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Introduction

Dans le contexte universitaire français, l’approche par compétences découle des réformes instaurées par le processus de Bologne[1] dans le cadre européen des qualifications. Ce dernier a sensibilisé les universités à cette approche, car elles faisaient face à la nécessité de décrire les compétences sanctionnées par les diplômes (Chauvigné & Coulet, 2010). L’approche par compétences à l’université découle de l’« irrésistible ascension » des compétences dans le domaine scolaire soulignée par Romainville (1996) et traduit l’alignement des universités aux enjeux éducatifs, économiques et politiques associés à cette approche.

À l’université, le développement de l’approche par compétences résulte notamment d’un souhait grandissant de professionnaliser les étudiants formés à l’université, selon Chauvigné et Coulet (2010). De fait, les pratiques pédagogiques innovantes et alternatives qui en découlent se sont principalement développées autour d’une articulation entre formation et emploi. Il s’est ainsi agi de prendre en compte, d’une part, des compétences purement disciplinaires et, d’autre part, des compétences considérées comme génériques. Parmi ces dernières se trouvent par exemple la capacité d’analyse et de synthèse, la capacité à apprendre, la capacité à s’adapter à des situations nouvelles, la capacité à travailler de manière autonome, le souci de la qualité, la capacité à travailler en équipe, la capacité d’organisation et de planification ou encore la maîtrise de la communication orale et écrite (Chauvigné & Coulet, 2010). Ces compétences génériques seraient dès lors communes au contexte universitaire et au contexte professionnel.

Ainsi, l’approche par compétences en vigueur dans le système universitaire français semble faire la part belle à ce concept de compétences génériques, autrement appelées compétences transversales (Pinsolle & Sarrazy, 2016). Or, force est de constater que la définition du concept et la détermination desdites compétences qu’il recouvre sont loin de faire consensus parmi les chercheurs. Initialement définies en opposition à des compétences disciplinaires, supposant qu’il s’agit là d’une catégorie particulière de compétences, elles ont pu par la suite renvoyer à des attitudes et aptitudes exigées, mais non enseignées à l’école, pour enfin se référer à des apprentissages dits « informels » émanant des différentes sphères de socialisation autres que l’école (Berry & Garcia, 2016). Quand il n’induit pas l’opposition à d’autres catégories de compétences, le qualificatif de transversalité se réfère à la nature même de compétences imaginées comme décontextualisées, mais requises ou, du moins, mobilisables dans différents contextes (Pinsolle & Sarrazy, 2016).

Dans la littérature scientifique, les compétences au sens large, objet toujours en débat, désignent globalement des capacités d’action pouvant être mobilisées à différents degrés : les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être, selon le trio des compétences de Stroobants (1998). Pour certains, la maîtrise d’une compétence passe par la mobilisation et/ou par l’activation de plusieurs savoirs dans une situation et un contexte donnés (Le Boterf, 1994), ce qui induit également une idée de transversalité entre différents types de savoirs. En outre, la compétence pourrait servir différents enjeux ou répondre à différents besoins, selon d’autres travaux. En effet, selon Albero et Nagels (2011), deux facettes de la compétence peuvent être considérées : une facette « interne psychocognitive », qui correspond à la production de la performance et au goût de l’effort, et une facette « externe socio-évaluative », qui constitue pour l’individu l’objet de la reconnaissance et de la valorisation sociale. Cette dualité de la compétence n’est pas sans analogie avec le système de soi qui, d’après Connell et Wellborn (1991), repose en effet sur trois besoins psychologiques fondamentaux que sont le besoin de compétence, le besoin d’autonomie et le besoin de lien. Ainsi, en réponse au besoin de lien, les compétences peuvent servir l’intégration sociale. En réponse au besoin d’autonomie, elles peuvent viser l’émancipation. Enfin, en réponse au besoin de compétence, elles peuvent viser exclusivement la performance.

Ces différents besoins illustrent finalement des dimensions essentielles de l’expérience étudiante, notamment au 1er cycle, que sont la réponse aux exigences universitaires, l’autonomisation, l’intégration au réseau étudiant et, pour certains, le recours à une activité professionnelle (Grebot & Barumandzadeh, 2005 ; Tremblay, Bonnelli, Larose, Audet & Voyer, 2006). Il apparaît pour autant que les compétences sont assez peu abordées dans les travaux s’intéressant à la réussite, à la persévérance des étudiants ou, plus largement, à l’expérience étudiante. Elles semblent pourtant faire l’objet d’un intérêt grandissant, à en croire les considérations internationales et la définition des qualifications en matière de compétences (Duru-Bellat, 2015 ; OCDE, 2013 ; Becquet & Étienne, 2016).

Cet article s’intéresse ainsi aux compétences transversales développées par des étudiants inscrits à l’université française. Il s’inscrit dans un projet de recherche plus large portant sur les conditions d’intégration et de réussite des étudiants de 1er cycle universitaire en France. L’objectif de cet article est d’étudier la nature des compétences transversales mobilisées par les étudiants et de présenter une proposition d’opérationnalisation à partir d’un outil, non destiné initialement à une telle utilisation, à savoir un référentiel de compétences. Il s’agira dès lors de vérifier si de telles compétences, qui renvoient à un postulat scientifique, font écho à la réalité étudiante.

Après une exposition de quelques éléments théoriques quant à la nature de telles compétences dans les parcours étudiants ainsi qu’à la place occupée par celles-ci, la méthodologie employée pour la construction d’une grille d’autoévaluation à partir d’un référentiel est expliquée. Puis, les résultats descriptifs émanant de cet outil de mesure, soumis à un échantillon d’étudiants de cycle licence, sont présentés et discutés. Dès lors, quels apports retenir de la méthodologie employée pour une réflexion sur les compétences transversales des étudiants ?

Quelle place pour les compétences dans les parcours étudiants ?

