou de parcs, des habitats spécifiques à certaines espèces d’invertébrés sont créés en ville (par exemple, toits végétalisés, structures construites ou serres). Dans ces milieux aussi, la proportion d’espèces exotiques est très riche (Connor et al., 2002).

2.3.10 Approvisionnement en support physique d’infra/super structures

Ce service apparait comme une spécificité des sols urbains qui sont largement utilisés par l’être humain comme support à la construction et pour des infrastructures. Il dépend également de certaines propriétés intrinsèques du sol (par exemple, portance). Ce service n’a pas été traité de manière explicite dans les articles que nous avons recensés.

2.3.11 Approvisionnement en support d’activités sensibles

Il est apparu pertinent de considérer ce service dans cet article, au regard des attentes des aménageurs par rapport aux sols urbains. En effet, certaines propriétés du sol, en particulier son niveau de contamination, peuvent rendre impossibles certains usages et donc certains services attendus, comme l’accueil de populations sensibles (par exemple, établissement scolaire et centre de soins). Ce service n’a pas été traité de manière explicite dans les articles que nous avons recensés.

2.3.12 Approvisionnement en plantes ornementales

Une des spécificités des sols urbains est d’être fréquemment utilisé comme support de production végétale à vocation esthétique et paysagère. Ce service dépend de la fertilité du sol tel qu’évoqué précédemment. Aujourd’hui, la présence et la proximité d’espaces verts sont très recherchées par les usagers en milieu urbain. Les jardins sont incontournables au regard de la question urbanistique et paysagère. Ils sont aussi, à l’échelle de la parcelle, des espaces où se développent des pratiques spécifiques, se nouent des relations entre différents acteurs humains. Ils se déploient dans différentes dimensions : ils concernent le cadre et la qualité de vie, questionnent l’usage de l’espace comme acte politique, serait-ce par la plantation d’herbes inoffensives (Menozzi, 2014). De plus, selon Blanc (2012), l’espace végétal joue un rôle non négligeable dans la qualité de vie en ville et la préservation de celle-ci des agressions urbaines. Et pourtant, dans la littérature scientifique, la relation entre sols urbains et production de plantes ornementales comme service écosystémique n’est que très peu traitée. Ces études concernent notamment les arbres en milieu urbain. En effet, une étude s’est intéressée à la préparation de plantation d’arbres (Oldfield et al., 2014). Les auteurs émettent l’hypothèse que les conditions initiales du sol influencent la maturation de l’arbre et par conséquent les services écosystémiques que l’arbre rendra. De plus, Nowak a également travaillé sur l’arbre en ville et plus précisément sur la quantification du service refroidissement apporté par les arbres en milieu urbain (Nowak et Crane, 2000 ; Zhang et al., 2006a ; Zhang et al., 2006b).

2.3.13 Services culturels

Les services culturels sont connus pour avoir lieu dans les parcs (Chiesura, 2004), les jardins (Cameron et al., 2012) et les forêts urbains (Jim et Chen, 2009). Ils représentent une grande part des services écosystémiques attendus en ville. Les bénéfices retirés par les humains sont d’ordres culturels, sociaux, psychologiques, médicaux et économiques (Chiesura, 2004). Cependant, chacun de ces services a lieu dans un contexte environnemental spécifique. En milieu déjà urbanisé, des contraintes peuvent limiter les potentialités des services culturels. Des aménagements adaptés sont parfois nécessaires pour l’accessibilité, la sécurité, le confort ou la propreté par exemple. L’adaptation du milieu urbain au service culturel attendu nécessite, bien sûr, une observation au cas par cas.

2.4 Évaluation des services écosystémiques rendus par les sols urbains

Dans la section précédente, il a été montré que les sols des environnements urbains jouent un rôle essentiel dans la production de services, pouvant répondre à de nombreuses problématiques environnementales qui se posent actuellement dans la construction des villes. Cependant, dans la réalité de l’aménagement, il apparait que l’ensemble de ces services potentiels est faiblement appréhendé (Morel et al., 2014). Il y a nécessité de reconnaitre le rôle du compartiment sol dans la production de services en milieu urbain et de concilier les objectifs des acteurs de la ville et des sciences du sol (Morel et al., 2014). Pour ce faire, certaines méthodes d’évaluation des services écosystémiques décrites dans la littérature peuvent être efficaces : 1) évaluation semi-quantitative des services écosystémiques en fonction du type de sol urbain ou de la couverture du sol, 2) monétarisation des services écosystémiques.

2.4.1 Évaluation des services écosystémiques en fonction de la couverture du sol en milieu urbain

En milieu urbain, la variabilité dans les occupations de sols rend les écosystèmes urbains très hétérogènes d’un point de vue spatial. En effet, à l’échelle de chaque occupation du sol correspond un écosystème, en interaction avec les écosystèmes voisins. Toute modification entraine un changement au niveau des services (Byrne et al., 2008 ; Niemelä et al., 2010 ; Zhang et al., 2013b). Zhang et al. (2013b) décrivent des sous-écosystèmes urbains pouvant être analogues à des écosystèmes naturels. Par exemple, les terrains stériles peuvent être associés au désert. De tels rapprochements entre habitats naturels et fonctions de l’écosystème sont publiés dans la littérature. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) en a fait une synthèse (CGDD, 2014). Aussi, compte tenu de cette diversité des couvertures de sol en milieu urbain, il apparait important pour les acteurs de l’aménagement du territoire de comprendre quel niveau de services peut offrir un sol en fonction de sa couverture.

