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Dans leurs mythes et leurs contes, les Hopis décrivent les araignées et les insectes comme n’importe quelle autre créature, qu’elle soit humaine, animale ou monstrueuse. Leurs univers, leurs identités et leurs essences sont identiques, et ils vivent dans le même monde. Si leurs formes changent parfois, ils sont tous décrits comme des humains vivant dans des contextes familiaux semblables à ceux des humains. Ainsi, la famille du monstre cannibal So’yoko est constituée d’un père, d’une mère et d’enfants cannibales. De la même façon, dans une histoire recueillie par Henry Voth à la fin du xixe siècle, le Vieil Homme-Sauterelle vit sur la colline des sauterelles (Tötöltsomo) avec sa femme et ses enfants. C’est un agriculteur, tout comme les Hopis, et il a besoin d’aide pour les semailles. Il dupe le Coyote, qui est pourtant son ami, et provoque évidemment sa colère. Le Coyote souhaite se venger en mangeant les enfants de l’Homme-Sauterelle, mais il est tué par deux chevreuils recrutés à l’avance par ces derniers. La morale étiologique de l’histoire du Coyote et de la Sauterelle est que les sauterelles peuvent aujourd’hui voler partout sans crainte (Voth 1905 : 212-213). Le linguiste Ekkehart Malotki a recueilli une histoire hilarante au sujet de jeunes punaises de lit mâles tombées amoureuses d’une belle femme hopie. La femme dort toujours profondément et ne se réveille jamais pendant qu’ils sucent le sang de sa vulve. Une autre punaise de lit mâle veut voir par elle-même la raison de cet émoi, mais sa propre femme se réveille alors qu’il se glisse hors de son lit. Elle le réprimande et lui rappelle qu’elle est tout aussi désirable que la femme hopie et qu’il devrait penser à leurs enfants. La punaise mâle finit par être tuée par le partenaire de la femme hopie, qui élimine toutes les punaises de lit qu’il trouve sur elle (Malotki 1995 : 49-63).

Ces histoires sont amusantes et décrivent des situations familières, surtout pour les enfants hopis. Elles leur enseignent à voir le monde comme un univers peuplé de créatures dont les habitudes et les relations ne sont pas si différentes des nôtres. Les humains et les animaux, y compris les insectes, communiquent facilement entre eux. Ils partagent les mêmes émotions, préoccupations et conditions de vie, et ils sont dès lors capables de se comprendre les uns les autres. Certaines relations sont en fait totémiques.

Notons en passant que les quatre ontologies décrites par Philippe Descola, soit l’animisme, le totémisme, l’analogisme et le naturalisme (2005), sont présentes chez les Indiens hopis. Les mythes hopis sont dominés par l’ontologie animiste des groupes de chasseurs-cueilleurs qui, à la fin de leurs errances, sont devenus des clans totémistes au sein de villages agricoles. Comme d’autres aspects du monde naturel, les clans sont décrits dans des termes analogiques. Après l’arrivée des Américains sur leur territoire, au xixe siècle, les Hopis ont adopté avec succès une ontologie naturaliste tout en maintenant les autres ontologies. Cela ne veut pas dire que l’hypothèse de Descola n’est pas valide. Descola était clairement conscient du fait que les individus et les sociétés peuvent s’appuyer sur n’importe laquelle de ces ontologies, puisqu’elles ne sont pas, comme il le dit lui-même, « des “visions du monde” hermétiques ». En fait, il soutient que « la situation la plus répandue est peut-être celle de l’hybridité, où un mode d’identification en domine légèrement un autre, avec pour conséquence une pluralité de combinaisons complexes » (Descola 2011 : 104). Les ontologies sont, comme toujours, de bons cadres de pensées, et Descola considère sa typologie comme un procédé heuristique.

Les contes hopis font mention de divers types d’insectes : des fourmis, des punaises de lit, des poux, des puces, des moustiques, des abeilles, des guêpes, et ainsi de suite. Nombre de ces histoires sont amusantes, mais, vu les réalités qu’elles évoquent, il y a toujours une dose de sérieux. Voici ce que rapporte l’une des sources de Malotki :

Les Hopis croient qu’il ne faut pas déranger les fourmis ni détruire les fourmilières. On dit que lorsqu’elles sont dérangées, de quelque manière que ce soit, les fourmis réagissent en faisant leur nid dans le corps de la personne qui les a contrariées. Quand on était enfants, on prenait un petit bâton et on l’enfonçait dans l’ouverture des nids de fourmis jaunes, même si on était au courant du danger. On léchait le bâton après l’avoir secoué pour en faire tomber les fourmis qui s’y agrippaient. Il avait un goût salé qui nous plaisait.

Noq hopit natvoti’atniqw hak pumuy qa yuuyuynangwu, pu’ piw kiiyamuy qa sakwilawngwu. Hak yaw naap hinwat pumuy yuuyunaqw puma yaw hakiy ankitotangwu. Niikyangw pay as itam tsaatsayomniiqe it yan navotiy’yungkyangw hakim hisat kohooyat imuy sikya’a’antuy kiiyamuy aqw tsuruknayat pu’ paasat angqw ahoy horoknayaqw put ang peetu naat tsöpölöwyungqw pu’ hak pumuy ang ayo’ tsatswingwu. Paasat pu’ hak put kohooyat ang lengitsmiqw pam kwangwasuhukwangngwu.

Malotki et Lomatuway’ma 1985 : 161

Certains insectes et araignées, comme Kookyangwso’wuuti, la Vieille Femme-Araignée, occupent une place plus centrale dans la mythologie et la religion hopies. Un certain nombre d’insectes sont représentés par des Katchinas, qui sont les déités masquées des Indiens hopis. Dans sa monographie soigneusement documentée intitulée Kokopelli: The Making of an Icon, Ekkehart Malotki décrit en détail les deux figures les plus importantes, à savoir Kookopölö (Katchina Asilidé) et Maahukatsina (Katchina Cigale) [Malotki 2000]. Parmi les autres Katchinas, on peut citer Taatangaya (Guêpe jaune), Momokatsina (Katchina Abeille), Mastootovi (Grosse mouche domestique brillante et foncée) qui apparaît sous la forme de Mastopkatsina et de Sivutootovi (Mouche à suie), un Katchina-Coureur (Malotki, comm. pers. 2017). John G. Stoffolano Jr. et Barton Wright ont attiré l’attention sur Sösööpa (Criquet de Jérusalem), qui fait aussi partie des Katchinas-Coureurs (Stoffolano Jr. et Wright 2005). Dans cet article, nous traiterons de quatre créatures importantes dans la pensée hopie, à savoir l’araignée, l’asilidé, la cigale et le papillon. Nous formulerons ensuite quelques remarques générales sur les insectes dans la sorcellerie.

Kookyangwso’wuuti : la Vieille Femme-Araignée

La Vieille Femme-Araignée, ou Kookyangwso’wuuti (Grand-Mère ou Vieille Femme-Araignée), est la créature la plus populaire de la mythologie hopie. Selon Richard M. Bradfield, la kookyangw, ou « araignée », est l’araignée noire :

L’habitude de l’araignée de tisser sa toile à l’extérieur (habitude à laquelle on fait référence dans le mythe) laisse penser qu’elle appartient à la famille des épeires (Epeira umbricata ?), qui fait partie de la classe des arachnides. Ces araignées sont actives du printemps à l’automne et se retirent dans les crevasses des rochers ou dans d’autres cachettes à l’arrivée de l’hiver.

Bradfield 1973 : 212

Dans les mythes hopis, la Vieille Femme-Araignée vit sous la terre. Elle apparaît parfois sous une forme humaine, celle d’une vieille grand-mère, et parfois sous la forme d’une araignée. Elle accompagne alors les jeunes héros des récits en se perchant sur l’une de leurs oreilles.

