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Dans notre environnement économique, les entrepreneurs jouent un rôle majeur. En effet, 99 % des entreprises européennes sont des PME (Commission Européenne, 2013). Face à un monde complexe, incertain et en perpétuel changement, la création et la disparition d’entreprises sont des processus courants et inhérents à la vie économique (Cannon & Edmondson, 2005; Commission Européenne, 2007; Ucbasaran, Shepherd, Lockett et Lyon, 2012). En Europe, la moitié des entreprises ne survit pas aux cinq premières années qui suivent leur création (Commission Européenne, 2007). Bien que les entrepreneurs prenant un nouveau départ réalisent de meilleures performances (Eknamen & Wyer, 2007), peu de clients, de fournisseurs et de créanciers leur accordent une seconde chance (Commission Européenne, 2007). Cette stigmatisation des entrepreneurs ayant connu une première expérience entrepreneuriale infructueuse empêche ces derniers de se relancer (Burchell et Hughes, 2006; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). En Allemagne, par exemple, seuls 3 à 8 % d’entre eux retentent l’aventure entrepreneuriale (Metzger, 2006; Wagner, 2002).

Ces taux élevés d’échec et faibles de recréation posent question. D’ailleurs, la Commission Européenne s’est intéressée à ce faible taux de recréation dans son rapport de 2007 intitulé « Surmonter les stigmates de la faillite d’entreprise – Pour une politique de la deuxième chance ». Elle y souligne que les Etats membres mettent en place des mesures pour stimuler l’esprit d’entreprendre et la création d’activité, mais ne développent pas d’actions pour aider les entrepreneurs ayant connu l’échec à se relancer et à recréer une nouvelle activité. Cette attitude paradoxale témoigne de l’erreur de jugement des citoyens et des gouvernements européens quant à l’échec (Janssen & Jacquemin, 2009). Ils ne le considèrent pas comme un phénomène inhérent à la vie économique d’un pays. Pour ne plus craindre l’échec, la Commission Européenne a proposé un plan d’action pour favoriser une politique de la deuxième chance. Ses recommandations portent notamment sur la valorisation des entrepreneurs de la seconde chance dans les médias, la déstigmatisation de l’échec dans les programmes éducatifs, l’adoption de lois (en matière d’insolvabilité) distinguant les faillites frauduleuses de celles qui ne le sont pas, ainsi que sur la mise en place de soutiens financier, psychologique et technique pour aider les entrepreneurs à se relancer.

Cette volonté de changer les mentalités s’est également manifestée dans le monde académique. Après s’être longtemps concentrés sur le succès entrepreneurial, les chercheurs s’intéressent désormais à l’échec comme une voie de succès futur, tant pour l’entrepreneur lui-même que pour l’économie dans son ensemble (Singh, Corner et Pavlovich, 2007). Nombre d’entre eux le considèrent comme une réelle opportunité d’apprentissage (Cannon & Edmondson, 2005; Cope, 2011; McGrath, 1999; Minniti & Bygrave, 2001; Shepherd, 2003; Singh et al., 2007; Ucbasaran et al., 2012). Cependant, ce dernier est loin d’être évident étant donné que l’échec est souvent vécu comme un évènement émotionnellement traumatique (Cope, 2011; Shepherd, 2003).

Les coûts majeurs auxquels un entrepreneur peut être confronté sont d’ordres financiers, sociaux et psychologiques. Les coûts financiers concernent la perte ou la réduction de revenus. Les coûts sociaux font référence à l’impact de cet échec sur les relations personnelles et professionnelles, telles que le divorce (Cope, 2011) et la perte du réseau social (Harris et Sutton, 1986). La stigmatisation associée à l’échec est la dévaluation sociale de la personne qui ne répond pas ou plus aux normes sociales (Efrat, 2006 dans Ucbasaran et al., 2012) et est discréditée (Sutton et Callahan, 1987). Le plus souvent, les coûts psychologiques associés à l’échec sont émotionnels et motivationnels. Les émotions négatives exprimées par ces entrepreneurs sont, entre autres, la douleur, le remord, la honte, l’humiliation, la colère, la culpabilité, la responsabilité et la peur de l’inconnu (Cope, 2011; Harris & Sutton, 1986; Shepherd, 2003). Au niveau motivationnel, ces entrepreneurs expriment un sentiment d’impuissance qui diminue leurs croyances en leur capacité à mener à bien des tâches dans le futur et génère de la rumination, ce qui les empêche d’être performants (Bandura, 2001; Shepherd, 2003). En outre, l’importance de ces conséquences négatives peut être influencée par l’entrepreneur lui-même dans sa manière d’y réagir, ainsi que par le contexte environnemental dans lequel il s’inscrit (Ucbasaran et al., 2012). Les effets et l’importance de ces coûts combinés peuvent empêcher le bon déroulement du processus d’apprentissage qui découle de l’échec (Ucbasaran et al., 2012).

Face à un échec entrepreneurial, tous les entrepreneurs ne réagissent pas de la même manière. Jusqu’à présent, peu de recherches ont investigué les ressources internes ou externes dont disposent les entrepreneurs pour rebondir suite à cette expérience infructueuse en vue de retenter l’aventure entrepreneuriale. Dès lors, une question nous interpelle et constitue le coeur de cet article conceptuel : quelles sont les ressources internes dont disposent les entrepreneurs pour apprendre à partir de leur échec et mieux rebondir par la suite ?

