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Alors que la mise en place d’une commission sur le racisme systémique et l’emploi du terme racisé suscitent controverses et débats passionnés au Québec, il apparaît plus que nécessaire de découvrir l’ouvrage collectif Race and racialization. Essential readings dirigé par Tania Das Gupta, professeure de sociologie à l’Université d’York.

L’ouvrage revendique quatre objectifs principaux : (1) faire connaître les travaux pionniers et désormais incontournables d’auteurs tels qu’Edward Saïd, Stuart Hall ou encore Paul Gilroy ; (2) mettre de l’avant les travaux de chercheurs canadiens, notamment Sherene H. Razack, Vijay Agnew et Celia Haig-Brown ; (3) mettre en lumière l’existence au Canada d’un racisme institutionnel, de même que mettre en question les notions d’intégration et de multiculturalisme, ainsi que les paradoxes de la diversité ; (4) enfin, montrer comment le racisme a partie liée avec d’autres formes d’oppression selon le genre, la classe, l’ethnie ou encore l’orientation sexuelle (approche dite « intersectionnelle »).

De tels objectifs sont ambitieux, mais ils permettent de montrer comment les problèmes contemporains trouvent un ancrage solide et des clefs explicatives puissantes dans un héritage historique. Les perspectives diachronique et synchronique sont ici complémentaires, dans la mesure où l’un des enjeux principaux est de montrer que le racisme n’est pas un donné anhistorique et hors de tout contexte. Au contraire, le racisme est une construction sociale et, à ce titre, il possède une histoire inscrite dans des sociétés et des séquences d’événements dont il faut précisément rendre compte. L’importance de se plier à cet exercice génétique est contenue dans le terme racialisation – peu employé en français – mais qui permet de faire entendre la dimension processuelle, autant dans l’élaboration des races que du racisme. Dans leur préface, les directeurs de l’ouvrage s’appuient sur les travaux du sociologue Robert Miles pour définir le terme racialisation. Il s’agit d’un « processus de catégorisation et de représentation de l’Autre (généralement, mais pas toujours) en fonction de caractéristiques physiques » (Miles, 1989 : 75).

L’ensemble de l’ouvrage est dense et comporte pas moins de 41 chapitres structurés autour de quatre parties principales : La race à travers le temps, Les expériences du colonialisme et du racisme, Race, racisme et institutions, et Race : limitations et privilège. Si les deux premières parties sont davantage historiques et posent ainsi les fondements théoriques du racisme et du processus de racialisation, les troisième et quatrième parties « interrogent » directement l’actualité du racisme dans la société canadienne contemporaine. La première partie est divisée en trois sections (Les premières théories de la race, Colonialisme et construction de la race, Penser à travers le prisme de la race au XXIe siècle), la seconde, en deux sections (Indigénéité et colonialisme, Colonialisme, esclavagisme et travail en servitude), la troisième, en quatre parties (Racisme et système éducatif, Racisme et monde du travail, Racisme, médias et culture populaire et Racisme dans le système judiciaire et dans la police), et la quatrième, en deux parties (Privilège et identité et Le travail contre le racisme).

Dans une (trop) courte préface, les maîtres d’oeuvre du recueil présentent brièvement ce qui en fait la particularité. Un de ses principes cardinaux est que les textes qui traitent des peuples autochtones ne sont pas concentrés dans une section spécifique : « We wanted the indigenous contribution to be well integrated; we did not want them to be segregated from the non indigenous experience […]. We did not want a “reservation” mentality to permeate the book » (p. vii). Dans le même temps, il était nécessaire de ne pas diluer l’expérience autochtone ou la rendre équivalente à celle des personnes non-autochtones. L’ambition des auteurs a donc consisté à établir des ponts et des points de comparaison entre l’expérience vécue de la colonisation par des peuples autochtones à travers le monde et l’expérience coloniale en Asie, en Afrique ou dans le bassin caribéen.

De façon à guider les lecteurs – notamment étudiants – les auteurs ont adroitement précédé chaque sous-partie d’un court texte introductif (généralement une page) qui replace les textes composant la sous-partie dans une perspective historique et épistémologique. Ceci permet de ne pas oublier qu’un texte n’existe que dans un contexte, c’est-à-dire dans une relation complexe avec d’autres textes, de même qu’avec des débats intellectuels et idéologiques. Cela est d’autant plus important dès qu’il est question de racisme et de processus de racialisation. Par ailleurs, chaque sous-partie se termine par un encadré « pour aller plus loin » qui propose des lectures complémentaires, chacune étant présentée en quelques lignes. Ce dispositif pédagogique aurait été complet si chaque texte avait fait l’objet d’un chapeau introductif qui aurait permis de le replacer précisément dans le parcours intellectuel des auteurs.

Au final, par une attention toute particulière portée au contexte canadien, par une approche critique des dynamiques sociales contemporaines (dans les sphères de l’éducation, du travail ou des médias) et par l’effort de traiter de la problématique de la race et du processus de racialisation de la façon la plus complète possible, ce recueil de textes complète avantageusement d’autres ouvrages en langue anglaise, notamment The Routledge companion to race and ethnicity (2010), The SAGE handbook of race and ethnic studies (2010) ou encore A companion to racial and ethnic studies (2002).