Kookyangwso’wuuti est la déité totémique du clan de l’Araignée (Kookyangwngyam), qui fait partie de la phratrie de l’Ours-Araignée. L’étiologie mythologique de cette phratrie relie entre eux sept groupes différents ayant trouvé une carcasse d’ours sur leur chemin. Le premier groupe s’est donné le nom de clan de l’Ours (Honngyam). Le second, qui a fait des lanières avec la peau, s’est désigné comme le clan de la Lanière de peau d’ours (Piqösngyam). Le troisième groupe a découvert des toiles d’araignée sur le cadavre et s’est donné le nom de clan de l’Araignée. Les autres clans qui sont tombés par hasard sur le cadavre à divers stades de décomposition sont le clan du Merle bleu (Tsorngyam), le clan de l’Orbite graisseuse (Wiikorngyam), le clan du gauphre (Muuyingyam) et le clan du Chat sauvage (Tokotsngyam) [Voth 1905 : 38-39]. À Oraibi, le clan de l’Araignée contrôle la cérémonie de la Flûte bleue (Sakwalenangw), sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Bien qu’il existe quelques mythes dans lesquels la Vieille Femme-Araignée contribue à la fois à la création et à l’émergence du peuple dans ce monde (Voth 1905 : 1-15 ; 11 ; 20 et 22), elle est généralement mieux connue dans son rôle de vieille grand-mère sage et gentille vivant avec ses deux petits-fils, les Jumeaux de la guerre. Les histoires dans lesquelles elle assume ce rôle sont divertissantes et pleines d’humour. Leur structure narrative est la suivante : les parents d’un jeune homme qui décide de quitter la maison pour en apprendre plus sur le monde lui donnent un sac de vivres ainsi que des plumes votives et des baguettes de prières pour chacun des êtres surnaturels qu’il rencontrera sur son chemin. Après avoir voyagé pendant un certain temps et épuisé ses vivres, il ressent le besoin de déféquer et se cache dans les buissons pour se soulager. Au moment où il s’accroupit, une petite voix lui dit d’aller faire ses besoins plus loin, sous le vent, mais de revenir une fois qu’il aura terminé (Malotki 1978 : 167). Tout ce qu’il voit, c’est un petit trou dans le sol. Toutefois, quand il marche sur le trou, celui-ci, comme par magie, s’agrandit et devient l’entrée d’une pièce souterraine où vit la Vieille Femme-Araignée avec ses petits-fils Pöqangwhoya et Palöngawhoya, les Jumeaux de la guerre, connus collectivement sous le nom de Pöqanqwhoyat. Alors que les jumeaux jouent sans relâche avec des bâtons et une balle (nahoytatatsiw)[*] et sèment le chaos, le jeune homme présente ses offrandes et sa demande, après quoi la Vieille Femme-Araignée lui dit quoi faire. Elle se perche régulièrement sur son oreille pour lui chuchoter des conseils lorsqu’il est confronté à des situations dangereuses (Voth 1905 : 30-34).

Dans d’autres histoires, la Vieille Femme-Araignée avertit le malheureux héros de ce qui est sur le point de se passer et lui explique comment il doit réagir. Elle apparaît parfois sur son oreille à des moments clés. On peut notamment penser à l’histoire dans laquelle le héros est abandonné par un aigle sur une petite corniche au beau milieu de la paroi d’un canyon. Il est sauvé par un troglodyte et rencontre ensuite la Vieille Femme-Araignée dans les terres qui se trouvent dans les cieux (Voth 1905 : 159-167 ; Malotki 1978 : 167-197). Dans de nombreuses histoires, la Femme-Araignée conseille ses petits-fils quant à la meilleure façon de traiter avec les monstres (Voth 1905 : 83 ; Malotki 1978 : 1-21) ou de faire face à des situations sociales difficiles (Voth 1905 : 90-92 ; 92-99).

Comme nous l’avons déjà mentionné, Kookyangwso’wuuti est aussi une importante déesse tutélaire des Hopis. Ekkehart Malotki a d’ailleurs écrit :

Ses pouvoirs divins, sa sagesse illimitée et ses vastes connaissances en ont fait une héroïne culturelle de la tradition hopie. Elle possède un pouvoir de prophétie et connaît toutes les langues du monde. Puisqu’elle est une araignée commune, elle est omniprésente et toujours prête à intervenir, aider, conseiller, guider et sauver… La tendresse de la grand-mère apporte une dimension supplémentaire à l’image attrayante du personnage composite de la Femme-Araignée. Cette affection marque ses relations avec ses deux petits-fils, Pöqangwhoya et Palöngawhoya, mais aussi avec ses protégés hopis.

Malotki 1978 : 208

L’une des sources hopies de Malotki décrit de quelle façon la Vieille Femme-Araignée aide les filles et les femmes hopies :

La Vieille Femme-Araignée est extrêmement douée dans les arts créatifs. Pour cette raison, chaque fois qu’une fille ou une femme hopie souhaite acquérir une habileté particulière – apprendre à faire le piki[**], devenir douée dans la confection de poteries ou le tressage de plaques d’osier, p. ex. –, elle lui adresse des prières. Elle profite de chaque occasion pour l’implorer dans ses prières.

Kookyangso’wuuti pi pas nawiso’aningwu. Hak oovi hiita pas tuwi’yvaniqey naawakne’ put aw tuuvingtangwu. Pay naap hisat pas piktuwi’yvaniqey piw sen tsaqaptat nawiso’tiniqey sen yungyaput oovi hak aw naawaknangwu.

Malotki 1998 : 46-47

Comme Malotki l’a également observé, « son engagement en faveur de la protection et du bien-être des personnes en difficulté en fait une déesse tutélaire, mais son association avec la terre dans laquelle elle vit lui donne toutes les caractéristiques d’une déesse de la terre » (1978 : 208). La Vieille Femme-Araignée a joué un rôle dans la création et l’émergence du peuple. On croit qu’elle est la soeur de Huru’ingwuuti, la déesse des substances dures, qui entretient une relation particulière avec Taawa, le Soleil. Curieusement, Huru’ingwuuti est double : il existe une Huru’ingwuuti à l’est et une Huru’ingwuuti à l’ouest. Le soleil se lève à travers la kiva[*] de Huru’ingwuuti à l’est et se couche à travers la kiva de Huru’ingwuuti à l’ouest (voir Geertz 1984 pour une analyse). Les deux Huru’ingwuuti créent des animaux et des humains. Lorsque la Vieille Femme-Araignée l’apprend, elle décide de donner vie à ses propres créatures. Elle crée d’abord deux Espagnols et deux ânes (Voth 1905 : 3). Elle continue ensuite de façonner d’autres couples d’humains, mais elle oublie parfois de créer un homme ou une femme. Cela explique que certaines personnes doivent rester célibataires toute leur vie, mais aussi que des conflits surgissent au sein des couples mariés et se propagent à d’autres.

Cette histoire a été racontée par Qöyawayma, du clan du Blaireau, d’Oraibi. Il se pourrait que ses opinions politiques l’aient poussé à blâmer la Vieille Femme-Araignée (et, par le fait même, le clan de l’Araignée) pour avoir créé les Espagnols et les problèmes dont ils sont à l’origine. Voth a recueilli ces mythes quelques années seulement avant le conflit de 1906, qui opposait les Amis (Pahannanawaknaqam) et les Hostiles (Qapahannanawaknaqam), en d’autres mots ceux qui étaient ouverts à la présence des Américains et ceux qui ne l’étaient pas. Le conflit a profondément divisé les habitants d’Oraibi (voir notre analyse dans Geertz 1994). Qöyawayma faisait partie des Amis (Whiteley 2008 : 37, 84), tandis que les membres du clan de l’Araignée étaient des Hostiles. Le chef de la faction hostile à l’époque, Yukiwma, du clan du Feu, a lui aussi modifié le mythe original de l’émergence du peuple hopi en affirmant que le clan de l’Ours était allié aux sorciers malfaisants (Voth 1905 : 16-26 ; Geertz 1994 : 128-132). Le leader des Amis, le chef de village Loololma, affirmait quant à lui qu’à une époque reculée, les clans de l’Araignée et de l’Arc étaient les sources du mal (Titiev 1944 : 73-74).