Depuis quelques années, les chercheurs s’intéressent à une ressource stratégique influençant directement la performance individuelle : le capital psychologique (Ardichvili, 2011 cité dans Newman, Ucbasaran, Zhu, & Hirst, 2014). Provenant du courant du comportement organisationnel positif, ce concept a été développé par Luthans, Youssef et Avolio (2007). Ces auteurs définissent le capital psychologique comme étant un état psychologique positif de développement de l’individu caractérisé par de hauts degrés d’auto-efficacité, d’optimisme, d’espoir et de résilience. De nombreuses études se sont focalisées sur le capital humain, c’est-à-dire ce qu’une personne sait (ses connaissances, ses capacités, ses compétences et son expérience), et le capital social, se référant aux personnes que nous connaissons (nos relations et nos réseaux professionnels) en laissant de côté les ressources internes. Selon Luthans et Avolio (2009), le capital psychologique joue un rôle complémentaire à ces capitaux humain et social, car il a trait à qui nous sommes et à ce que nous devenons (Luthans, Vogelgesang, & Lester, 2006).

Plusieurs recherches ont démontré que le capital psychologique était lié à de meilleures performances, à des attitudes de travail positives (telles que la satisfaction au travail et l’engagement organisationnel) et à une réduction du « turnover » (Peterson, Luthans, Avolio, Walumbwa & Zhang, 2011). De plus, il est également lié négativement à des symptômes de stress perçus parmi un large échantillon d’individus provenant de différentes industries (Avey, Luthans & Jensen, 2009). Le capital psychologique fournit aux individus une robustesse mentale leur permettant de gérer efficacement les demandes liées au travail (Baron, Franklin, & Hmieleski, 2013). Selon Baron et ses collègues (2013), les entrepreneurs ayant un haut degré de capital psychologique ressentent des niveaux de stress moins élevés. Une situation d’échec entrepreneurial peut être considérée comme une période de stress pour l’entrepreneur. Dès lors, nous pensons qu’un individu ayant un haut degré de capital psychologique pourrait mieux rebondir et mieux gérer cette situation en vue de se relancer. Par le biais de ce concept, nous nous focalisons donc sur les ressources internes dont disposent les entrepreneurs pour surmonter une situation d’échec entrepreneurial.

Cet article sera composé de trois parties. Nous présenterons, tout d’abord, notre cadre théorique. A cet effet, nous définirons l’échec entrepreneurial et expliquerons les concepts de capital psychologique et de processus d’apprentissage à partir de l’échec. Ensuite, au travers de notre argumentation théorique, nous illustrerons notre modèle conceptuel. Pour terminer, nous discuterons des implications de ce modèle aux niveaux théorique et pratique.

Cadre théorique

Notre raisonnement se décomposera en cinq sections. Les trois premières sections fourniront les bases et les définitions des concepts centraux de notre modèle théorique : nous définirons d’abord l’échec entrepreneurial, avant d’expliquer les concepts de capital psychologique et d’apprentissage suite à l’échec. Ensuite, nous évoquerons les barrières et les facilitateurs de l’apprentissage. Pour terminer, nous nous interrogerons quant à l’impact de ce dernier et du capital psychologique sur la recréation d’une entreprise en vue de développer les hypothèses sous-jacentes à notre modèle conceptuel.

Définition de l’échec entrepreneurial

Les études sur l’échec entrepreneurial sont assez récentes. A ce jour, aucune définition ne fait l’unanimité. Les auteurs définissent l’échec entrepreneurial selon l’approche théorique qui leur est propre (Smida et Khelil, 2010). La définition la plus répandue consiste à réduire l’échec à la défaillance et/ou à la faillite de l’entreprise (Zacharakis, Meyer et DeCastro, 1999). Cette définition est utile pour opérationnaliser et constituer des échantillons (Singh et al., 2007). Cependant, pour certains auteurs, l’échec entrepreneurial ne peut se résumer à la simple faillite (Cannon et Edmonson, 2005; McGrath, 1999; Singh et al., 2007; Smida et Khelil, 2010; Ucbasaran et al., 2012).

Outre les aspects économiques, les attentes et les buts que l’entrepreneur s’est fixés doivent également être pris en considération (McGrath, 1999; Singh et al., 2007; Smida et Khelil, 2010; Ucbasaran et al., 2012). Nous faisons nôtre le point de vue d’Ucbasaran et al. (2012) qui définissent l’échec entrepreneurial comme l’arrêt des activités d’une entreprise car le seuil minimum de viabilité économique souhaité par l’entrepreneur n’a pas été atteint. Dans un même ordre d’idée, Khelil (2011, p.223 dans Khelil, Smida et Zouaoui, 2012) suggère que l’échec « se manifeste par l’entrée de la nouvelle entreprise dans une spirale de défaillance économique (destructions des ressources) et/ou par l’entrée de l’entrepreneur dans un état psychologique de déception. A défaut d’un soutien financier et/ou moral, cet entrepreneur peut voir son entreprise disparaître ». Cet auteur offre une vision multidimensionnelle de l’échec et introduit la notion de « soutien ». Ce soutien peut être externe à travers la famille, le réseau professionnel ou privé, des institutions, etc. mais également interne, c’est-à-dire les propres ressources de l’individu. Dans cette communication, nous nous intéressons aux ressources de l’entrepreneur en situation d’échec. A cette fin, nous avons choisi d’investiguer un concept développé par Luthans et ses collègues (2007) : le capital psychologique. Ce dernier est basé sur des fondements issus de la psychologie positive et du comportement organisationnel positif. Ce construit capture les capacités psychologiques d’un individu à améliorer sa performance (Luthans & Youssef, 2004). Il nous semble donc intéressant d’investiguer ce concept auprès des entrepreneurs vivant une situation d’échec entrepreneurial.

Le capital psychologique

Face à un monde où règnent l’incertitude économique, une compétition constante et de perpétuelles avancées technologiques, les entreprises peuvent obtenir un avantage compétitif durable en développant le capital psychologique de leurs ressources humaines (Luthans, Youssef & Avolio, 2007). Dans le cas des PME, un important capital psychologique constitue un atout pour l’entrepreneur-dirigeant, tant dans le cadre du développement de son entreprise que dans celui d’une situation d’échec. C’est pourquoi nous avons décidé de l’étudier dans le contexte de l’échec entrepreneurial. Selon nous, il peut aider l’entrepreneur à se relever plus facilement de la perte de son entreprise. Ce capital psychologique est défini par Luthans et al. (2007, p.3) comme :

Un état psychologique positif, où l’individu :

(1) a confiance en ses capacités de réussite et de mise en oeuvre de l’effort nécessaire pour réussir des tâches difficiles (sentiment d’auto-efficacité);

(2) s’attribue sa réussite présente et future (optimisme);

(3) persévère au travers de buts/objectifs et quand c’est nécessaire, redirige le chemin vers ces buts/objectifs afin de les réussir (espoir);

(4) quand il est en proie à des problèmes et à l’adversité, maintient, surmonte et parfois même va au-delà pour atteindre le succès (résilience).