Dans la littérature, il est avancé que l’imperméabilisation des sols est la principale cause de diminution des services écosystémiques (Lauf et al., 2014). Cet étalement urbain est particulièrement défavorable à la régulation du microclimat et à la régulation des eaux de pluie (Grimm et al., 2008). Ce n’est que très récemment que la question de la gestion des sols scellés a été posée dans un contexte d’écologie durable (Artmann, 2014). Les stratégies mises en œuvre pour ce type de gestion s’établissent à l’aide de composantes économiques, législatives et médiatiques. L’encouragement de projets de verdissement à petite échelle dans les villes peut ensuite conduire à une augmentation globale des services à échelle de la ville (Folke et al., 2010). La relation entre la valeur économique de services à échelle urbaine et la gestion de l’occupation du sol a été montrée en Chine. Li et al. (2010) ont étudié les changements d’occupation de sol (terre cultivée, forêt, verger, pelouse, construction, plan d’eau, zone humide et sol nu) sur plusieurs années. Selon cette même étude, la valeur monétaire totale des services écosystémiques varie suivant le pourcentage de surface destinée à rendre des services (espaces verts et zones humides principalement). Les espaces verts, parcs et jardins auraient une influence particulièrement positive sur les services écosystémiques en milieu urbain. Lovell et al. (2010) relient des couvertures de sol avec des fonctions de l’écosystème (appelées fonctions écologiques, fonctions culturelles et fonctions de production). Chaque fonction est évaluée par un score, provenant de dires d’experts et d’évaluations faites par les agriculteurs. La méthode est conçue pour évaluer la multifonctionnalité de terrains agricoles, mais pourrait être utilisée sur des terrains urbains à petite échelle, selon Lovell et Taylor (2013).

Cette méthode d’attribution de score en fonction de la couverture du sol et du service écosystémique considéré a également été reprise par Morel et al. (2014). Ils ont classé les sols urbains en quatre catégories de types ou de couvertures du sol selon leur capacité à rendre des services écosystémiques : sol scellé, sol de décharge, sol végétalisé pseudo-naturel et sol végétalisé transformé/construit par l’être humain (Tableau 3).

Tableau 3 Évaluation semi-quantitative des services écosystémiques rendus par quatre types de sols urbains, d’après Morel et al. 2014

Tableau 3 Évaluation semi-quantitative des services écosystémiques rendus par quatre types de sols urbains, d’après Morel et al. 2014

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2.4.2 Monétarisation des services écosystémiques

Des approches économiques sont utilisées afin de valoriser les services écosystémiques dans le monde de l’aménagement urbain (Busch et al., 2012). La monétisation des services écosystémiques (MES) est étudiée depuis de nombreuses années maintenant (Baveye et al. 2014). Pour la plupart des auteurs (Costanza et al., 1997), le MES est un bon moyen de rendre visible la nature aux yeux des décideurs et des marchés financiers (Baveye et al., 2014 ; Liu et al., 2010.). En parallèle, de nombreuses organisations internationales ont d’ores et déjà élaboré des politiques fondées sur le MES. Mais l’étude de l’écosystème est complexe, surtout en milieu urbain. Il peut y avoir des synergies et interactions existantes entre services (Haase et al., 2012). Certaines de ces interactions ont récemment été mises en évidence dans une étude de cas (Lauf et al., 2014). Cependant, ces synergies ne seraient pas assez prises en compte dans les études publiées (Seppelt et al., 2011). De plus, si la monétarisation des services d’approvisionnement peut paraitre relativement simple, celle des services culturels nécessite le recours à des méthodes plus complexes (par exemple, questionnaire soumis à la population [Chiesura, 2004]). La cartographie peut également être un bon moyen d’évaluation des services à l’échelle citadine (Davies et al., 2011 ; Lehmann et al., 2014) ou régionale (Norman et al., 2012). Enfin, pour les services moins facilement directement monétarisables, il apparait nécessaire de monétariser d’abord les fonctions de l’écosystème qui y sont associées (Feld et al., 2009). Si ces méthodes de monétarisation sont reconnues et largement étudiées aujourd’hui dans la littérature scientifique, un débat existe sur le sujet : la monétarisation des services écosystémiques ne serait pas viable (Baveye et al., 2014). En effet, Ghiselin (1977) décrit des analyses coûts-avantages appliquées aux biens et services environnementaux comme la « commensuration de l’incommensurable » (Baveye et al., 2014). Selon lui, la méthode d’analyse coût-bénéfice est basée sur une méthode irréelle et impossible : au lieu d’évaluer les coûts et les avantages sur la même base, on ne tient pas compte des coûts et des avantages qui ne peuvent pas du tout être monétisés (Georgescu-Roegen, 1977). De cette façon, Baveye et al. (2014) ont déclaré que de nombreux auteurs semblent penser que l’évaluation monétaire n’est pas une approche fructueuse. De plus, jusqu’à présent, elles ont été surtout réalisées dans le contexte forestier ou de terres cultivables (Busch et al., 2012 ; Escobedo et al., 2011 ; Haase et al., 2012 ; Jim et Chen, 2009 ; Vrščaj et al., 2008 ; William et Hedlund, 2014).