Dans le mythe de l’émergence raconté par Lomavantiwa, de Sipaulovi, la Vieille Femme-Araignée joue le rôle bénin qui lui est le plus couramment attribué, soit celui dans lequel, avec l’aide de ses petits-fils, elle prête main-forte au peuple hopi pour quitter le Troisième monde et atteindre la surface de la Terre en passant à travers un roseau (paaqavi) placé dans l’ouverture d’émergence (sipaapuni) [Voth 1905 : 11 ; Geertz 1984].

La Vieille Femme-Araignée est en quelque sorte associée au Soleil. Le Soleil et la Pluie ont en effet fécondé une femme qui a ensuite donné naissance aux Jumeaux de la guerre, les deux petits-fils de la Vieille Femme-Araignée. Taawa conteste sa paternité dans plusieurs mythes de la First Mesa, mais il finit par reconnaître les jumeaux comme ses fils (Stephen 1929 : 10-20).

En dépit de sa gentillesse, la Vieille Femme-Araignée est puissante et dangereuse. D’après Titiev, certaines traditions lui attribuent la création des sorciers (Titiev 1942 : 549). L’anthropologue ne cite pas ses sources, mais on peut supposer qu’elles font partie de la faction des Amis. Ni Ekkehart Malotki ni nous n’avons pu confirmer l’existence de telles traditions sur la Third Mesa (Malotki et Gary 2001 : xvii). Malgré l’opinion très positive que les Hopis ont d’elle, la Veille Femme-Araignée est dangereuse dans les contextes d’intrusion et de transgression rituelle. Dans sa remarquable autobiographie, Don Talayesva évoque la fois où il s’est approché trop près de l’un des sanctuaires de Kookyangwso’wuuti (Talayesva 1982 : 52-55) :

Vers l’âge de quatre ou cinq ans, j’ai été capturé par la Femme-Araignée et j’ai failli en mourir.

Un matin de mai, je jouais sur la place, quand mon père me dit qu’il allait aux champs. Je voulais y aller aussi, mais il remplit son pot à eau et me dit : « Il vaut mieux que tu restes là, il n’y a pas assez d’eau pour deux », alors je me mis à pleurer. Comme il descendait le versant sud du plateau, je le suivis par le chemin étroit entre deux grosses pierres et j’arrivai au bas, près du sanctuaire de la Femme-Araignée. Mon père avait disparu parmi les rochers. Je regardai par hasard, à ma gauche, le rocher près du sanctuaire où les gens avaient déposé des plats en terre, offrandes à la Femme-Araignée, et je vis que la vieille était là, en personne, penchée en avant, le menton appuyé sur ses mains. À côté d’elle, il y avait un trou carré dans le sol. « Tu tombes bien, me dit-elle, je t’attendais, entre donc chez moi. [...] Tu as suivi ma piste, aussi, désormais, tu m’appartiens comme petit-fils. »

ibid. : 52-53

Son père demande à un homme qui monte sur la mesa de vérifier que Don va bien, car il a entendu son fils pleurer. Quand l’homme arrive sur place, la Vieille Femme-Araignée a disparu :

Je croyais que je n’avais pas bougé, mais quand l’homme m’a vu, j’étais sous le rocher, lentement attiré dans le trou. [...] « Enfant, dit l’homme, sors du sanctuaire, l’Araignée te prendra. » Je riais sottement et je ne pouvais pas bouger, alors l’homme s’est précipité, m’a tiré de là et porté sur la mesa. Je me suis senti mal toute la journée ; je ne pouvais plus jouer.

ibid. : 53

Cette nuit-là, la Femme-Araignée hante les rêves de Don : elle répète qu’il lui appartient désormais. Malgré les gestes de réconfort de ses parents, Don continue de la voir chaque fois qu’il ferme les yeux. Dans les jours qui suivent, il devient de plus en plus malade. Ses parents décident finalement de l’emmener voir un guérisseur sur la mesa voisine. Le guérisseur le traite, mais il ajoute que ses ennuis sont dus au fait que son père a omis de donner une plume votive en offrande à la Vieille Femme-Araignée lors de la dernière cérémonie du Soyal. Il dit à son père de fabriquer des pahos[*] et de les déposer au sanctuaire avec du tabac. Don observe son père de loin tandis qu’il dépose les offrandes. Celui-ci s’adresse à l’esprit de Don, qu’il croit prisonnier du sanctuaire : « Enfant, dit-il, maintenant, j’ai apporté cette offrande à ta grand-mère pour qu’elle te laisse rentrer ; grand-mère, je t’en prie, délivre mon fils. Je te ferai un paho à chaque Soyal. » (ibid. : 55) Sur le chemin du retour, le père de Don parle à l’esprit de Don, qui l’accompagne : « Je te ramène, mon fils, ne me suis jamais plus, par crainte des esprits maléfiques. » Arrivé devant la porte de la maison, il dit : « Assieds-toi » (ibid. : 55). Ce récit fascinant illustre bien la croyance selon laquelle l’intrusion sur des sites sacrés peut entraîner la maladie et la perte de l’âme de celui qui transgresse le tabou. Nous voyons également de quelle façon les relations familiales, les rôles sexospécifiques, la socialisation, la santé et la maladie sont intimement liés aux obligations cérémonielles, aux lieux dangereux et aux êtres mythologiques.

La référence à la fête du Soyal (Soyalangw) n’est pas arbitraire. Le Soyal, une cérémonie très complexe célébrée au moment du solstice d’hiver, est « possédé » par le clan de l’Ours, qui fait partie de la même phratrie que le clan de l’Araignée. Voilà pourquoi les Hopis présentent des offrandes à la Femme-Araignée, entre autres, pendant le Soyal. Toutes les sociétés secrètes importantes sont concernées ; tous les aspects importants de l’organisation politique et sociale hopie sont reconfirmés; et toutes les danses, les rituels et les cérémonies de l’année à venir sont planifiés et symboliquement reconstitués. Les relations cruciales avec les défunts ancêtres et les dieux hopis sont en outre reconnues. Il existe un lien étroit entre la cérémonie du Soyal, d’une part, et la cérémonie de la Flûte et les rituels « possédés » par le clan de l’Araignée, d’autre part. Nous verrons plus loin que les chefs des deux fraternités qui « possèdent » ces cérémonies sont chacun responsables d’une moitié du cycle solsticial.

Dans ses observations sur la cérémonie du Soyal qui s’est tenue en 1911 à Sipaulovi, sur la Second Mesa, Edward S. Curtis décrit l’utilisation de figurines en pierre par les membres de la fraternité du Guerrier (Momtsit). En souvenir du rôle protecteur joué pendant l’émergence de l’humanité par la Vieille Femme-Araignée et ses petits-fils, les Jumeaux de la guerre, la déesse a donné des figurines de pierre les représentant tous les trois au clan du Roseau, à qui appartient la fraternité du Guerrier. Curtis écrit :

Les figurines des dieux de la guerre et une petite pierre appelée Femme-Araignée sont désormais conservées dans une niche scellée creusée dans le mur d’une pièce inutilisée de la maison du Roseau. Les dieux de la guerre sont très puissants contre la sorcellerie, mais ils sont aussi capables de contrôler le froid. On les adore donc pendant l’hiver, quatre jours après la cérémonie du solstice d’hiver, afin que la neige soit suffisamment abondante pour que le sol reste humide. Les deux figurines, ainsi que la Femme-Araignée, sont ensuite retirées de la niche et placées sur un autel de la fraternité du Guerrier. Le Chef Guerrier personnifie l’aîné des dieux de la guerre.