Un premier constat s’établit sur la faible représentation de ce type de facteur parmi les travaux traitant de la réussite étudiante: les compétences des étudiants, appréhendées comme telles, sont en effet généralement absentes des variables utilisées dans la recherche. Pour autant, l’approche par compétences qui s’est développée à l’université témoigne des préoccupations sociétales quant à l’insertion des étudiants ainsi que de l’appropriation de cet objet par différentes instances (Chauvigné & Coulet, 2010 ; Duru-Bellat, 2015). Elle envisage effectivement que les apprentissages visés peuvent s’entendre en matière de compétences. Or, cela signifie-t-il que certaines compétences soient également requises pour réussir ?

Les capacités cognitives et le niveau scolaire initial des étudiants (autres indicateurs parfois mobilisés en vue de retranscrire les prérequis, les capacités, les habiletés ou encore les savoirs dont disposent les étudiants) ont fait l’objet de quelques travaux (Romainville, Houart & Schmetz, 2006 ; Morlaix & Suchaut, 2012 ; Lambert-Le Mener, 2012). En marge ou en parallèle de ces indicateurs, l’intérêt s’est porté récemment sur une autre catégorie d’indicateurs, imaginés comme étant détachés de la tâche universitaire ou disciplinaire et regroupés sous l’appellation de « compétences non académiques ». Ces dernières s’opposent à des compétences spécifiques ou techniques, entendues comme indissociables d’un champ disciplinaire ou professionnel, sans pour autant être définissables de manière stricte puisqu’elles peuvent se rapporter à différents construits ou à différentes manières de les appréhender (Giret, 2016). C’est ainsi que sont regroupées sous cette appellation différentes terminologies telles que les compétences non cognitives (Heckman & Rubinstein, 2001), les compétences comportementales (Bellier, 2000), les compétences émotionnelles (Gendron, 2007), les soft skills (Robles, 2012) ainsi que les compétences sociales. Du fait de leur non-spécificité, elles sont imaginées comme étant transférables dans différents contextes (Giret, 2016). Parfois appelées en ce sens compétences transversales, elles renvoient ainsi aux aptitudes (les savoir-faire) et aux attitudes (les savoir-être), mais se distinguent des connaissances (les savoirs) (Morlaix, 2016), selon la typologie des compétences (Stroobants, 1998). Considérées comme non cognitives[2], elles peuvent renvoyer aux notions d’habitus et de capital culturel développées par Bourdieu, soit des manières d’être et de faire adaptées à différentes situations (Morlaix, 2016).

Leur prise en considération et leur appropriation dans le champ de la recherche en éducation découlent de la production de travaux de recherche, notamment en économie. Ceux-ci mettent en avant le fait que certains savoir-faire et savoir-être, au-delà des capacités explicitement visées, évaluées et validées par les institutions, peuvent être valorisés socialement ou économiquement. S’inspirant de la taxonomie des Big Five mobilisée par les psychologues de la personnalité[3], les travaux de Heckman et Kautz (2012) montrent que certains « traits » personnels, envisagés comme des compétences[4], entrent en compte dans l’explication des différences de réussite à des tests standardisés chez les adultes. Il s’agit par exemple de la conscience dans le travail (le fait de persévérer, d’être assidu et organisé dans le travail, et d’avoir le goût de l’effort) ou de la stabilité émotionnelle (la gestion des émotions, le locus de contrôle, l’estime de soi, etc.). Ainsi, les facteurs cognitifs ne sont pas les seuls facteurs influents. D’autres travaux vont également dans ce sens, révélant même l’influence de ces compétences à long terme sur l’insertion professionnelle, sur la productivité et sur le niveau de revenus.

Les travaux empiriques de Bowles et Gintis (1976) avancent ainsi que des comportements non cognitifs, comme le fait d’être appliqué ou assidu dans son travail ou encore la capacité à coopérer ou à s’entendre avec autrui, sont des prédicteurs de la réussite scolaire et professionnelle, autant voire plus importants que les performances universitaires ou les capacités cognitives. Selon ces auteurs, ces compétences seraient recherchées sur le marché du travail par les employeurs, mais seraient aussi encouragées et valorisées au sein du système éducatif, par l’institution ainsi que par les enseignants. Plus récemment, Bowles, Gintis et Osborne (2001) ont par ailleurs montré que les compétences non cognitives compteraient pour 20 % dans l’impact du niveau de scolarité sur les revenus.

Conséquence directe du caractère récent de cet objet d’étude, en France du moins, les travaux qui abordent directement de telles compétences en vue d’expliquer la réussite universitaire sont rares, voire inexistants, qui plus est auprès de populations étudiantes[5]. Une étude menée par Boyer et Sedlacek (1987) montre toutefois que des variables non cognitives sont des facteurs favorisant de manière significative la persévérance, d’une part, mais également de meilleures notes, d’autre part, chez les étudiants[6]. Il s’agit par exemple de la confiance en soi, de l’autoévaluation réaliste, de la recherche d’objectifs à long terme, de la patience et de la persévérance vis-à-vis des objectifs fixés, de la tolérance ainsi que des connaissances et compétences développées dans des domaines non universitaires (service à la communauté ou expériences de leadership).

Par ailleurs, la description du « métier d’étudiant » (Coulon, 1997) fait également état de diverses capacités requises à son exercice qui ne sont pas toutes de nature universitaire. S’il implique une affiliation intellectuelle qui passe nécessairement par des stratégies cognitives, par des façons d’appréhender le savoir, par des manières d’étudier ou encore par des prérequis disciplinaires, il apparaît également qu’il suppose chez l’étudiant d’autres habiletés plus génériques et plus larges qui ne s’appliquent pas uniquement à la tâche purement universitaire, mais qui sont néanmoins considérées comme primordiales pour la réussite. Pour Alava (1999) en effet, l’acquisition du métier d’étudiant suppose d’acquérir des habiletés renvoyant à la fois au domaine cognitif, mais aussi au domaine social. Ces compétences ne doivent pas être envisagées isolément les unes des autres, mais plutôt dans leur dynamique d’intégration « personnelle et contextuelle », qui constitue une manière de faire, d’être et de savoir. Le métier d’étudiant requiert ainsi des capacités d’organisation, d’adaptation et de participation, ainsi que des capacités de gestion tant dans l’activité studieuse à proprement parler que dans le temps libre qui peut être alloué aux études ou à d’autres activités. Pour Beaupère et Grunfeld (2012) également, le métier d’étudiant requiert, selon les publics, une plus ou moins grande capacité d’adaptation puisque les étudiants ne savent pas toujours s’adapter aux ruptures institutionnelles, sociales et scolaires survenant après l’enseignement secondaire, ce qui peut les amener à abandonner leurs études (Sarfati, 2013). Des entretiens menés par Boyer (2000) auprès d’étudiants entrant à l’université illustrent d’ailleurs ce propos : les étudiants qui décrivent une adaptation réussie mettent en avant leur capacité à « maîtriser les changements rencontrés », de même qu’ils attribuent cette adaptation réussie à « leur force de caractère et à leur indépendance » (p. 53).