Ces quatre ressources psychologiques identifiées par ces auteurs proviennent de la littérature en psychologie positive. Ils ont été choisis sur base de quatre critères. Tout d’abord, ces concepts sont basés sur des fondements théoriques et empiriques. De plus, ils doivent être mesurés de manière valide, ainsi qu’être considéré comme des états et non des traits de personnalité. Finalement, ils doivent avoir un potentiel de développement au travers d’une formation ou d’une pratique intentionnelle (Luthans, 2012). En considérant le capital psychologique comme un état, cela signifie que les individus peuvent développer ces quatre composantes pour surmonter des épreuves (Chen et Lim, 2012; Luthans, 2002a; Luthans et Avolio, 2009; Luthans et al., 2006b; Luthans et al., 2007). L’idée que ces composantes puissent être développées est assez récente. Historiquement, rappelons que ces quatre concepts ont longtemps été étudiés comme des traits de personnalité. En guise d’exemple, les premières théories sur la résilience considéraient celle-ci comme héréditaire (Coutu, 2002). Suite à l’apparition de contre-exemples, tels que la résilience développée par un individu suite à la perte d’un être aimé ou à une expérience traumatisante, les chercheurs l’ont envisagée comme un état (Bonanno, 2004).

Précisons également que le sentiment d’auto-efficacité, l’optimisme, l’espoir et la résilience s’entremêlent et interagissent. Du fait de leurs influences mutuelles, une certaine synergie existe entre eux, où le tout est plus important que la somme des parties (Luthans et al., 2006a; Luthans, et al., 2007). Cela signifie, par exemple, qu’une personne qui a la volonté et une idée précise du chemin qu’elle doit suivre pour atteindre ses objectifs sera plus motivée et capable de surmonter des épreuves (Luthans, et al., 2007). Une personne qui a confiance en elle sera capable d’utiliser l’espoir, l’optimisme et la résilience pour des tâches spécifiques dans différents domaines de sa vie. Une personne résiliente sera capable d’utiliser ses mécanismes d’adaptation pour développer un optimisme réaliste et flexible. Les sentiments d’auto-efficacité, d’espoir et de résilience peuvent également à leur tour contribuer à développer un style d’attribution positif à des actions jugées sous son contrôle.

Selon le deuxième critère d’inclusion pour former le capital psychologique, chacune des quatre composantes doit être mesurable. Luthans et ses collègues (2007) ont développé et validé empiriquement une échelle de mesure individuelle auto-rapportée. La version la plus largement utilisée est celle testant les quatre composantes en 24 questions. Cette échelle de mesure a une bonne validité convergente et discriminante lorsqu’elle est associée à d’autres variables exprimant des différences individuelles ou des construits positifs tels que l’auto-évaluation ou les caractéristiques de personnalité provenant du Big-5 (Avey, Luthans, & Jensen, 2009; Luthans, Avolio, Avey, & Norman, 2007).

A présent, nous allons définir les quatre composantes du capital psychologique et lier celles-ci à l’entrepreneur en situation d’échec.

Le sentiment d’auto-efficacité prend son origine dans la théorie sociocognitive de Bandura (1986). Il se réfère à la conviction ou la confiance qu’un individu a en ses capacités à mobiliser la motivation, les ressources cognitives et les plans d’action nécessaires pour exécuter avec succès une tâche spécifique dans un contexte donné (Stajkovic et Luthans, 1998b dans Luthans et al., 2007). Ce sentiment d’efficacité se construit grâce à cinq processus cognitifs indispensables : la représentation, la préméditation, l’observation, l’autorégulation et l’autoréflexion (Luthans et al., 2007). Ces processus cognitifs permettent à un individu de prendre le temps de réfléchir à la fois sur ses succès et ses échecs passés, d’apprendre de ceux-ci et d’utiliser cette connaissance de soi pour s’améliorer.

Le sentiment d’auto-efficacité a été largement investigué dans le champ de l’entrepreneuriat où des études ont démontré que les entrepreneurs ont un degré élevé d’auto-efficacité (Hayek, 2012). En étant confiant dans ses capacités à réussir une tâche, l’entrepreneur est motivé à déployer les efforts nécessaires au bon déroulement de son activité (Trevelyan, 2011). Cependant, un échec peut ébranler cette confiance (Boss & Sims Jr., 2008). Dans une telle situation, ce n’est pas la confiance en soi générale qui diminuera, mais plutôt celle liée à une tâche spécifique (Smith, Kass, Rotunda & Schneider, 2006). Dès lors, pour aider un individu à rebondir d’un échec, il faut avant tout l’aider à rétablir sa confiance en ses capacités à réussir la tâche qui a fait défaut. Vu sous cet angle, le sentiment d’auto-efficacité aiderait un entrepreneur à se relever suite à un échec (Boss & Sims Jr., 2008). En effet, l’individu le construit en réfléchissant à ses succès et échecs passés, ce qui peut contribuer à son apprentissage.