Curtis 1975 [1922] : 132

Les figurines sont exposées dans une pièce près d’un autel. On leur présente des offrandes, on accomplit des rituels et on chante des chansons. Le nombre de pahos doit être égal au nombre de femmes qui viennent à la kiva pour donner de la nourriture aux hommes participant à la cérémonie. Pendant la nuit, les hommes racontent des histoires, chantent des chansons et préparent des remèdes portant des noms d’animaux féroces ainsi que deux sortes de « remèdes d’abeille ». On appelle le premier momoonga, ou « remède du bourdon », et le second höyanga, ou « remède de l’abeille » (ibid. 134-135). Dans le deuxième cas, cependant, il se pourrait qu’il s’agisse d’une erreur de la part de Curtis. Le terme n’est pas attesté dans le dictionnaire hopi publié aux presses de l’Université d’Arizona. Toutefois, selon Charles F. Voegelin et Florence M. Voegelin, le terme höya signifie « guêpe jaune » (Voegelin et Voegelin 1974 [1957] : 18), ce qui serait plus logique. Il est en effet peu probable que deux remèdes portant des noms d’abeille soient préparés au cours d’une même cérémonie. Le lendemain, un paquet de fibres imbibées de ces remèdes et un paho sont livrés chez chacune des femmes ayant amené de la nourriture à la kiva. Le premier est placé dans la jarre d’eau du foyer et le second, sur une poutre du toit (Curtis 1975 [1922] : 135).

Kookopölö : l’asilidé

Dans son ouvrage intitulé Kokopelli: The Making of an Icon (2000), Ekkehart Malotki apporte une contribution importante à l’étude des insectes dans la religion hopie ainsi qu’aux études sur les Indiens hopis et pueblos en général. En se basant sur des interviews réalisées sur le terrain en langue hopie à l’aide de collaborateurs, Malotki démontre de façon convaincante que le joueur de flûte bossu couramment représenté dans l’art rupestre du Sud-Ouest, la poterie pueblo, les poupées katchinas, les bijoux, les T-shirts, les plaques de rues, etc., est le résultat d’une confusion entre deux figures distinctes dans la pensée populaire non hopie. Cette confusion se retrouve en outre dans la littérature savante (par ex. Hawley 1937 ; Parsons 1938 ; Renaud 1948 ; Titiev 1939 ; voir Capinera 1995 pour un retour sur la distinction). Le nom Kokopelli est une appellation inappropriée inspirée du Katchina hopi Kookopölö. Comme l’a signalé pour la première fois Fewkes (1898 : 663 n. 4), cette figure est associée à un gros insecte diptère qui est appelé kookopölö en langue hopie. Elle a été correctement identifiée comme « la mouche assassine ou l’asilidé » dans l’ouvrage de Harold S. Colton sur les poupées katchinas (Colton 1949 : 35). L’asilidé est un insecte agressif qui attaque par derrière d’autres insectes en vol. Il enfonce son rostre dans le cou de ses proies pour les paralyser et sucer leurs liquides corporels (Linsenmaier 1972 : 257 ; Malotki 2000 : 17). Il a une bosse qui rappelle celle du joueur de flûte, et les Hopis croient qu’il s’accouple sans arrêt. D’un point de vue entomologique, cet insecte n’est pas pire qu’un autre ; il attire simplement davantage l’attention (Malotki 2000 : 22).

Figure 1

Idoles placées sur l’autel de la Guerre avec leurs animaux de compagnie

Idoles placées sur l’autel de la Guerre avec leurs animaux de compagnie

De gauche à droite : Pöqangwhoya (frère aîné), Palöngawhoya (frère cadet), et possiblement de nouveau Pöqangwhoya et la Femme-Araignée

Source : Fewkes 1902 : gravure XXIII, a

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Figure 2

Motif d’araignée sur un bol en terre cuite trouvé à Sitkyatki

Motif d’araignée sur un bol en terre cuite trouvé à Sitkyatki
Source : Fewkes 1919 : gravure 87

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Il convient aussi de souligner que le Kookopölö n’a pas de flûte et que le son qu’il fait ne ressemble pas à celui d’une flûte. Les représentations de la figure du joueur de flûte bossu retrouvées dans l’art rupestre et sur d’autres supports ont par ailleurs été systématiquement identifiées par les sources hopies comme Maahu, la cigale, dont nous parlerons plus loin.

Le Katchina Kookopölö est une figure bossue qui est recherchée par les femmes pour améliorer leur fertilité ou guérir la stérilité. On croit qu’il envoie ou engendre des bébés (ibid. : 27). Son nez allongé représente les plantes et le maïs ; quant à la bosse, elle est remplie de semences et de maïs sucré cuit et, parfois, de melons et de pêches, représentant ainsi la nourriture hopie et la fertilité des plantes en général (ibid. : 31). Kookopölö a un bâton de marche, car il est considéré comme un vieil homme. Dans les contextes rituels, notamment pendant la cérémonie printanière du Powamuya, il utilise son bâton pour attraper les femmes. Son rôle principal lors des rituels est d’enlacer les femmes, de se coller à elles en donnant des coups de hanches ou en faisant des mouvements de haut en bas, ce qui ravit et fait rire tout le monde. Autrefois, l’homme qui interprétait le Katchina exposait son pénis (ibid. : 36-37). Des calebasses ont par la suite été utilisées pour représenter le phallus. Kookopölö a un équivalent féminin, Kokopölmana, qui n’a pas de bosse. Kokopölmana est sexuellement agressive : elle pousse les jeunes hommes par terre et leur saute dessus dans un simulacre de copulation. Les jeunes hommes, qui n’apprécient pas l’expérience, sont rapidement secourus par leurs tantes paternelles (ibid. : 52-56).

La légende de « la femme obsédée par les hommes » [« The Man-Crazed Woman »], recueillie par Malotki, explique l’origine de Kookopölö. Elle raconte l’histoire d’une femme qui maltraite son mari parce qu’elle est insatisfaite de ses performances sexuelles. L’homme est si misérable qu’il tente de mettre fin à ses jours en sautant d’une falaise. Il survit à la chute, mais se fracture la colonne vertébrale. Un blaireau qui vit à proximité lui offre un remède contre les troubles érectiles. Pendant qu’il se remet de ses blessures au pied de la falaise, sa femme couche chaque soir avec des hommes différents. L’homme finit par récupérer, mais son dos est déformé par une bosse. À son retour à la maison, il couche avec sa femme pendant vingt-quatre heures d’affilée. Il saupoudre ensuite sa vulve d’une poudre spéciale qui la rend folle. Elle saute d’une falaise et meurt. À partir de ce moment, l’homme reçoit chez lui les nombreuses femmes qui veulent avoir des relations sexuelles avec lui. Il se transforme ensuite en Kookopölö et interprète la chanson et la danse qui finiront par caractériser son personnage. Après un certain temps, toutes les femmes du village commencent à donner naissance à ses enfants, ce qui, évidemment, met en colère les garçons et les hommes du village. Les sorciers tentent de le duper, mais il réussit à déjouer tous leurs complots et finit par marier l’une des femmes. Tout le monde vit bien au village, car Kookopölö est un travailleur acharné (ibid. : 81-87).

Il apparaît évident ici que Kookopölö et Kokopölmana sont invoqués dans le but d’améliorer la fertilité, et en particulier la fécondité humaine, en ayant recours à une forme de magie bienfaisante.