Des dimensions plus larges que la seule réponse aux exigences des études universitaires se dessinent ici. Outre les performances et les qualifications, l’expérience étudiante peut impliquer d’autres enjeux, dont l’intégration à la population étudiante et au milieu universitaire au sens large, celle-ci pouvant être entendue sous l’angle d’une nouvelle socialisation (Van Haecht, 1998 ; Haas, Morin-Messabel, Fieulaine & Demoures, 2012), par ailleurs constitutive de difficultés pour les étudiants (Jellab, 2011 ; Tremblay et al., 2006). Mais encore, les études peuvent remplir d’autres fonctions que celles purement universitaires, comme l’autonomisation ou encore la professionnalisation. Il apparaît ainsi pertinent d’envisager le poids des compétences transversales au sein des parcours étudiants en ce qu’elles influent potentiellement sur différentes dimensions de leur expérience, qu’il s’agisse de leur intégration au sein de la population étudiante, du processus d’autonomisation qui s’établit durant leurs études ou encore de leur réussite universitaire. Elles peuvent aussi être liées à leur potentielle expérience professionnelle. Or, avant d’être à même d’aborder leur rôle ou leur poids dans les expériences étudiantes, l’intérêt portera nécessairement en premier lieu sur leur mesure. Disposer d’indicateurs relatifs aux compétences transversales des étudiants implique de réfléchir, d’une part, à leur nature (de quelles compétences transversales parle-t-on ?), d’autre part, à leur opérationnalisation et, in fine, à l’appropriation de cette mesure par les étudiants eux-mêmes, ce qui constitue l’objectif de cet article.

Notre recension théorique nous a conduit à considérer des compétences transversales comme des métacompétences pouvant se décliner en multiples sous-compétences plus spécifiques et propres à un contexte donné[7], plutôt que dans le sens de transférabilité, qui soulève de nombreux débats et d’éminentes critiques en raison de la forte contextualisation de la compétence (Rey, 1996 ; Crahay, 2006). Aussi, les compétences transversales ne sont pas une catégorie de compétences. Nous prenons ainsi en compte des compétences pouvant tout autant se rapporter à des compétences sociales et comportementales, mais aussi à des capacités cognitives. Nous imaginons aussi qu’elles sont amenées à s’exprimer dans différents contextes et différentes situations présentant certaines caractéristiques ou propriétés similaires (Jonnaert, 2011). De telles compétences sont à la fois sociales et cognitives, et elles reposent sur différents savoirs, savoir-faire et savoir-être. En vue d’approcher les multiples fonctions qu’elles peuvent endosser dans les expériences étudiantes, et au regard des quelques travaux qui les ont abordées, nous retenons les compétences transversales suivantes :

  • adaptation (Alava, 1999 ; Beaupère & Grunfeld, 2012) ;

  • communication/participation (Alava, 1999) ;

  • raisonnement (Morlaix & Suchaut, 2012) ;

  • autonomie/initiative (Boyer, 2000) ;

  • collaboration/coopération (Bowles & Gintis, 1976) ;

  • gestion des émotions (Heckman & Kautz, 2012) ;

  • persévérance/motivation/goût de l’effort (Boyer & Sedlacek, 1987 ; Heckman & Kautz, 2012) ;

  • autoévaluation/régulation (Boyer & Sedlacek, 1987) ;

  • organisation/gestion (Alava, 1999).

Méthode

Rappelons que notre objectif dans cet article est d’étudier la nature des compétences transversales mobilisées par les étudiants en confrontant le présupposé scientifique à la réalité du terrain. Notre démarche, exploratoire, a consisté dans un premier temps à construire un outil de mesure retranscrivant la diversité des compétences transversales envisagées liées aux multiples dimensions de l’expérience étudiante. Dans un second temps, il s’est agi de tester l’adéquation entre l’outil et la population concernée, à savoir les étudiants, en observant comment ces derniers s’en saisissent à la lumière des réponses déclarées.

Précisons que nous ne prétendons pas ici mesurer directement un niveau de compétences au travers d’une évaluation certificative, en fonction d’attentes spécifiques ou de normes établies. Comme indiqué par Jonnaert (2011), une telle mesure devrait tenir compte des nombreux processus engagés par l’individu. L’évaluation nécessiterait donc de prendre en compte la compétence dans toute sa complexité : les processus à l’oeuvre, le contexte associé, le passé de l’individu, les ressources mobilisées, les représentations subjectives, etc. De fait, évaluer comment l’individu répond efficacement à une situation et relever les multiples forces en présence rendent la mesure délicate, complexe, voire impossible, diront certains (Crahay, 2006).

À l’inverse, l’évaluation de la restitution subjective de la compétence par l’individu à partir d’un positionnement, autrement dit une autoévaluation, soulèverait moins de difficultés (Jonnaert, 2011), tout en semblant pertinente et appropriée au regard de nos objectifs. Dans le cas d’une autoévaluation, selon Basque, Ruelland et Lavoie (2006), il semble adéquat d’utiliser une échelle qualitative ordinale propre à chaque compétence et qui présente pour chaque niveau une description différente du comportement observable permettant à l’interrogé de se situer. C’est donc cette approche qui a dicté notre démarche.

