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Dans son essai, Radouane Bnou-Nouçair a pour objectif de contribuer à la réflexion sur les rapports entre les musulmans du Québec et la démocratie, afin de dégager des pistes allant dans le sens d’une meilleure intégration de cette communauté aux autres groupes de la population. Il propose en même temps d’expliquer quelques notions fondamentales de l’islam qui sont mal connues ou mal interprétées.

Pour traiter son objet, l’auteur a adopté un plan comportant trois parties qui, dans l’ensemble, présentent un déséquilibre flagrant, soit un travail qui n’obéit guère au protocole scientifique. La première et la troisième parties se limitent à 3 et 10 pages seulement, alors que la deuxième partie en comprend plus de 150, ce qui implique forcément que certains aspects soient mieux traités que d’autres.

Dans la première partie, l’auteur aborde la situation actuelle des musulmans dans le monde. Il s’agit, en fait, d’un bref aperçu sur l’effectif de cette population et sa répartition dans les pays occidentaux, ainsi que sur les facteurs ayant entraîné sa stigmatisation.

La deuxième partie commence par reprendre le point traité dans la partie précédente, mais au niveau du Québec. Sont par la suite évoqués d’autres sujets, comme la politique du multiculturalisme dont l’objectif est de permettre une gestion efficace du « vivre-ensemble » tout en préservant le particularisme culturel propre à chaque groupe de population de la province. Cela n’a pas manqué d’ouvrir le débat sur les « accommodements raisonnables », un concept juridique qui « signifie que si une règle générale et légitime porte atteinte à un droit individuel fondamental, on doit rechercher une solution amiable afin d’assouplir la norme et de permettre “raisonnablement” à l’individu d’exercer son droit » (Le Moing, 2016).

L’auteur élabore sur les effets pervers de ce concept en insistant sur les controverses qui ont contribué à la montée de l’islamophobie, car c’est dans le domaine religieux que les tensions ont été les plus fortes et ont révélé la vulnérabilité du vivre-ensemble. Parmi les autres questions soulevées, on citera le projet de charte des valeurs, qui a suscité moult débats et sur lequel les Québécois ont été fortement divisés, notamment à cause de la proposition de bannir le port des signes religieux ostentatoires. Cela n’a pas manqué de générer des tensions qui, accompagnées d’une multiplication d’actes islamophobes, fragilisent de plus en plus l’harmonie sociale. On a néanmoins pris conscience du méfait et, très vite, des actions furent enclenchées contre la radicalisation menant à la violence.

Plusieurs passages de cette deuxième partie composent un tableau très fouillé de l’islam, son histoire et ses relations avec l’Occident, cela sans doute parce que l’auteur a estimé que l’islamophobie résulte des amalgames entre islam et intolérance, islam et djihadisme, et parce qu’il fallait séparer le bon grain de l’ivraie. Exercice utile, certes, mais qui aurait pu moins s’appesantir sur la question, tout en optimisant ce qui se rapporte à l’objet étudié, pour éviter de désintéresser le lecteur.

Dans la très courte troisième partie, l’auteur a encore discouru sur l’islam, mais uniquement pour expliquer que cette religion s’accommode bien avec la démocratie. Il étaye son affirmation avec quelques exemples, dont celui du calife Ali, qui avait accepté de comparaître devant un juge, lequel avait rendu un verdict contre lui. Cela pour montrer qu’à une époque très lointaine, il y avait, chez les musulmans, séparation entre les différents pouvoirs, un fondement essentiel de la démocratie.

Tous ces développements sont riches en enseignement, notamment en ce qui concerne la stigmatisation des musulmans au Québec et sur l’islam. Un apport de l’ouvrage est de souligner la tolérance de cette religion et le fait qu’elle s’accommode avec la démocratie. Cependant, dans ses propos, l’auteur s’est largement éloigné de ce qui aurait dû être dit sur les éléments pouvant contribuer à l’intégration de la communauté musulmane et renverser sa tendance au repli. Car sur ce point, il n’a été que trop allusif. On ne perçoit pas clairement sa conception de l’intégration, ni les pistes qui devraient y conduire. Tout juste a-t-il affirmé qu’il « revient à chaque société de prendre les mesures sociales nécessaires permettant d’intégrer les musulmans [pour] qu’ils deviennent des citoyens à part entière tout en exerçant leur culte » (p. 177) et que le vivre-ensemble entre la communauté musulmane « et les Occidentaux du pays d’accueil est tributaire d’efforts mutuels » (p. 180).