Dans notre analyse des mythes du clan du Serpent et des récits d’origine de la redoutable déesse de la chasse et de la fertilité, Tiikuywuuti, nous mentionnons l’intervention pour le moins curieuse d’une mouche femelle (Geertz 2007). Le mythe en question, recueilli par Henry Voth (1905 : 136-141), raconte l’histoire d’un jeune homme qui joue à cache-cache avec une fille. Il perd non seulement la partie, mais aussi la vie. Même la Vieille Femme-Araignée et le dieu Soleil ne peuvent empêcher l’infortune du jeune homme. La fille lui prend ses vêtements, lui coupe la gorge et laisse le sang s’écouler dans un trou dans le sol. Elle enterre ensuite son corps à proximité. On comprend par la suite qu’il s’agissait d’une déesse déguisée, et plus précisément de Tiikuywuuti, qui a l’habitude de s’en prendre aux jeunes qui ne se méfient pas.

Les parents du jeune homme ne comprennent pas pourquoi il ne revient pas du champ de maïs. Ils sont si tristes qu’ils sont incapables de manger leur repas. La mère tente de chasser les nombreuses mouches qui tournent autour de la viande. L’une des mouches femelles dit aux parents qu’elle s’engage à retrouver leur fils s’ils permettent à ses camarades de manger à leur faim. Voici ce qui se produit ensuite :

La Mouche se dirige donc vers le champ de maïs, où elle trouve de nombreuses pistes. En les suivant, elle finit par tomber sur l’abri où le jeune homme a été tué. Elle découvre rapidement des traces de sang. Lorsqu’elle ouvre le trou, elle y trouve du sang. Elle en aspire une partie. Un peu plus loin, vers le nord, elle découvre la tombe [du jeune homme]. Elle retourne alors aspirer tout le sang qui se trouvait dans le premier trou pour le réinjecter dans le cadavre. Elle attend. Bientôt, le coeur du jeune homme se remet à battre et, après un certain temps, il se relève en secouant légèrement la tête.

ibid. : 139

La Mouche et le jeune homme retrouvent avec joie les parents de ce dernier. La Mouche leur explique ensuite ce à quoi ils doivent s’attendre lorsqu’ils se retrouveront face à la jeune fille. En d’autres mots, la Mouche connaît l’avenir et sait comment réagir aux événements futurs. Au fil du récit, la fille subit une transformation. Lorsqu’elle se retrouve finalement en présence du jeune homme et de ses parents, elle s’est métamorphosée en Tiikuywuuti et porte des vêtements de mariée souillés de sang. Son nom signifie « femme à l’enfant saillant ». Elle est dépeinte comme une femme qui doit subir pour l’éternité l’accouchement d’un enfant mort-né. McCreery et Malotki ont attiré l’attention sur une figure de l’art rupestre de la région qui semble présenter Tiikuywuuti comme une ancienne déesse-mère du gibier sauvage (voir McCreery et Malotki 1994 : 138-143). Tous les vêtements retirés aux malheureux jeunes hommes ayant été tués par Tiikuywuuti s’animent ensuite comme s’il s’agissait des animaux tués pour les fabriquer. Avant qu’ils se sauvent, Tiikuywuuti étale des sécrétions de son sexe sur leurs museaux. Depuis ce jour, les animaux reconnaissent l’odeur de l’humain, ce qui fait qu’il est très difficile pour les Hopis de les chasser.

Dans notre analyse, nous soutenons que le mythe parle de la transformation des jeunes hommes en maris, mais aussi de la relation très étroite entre la naissance, la vie et la mort chez les humains et les animaux. Le fait que la Mouche joue un rôle aussi important dans la défaite et la transformation de Tiikuywuuti indique qu’elle est bien plus qu’une mouche domestique ordinaire. Il n’y a malheureusement aucune référence au type de mouche dont il s’agit dans le mythe recueilli par Voth. Dans la version hopie recueillie par Malotki, le terme utilisé est tootovi, ou « mouche domestique », et il s’agit d’une mouche mâle (Malotki 1978 : 64).

Puisque le mythe fait clairement référence à la fécondité animale et humaine, et au rôle particulier de proies et de géniteurs des jeunes hommes, nous pouvons supposer qu’il existe un lien entre la Mouche de l’histoire et l’asilidé femelle dans son rôle de Kokopölmana. Selon les sources de Malotki, l’asilidé produit des sons qui rappellent la voix humaine. Quand elle apparaît et émet le son caractéristique « vövövö », comme dans les chansons du Kookopölö, les Hopis croient qu’elle cherche à dire quelque chose : « Ils disent [ainsi] que l’asilidé est celle qui vous dit ce qui est bien » (Kopö pi yaw hakiy piw su’an hiita aa’awnangwu) [Malotki 2000 : 19]. La Mouche de l’histoire indique d’ailleurs quoi faire au jeune homme et à ses parents.

L’asilidé utilise son rostre pour enlever la vie à ses victimes. Dans l’histoire qui nous intéresse, la Mouche fait le contraire. Elle aspire le sang du jeune homme qui s’est mélangé à la terre et le lui réinjecte. Par ailleurs, dans les contextes rituels, Kokopölmana pousse violemment les jeunes hommes au sol et les agresse sexuellement, tandis que la Mouche de l’histoire vient en aide à un jeune homme qui a subi une attaque. Les allusions sexuelles de l’histoire, bien que subtiles, ne peuvent être ignorées. Le mythe semble présenter une version simplifiée des rituels d’engagement hopis, dans lesquels les jeunes hommes sont métaphoriquement traités comme des proies (voir notre analyse de la terminologie des rituels d’engagement hopis dans Geertz et Lomatuway’ma 1987 : 181-189). Dans d’autres contextes, toutefois, si les hommes rêvent de Tiikuywuuti, elle les oblige à avoir une relation sexuelle alors qu’ils sont paralysés par la peur. Les hommes qui subissent cette épreuve deviennent cependant de meilleurs chasseurs (Geertz 2007 : 110-111).

Les thèmes de la fécondité humaine et animale, de la sexualité, de la vie et de la mort et des comportements de prédation envers les jeunes hommes s’entremêlent dans les deux mythes. Qu’il existe ou non un lien concret entre la Mouche de l’histoire et l’asilidé, on peut affirmer que la première occupe une place centrale dans cette équation métaphorique.

Figure 3

Kookopölö et Kokopölmana

Kookopölö et Kokopölmana

Illustration à l’aquarelle réalisée pour J.W. Fewkes par un artiste hopi non identifié

Source : Fewkes 1903 : gravure XXV, détail

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Maahu : la cigale

Depuis Henry R. Voth, le terme maahu, qui veut dire « cigale », a été régulièrement traduit par « locuste » dans la littérature. Or, il n’y a pas de locustes dans la région. Selon Malotki, le terme viendrait des Européens. Contrairement aux locustes, les cigales sont relativement inoffensives (Malotki 2000 : 61), même si Voth a recueilli un mythe dans lequel elles mangent toutes les cultures (Voth 1905 : 236-238). Beaglehole a été le premier à identifier correctement Maahu comme étant une cigale (Beaglehole 1937 : 35 ; Malotki 2000 : 62) [insectes aussi connus en anglais comme des harvest flies] appartenant à la famille des homoptères. Les Hopis mangeaient des cigales (maktuki, « cigales desséchées »), et cette habitude est au coeur de plusieurs histoires au sujet de cet insecte (voir par exemple Voth 1905 : 181-182).

La cigale a une bosse et émet un bruit fort qui ressemble à un bourdonnement ou à un sifflement. Les Hopis associent son chant à la leena, ou « flûte ». Il apparaît évident que son rostre, qui ressemble à une flûte, a servi de modèle pour les représentations rupestres. Les cigales sont par ailleurs associées à la chaleur et à la génération de chaleur, car elles chantent quand il fait chaud. On croit enfin que les cigales jouent de la flûte autour des plants de maïs (Malotki 2000 : 65-66).