Inspiré des travaux de Snyder, l’espoir se définit par un état motivationnel positif basé sur un sens de la réussite provenant de l’interaction entre la volonté (c’est-à-dire l’énergie dirigée sur un but) et la voie/le chemin pour y parvenir (à savoir la planification pour atteindre les objectifs) (Snyder, Irving et Anderson, 1991). Autrement dit, l’espoir est d’une part un état cognitif ou de pensée par lequel un individu est capable de fixer des objectifs et des attentes réalistes mais ambitieuses et d’y tendre grâce à son auto-détermination, son énergie, et sa perception de contrôle interne (Luthans, et al., 2007). D’autre part, l’espoir permet à une personne de générer des chemins alternatifs pour atteindre ses buts souhaités lorsque le chemin initial n’est plus envisageable.

La perception du contrôle interne, l’un des mécanismes créant l’espoir, a été investigué dans le domaine de l’entrepreneuriat. Des recherches ont montré une relation positive entre l’espoir et la satisfaction des entrepreneurs à être propriétaire d’une entreprise (Hayek, 2012; Jensen et Luthans, 2002). Dans le cadre d’un échec, cultiver l’espoir permettrait à l’entrepreneur d’envisager des chemins alternatifs pour continuer, s’il le souhaite, une carrière entrepreneuriale et il déploierait dès lors l’énergie nécessaire pour y parvenir.

Conceptualisé par Seligman (1998), l’optimisme renvoie à l’attribution d’évènements positifs à des causes internes, permanentes et généralisées, et celle d’évènements négatifs, à des causes externes, temporaires et liées à une situation spécifique. Un style d’attribution pessimiste, quant à lui, interpréterait les évènements positifs comme relevant de facteurs externes, temporaires et liés à une situation particulière et expliquerait les évènements négatifs en termes de facteurs internes, permanents et généralisés. De ce point de vue, les personnes optimistes ont tendance à considérer que les causes des évènements désirés sont sous leur contrôle (Luthans et al., 2007). De plus, ils s’attendent à ce que les causes de ces évènements perdurent dans le temps et seront utiles pour gérer d’autres situations dans d’autres domaines de leur vie. De la sorte, ils voient les choses positivement et internalisent les aspects positifs de leur vie non seulement dans le passé et le présent mais également dans le futur. Luthans et al. (2007) suggèrent que cet optimisme doit être réaliste et flexible. Il ne doit pas être poussé à l’extrême, auquel cas un individu attribuerait le succès qu’à lui-même, essayerait de contrôler tous les aspects de sa vie, attribuerait ses échecs à des causes externes et fuirait ses responsabilités. Les personnes ayant un haut degré d’optimisme réaliste sont capables de gratitude et d’apprécier les facteurs qui ont contribué à leur succès. De même, en situation d’échec, ils sont capables de trier l’information, constater des faits, d’apprendre de leurs erreurs, d’accepter ce qu’ils ne peuvent changer et d’avancer.

Dans la littérature organisationnelle, certains chercheurs ont montré que l’optimisme du capital psychologique peut mener à une prophétie auto-réalisatrice (Peterson et Chang, 2002). De plus, une personne ayant un optimisme réaliste élevé est à la fois plus motivée à et motivante pour atteindre le succès à long-terme (Peterson, 2000). En outre, les optimistes sont plus susceptibles d’adhérer au changement, de voir des opportunités dans le futur et de se centrer sur ces opportunités, même dans des situations négatives (Luthans et al., 2007). Dès lors, en situation d’échec, un entrepreneur optimiste pourrait considérer cette situation négative comme une étape qui lui permettra d’arriver à un succès futur et une occasion de détecter de nouvelles opportunités entrepreneuriales.

La résilience, quant à elle, est définie par Luthans (2002a) comme la capacité à rebondir ou à se remettre rapidement d’une épreuve, d’un conflit, d’un échec ou même d’évènements positifs tels qu’un progrès et une augmentation de responsabilités. Cette résilience implique des compétences de tous les jours, des forces psychologiques qui peuvent être identifiées, mesurées, entretenues et nourries chez les personnes de tous âges et de toutes conditions psychologiques (Masten, 2001; Masten et Reed, 2002). Dès lors, les personnes résilientes ne sont pas des personnes exceptionnelles et rares et la résilience peut être développée par tout un chacun (Coutu, 2002).

Selon Hayek (2012), la résilience est une caractéristique importante des entrepreneurs car ils sont connus pour leur détermination quand ils sont confrontés à une épreuve. Dans une situation d’échec, cette résilience peut être mise à mal. Dès lors, nous suggérons qu’en nourrissant ou développant leur résilience, ces entrepreneurs pourront rapidement se remettre de leur expérience infructueuse et se relanceront s’ils le souhaitent.

Afin de mieux lier les éléments du capital psychologique au processus d’apprentissage suite à l’échec et avant de présenter notre modèle conceptuel et ses propositions, il est intéressant à ce stade d’expliquer ce que nous entendons par l’apprentissage à partir de l’échec entrepreneurial.

L’apprentissage à partir de l’échec

Etant donné que l’échec est inhérent à la vie économique, plusieurs chercheurs en gestion et en entrepreneuriat estiment qu’une situation d’échec est une bonne opportunité pour apprendre et ne pas répéter les mêmes erreurs (Cannon & Edmondson, 2005; Cope, 2011; McGrath, 1999; Minniti & Bygrave, 2001; Shepherd, 2003; Ucbasaran et al., 2012). L’échec contribuerait donc à l’apprentissage entrepreneurial.

L’apprentissage entrepreneurial d’ailleurs est perçu comme un concept dynamique, discontinu et variable plutôt qu’un concept stable, cohérent et prédictible (Cope, 2005). En effet, le processus entrepreneurial est caractérisé par des évènements d’apprentissage critiques et significatifs par lesquels un entrepreneur améliore ses connaissances personnelles et entrepreneuriales, ce qui déterminera éventuellement le succès de son entreprise (Deakins & Freel, 1998). Minniti et Bygrave (2001) précisent même que c’est grâce à l’apprentissage d’évènements ponctuels, en marge de leur quotidien, que les entrepreneurs augmentent leurs connaissances subjectives.