Le choix des compétences transversales évaluées découle de la classification proposée dans le Référentiel des compétences comportementales de Passeport Avenir (2011)[8], qui propose pour chaque compétence une échelle à cinq niveaux déclinés en fonction du degré de maîtrise de ladite compétence par l’individu. Ces différents niveaux sont décrits de manière précise par un exemple de réponse apportée à une situation. L’intérêt de passer par ce type de ressource pour construire un outil de mesure réside dans le fait que le référentiel est issu de travaux antérieurs, ce qui lui confère a priori une certaine rigueur et une fiabilité nécessaire à la mesure. Dans le cas présent, le référentiel mobilisé a été construit à l’issue d’une étude[9] menée conjointement auprès de professionnels, d’enseignants, d’élèves et d’étudiants en vue de refléter à la fois les compétences réellement mobilisées en milieux professionnels, mais aussi les compétences telles que le système éducatif les conçoit. À notre connaissance, ce référentiel n’a jamais été mobilisé dans le cadre de travaux empiriques visant la mesure ou l’évaluation de compétences. Enfin, cet outil nous a semblé réunir un certain nombre des compétences retenues plus tôt comme étant pertinentes au regard de la littérature.

La sélection effectuée parmi les 24 compétences référencées par Passeport Avenir a été faite sur le postulat que certaines d’entre elles retranscrivent davantage l’idée de transversalité entre milieu professionnel, milieu social et milieu universitaire, telle que nous l’avons définie précédemment. En ce sens, d’autres compétences sont plus tournées vers le milieu de l’entreprise et plus difficilement envisageables dans d’autres contextes. Au terme d’une première sélection, 12 compétences ont été retenues dans un premier temps (voir Tableau 1). Toutefois, à la lecture répétée des niveaux déclinés dans le référentiel pour chacune de ces 12 compétences, il nous est apparu que deux d’entre elles étaient difficilement signifiantes pour des étudiants n’ayant par exemple aucune expérience professionnelle. Il s’agit des compétences Établissement de réseaux/relations et Planification et organisation. Elles ont ainsi été écartées dans un second temps.

Tableau 1

Liste des compétences du référentiel de Passeport Avenir (2011)

Liste des compétences du référentiel de Passeport Avenir (2011)

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Le référentiel de Passeport Avenir propose une échelle à cinq niveaux pour chaque compétence. Chacun des niveaux est affublé d’un titre, puis défini de manière plus précise par un ou plusieurs exemples concrets de savoirs mobilisés par lindividu dans une situation de travail et en réponse à une tâche. Afin de contenir au maximum la longueur et la complexité de notre outil de mesure, ces éléments ont été repris de manière condensée pour constituer chaque niveau de chaque échelle de compétence (voir Tableau 2). Ainsi, seulement quatre niveaux hiérarchiques de maîtrise de la compétence ont été retenus, chacun étant décrit en une seule proposition. Il est apparu en effet que certains niveaux tels que déclinés dans le référentiel n’étaient guère signifiants pour notre public et que d’autres ne présentaient pas une nuance assez nette avec les niveaux inférieurs ou supérieurs. L’attention a donc été portée sur le fait de retranscrire, dans chaque proposition, un niveau distinct à partir de verbes exprimant un plus ou moins haut degré de maîtrise en l’associant à un ou plusieurs exemples de réponses apportées à une tâche afin de le rendre signifiant pour le répondant. Il aurait été possible de ne conserver que les titres associés, dans le référentiel, à chacun des niveaux de compétences, mais ceux-ci ne permettent pas toujours de contextualiser suffisamment le niveau de maîtrise dans une situation de travail, d’autant plus que celle-ci est variable d’un étudiant à un autre. Par exemple, le niveau 4 de la compétence Communication a pour titre communique des messages complexes, ce qui peut donner lieu à diverses interprétations. Pour réduire ces dernières, la proposition choisie pour ce niveau s’inspire davantage des exemples concrets donnés dans le référentiel, amenant au résultat suivant : Vous savez transmettre les messages difficiles ou impopulaires avec tact et diplomatie.

Tableau 2

Exemple d’adaptation du référentiel pour la compétence Communication

Exemple d’adaptation du référentiel pour la compétence Communication

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Dans notre outil de mesure, l’ordre hiérarchique des niveaux de compétences est conservé, mais les propositions ne sont pas précédées d’un chiffre afin de réduire au maximum un biais de désirabilité sociale chez les répondants. En effet, ces derniers pourraient être tentés de s’autoévaluer davantage en fonction d’un indicateur numérique qu’en fonction des propositions qui définissent les niveaux de compétences. La grille d’autoévaluation des compétences transversales ainsi constituée est précédée de l’énoncé suivant : Pour chacune des capacités déclinées ci-dessous, quatre propositions vous sont présentées. Pour chaque proposition, indiquez dans quelle mesure celle-ci vous correspond à partir de l’échelle suivante : non, plutôt non, plutôt oui, oui. La grille a été soumise à un échantillon de 1365 étudiants inscrits en cycle licence (1re, 2e et 3e années) en 2014-2015 à l’Université de Bourgogne et représentatifs des filières d’études de l’ensemble des inscrits (taux de réponse de 15%), à partir d’une enquête en ligne transmise par courriel. Rappelons que cette enquête ne portait pas uniquement sur la mesure des compétences transversales des étudiants, mais également sur d’autres dimensions de la condition étudiante.