Dans un mythe d’émergence recueilli en 1982 auprès de la chef du clan du Piikyas (Piikyasngyam), on retrouve un épisode qui met en scène une cigale et qui illustre bien les croyances des Hopis par rapport à cet insecte :

Ils poursuivirent leur chemin et établirent des camps ici et là. Ceux qui se rendaient jusqu’à Kawestima finirent par y arriver. Ils devaient planter à leur arrivée à Kawestima. Ils atteignirent leur destination autour de la saison des semences. Ils se préparaient justement à semer, mais la température ne se réchauffait pas. Le clan de l’Araignée avait une cigale comme « animal de compagnie » […] et la pauvre bête stridulait sans arrêt. Ce sont ses stridulations qui finirent par amener la chaleur. Elle possédait la capacité de produire de la chaleur, mais elle était incapable de surmonter [le froid]. La pauvre bête finit par geler à mort.

Paasat pu’ yaw puma oovi pangqw nankwusa. Pu’ puma oovi pangqw panwiskyaakyangw pu’ pangqw kiy’tiwisa. Pu’ puma kawestimay aqwyaqam pu’ puma pepeq öki. Kawestimay epeq ökiiqe pu’ yaw puma as uu’uyani. Uyismi kya pi puma ökiqw pu’ yaw puma as uu’uyaniqw yaw qa kwangqatti. Pu’ yaw ima kookyangwngyam it maahut pookoy’yungqw pu’ yaw pam as okiw sutsep leelena. Pam pi yaw leelenqw pu’ yaw kwangqattingwu. Pam pi yaw it mumkiwuy tuwiy’ta. Niiqe pay yaw pam put qa angwuy’numa. Niiqe pay yaw pam oovi okiw tusungwmoki.

Geertz 1994 : 350-351, 361

Figure 4

Dessins rupestres (pas à l’échelle) trouvés dans la région de Palavayu par P. McCreery et qui pourraient représenter la déesse-mère du gibier sauvage

Dessins rupestres (pas à l’échelle) trouvés dans la région de Palavayu par P. McCreery et qui pourraient représenter la déesse-mère du gibier sauvage
Source : McCreery et Malotki 1994 : 141, reproduction autorisée

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Dans une histoire plus détaillée recueillie par Henry R. Voth, la cigale réussit à apporter la chaleur au peuple du Serpent en dépit de la glace et de la neige (Voth 1905 : 217-220).

Dans les contextes mythiques et rituels, on croit que les pahos ornés de cigales génèrent de la chaleur. Voth signale que les prêtres brûlaient parfois des cigales pendant la fabrication des pahos. Maahu apparaît dans les rituels hopis comme un Katchina, mais elle est aussi associée aux deux sociétés de la Flûte : Masilelent, « les Flûtes grises », et Sakwalelent, « les Flûtes bleues ». Malotki observe que les membres des deux sociétés, qu’on appelle les Leelent, ou « Flûtes », considèrent la cigale comme leur animal de compagnie, ou pooko (Malotki 2000 : 67). Les membres du clan de la Flûte considèrent quant à eux la cigale comme leur totem, ou wu’ya. Pendant la cérémonie des Leelent, une cigale est placée en haut de l’échelle qui dépasse de l’ouverture de la kiva pour montrer que les rituels Leelent sont en cours.

La principale cérémonie des Leelent est cependant associée à un ensemble d’autres récits et thèmes allant du pouvoir du dieu de la Germination Muy’ingwa à la création du soleil Taawa, en passant par l’importance de la source du village et par Paalölöqangw, le redouté serpent d’eau qui vit sous sa surface. Dans son analyse de la logique rituelle hopie, Mischa Titiev montre que l’année cérémonielle est constituée de deux périodes dont le début et la fin correspondent aux solstices d’hiver et d’été. Le prêtre du Soyal est responsable de la période allant de l’été à l’hiver, et le prêtre de la Flûte, de celle allant de l’hiver à l’été. Ces deux sociétés s’intéressent dès lors à la progression du soleil et au cycle solaire (Titiev 1944 : 146).

Hookona : le papillon monarque

Le terme hopi pour « papillon » est povolhoya, qui veut dire « petit papillon ». On le retrouve dans plusieurs mots sous forme de préfixes ou de suffixes : poovol-, povol-, poli-, polìi- et -volit (Hopi Dictionary). Selon le dictionnaire hopi publié aux presses de l’Université d’Arizona, le hookona, ou « papillon monarque », est le totem du clan du Papillon (Poovolngyam). Il existe en outre un lien entre les papillons et Muy’ingwa, le dieu de la Germination. Selon Alexander Stephen, les abeilles et les papillons sont les « animaux domestiques » de Muy’ingwa ; « ils savent quand les melons, les courges, les fleurs et tous les végétaux poussent en abondance et ils affluent en grand nombre pour en manger le pollen » (Stephen 1936 : 1252 ; Bradfield 1973 : 221).

Comme l’a fait remarquer Jesse Walter Fewkes dans son article sur les papillons dans les mythes et les rituels hopis, les poteries préhistoriques des Hopis présentent souvent des motifs de papillons, de papillons de nuit et de libellules (Fewkes 1910 : 576). Nous ignorons la signification de ces figures préhistoriques, mais nous savons que le papillon est toujours présent aujourd’hui dans les mythes, les rituels et l’iconographie hopis. Selon l’anthropologue Emory Sekaquaptewa et l’archéologue Dorothy Washburn, il est possible d’établir des liens entre l’imagerie visuelle de l’art rupestre ancien, des murales des kivas et des motifs des poteries, d’une part, et l’imagerie métaphorique des chansons des Katchinas, d’autre part (Sekaquaptewa et Washburn 2004). Dans les chansons hopies, les métaphores sont « utilisées pour informer, conseiller et inspirer le peuple hopi quant à la vie qu’il a choisie » (ibid. : 467). Les deux auteurs proposent une étude exhaustive dans laquelle ils abordent la métaphore du papillon dans une chanson katchina enregistrée par Samuel Barrett en 1911. La chanson se termine avec les paroles suivantes :

Le long des champs ensemencés, les créatures de l’eau danseront et lanceront leurs appels.

Paasanawita paavopkomatu töökiyuuyuwinani.

Le long des champs ensemencés, les jeunes filles papillons multicolores danseront et lanceront leurs appels,

Paasanawita tuvevolmanatu töökiyuuyuwinani,

Du matin au soir.

taawanawita.

Des quatre directions, des nuages blancs et bas se dirigent vers toi.

Naalönaanan ’ivaqö qöyapaw’oomaw umumi, kwaakwaviwmakyango yang yookinayani.

Ils s’accumulent et feront tomber la pluie ici.

Ang taatawyuuyuwimani.

[Tu] les accompagneras en chantant et en dansant.

Ohowa ehelo.

Sekaquaptewa, Hill et Washburn 2015 : 76-77

Les auteurs interprètent la métaphore de la façon suivante :

Dans la deuxième partie de la chanson, les Katchinas laissent clairement entendre que tous les êtres qui dépendent de l’eau pour vivre, qu’on appelle ici « créatures de l’eau » (paavopkomat), lanceront des cris de bonheur en voyant les effets de la pluie sur les champs ensemencés. Ces créatures incluent les papillons (les « jeunes filles papillons »), dont les couleurs variées évoquent la beauté de la vie nouvelle. Avec la métaphore des jeunes filles, les Katchinas associent les activités de pollinisation des papillons aux futures capacités de procréation de celles qui deviendront les mères des nouvelles générations. Finalement, même si les papillons n’émettent pas de cris audibles, les Katchinas utilisent la marge de manoeuvre qu’offre la poésie pour exprimer la joie que suscite l’arrivée de la pluie chez les êtres vivants. Les Katchinas vivent dans le monde parfait et ils encouragent le peuple à s’efforcer de mener une vie parfaite, même si, au quotidien, une telle vie peut seulement être envisagée métaphoriquement.