Dans le contexte de la théorie de l’apprentissage entrepreneurial, l’échec d’une entreprise peut être considéré comme un évènement inhabituel par lequel un entrepreneur peut apprendre à améliorer ses connaissances entrepreneuriales et poursuivre une carrière entrepreneuriale (Shepherd, 2003; Ucbasaran, Westhead, Wright, & Flores, 2010). Selon Minniti et Bygrave (2001), tant les expériences positives que négatives participent à l’amélioration de la connaissance de l’entrepreneur et influencent ses choix futurs. Dans la lignée de ces auteurs, Shepherd (2003) définit l’apprentissage de l’échec d’une entreprise comme étant la capacité d’un entrepreneur à réévaluer ses précédentes connaissances en intégrant l’information sur les raisons de son échec, en vue de gérer plus efficacement sa prochaine entreprise. De ce point de vue, les échecs peuvent être considérés comme les bases du succès d’un projet futur (Shepherd, Covin, & Kuratko, 2009a).

Selon Cardon et MacGrath (1999), il est important de considérer l’échec comme le « voyage d’un apprentissage » signifiant ainsi que le processus de construction de sens derrière cet apprentissage de l’échec est progressif et dynamique (Cope, 2011). Cette construction de sens se réalise au travers de trois mécanismes interconnectés tels que le balayage de l’information, l’interprétation de l’information et l’apprentissage (Gioia & Chittipeddi, 1991; Thomas, Clark, & Gioia, 1993), ce dernier agissant comme une boucle de rétroaction sur le balayage et l’interprétation de l’information (Shepherd et al., 2009a). Plus précisément, le balayage de l’information consiste en une attention sélective aux informations pertinentes et en une collecte de celles-ci afin de favoriser cette construction de sens. Quand les informations sont collectées, l’individu les catégorise dans des structures appropriées pour pouvoir mieux en comprendre leurs sens (Gioia, 1986; Taylor & Crocker, 1981). Ce processus renvoie à l’interprétation de l’information. L’apprentissage, quant à lui, est lié à la collecte et l’interprétation de ces informations puisque grâce à celles-ci l’individu agira (Daft & Weick, 1984) en fonction des modifications significatives qu’il aura apportées au niveau de ses pratiques actuelles (Ginsberg, 1988; Thomas et al., 1993). Comme nous l’avions stipulé précédemment, ces trois mécanismes fonctionnent ensemble puisque l’information collectée est essentielle pour l’interprétation (Daft & Weick, 1984). A son tour, l’interprétation structure ces informations afin d’agir d’une certaine manière (Gioia & Chittipeddi, 1991), et les actions découlant de cet apprentissage vont, à leur tour, influencer la collecte et l’interprétation de nouvelles informations (Daft & Weick, 1984).

Barrières et facilitateurs de l’apprentissage

L’apprentissage lié à l’échec entrepreneurial n’est pas évident. En effet, des émotions négatives peuvent nuire au bon fonctionnement de ce processus en diminuant l’attention de l’individu lorsqu’il procède à la collecte d’informations (Mogg, Mathews, Bird, & MacGregor-Morris, 1990), affectant, de cette manière, son apprentissage (Bower, 1992). En se centrant de prime abord sur les émotions liées à l’échec, l’individu peut interrompre prématurément le processus d’information qui en découle (Bower, 1992). Comme nous l’avons mentionné précédemment, le cumul et l’intensité des coûts financiers, sociaux et psychologiques peuvent obstruer le processus d’apprentissage de l’échec (Ucbasaran et al., 2012). Ce dernier est d’ailleurs perçu comme intimidant (Rogoff, Lee, & Suh, 2004) puisque l’entrepreneur peut ressentir une perte d’estime de soi (Jenkins, Wiklund & Brundin, 2014), de la culpabilité, des sentiments de honte et de remords difficilement gérables (Ucbasaran et al., 2012). De plus, il n’est pas habitué à y faire face car, socialement, il a appris à se distancer de ce genre de situations négatives (Cannon & Edmondson, 2005). Dans ce contexte, apprendre d’un échec n’est pas un acte naturel, automatique, ou instantané (Wilkinson & Mellahi, 2005). Cela nous mène à la proposition suivante :

Proposition 1 : Les conséquences financières, psychologiques et sociales influencent négativement le processus d’apprentissage de l’échec.

Pour surmonter ces émotions négatives, un entrepreneur ayant échoué peut recourir au « processus de guérison de la douleur » lui permettant de gérer la perte de son entreprise (Shepherd, 2003; Shepherd et al., 2009a). Shepherd (2003) estime que les émotions négatives peuvent contribuer d’une certaine manière au processus d’apprentissage. Le rôle bénéfique de ces émotions négatives dépend à la fois de l’intensité du chagrin occasionné (dont les symptômes sont la colère, la culpabilité, l’anxiété, le désespoir, le repli sur soi et la dépression) et de l’endroit où se situe l’entrepreneur dans son processus de guérison. Ce processus de guérison consiste en deux stratégies distinctes et complémentaires : l’orientation centrée sur la perte et l’orientation centrée sur la restauration.

La stratégie d’orientation centrée sur la perte est composée de trois phases : la confrontation à la perte, la réévaluation des évènements avant et au moment de l’échec et la prise de conscience des différentes causes de l’échec (Shepherd, 2003, 2009; Stroebe & Schut, 1999). La phase de rétablissement, quant à elle, consiste à distraire et éviter toute pensée liée à la perte de l’entreprise ainsi qu’à éliminer les sources secondaires de stress générées par l’échec entrepreneurial (Shepherd, 2003, 2009; Stroebe & Schut, 1999). En jonglant entre ces deux processus, un entrepreneur peut gérer la perte de son entreprise (Cope, 2011; Shepherd, 2003) grâce à la régulation de ses émotions. De cette manière, les interférences émotionnelles sont réduites et la capacité à apprendre de son échec est augmentée.