Conclusion et perspectives

Depuis quelques années maintenant, les services écosystémiques font l’objet d’un grand nombre de travaux de recherche, ayant permis notamment de les organiser en différentes catégories. Depuis notamment les publications du MEA (2003, 2005), les recherches sur ce sujet ne cessent d’augmenter, conduisant la communauté scientifique à élargir les milieux naturels initialement considérés (par exemple agricole et forestier). En effet, la revue de la littérature réalisée ici a notamment permis de mettre en exergue le fait que l’environnement urbain, au même titre que d’autres écosystèmes, permet la réalisation de services écosystémiques. Mais, il apparait dans l’état de l’art que les sols urbains, qui sont pourtant une composante essentielle de ces écosystèmes, sont peu étudiés dans leur contribution à ces services. En effet, lorsque des travaux de recherche traitent des services écosystémiques fournis par les sols en milieu urbain, ils ne se concentrent que sur un nombre restreint de services (par exemple, contribution de la production de biomasse à la séquestration du carbone et régulation de l’îlot de chaleur urbain). Ainsi, les études sur ce sujet sont généralement peu diversifiées et sont principalement appréhendées par un nombre restreint de disciplines : sciences environnementales, urbanisme ou encore géographie. Ceci participe à dire que beaucoup de services rendus par les sols urbains sont finalement mal connus de la communauté scientifique.

Et pourtant, il apparait qu’au même titre que les sols en milieux forestiers et agricoles, les sols urbains offrent un large éventail de services écosystémiques. Notre travail de recherche a en effet permis de mettre en exergue qu’ils contribuent à la production de services écosystémiques fondamentaux (par exemple, autosuffisance alimentaire, gestion des déchets, support d’activités humaines et aménités paysagères). Dans un contexte de préservation des ressources naturelles et de reconstruction de la ville sur elle-même, les sols urbains apparaissent donc comme une ressource indispensable à intégrer pour faire face à de nombreux enjeux environnementaux (par exemple, atténuation de l’îlot de chaleur urbain, régulation du risque inondation, régulation du climat et qualité des milieux).

Pour ce faire, il est impératif que les acteurs de l’aménagement du territoire puissent appréhender pleinement les potentialités offertes par les sols urbains ; cela est indispensable à une meilleure prise en compte de ce compartiment dans leurs réflexions à chacune des échelles de l’aménagement. Certains outils existent pour encourager cette prise en compte (par exemple, outil européen Urban SMS, projet de recherche UQualiSol-ZU et projet européen ENVASSO). En règle générale, ces outils sont basés sur une évaluation de la qualité du sol à l’aide d’un système de notation de plusieurs indicateurs (par exemple, texture du sol, pH, teneur en matière organique et nutriments disponibles) (Vrščaj et al., 2008 ; Velasquez et al., 2007 ; Schindelbeck et al., 2008). À l’issue de ces démarches, les résultats sont traduits en potentiels des sols. Malgré leur intérêt et leur pertinence pour faciliter la compréhension des acteurs de l’aménagement du compartiment sol, ces approches présentent des limites. En premier lieu, la plupart des indicateurs sont mesurés ou déterminés uniquement sur la première couche superficielle du sol ; ils occultent ainsi les horizons les plus profonds, pourtant très présents en contexte urbain. Par ailleurs, les systèmes reposent sur un grand nombre d’indicateurs ou sur des procédures d’évaluation complexes qui sont difficiles à mettre en place et à appréhender par les acteurs de l’aménagement. Enfin, à ce jour, aucun des outils recensés ne permet une évaluation des services écosystémiques. C’est pourtant autour de ce concept central et aisé à appréhender aussi bien par les scientifiques que par les aménageurs que doit se construire un langage commun. Les perspectives de recherche sont alors le développement d’un outil simple et opérationnel à l’attention des aménageurs pour évaluer semi-quantitativement les services écosystémiques des sols urbains. Cet outil doit 1) être coconstruit entre acteurs de l’aménagement et des sciences du sol pour encourager sa compréhension et donc son utilisation ; 2) aiguiller les choix des aménageurs à chaque étape du projet urbain et particulièrement en phase amont afin de considérer les propriétés des sols en place dans le dessein du plan-masse du projet ; 3) intégrer les hétérogénéités verticales et horizontales des sols urbains en revenant au concept de description de fosses pédologiques et 4) intégrer dans le système d’évaluation la couverture des sols, paramètre très variable en contexte urbain, dépendant de la qualité du sol et influençant fortement la production de services écosystémiques.