Sekaquaptewa, Hill et Washburn 2015 : 77

Figure 5

Dessins rupestres (pas à l’échelle) trouvés dans la région de Palavayu par P. McCreery et représentant le joueur de flûte

Dessins rupestres (pas à l’échelle) trouvés dans la région de Palavayu par P. McCreery et représentant le joueur de flûte
Source : McCreery et Malotki 1994 : 157, reproduction autorisée

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Rappelons aussi que, chez les Hopis, la coiffure des jeunes filles prêtes à marier est appelée « volutes de papillon » (poli’ini) ; elle consiste en deux énormes chignons aplatis ornant les côtés de la tête. L’imagerie des papillons joue également un rôle plus concret dans la danse sociale appelée « danse du Papillon » (Polìitikive). Finalement, il existe aussi un Katchina Papillon (Poovolkatsina).

Le clan du Papillon de la Third Mesa appartient à la phratrie du Blaireau-Papillon, dont la déité totémique est Muy’ingwa et dont le principal événement rituel est le Powamuya, une cérémonie printanière de la plus grande importance. Par ailleurs, à cause de la présence du clan du Blaireau au sein de la phratrie, leur domaine couvre aussi les remèdes et les eaux rituelles. Le Powamuya, qui a lieu en février, est une cérémonie cruciale qui vise à invoquer les pouvoirs créateurs du printemps, c’est-à-dire la chaleur, la germination et la croissance, mais aussi à initier les enfants de 8 à 10 ans au culte des Katchinas. Muy’ingwa joue un rôle clé dans ces deux aspects de la cérémonie. C’est aussi le moment où s’opère le transfert de responsabilité pour la saison des Katchinas de la société du Powamuy (Popwamuyt) à la société des Katchinas (Katsinwiwimkyam) [Geertz 2004 : 301 ; Geertz 1987 ; Geertz et Lomatuway’ma 1987 ; Voth 1901 ; Bradfield 1973 : 65-91 ; Titiev 1944 : 114-126].

Il existe trois sociétés de femmes : la société Lakon (Lalkont), la société Maraw (Mamrawt) et la société Owaqöl (O’waqölt). Elles sont chacune responsables de certaines cérémonies ayant lieu pendant la période des récoltes et durant l’hiver. Les cérémonies des récoltes sont organisées en septembre et en octobre. Chaque cérémonie a son propre thème. La signification des noms « Lakon » et « Maraw » n’est pas claire. Selon le dictionnaire hopi publié aux presses de l’Université d’Arizona, le maraw serait une sorte d’insecte, peut-être une libellule. Il pourrait aussi s’agir d’une demoiselle (Whiteley 2008 : 27). L’étymologie du terme Owaqöl n’a pas été établie, mais la société et sa cérémonie présentent un intérêt particulier en raison de leurs liens avec les papillons.

Edward S. Curtis rapporte le mythe d’origine de la cérémonie Owaqöl (Owaqöltikive) de la First ou de la Second Mesa. Deux petites orphelines vivaient dans un village à proximité d’Awat’ovi. Comme personne ne les aimait, elles étaient laissées à elles-mêmes et devaient se débrouiller pour trouver de la nourriture et du combustible. Un jour, alors qu’elles cherchaient du combustible, elles remarquèrent un superbe papillon :

[…] elles virent un magnifique papillon alors que ce n’était pas encore la saison des papillons. Oubliant leur quête de combustible, elles le suivirent tandis qu’il s’éloignait en voletant, se posant ici et là comme pour les attendre. Elles arrivèrent à Samó-Tsomo [samòotsomo, ou « collines des yuccas géants »] […] où le papillon disparut au milieu des yuccas géants. Elles le cherchèrent activement et finirent par découvrir un trou dans le sol d’où jaillit une voix qui les invita à entrer. À l’intérieur, elles furent accueillies gentiment par les gens qui se trouvaient là. Après qu’on leur eut servi à manger, le chef dit : « Nous étions au courant de votre existence. Nous savons que vous n’êtes pas aimées des autres et que vous voudriez pouvoir connaître les mêmes plaisirs qu’eux. » « C’est vrai », dirent les filles. Le chef poursuivit : « Voilà pourquoi le papillon est venu vous chercher. Nous sommes le peuple du Papillon. »

Curtis 1975 [1922] : 179-180

Figure 6

Motif de papillon figurant sur la face supérieure d’un bol de terre cuite trouvé à Sitkyatki

Motif de papillon figurant sur la face supérieure d’un bol de terre cuite trouvé à Sitkyatki
Source : Fewkes 1898 : 769, fig. 271

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Les gens du peuple du Papillon disent ensuite aux fillettes de retourner au village et de demander au Chef Crieur d’annoncer que l’Owaqöltikive aura lieu huit jours plus tard. Ils leur donnent des melons, des pastèques et des baguettes de prières. Les orphelines doivent se montrer très convaincantes pour que les villageois les prennent au sérieux. Lorsqu’elles sortent les melons, les gens croient qu’elles sont des sorcières, mais, heureusement, elles reçoivent le soutien du Chef Crieur et d’un vieil homme du clan du Tabac ainsi que de quelques femmes et filles. Le jour dit, les femmes du peuple du Papillon se présentent à la kiva avec des costumes, des ballots sacrés, des plateaux, des bâtons peints et d’autres objets qui seront utilisés pour dresser l’autel Owaqöl (voir Geertz 1987 : gravure XLIII). À la fin, en partant, elles laissent sur place les objets et les costumes qu’elles ont utilisés pour que les villageois puissent pratiquer de nouveau la cérémonie. Depuis ce jour, la société Owaqöl est connue comme la société des enfants, une société qui a entre autres pour membres des femmes et des fillettes.

Dans une variante du mythe racontée par Qöyawayma et recueillie par Voth à Oraibi, un petit garçon et sa soeur sont laissés seuls au village, qui a été abandonné par ses habitants à cause de la famine (Voth 1905 : 169-172). Pendant qu’ils cherchent de la nourriture, ils sont attirés par un colibri dans un lieu appelé Tuuwanasavi, un terme que l’on peut traduire par « Sable-Centre-Lieu » et qui signifie « centre du monde » (Geertz 1984 : 224). Là, ils sont accueillis par Muy’ingwa lui-même, qui remonte à la surface de la Terre pour ramener la croissance et la fertilité. Les villageois retournent alors au village et reconnaissent le frère et la soeur et leurs descendants comme les chefs du village. La cosmographie hopie s’appuie sur ce mythe et sur d’autres mythes semblables issus de la mythologie solaire et de la mythologie de la fertilité (ibid.).

Les insectes dans la sorcellerie

Powaqa est le terme hopi pour « sorcellerie ». Il fait référence à un homme ou une femme qui vit une vie malfaisante (powaqqatsi). Nous utiliserons ici le terme « sorcier » pour décrire tout homme ou femme qui utilise des moyens occultes pour faire le mal, notamment en jetant des sorts, en envoyant fléaux et sécheresses, en kidnappant ou tuant des bébés et, plus généralement, en contribuant à une vie de confusion, ou koyaanisqatsi, qui veut dire « vie corrompue », par opposition directe à la vie idéale, ou suyanisqatsi, qui signifie « vie harmonieuse » (voir notre analyse dans Geertz 2011). D’après Malotki, le terme powaqa peut se traduire par « personne qui transforme » en bien ou en mal son environnement social et/ou naturel (Malotki 1993 : 151).

Les sorciers tuent leurs proches pour prolonger leur propre vie. La victime idéale du sorcier appartient à sa propre lignée maternelle ou à son propre ménage (Schlegel 1979 : 129). On croit par ailleurs que les sorciers appartiennent à une société secrète qui se livre à des initiations et à d’autres rituels, comme n’importe quelle société secrète. Les Hopis ne cherchent pas à se débarrasser des sorciers, et c’est pourquoi la sorcellerie imprègne leurs relations sociales : elle est considérée comme la cause des maladies, des accidents et des épreuves et inspire une peur persistante. Les Hopis cherchent constamment à éviter les attaques de sorciers et à déterminer qui est un powaqa parmi les gens de leur entourage. Les guérisseurs des deux sexes cherchent aussi à identifier les sorciers et à les empêcher d’accomplir leurs desseins maléfiques.