Dans leur étude, Byrne et Shepherd (2015) constatent qu’une stratégie centrée sur les émotions aide les entrepreneurs à gérer leurs émotions négatives. En effet, des émotions négatives élevées motivent l’entrepreneur à donner un sens à la perte de son entreprise tandis que des émotions positives élevées lui fournissent des ressources cognitives qui vont faciliter et motiver la prise de sens de l’échec. Les stratégies cognitives centrant l’attention sur l’échec et encourageant l’autoréflexion permettent également de mieux comprendre l’échec.

Comme nous l’avons vu précédemment, les quatre facteurs du capital psychologique peuvent également aider un entrepreneur à réfléchir quant à son échec. Nous pensons tout d’abord aux cinq processus cognitifs permettant à un individu de construire son sentiment d’auto-efficacité, c’est-à-dire la représentation, la préméditation, l’observation, l’autorégulation et l’autoréflexion (Luthans et al., 2007). L’espoir, l’optimisme et la résilience seraient également des ressources permettant de gérer l’échec et ses conséquences négatives pour favoriser l’apprentissage. Autrement dit, le capital psychologique agirait comme un tampon entre les conséquences négatives de l’échec et l’apprentissage. Dans cette optique, nous suggérons les propositions suivantes :

Proposition 2 : Le capital psychologique modère la relation négative entre les conséquences psychologiques, sociales et financières d’une situation d’échec entrepreneurial et les apprentissages qui en découlent.

Proposition 3 : Le capital psychologique a un effet positif direct sur l’apprentissage de l’échec entrepreneurial.

A notre connaissance, aucune recherche ne s’est encore intéressée à l’effet modérateur du capital psychologique sur cette relation, ni à son effet direct sur l’apprentissage de l’échec entrepreneurial.

Impact de l’apprentissage et du capital psychologique sur la recréation

En apprenant de son échec entrepreneurial, un entrepreneur augmente ses connaissances à différents points de vue : à propos de lui-même (ses forces et faiblesses, ses compétences, ses capacités et son approche entrepreneuriale de l’efficacité), de la disparition de son entreprise (les forces et faiblesses de celle-ci, les raisons de son échec), de la nature de ses réseaux et relations professionnels (la gestion d’une équipe, la collaboration avec un partenaire), de la gestion d’une entreprise (le développement de nouveaux modèles sur la manière de gérer et d’accroître son entreprise) et de la manière de convaincre des investisseurs et d’établir des collaborations précieuses (Cope, 2011). Ces divers apprentissages offrent à un entrepreneur une vision orientée vers le futur et augmentent son niveau de préparation à poursuivre des activités entrepreneuriales. En outre, ses nouvelles connaissances lui seront d’autant plus bénéfiques s’il les applique à une autre entreprise (Shepherd, 2003; Shepherd, Wiklund, & Haynie, 2009b), que ce soit dans une nouvelle entreprise qu’il crée ou une entreprise qu’il n’a pas créée mais qui lui permet de poursuivre une carrière dans le monde entrepreneurial (Cope, 2011). Dans cette optique, nous suggérons la proposition suivante :

Proposition 4 : Les apprentissages suite à un échec entrepreneurial ont une relation positive avec l’intention de recréer une nouvelle entreprise.

D’autres recherches empiriques démontrent également que les personnes ayant créé une entreprise sont plus susceptibles de se relancer comparativement à celles qui n’ont jamais tenté l’aventure entrepreneuriale (Caroll et Mosakowski, 1987; Hyytinen et Ilmakunnas, 2006 dans Schultjens et Stam, 2006). Selon Krueger (2003), l’intention entrepreneuriale est une condition sine qua non pour conditionner le comportement entrepreneurial. Dans leur étude, Schultjens et Stam (2006) ont constaté que la plupart des entrepreneurs qui ont cessé leur activité conservent encore leurs intentions entrepreneuriales au moment de la fermeture de leur première entreprise. Selon ces auteurs, il semblerait que le nombre d’heures investies dans la première entreprise et l’expérience de gestion d’une entreprise contribuent à l’intention de démarrer une nouvelle entreprise.

A notre connaissance, peu d’études ont été réalisées sur l’impact de l’apprentissage à partir de l’échec sur l’intention de recréer et la recréation d’une nouvelle entreprise. Des auteurs tels que Schutjens et Stam (2006) ont démontré empiriquement que certains entrepreneurs (20 % de leur échantillon) ayant fermé leur entreprise (c’est-à-dire qu’ils ont pris cette décision par choix personnel et volontaire, et pas nécessairement dû à un manque de viabilité économique de l’entreprise ou par nécessité) ne veulent plus retenter l’aventure tandis qu’une majorité d’entre eux (69 %) restent attirés par l’indépendance qu’offre ce choix de carrière et développent de fortes intentions de créer à nouveau une entreprise. Les 20 % restant ne savent pas encore s’ils retenteront l’expérience entrepreneuriale ou non.

En outre, les entrepreneurs ayant fermé, cessé ou quitté leur entreprise ont davantage de connaissances entrepreneuriales pertinentes et identifient plus souvent de bonnes opportunités que ceux qui n’ont pas choisi une « sortie entrepreneuriale » (Hessels, Grilo, Thurik & Zwan, 2011). Dans cette optique, selon Ucbasaran et al. (2012), une nouvelle entreprise créée par un « entrepreneur renaissant », c’est-à-dire un entrepreneur ayant fermé, cessé ou quitté une entreprise et qui décide d’en recréer une nouvelle (Stam et al., 2008), présentera de meilleures performances. Ils soulignent également un déficit de recherche, prouvant ce lien. Une étude récente de Yamakawa, Peng et Deeds (2015) a investigué ce lien. Ces chercheurs ont interrogé des entrepreneurs japonais qui se relançaient après une ou plusieurs expériences infructueuses sur l’influence des déterminants cognitifs (c’est-à-dire l’attribution interne de la cause de l’échec et la motivation intrinsèque d’en relancer une nouvelle) et de l’expérience de l’échec sur la croissance de leur nouvelle entreprise. Les entrepreneurs s’attribuant l’échec réalisaient de meilleures performances lorsqu’ils avaient connu un petit nombre d’échecs. Par contre, la performance diminuait pour ceux qui avaient connu plus d’échecs. Pour ces chercheurs, l’échec entrepreneurial n’est donc pas toujours bénéfique. De plus, la relation entre un échec précédent et la poursuite d’une carrière entrepreneuriale est influencée par les cognitions de l’entrepreneur.