En matière de répartition, notre échantillon se compose aux deux tiers de femmes et à 97 % d’étudiants de nationalité française. La moitié de l’échantillon est âgée de 19 ou 20 ans, un cinquième est constitué d’étudiants de 17 ou 18 ans, un autre cinquième d’étudiants de 21 ou 22 ans et le dixième restant réunit les étudiants de 23 ans ou plus. Plus de 40 % des étudiants de notre échantillon sont inscrits en 1re année de licence, alors que près de 32 % d’entre eux sont inscrits en 2e année et qu’un large quart est constitué d’étudiants de 3e année. En ce qui concerne le domaine disciplinaire, les trois quarts de notre échantillon se répartissent équitablement entre les domaines « Droit économie gestion », « Sciences » et « Sciences humaines et sociales », tandis que le dernier quart renvoie aux domaines « Lettres langues langage » (près de 18 %) et « Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) » (près de 8 %). En considérant plus précisément la discipline dans laquelle les étudiants sont inscrits, nous relevons que l’intégralité des filières proposées en licence à l’Université de Bourgogne est représentée selon des parts certes variables, mais représentatives de la répartition des effectifs entre ces différentes disciplines à l’échelle de l’établissement.

Résultats

Niveaux de compétences transversales déclarés par les étudiants

Les tableaux 3 et 4 ci-dessous présentent les effectifs et les pourcentages relatifs à chacun des quatre niveaux composant chacune des 10 compétences transversales que compte la grille d’autoévaluation et, respectivement, aux quatre modalités que propose l’échelle de congruence associée. Nous ne nous évertuerons pas ici à décrire la répartition de l’échantillon au sein de ces multiples niveaux de compétences, mais viserons plutôt la mise en lumière d’éléments saillants, à commencer par les compétences et niveaux de compétences remportant le plus d’adhésion et, à l’inverse, ceux pour lesquels les étudiants se sont massivement évalués vers le bas. Rappelons que chaque compétence se compose de quatre niveaux suivant un ordre hiérarchique. Le premier item constitue le niveau inférieur, tandis que le dernier renvoie au niveau supérieur.

Tout d’abord, nous rapportons les compétences et les niveaux associés aux plus fortes fréquences relevant du degré inférieur de congruence (modalité « Non », qui indique que l’étudiant ne se retrouve pas du tout dans la description du niveau de compétences considéré). Il s’agit ainsi, dans l’ordre décroissant, du niveau 4 de la compétence Souci d’obtenir des résultats (Vous visez l’excellence et recherchez les défis), puis des niveaux 3 respectifs aux compétences Initiative (Vous vous proposez pour prendre en charge le travail imprévu ou supplémentaire), Adaptabilité (Vous recherchez des occasions de travailler dans des situations nouvelles) et Gestion du stress (Vous maîtrisez vos émotions lors de situations stressantes). Notons par ailleurs que ces niveaux de compétences transversales présentent également les fréquences parmi les plus élevées en ce qui concerne le second degré de congruence (« Plutôt non »). Il est intéressant de constater à ce stade que les propositions rassemblant le plus de suffrages « négatifs » renvoient à plusieurs reprises au 3e niveau des compétences considérées, et non au 4e, qui correspond pourtant au niveau de maîtrise le plus élevé. D’ailleurs, pour l’ensemble des compétences transversales, la plus forte fréquence correspondant à la modalité « Non » renvoie au niveau 4 pour cinq compétences sur les 10 considérées (Communication, Créativité, Raisonnement analytique, Souci d’obtenir des résultats et Travail d’équipe), au niveau 3 pour trois compétences (Adaptabilité, Gestion du stress et Initiative), au niveau 2 pour une compétence (Prise de décisions) et au niveau 1 pour une compétence (Apprentissage continu).

Du côté des compétences transversales et de leurs niveaux associés qui emportent cette fois-ci le plus d’adhésion de la part des étudiants (modalité « Oui », qui indique que l’étudiant estime correspondre totalement à la description du niveau de compétences considéré), nous relevons, dans l’ordre décroissant, les niveaux 1 des compétences Initiative (Vous savez travailler de façon autonome) et Souci d’obtenir des résultats (Vous vous efforcez d’atteindre les objectifs fixés), le niveau 2 de la compétence Apprentissage continu (Vous cherchez à vous perfectionner), le niveau 1 de la compétence Créativité (Vous êtes ouvert[e] aux idées et aux méthodes nouvelles) et le niveau 3 de la compétence Travail d’équipe (Vous reconnaissez et soulignez le travail des autres au sein d’une équipe). Ici également, ce ne sont pas systématiquement les niveaux inférieurs des compétences qui rassemblent le plus d’adhésion. Ainsi, la plus forte fréquence correspondant à la modalité « Oui » renvoie au niveau 1 pour cinq compétences (Créativité, Initiative, Prise de décisions, Raisonnement analytique et Souci d’obtenir des résultats), au niveau 2 pour deux compétences (Adaptabilité et Apprentissage continu), au niveau 3 pour deux compétences (Communication et Travail d’équipe) et au niveau 4 pour une compétence (Gestion du stress).

Ainsi, un premier constat intéressant émerge quant à la logique découlant du positionnement des étudiants, laquelle entre quelque peu en contradiction avec la logique de la grille d’évaluation telle qu’elle a été construite. Citons un exemple assez significatif : concernant la compétence Gestion du stress, près de 40 % des étudiants répondent « Non » ou « Plutôt non » au niveau 3 (Vous maîtrisez vos émotions lors de situations stressantes), alors qu’ils sont plus de 75 % à répondre « Plutôt oui » ou « Oui » au niveau 4 (Vous aidez les autres à se maîtriser lors de situations stressantes), soit plus qu’au niveau 1 de la même compétence.

