Corps de l’article

-> Voir la liste des figures

Un nouveau livre intitulé Géographie urbaine vient de paraître sous la plume, dans ce cas, de Guy Burgel et Alexandre Grondeau (2015). Disons d’abord que cet ouvrage prolonge une longue tradition de livres du même titre, que ce soit le précis de géographie urbaine de Pierre George (1961) ou les bouquins de Beaujeu-Garnier (1997), de Wackermann (2000) et de Paulet (2012). Les anglophones ont aussi leurs classiques intitulés Urban Geography : notons les livres de Knox et Pinch (2009), de Pacione (2009), de Hall et Barrett (2012), de Kaplan et Holloway (2014), sans compter la revue scientifique sur ce thème précis. Évidemment, d’autres ouvrages sur la ville, qui ne portent pas exactement l’épithète urbaine, mériteraient d’être cités, notamment le Villes et société urbaine de Ghorra-Gobin (2003). Nous ne discuterons pas de tous ces livres, chacun détenant ses forces et ses faiblesses. Néanmoins, cette diversité de textes illustre le fait que la géographie urbaine, à l’instar de la géographie économique, a su se démarquer en géographie humaine par un corpus théorique vaste et cohérent, corpus qu’on peut « raconter » selon une logique thématique ou son évolution temporelle.

Avec tous ces livres sur le même sujet, on peut tout de même se demander si la contribution de Burgel et Grondeau était vraiment nécessaire. Cette question nous ramène sur le terrain de l’utilité de tels manuels. On pense naturellement à leur rôle de soutien à l’enseignement. On peut également leur attribuer une fonction de mise en commun des connaissances, lesquelles sont souvent, de nos jours, livrées à petites doses sur des sujets ultraspécialisés à l’intérieur de revues savantes. Ces deux mandats peuvent incidemment devenir contradictoires ou difficiles à combiner, car il s’agit, d’une part, de vulgarisation scientifique, et, d’autre part, de mise en commun des avancées de la science. À notre avis, les synthèses anglophones de Knox et Pinch ainsi que de Pacione sont celles qui atteignent un plus grand degré de scientificité. Les autres livres, notamment les productions françaises, seraient davantage des exercices de vulgarisation, situation qui n’est pas sans mérites.

Dans cette optique de diffusion de la connaissance, le Géographie urbaine de Burgel et Grondeau est un ouvrage intéressant, très bien écrit et illustré. Il tient bien la route face à son principal compétiteur, le livre de Jean-Pierre Paulet, qui en est à sa troisième édition. Si Paulet se caractérise par ses connaissances encyclopédiques et son intérêt marqué pour l’espace vécu et les perceptions en milieu urbain, Burgel et Grondeau se veulent plus concis et plus appliqués. En outre, leur livre présente plusieurs études de cas en encadrés. Ces fameux encadrés, qualifiés par les auteurs de « documents », constituent probablement la principale qualité du livre. Par exemple, on y traite de New York, de Los Angeles, de Brasilia, des métropoles du sud (Mexico et Le Caire), des favelas ou des slums, de la mégalopole de Tokaïdo et, évidemment, de Paris.

Au-delà de ses aspects positifs, la publication affiche certaines faiblesses. Ainsi, on parle assez peu de l’avènement des premières villes et de l’histoire urbaine, en dépit d’un encadré sur les cités grecques et romaines. En deuxième lieu, lorsqu’il est question des inévitables modèles de la structure urbaine, les deux géographes hexagonaux se limitent aux schémas issus de « l’école de Chicago », sans mentionner les modèles plus récents de « l’école de Los Angeles ». Ainsi, il eût été pertinent d’illustrer et de commenter le modèle de la ville Keno, appelé ainsi par analogie avec le jeu de hasard de ce nom. Il s’agit d’un système de développement urbain, essentiellement dans l’Ouest américain, qui fonctionne sur une matrice en damier sans fin où apparaissent, de manière aléatoire, au sein des carreaux, des activités diverses sans contiguïté immédiate et sans logique organisationnelle apparente, outre celle du marché immobilier (Dear et Flusty, 2002). De manière secondaire, la section sur les plans urbains est un peu expéditive, se restreignant à présenter trois types (en damier, radioconcentrique et irrégulier), où se retrouve le plan caractéristique des banlieues pavillonnaires, soit un réseau à axes sinueux plus ou moins hiérarchisés. Quelquefois nommé cité-jardin, ce plan vise à limiter la circulation de passage.

En outre, Burgel et Grondeau font peu de cas de la ville durable ou de l’urbanisme durable. Évidemment, le thème du développement durable ou de la durabilité est employé ad nauseam en études urbaines, ce qui en réduit le sens et banalise les enjeux qui en découlent. Toutefois, il est impensable de passer à côté de ce thème à notre époque, tellement il s’agit d’une tendance de fond qui remet fondamentalement en cause l’urbanisation du dernier demi-siècle, particulièrement en Amérique du Nord. Par l’intermédiaire du concept de durabilité, on en revient à la question fondamentale de la « bonne ville », enjeu urbanistique, au premier chef, qui interpelle également la géographie urbaine. Finalement, Burgel et Grondeau font peu de cas des concepts, devenus usuels, de métapole (Ascher, 1995) ou de classe créative (Florida, 2005). Bref, un nouveau livre au rythme dynamique, rempli d’exemples et abondamment illustré, mais qui n’est pas parfait.