Etant donné que la poursuite d’une carrière entrepreneuriale est influencée par les cognitions de l’entrepreneur (Yamakawa et al., 2015), le développement du capital psychologique chez les entrepreneurs ayant connu l’échec devrait faciliter l’apprentissage et favoriser la recréation. Le capital psychologique est un mécanisme par lequel des expériences antérieures d’échec peuvent façonner les entrepreneurs à poursuivre leur parcours entrepreneurial (Jenkins, Wiklund et Brundin, 2014). En expliquant les évènements négatifs par des causes externes, incontrôlables et variées, un individu développe sa résilience et maintient son optimisme (Luthans et Youssef, 2004), ceux-ci pouvant aider un entrepreneur à maintenir sa motivation entrepreneuriale après une expérience d’échec (Jenkins, et al., 2014). Pour Jenkins et al. (2014), la poursuite d’une carrière entrepreneuriale est liée à un éventuel potentiel élevé de résilience de l’entrepreneur. Nous formulons donc la proposition suivante :

Proposition 5 : Le capital psychologique a une influence positive sur l’intention de recréer une entreprise.

Dans une situation d’échec entrepreneurial, le développement ou la consolidation du capital psychologique de l’entrepreneur peuvent atténuer l’impact négatif des conséquences de l’échec sur l’apprentissage. Il/elle apprend de ses erreurs et serait dès lors motivé à entreprendre à nouveau. Nous suggérons la proposition suivante :

Proposition 6 : Si les entrepreneurs ayant connu un échec ont un capital psychologique élevé, ils apprendront plus facilement de leur expérience infructueuse, auront une intention de recréer une entreprise plus importante, et recréeront réellement une nouvelle entreprise.

Toutefois, même si un entrepreneur ayant un haut degré de capital psychologique arrive à apprendre de son échec et manifeste l’envie d’entreprendre à nouveau, cette volonté peut être réduite par un endettement trop important suite à l’échec et/ou par la stigmatisation subie par l’entrepreneur dans son environnement (Commission Européenne, 2007). Dès lors, les pertes financières et la stigmatisation de l’entrepreneur auraient tous deux un effet modérateur dans la relation entre l’intention de recréer et la recréation effective d’une nouvelle entreprise suite à un échec (Burchell et Hughes, 2006; Cope, 2011; Simmons, Wiklund et Levie, 2014; Stam, Audretsch et Meijaard, 2008). Ceci nous mène à la proposition suivante :

Proposition 7 : L’endettement et/ou la stigmatisation modèrent la relation entre l’intention de recréer et la recréation effective. Plus spécifiquement, plus un entrepreneur a des dettes et/ou plus il est stigmatisé suite à un échec, moins la relation entre l’intention de recréer et la réelle recréation sera positive.

Modèle conceptuel

La figure 1 présente notre modèle conceptuel. Il est basé sur le fait que le capital psychologique contribuerait à favoriser, d’une part, l’apprentissage dans un contexte d’échec entrepreneurial et, d’autre part, l’intention de l’entrepreneur ayant échoué à poursuivre sa carrière entrepreneuriale. Les conséquences liées à un échec empêcheraient le bon déroulement du processus d’apprentissage (Ucbasaran et al., 2012) (P1). Nous supposons que cette relation négative peut être modérée par le capital psychologique, ce dernier permettant à l’entrepreneur de se trouver dans un état positif favorisant l’apprentissage (P2). Si cet état positif permet à l’entrepreneur d’apprendre de ses erreurs, il/elle manifestera l’envie de continuer sa carrière entrepreneuriale en ne répétant plus les mêmes erreurs (P3,P4 et P5). Etant donné que l’intention de créer est une condition sine qua non (Krueger, 2003) de la création effective, nous supposons que l’intention de recréer conduira à la création effective d’une nouvelle entreprise (P6). Cependant, cette recréation effective peut être réduite si l’entrepreneur a un endettement trop important et/ou se sent fortement stigmatisé dans son environnement, même s’il possède un capital psychologique élevé et a le sentiment d’avoir appris de son échec (P7).

FIGURE 1

Modèle conceptuel de l’effet du capital psychologique sur l'apprentissage à partir de l'échec et de l’intention de recréer

Modèle conceptuel de l’effet du capital psychologique sur l'apprentissage à partir de l'échec et de l’intention de recréer

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Implications théoriques et pratiques

D’un point de vue théorique, la compréhension des barrières et des facilitateurs du processus d’apprentissage de l’échec et de leurs implications sur la poursuite d’une carrière entrepreneuriale constitue une piste intéressante pour des recherches futures. Quelques auteurs ont commencé à investiguer les processus cognitifs et émotionnels influençant les performances d’une nouvelle entreprise suite à une expérience précédente d’échec (Yamakawa et al., 2015) ou permettant de donner un sens à cet échec (Byrne et Shepherd, 2015). Dans cet article, nous nous sommes davantage centrés sur les ressources internes dont disposent les entrepreneurs pour apprendre de ce dernier et le surmonter.

En effet, peu d’études se sont concentrées sur les mécanismes facilitant l’apprentissage à partir de l’échec entrepreneurial. En nous basant sur un concept issu du champ du comportement organisationnel positif, le capital psychologique, nous nous focalisons sur les ressources internes pouvant faciliter l’apprentissage d’une telle expérience. Selon nous, un capital psychologique positif permettrait à un entrepreneur de tirer plus facilement des enseignements de son échec et de les utiliser pour poursuivre sa carrière entrepreneuriale.