Les sorciers sont des « Deux-Coeurs », ou lööq unangwa’ytaqa : ils ont un coeur humain et un coeur animal. Ils peuvent ainsi prendre la forme de l’animal dont ils ont le coeur. La principale caractéristique des insectes (et des autres animaux) associés à la sorcellerie est qu’ils sont noirs. Titiev signale que les petites fourmis noires sont les plus redoutables, mais qu’il existe d’autres créatures puissantes comme les coyotes, les hiboux, les corbeaux, les chiens, etc. (Titiev 1942 : 549). Les sorciers peuvent aussi se transformer en grosses mouches brillantes qu’on appelle « mouches squelettes » ; ils peuvent ainsi observer discrètement ce qui se passe autour d’eux (Malotki et Gary 2001 : xix).

Malotki a d’ailleurs recueilli une histoire semi-humoristique au sujet d’un homme qui, sans le savoir, était marié à une sorcière (Malotki et Gary 2001 : 104-114). L’homme remarque que sa femme quitte la maison pendant son sommeil. Un soir, il décide de la suivre en secret jusqu’à la kiva des sorciers et de se placer près de l’ouverture pour observer ce qu’ils font. Lorsque sa femme ne réussit pas à prendre sa forme animale, les sorciers, se doutant de quelque chose, se transforment en mouches et sortent de la kiva pour aller voir si quelqu’un les espionne. L’homme se fait prendre et il est forcé de devenir un Deux-Coeurs. Il doit d’abord tuer l’un de ses proches et lui arracher le coeur. Dans ce cas-ci, l’homme doit tuer sa petite soeur, qu’il aime de tout son coeur. Incapable d’accomplir sa mission, il rapporte le coeur d’une dinde en lieu et place de celui de sa soeur. De retour à la kiva, on lui dit de prendre la forme de son animal : l’homme se métamorphose en dinde. Sa femme est furieuse qu’il ait choisi un animal aussi lent et faible. Après avoir été abandonné sur la corniche d’un canyon, il réussit à vaincre les sorciers avec l’aide de la Vieille Femme-Araignée.

Figure 7

Photo des filles de l’Owaqöl sortant de la kiva pour exécuter la danse publique à Oraibi, à la fin du xixe siècle

Photo des filles de l’Owaqöl sortant de la kiva pour exécuter la danse publique à Oraibi, à la fin du xixe siècle
Source : The Voth Collection, Mennonite Library and Archives, North Newton, Kansas, reproduction autorisée : numéro 732

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Les sorciers utilisent les insectes pour fabriquer des projectiles pathogènes qui se logent dans le corps des gens et les rendent malades. Ces attaques ne sont pas seulement dirigées contre des proches. Le terme est tuukyayni, qui veut dire « introduire un corps étranger ». D’après Titiev, il peut s’agir de « poils de chevreuil raides, de fourmis rouges ou noires, de centipèdes, de morceaux d’os ou de verre et de lambeaux de linceul » (Titiev 1942 : 551 ; Malotki et Gary 2001 : xx-xxi). Ces objets sont aussi appelés powaqat ho’at, ou « flèches de sorcier » (Stephen 1894 : 212 ; Malotki et Gary 2001 : xxi). Ils sont retirés ou aspirés par les guérisseurs et les guérisseuses. Dans un récit recueilli par Curtis, le Chef Guerrier répond à une attaque de sorciers avec un essaim d’abeilles (Curtis 1975 [1922] : 208). Dans une autre histoire enregistrée par Malotki, le héros se défend en ayant recours à une nuée de guêpes (Malotki et Gary 2001 : xxii ; 147-160).

En plus de causer la maladie et le mal, les sorciers cherchent à créer des conditions météorologiques qui ne sont pas favorables à la croissance et à la fertilité. Ils utilisent tout un éventail de moyens pour parvenir à leurs fins : ils soufflent des odeurs repoussantes vers les nuages et envoient des insectes nuisibles ou de la vermine – chenilles, sauterelles, souris, vers gris, etc. – pour détruire les cultures (Titiev 1942 : 551 ; Malotki et Gary 2001 : xxiii).

Les sorciers sont punis pour leurs actes dans l’au-delà : ils doivent marcher à travers le désert en portant leur fardeau et ne peuvent avancer que d’un pas par année. Quand ils arrivent au bout du chemin, ils sont précipités dans un feu d’où ils émergent sous la forme de scarabées (Titiev 1942 : 556). Titiev raconte la fois où Don Talayesva est tombé malade et a cru qu’il allait mourir. Près de l’entrée du monde des morts, des sorciers sont précipités dans le feu. Talayesva décrit la scène :

Puis, le guide de Don dit : « Ces [sorciers] sont morts depuis 200 ans. Chaque année, ils font un pas. Ils sont maintenant rendus ici. Maintenant, mon garçon, regarde [dans la fosse]. » Don vit des murs rougeoyants, mais pas de charbons. Les murs étaient parcourus d’un réseau de fentes larges de deux pouces d’où jaillissaient des flammes. Don vit quatre scarabées noirs. Le guide lui dit : « Ce sont les quatre [sorciers] qui ont été jetés dans la fosse tout à l’heure. C’est la fin : ces scarabées resteront ici jusqu’à ce que leur heure soit venue. Lorsqu’il y a du brouillard, c’est à cause d’eux : ils volent dans le ciel et estompent l’horizon. »

Titiev 1940 : 500

Nous ne décrirons pas plus en détail les fonctions sociales et psychologiques de la sorcellerie et des commérages (voir Geertz 2011 pour davantage de détails), mais nous conclurons en signalant que les insectes jouent un rôle à la fois positif et négatif dans la conception de la sorcellerie des Indiens hopis.

Conclusion

Les araignées et les insectes jouent tout un éventail de rôles dans les mythes et la religion hopis. Ils incarnent des personnages curieux et souvent amusants qui, tout comme les Hopis, tentent de subvenir à leurs besoins et de s’entendre avec leurs voisins. Parfois, leurs personnages anthropomorphisés jouent des rôles grotesques, mais, le plus souvent, ils agissent comme des êtres humains normaux qui se présentent sous une forme particulière. Ils peuvent également assumer des rôles cruciaux dans des situations de vie ou de mort, comme lorsque la Mouche femelle sauve le jeune homme de la mort. Certains Katchinas ou certaines déités importantes – la Vieille Femme-Araignée, par exemple – sont des insectes ou des araignées. Les insectes jouent aussi un rôle central dans les rituels en tant qu’esprits masqués, objets rituels de fertilité, éléments d’offrandes, ainsi que comme animaux domestiques et totems des sociétés secrètes et des clans et figures de l’iconographie rituelle. Finalement, ils sont utilisés comme métaphores dans les chansons des Katchinas.

Démêler les nombreux liens qui existent entre les araignées, les insectes, les mythes, les rituels, les institutions sociales et les valeurs culturelles nous permet d’avoir un aperçu de la logique interne de la pensée hopie. L’humour, le drame, l’émotion, la vie, la mort et la violence s’y entremêlent comme les brins des ficelles de coton des offrandes de prière. La ficelle représente Hopivewa, « la voie hopie », c’est-à-dire la voie que tous les Hopis doivent suivre pour se conformer aux exigences primordiales de leur déité tutélaire Maasaw. Comme Sekaquaptewa et d’autres collègues l’ont judicieusement souligné, les Katchinas et les déités vivent dans le monde parfait et mènent une vie parfaite que les humains s’efforcent d’imiter. La vie des Hopis est une lutte quotidienne, mais le monde qui les entoure contribue à leur montrer la voie, même à travers les drames des humbles bestioles qu’ils côtoient.