Toutefois, en observant attentivement les fréquences associées à chaque niveau de compétences et à chaque degré de congruence de l’échelle proposée, nous remarquons une tendance globale qui rend plutôt compte de cette logique hiérarchique : pour 5 compétences transversales sur les 10 que compte la grille, la hiérarchie est globalement respectée entre trois niveaux consécutifs sur quatre. Concrètement, nous ne relevons que 8 cas sur l’ensemble (qui en compte 40) où la fréquence associée aux degrés de congruence négatifs pour le niveau 4 d’une compétence est inférieure à celle du niveau 1 ou, à l’inverse, où une fréquence associée aux degrés positifs pour le niveau 4 est supérieure à celle du niveau 1. Ces cas renvoient en outre à seulement quatre compétences: Apprentissage continu, Gestion du stress, Initiative et Raisonnement analytique. Par exemple, pour la compétence Apprentissage continu, 3,8 % des étudiants répondent « Non » au niveau 4, alors qu’ils sont 7,6 % à choisir cette même modalité pour le niveau 1. Pour la compétence Gestion du stress, 25,3 % des étudiants répondent « Oui » au niveau 4, alors qu’ils sont 24,5 % à choisir la même modalité pour le niveau 1. Notons également que, pour la compétence Souci d’obtenir des résultats, la distribution des réponses des étudiants retranscrit parfaitement cette progression, dans le sens où l’adhésion est très forte pour le niveau 1, puis diminue progressivement jusqu’à moitié moins pour le niveau 4. Cette distribution s’explique très certainement par la moindre ambigüité émanant de la formulation des différents niveaux, qui est plus courte et qui traduit sans doute plus clairement la progression et la hiérarchie entre les niveaux.

Un second constat peut être établi et renvoie, de manière globale, au recours massif à la modalité « Plutôt oui » de l’échelle de congruence, qui réunit la plus grande part des étudiants pour 37 niveaux de compétences transversales sur les 40 que compte l’échelle, à hauteur de 50 % (49,9 % inclus) ou plus pour 21 niveaux. Ainsi, les étudiants semblent porter un jugement essentiellement positif sur leurs propres aptitudes.

Tableau 3

Description des niveaux de compétences transversales des étudiants (1re partie)

Description des niveaux de compétences transversales des étudiants (1re partie)

Tableau 3 (suite)

Description des niveaux de compétences transversales des étudiants (1re partie)

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Tableau 4

Description des niveaux de compétences transversales des étudiants (2e partie)

Description des niveaux de compétences transversales des étudiants (2e partie)

Tableau 4 (suite)

Description des niveaux de compétences transversales des étudiants (2e partie)

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Scores de compétences transversales : indices de dispersion et de fiabilité, et corrélations

En vue d’obtenir une information synthétique sur le niveau de maîtrise déclaré par les étudiants pour chacune des compétences transversales évaluées avec notre outil de mesure, nous avons choisi, dans un premier temps, de faire correspondre à chaque compétence un score global agrégeant le positionnement des étudiants sur l’ensemble des niveaux qui la composent. Pour ce faire, chaque degré de maîtrise de chaque niveau de compétences est affublé d’une valeur numérique, selon la logique présentée dans le tableau suivant :

Tableau 5

Valeurs numériques associées aux degrés de maîtrise des compétences transversales

Valeurs numériques associées aux degrés de maîtrise des compétences transversales

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Au-delà de la retranscription chiffrée, cette transformation numérique poursuit comme objectif de rétablir la hiérarchisation des niveaux de maîtrise des compétences dans le cas où les réponses des étudiants ne la retranscrivent pas (voir plus haut la section « Niveaux de compétences transversales déclarés par les étudiants »). Un score élevé doit ainsi nécessairement retranscrire un degré de maîtrise déclaré comme étant élevé. La somme des points obtenus à chaque niveau constitue le score relatif à ladite compétence, soit compris entre 0 et 30.

Dans un second temps, et afin de ne perdre aucune observation, nous avons imputé aux non-réponses la moyenne obtenue à l’item correspondant, ce qui permet de conserver les individus qui auraient répondu à certains items, mais pas à d’autres (par oubli ou par difficulté à répondre), tout en se gardant d’affecter la distribution des scores construits.

Les scores obtenus (voir Tableau 6) s’étendent ainsi de la valeur nulle à la valeur maximale, quelle que soit la compétence considérée. Les scores moyens, quant à eux, vont de 16,8 pour la compétence Souci d’obtenir des résultats, donc celle que les étudiants de l’échantillon maîtrisent le moins, à 21,4 pour la compétence Travail d’équipe, soit celle que les étudiants estiment maîtriser le plus. Nous relevons ainsi assez peu de variabilité entre les différents scores moyens des diverses compétences évaluées: ces scores dépassent tous la « moyenne », à savoir 15/30, ce qui confirme le constat précédent d’une évaluation plutôt haute par les étudiants de leurs niveaux de compétences transversales. La dispersion apparaît la plus importante pour les compétences Souci d’obtenir des résultats et Travail d’équipe, avec un écart-type supérieur à 6 points, et la plus faible pour les compétences Raisonnement analytique, Créativité et Communication. Enfin, nous relevons une médiane plus basse et proche de la moyenne pour les compétences Adaptabilité et Souci d’obtenir des résultats, soit celles que les étudiants semblent le moins maîtriser.

Tableau 6

Indices de dispersion et de fiabilité des scores de compétences transversales

Indices de dispersion et de fiabilité des scores de compétences transversales

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En comparant ces moyennes en fonction du genre, nous relevons que les hommes présentent des moyennes supérieures sur la quasi-totalité des scores de compétences transversales, hormis Initiative et Travail d’équipe. Des différences significatives (p<0,05) sont relevées pour Raisonnement analytique et Communication. Des différences très significatives (p<0,01) sont révélées pour Prise de décisions et Gestion du stress. Il apparaît également de manière significative que plus le niveau d’études augmente, plus les étudiants s’estiment compétents pour Raisonnement analytique, Initiative et Apprentissage continu (p<0,01). À l’inverse, plus le niveau d’études est élevé, moins les étudiants s’estiment compétents quant à Prise de décisions (p<0,01) et à Gestion du stress (p<0,05). Par ailleurs, le domaine disciplinaire influe significativement sur la quasi-totalité des scores, à l’exception des compétences Gestion du stress et Souci d’obtenir des résultats. L’effet est par ailleurs très significatif (p<0,01) pour les compétences Travail d’équipe, Raisonnement analytique, Prise de décisions, Initiative et Communication. Les étudiants inscrits en « Sciences humaines et sociales » déclarent les scores les plus élevés pour quatre compétences (Travail d’équipe, Raisonnement analytique, Initiative et Adaptabilité). Les étudiants en « Sciences » sont ceux qui présentent les moyennes les plus faibles pour trois compétences (Travail d’équipe, Souci d’obtenir des résultats et Apprentissage continu). Les étudiants inscrits en « Droit économie gestion » obtiennent uniquement les scores les plus élevés pour Prise de décisions. Les étudiants en « Lettres langues langage » montrent les plus faibles scores relatifs à Gestion du stress, mais s’estiment en revanche les plus compétents en Souci d’obtenir des résultats, Créativité, Communication et Apprentissage continu. Enfin, les étudiants en « STAPS » apparaissent atypiques ; ce sont en effet ceux qui présentent le plus de moyennes inférieures pour 6 des 10 compétences évaluées. Inversement, ce sont les étudiants les plus compétents en Gestion du stress.