Le concept de capital psychologique se développe de plus en plus dans le champ du comportement organisationnel, notamment pour prédire certains comportements. Par exemple, Luthans, Avolio, Avey et Norman (2007b) ont démontré qu’un employé ayant un capital psychologique élevé est plus performant et exprime une plus grande satisfaction au travail. En outre, il semble que le capital psychologique soit un meilleur prédicteur de la performance et de la satisfaction au travail que les sentiments d’auto-efficacité, d’espoir, d’optimisme et de résilience pris isolément. En entrepreneuriat, ces quatre notions, et, plus particulièrement, le sentiment d’auto-efficacité et l’optimisme ont souvent été étudiées séparément dans le processus entrepreneurial. Au vu des résultats de Luthans et al. (2007b), il serait plus judicieux de considérer l’effet simultané des quatre composantes du capital psychologique sur le processus entrepreneurial. En outre, certains auteurs l’ont récemment utilisé dans le domaine de l’entrepreneuriat. Par exemple, Baron, Franklin et Hmieleski (2013) ont souligné que les entrepreneurs ayant un capital psychologique élevé étaient moins stressés.

Selon Luthans et al. (2007a), le capital psychologique peut englober d’autres construits à partir du moment où ceux-ci peuvent être développés par l’individu. Un concept qui pourrait y être intégré est celui de robustesse développé par Maddi (2013). La robustesse se définit comme un ensemble d’attitudes et de stratégies qui, ensemble, facilitent la transformation de situations stressantes provenant de catastrophes en opportunités de développement. Un individu robuste se caractérise par une attitude positive face au défi, est engagé et possède un fort sentiment de contrôle. De cette façon, une personne accepte que la vie soit par nature stressante et voit ces changements stressants comme une opportunité de grandir et d’apprendre aussi bien de ses échecs que de ses succès. Dans le cadre d’un échec entrepreneurial, un entrepreneur ayant cette robustesse pourrait gérer plus facilement une telle situation. Nous pensons donc que ce concept pourrait également être exploré dans ce contexte.

En termes d’implications pratiques, le capital psychologique est un outil à exploiter pour le développement de l’entrepreneur en général et, plus spécifiquement, celui de l’entrepreneur ayant connu l’échec. Ce concept a deux intérêts majeurs : il peut être développé et est à la portée de tous (Chen et Lim, 2012; Fleig-Palmer, Luthans et Mandernach, 2009; Luthans, 2002a). Par exemple, une étude portant sur la recherche d’emploi a démontré que grâce à des interventions et des formations aidant les demandeurs d’emploi à développer leur capital psychologique, ceux-ci augmentaient leur employabilité perçue dans leur recherche d’emploi (Chen & Lim, 2012). En développant un haut degré de capital psychologique, les personnes sans emploi sont plus confiantes quant à leur capacités et compétences, sont plus optimistes au sujet du futur, n’abandonnent pas leur recherche d’emploi et imaginent des solutions pour surmonter les obstacles rencontrés lors de celle-ci. Cette attitude positive les encourage à rechercher des opportunités plutôt qu’à attribuer leurs difficultés à des causes externes et à se blâmer (Chen et Lim, 2012). Bien qu’une situation de recherche d’emploi ne s’apparente pas à un échec entrepreneurial, nous pensons que le développement du capital psychologique pourrait avoir des effets similaires sur la capacité des entrepreneurs à apprendre de leur échec et à poursuivre leur carrière entrepreneuriale. En outre, proposer des formations aux entrepreneurs pour qu’ils puissent développer leur capital psychologique serait une initiative appréciée par la Commission Européenne. En effet, dans son rapport de 2007, elle préconisait le développement d’un dispositif de soutien psychologique et technique aux entrepreneurs qui ont échoué par le biais de formations et d’encadrements spécifiques.

Conclusion

Sachant que la moitié des entreprises nouvellement créées ne passent pas le cap des cinq ans (Commission Européenne, 2007) et que très peu de ces entrepreneurs qui ont connu une expérience infructueuse ne relancent une nouvelle entreprise par la suite, il nous semblait pertinent de nous intéresser à ces entrepreneurs.

De nombreux chercheurs s’accordent à dire que ces derniers apprennent de leur échec entrepreneurial (Cannon & Edmondson, 2005; Cope, 2011; McGrath, 1999; Minniti & Bygrave, 2001; Shepherd, 2003; Ucbasaran et al., 2012). Toutefois, étant données les conséquences financières, psychologiques et sociales de l’échec d’une entreprise et la stigmatisation sociale de ces entrepreneurs, cet apprentissage n’est pas aisé (Ucbasaran et al., 2012). Malgré ces barrières, 3 à 8 % de ceux-ci relancent une nouvelle activité. Comment l’expliquer ? Nous sommes partis de cette question pour développer notre modèle conceptuel. L’originalité de ce dernier repose sur l’utilisation d’une approche positive pour favoriser l’apprentissage de l’échec et la recréation suite à celui-ci. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur le concept de capital psychologique développé par Luthans et al. (2007). Nous suggérons que ce capital psychologique peut diminuer les effets négatifs des conséquences d’un échec entrepreneurial sur le processus d’apprentissage qui en découle. De plus, nous supposons que le capital psychologique a également un effet positif sur l’intention de recréer une entreprise, cette intention pouvant se concrétiser par la recréation effective d’une nouvelle activité entrepreneuriale. De même, l’accumulation de connaissances de l’entrepreneur sur lui-même, sur la disparition de son entreprise, sur la gestion d’une entreprise et sur ses relations professionnelles peut influencer positivement son intention de créer à nouveau une entreprise et de concrétiser cette dernière.

Pour terminer, nous pensons que le capital psychologique a un bel avenir dans les recherches futures en entrepreneuriat. Outre son utilité pour la compréhension de l’apprentissage de l’échec et de la recréation, l’influence du capital psychologique pourrait être investiguée dans toutes les étapes du processus entrepreneurial.