Ces différents scores, qui constituent autant de compétences évaluées et donc autant d’échelles, ont ensuite été soumis au test de fiabilité (alpha de Cronbach), soit une mesure de la cohérence interne d’une même échelle. Plus sa valeur est élevée, plus les différents items composant l’échelle mesureraient bien un même construit, attestant dès lors de la fiabilité de cette dernière. Dans notre cas, la fiabilité des scores de compétences transversales construits a posteriori apparaît globalement satisfaisante[10] (voir Tableau 6), notamment pour les compétences Créativité, Prise de décisions, Raisonnement analytique, Souci d’obtenir des résultats et Travail d’équipe. Nous demeurons toutefois prudents concernant les scores des compétences Adaptabilité, Apprentissage continu et Communication, pour lesquels l’indice de fiabilité est le plus faible.

Enfin, nous avons soumis les différents scores construits à des tests de corrélation (test de Pearson). Les résultats (voir Tableau 7) permettent de relever l’existence de liens significatifs entre toutes les compétences prises en compte. Plus précisément, il apparaît que toutes les compétences transversales sont liées de manière très significative (au seuil de 1 %) et qu’elles évoluent dans le même sens puisque les coefficients sont positifs. Ainsi, lorsque le score d’une compétence évolue, celui des autres compétences évolue de la même manière. Notons cependant que le lien est plus ou moins fort selon la combinaison considérée ; il apparaît ainsi particulièrement fort entre les compétences Apprentissage continu et Souci d’obtenir des résultats, entre Adaptabilité et Apprentissage continu, entre Communication et Raisonnement analytique, et entre Initiative et Souci d’obtenir des résultats. De l’autre côté, le lien le plus faible est relevé entre les compétences Gestion du stress et Souci d’obtenir des résultats. Rappelons qu’une corrélation ne renseigne que sur l’existence de liens entre des variables continues et en aucun cas sur une causalité. Aussi, n’est-il pas question à ce stade d’estimer que la maîtrise de telle ou telle compétence transversale permette d’expliquer la maîtrise de telle ou telle autre.

Tableau 7

Matrice corrélationnelle des scores de compétences transversales étudiantes

Matrice corrélationnelle des scores de compétences transversales étudiantes

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Discussion

De manière générale, il apparaît que l’autoévaluation faite par les étudiants de notre échantillon ne retranscrit pas toujours parfaitement la logique hiérarchique intégrée à partir des différents niveaux de compétences transversales. En effet, en considérant simultanément les degrés de congruence « négatifs » (« Non » et « Plutôt non ») et « positifs » (« Plutôt oui » et « Oui ») relatifs aux différents niveaux établis pour chaque compétence, nous relevons que les étudiants estiment parfois qu’ils maîtrisent davantage les niveaux supérieurs des compétences, comparativement aux niveaux inférieurs, réfutant dès lors l’idée d’une logique « pyramidale » au sein de ces dernières selon laquelle la maîtrise du niveau inférieur serait une condition de la maîtrise du niveau supérieur. Bien que nous n’ayons pas directement formulé une telle hypothèse, ce constat apparaît parfois déroutant et tend certainement à révéler le poids des représentations individuelles au sein d’un tel procédé d’autoévaluation ainsi que les limites d’une telle mesure. L’exemple susmentionné de la compétence Gestion du stress, pour laquelle les étudiants déclarent maîtriser davantage le niveau supérieur que le niveau inférieur, illustre certainement cet écart de représentations. Il semble en effet que la description et la hiérarchisation des niveaux relatifs à cette compétence, qui émanent de constructions de chercheurs et s’appuient sur une certaine conceptualisation du stress, ne trouvent pas d’écho chez les étudiants pour lesquels la notion de stress peut renvoyer à des représentations, des situations et des comportements très différents, y compris d’un étudiant à l’autre.

De fait, l’adéquation du Référentiel des compétences comportementales de Passeport Avenir et plus spécifiquement des différents niveaux de compétences avec la population étudiante de 1er cycle représentée dans notre échantillon peut être remise en question, et ce, malgré les simplifications et aménagements effectués pour la transformation sous forme de grille d’autoévaluation.

Toujours est-il que les étudiants de notre échantillon semblent déclarer des niveaux plutôt élevés de compétences transversales, ce qui peut donner lieu à diverses interprétations : 1) les étudiants interrogés sont particulièrement compétents, 2) les étudiants interrogés ont un fort sentiment de compétence, ou 3) notre grille d’autoévaluation n’est pas suffisamment discriminante. En nous attardant sur les caractéristiques des étudiants composant l’échantillon, et comparativement à la population étudiée (ensemble des étudiants inscrits en cycle licence), nous relevons notamment une surreprésentation des profils associés dans la littérature à une plus forte réussite universitaire, tels que les bacheliers généraux ainsi que ceux ayant obtenu une mention (Michaut, 2012). Un tel constat pourrait alors être en faveur des deux premières interprétations, mais ne permet pas pour autant d’évincer totalement la troisième.

Ajoutons par ailleurs que des différences significatives nous sont apparues en fonction du genre, du niveau d’études ou encore du domaine disciplinaire des étudiants, nuançant ainsi quelque peu la tendance globale. Les hommes se déclarent ainsi plus compétents ou, en tout cas, plus confiants quant aux compétences transversales, ce qui paraît cohérent au regard d’autres travaux qui avancent que l’éducation des garçons tend à développer chez ces derniers le sentiment d’efficacité et la confiance en soi, plus que chez les filles (Gendron, 2010). De même, les étudiants de niveaux d’études supérieurs se représentent comme étant plus compétents quant au Raisonnement analytique ou à l’Apprentissage continu, soit les compétences les plus tournées vers la tâche universitaire, ce qui paraît également cohérent avec l’avancée dans le cursus universitaire. À l’inverse, la Gestion du stress semble diminuer avec le niveau d’études, ce qui constitue un résultat intéressant car plutôt contre-intuitif, à moins de considérer que l’élévation du niveau d’études est associée à une élévation du degré de difficultés, mais aussi à une entrée sur le marché du travail de plus en plus proche et, donc, à des situations de plus en plus stressantes. Le domaine disciplinaire apporte lui aussi des différences notables. Les étudiants en « Sciences humaines et sociales » et en « Lettres langues langage » déclarent globalement des scores supérieurs, alors que les étudiants en « STAPS » se distinguent par des scores globalement plus faibles. Si la culture disciplinaire propre à chaque domaine d’études explique sans doute en partie de telles différences, il est difficile à ce stade d’établir un lien avec les compétences transversales concernées.

Enfin, les indices de dispersion relatifs aux différents scores construits a posteriori de même que les tests de corrélation tendent à révéler une assez forte proximité entre les différentes mesures de compétences transversales. S’il est présomptueux de déduire à ce stade que l’acquisition de telles compétences repose sur l’acquisition de telles autres, bien que cela ne soit pas totalement exclu, nous pouvons en revanche imaginer qu’un sentiment global de compétence se répercute dans l’évaluation faite individuellement pour chacune des compétences. À titre d’illustration, au sein de l’enquête globale, une question interrogeait les étudiants sur les chances qu’ils estimaient avoir de réussir leurs examens de fin d’année : en moyenne, les étudiants de notre échantillon ont estimé avoir plus de 67 % de chances de réussir leurs examens, le premier quartile se situant à 50 %, la médiane à 70 % et le troisième quartile à 80 %. De fait, ces étudiants se distinguent également par un fort sentiment de compétence ou d’efficacité personnelle en ce qui concerne leur réussite universitaire, ce qui tend à confirmer l’intuition précédente selon laquelle les résultats issus de la grille d’autoévaluation révèlent un fort sentiment de compétence général au sein de notre échantillon.

Conclusion

L’objectif de cette recherche était d’alimenter la connaissance autour des compétences transversales des étudiants en analysant les apports et les limites de l’utilisation d’une grille d’autoévaluation construite à partir d’un référentiel dont la vocation première n’est pas de procéder à une telle évaluation, mais plutôt d’établir un recensement. Nos résultats suggèrent quelques pistes de réflexion sur l’utilisation d’un tel outil de mesure, d’une part, et sur les compétences étudiantes, d’autre part.

Bien sûr, à l’image de toute mesure, la grille d’autoévaluation n’est pas sans soulever des limites, qui seront d’autant plus décriées que l’objet mesuré porte à discussion. D’abord, comme toute mesure déclarative, elle est influencée par la formulation des énoncés et subit les multiples biais de désirabilité relatifs à ce type de collecte (Duru-Bellat, 2015), ce qui bien sûr n’est pas propre aux compétences comme objet d’étude. Puis, plus spécifiquement dans le cas d’une mesure de compétences relevant d’une autoévaluation, nous pouvons douter d’atteindre l’objet visé, à savoir la compétence, au profit d’une perception subjective qui renverrait davantage à un sentiment de compétence, qui est particulièrement sensible au biais de désirabilité sociale. Aussi, ne mesurerait-on pas ce que l’on prétend mesurer. Conscients de ces faiblesses, et tels Binet et Simon (1905) évoquant leur échelle de mesure de l’intelligence, nous ne prétendons pas approcher directement et parfaitement la notion visée – ici, les compétences transversales – et moins encore apporter une réponse aux débats théoriques et idéologiques qu’elles soulèvent. Toutefois, nous considérons que notre mesure permet un classement et que, « pour les besoins de la pratique, ce classement équivaut à une mesure » (p. 194-195).

Qui plus est, nos résultats ont révélé des éléments intéressants. Il apparaît, dans un premier temps, que les étudiants, à travers leur positionnement, n’ont pas toujours retranscrit la hiérarchie des niveaux de maîtrise des compétences transversales imaginée à l’intérieur de la grille d’évaluation, mettant en lumière l’écart de représentations pouvant résider entre chercheurs et public étudié. Dans un second temps, nos résultats révèlent le jugement massivement positif que les étudiants portent sur leurs propres aptitudes, bien que ce jugement varie quelque peu en tenant compte des caractéristiques des étudiants. Faut-il voir dans ce résultat l’atteinte d’un objectif affiché par les universités en France, à savoir le développement de compétences génériques chez les étudiants ? Encore faudrait-il être en mesure de déterminer le lieu de leur acquisition, y compris lorsque la mesure d’un sentiment de compétence se substitue à la mesure de compétences. Des recherches plus avancées apparaissent dès lors nécessaires pour améliorer les connaissances sur ce sujet, ne serait-ce qu’en vue d’interroger de telles notions en matière d’égalité et d’équité.

Enfin, rappelons que cette recherche s’inscrit dans un projet s’intéressant plus largement aux conditions d’études, d’intégration et de réussite des étudiants de cycle licence, et pour lequel l’intérêt ne porte pas tant sur la validation de l’outil mobilisé, mais réside dans le caractère exploratoire de notre démarche. La prochaine étape consistera d’ailleurs à mobiliser les scores de compétences transversales obtenus par le biais de cette autoévaluation au sein de modèles explicatifs de la réussite universitaire des étudiants.