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Depuis 1980, le phénomène dit de l’extrême droite a suscité l’attention des intellectuels, mais aussi celle du grand public. Son émergence, son succès électoral et l’établissement de partis politiques de cette branche idéologique ont réussi à imposer ce mouvement comme un joueur de taille face aux « vieux » partis européens. À cet égard, l’ouvrage dirigé par Gabriella Lazaridis, Giovanna Campani et Annie Benveniste s’annonce comme une lecture engageante pour les nouveaux chercheurs qui étudient la grande famille de l’extrémisme. S’appuyant sur une variété de méthodes principalement qualitatives, le livre explore les stratégies dont use le populisme pour se rapprocher des compréhensions exclusivistes de l’extrême droite. Plus encore, en utilisant une approche intersectionnelle axée sur le genre, la race, l’ethnicité, et sur l’orientation sexuelle, les auteures illustrent un nationalisme d’extrême droite, soulignant ainsi son éventail de possibilités d’application sur le territoire européen. Le populisme non seulement marginalise ceux qui n’appartiennent pas au groupe majoritaire, mais écarte aussi le pluralisme communautaire. L’atout majeur de l’ouvrage réside en sa capacité à fournir une compréhension critique des tendances européennes actuelles et à lier le populisme au sexisme et au racisme, de manière substantielle et théorique, en étudiant les discours, parfois contradictoires, tenus par l’élite politique, tout en démontrant la complexité du phénomène de l’extrême droite.

En examinant la littérature spécialisée sur le sujet, les auteurs identifient le populisme comme une boîte noire s’appropriant différentes formes de protestation contre l’élite politique européenne. Définie de manière large et multiforme, la notion de populisme est donc utilisée pour englober les termes associés aux systèmes de valeurs et aux idéologies de droite. Conscients des risques liés à l’utilisation d’un concept aussi large, les auteurs ont pour objectifs : (a) de clarifier le concept, (b) de différencier les traits du populisme de l’Europe de l’Est et de l’Ouest, (c) d’identifier les continuités et les discontinuités temporelles de la mouvance, (d) d’explorer les liens entre populisme et démocratie, (e) de lier le populisme au sexisme et au racisme, (f) d’analyser les effets de la rhétorique populiste, examinant l’impact des partis populistes sur la lutte contre la discrimination et l’égalité des sexes, et, enfin, (g) de fournir des outils aux décideurs afin de promouvoir la tolérance.

Finalement, cet ouvrage se distingue des études « classiques » portant sur le populisme d’au moins trois façons. Tout d’abord, il propose une conceptualisation originale, abordant le nativisme d’extrême droite à l’intersection entre le genre, la race, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle. Il s’agit d’un pas en avant étant donné que les études empiriques sur la définition des exogroupes de l’extrême droite se concentrent majoritairement sur un type d’individu, à savoir l’immigrant. Ensuite, le livre innove concernant la sélection des individus ; au-delà de la séparation classique entre les organisations d’extrême droite parlementaires et extra-parlementaires, l’ouvrage fournit un cadre commun pour aborder la politique identitaire dans les partis politiques et les mouvements de rue populistes, radicaux et extrêmes. Enfin, le livre est innovateur sur le plan des sources de données, puisqu’au-delà de l’analyse comparative transnationale de contenu de propagande, l’étude s’appuie sur de nouvelles données tirées d’entretiens semi-structurés avec des membres des partis, organisations et groupes de droite pertinents, ainsi qu’avec des représentants d’ong engagées dans la lutte contre le racisme et la discrimination. Cette méthode favorisera la recherche, et ce, sur les plans discursif, attitudinal et comportemental.

En dépit de ces forces indéniables, l’ouvrage laisse voir certains aspects négatifs affectant la clarté de son argumentation. Premièrement, si l’aperçu historique des groupes populistes parlementaires et extra-parlementaires offre des informations importantes pour les lecteurs non spécialistes, les textes tendent à être excessivement centrés sur l’historicité des acteurs observés ; on manque ainsi d’ampleur et de contextualisation au-delà des cas spécifiques. Deuxièmement, l’absence d’un chapitre de conclusion rend difficile la synthèse des résultats sur le plan national/européen ; on ne sait pas dans quelle mesure les résultats peuvent être généralisés au-delà des cas contenus dans le livre et on ignore si ces cas demeurent représentatifs de la mouvance. Troisièmement, et plus généralement, le sens précis attribué à la notion de « populisme » par rapport à la politique d’extrême droite reste plutôt vague avec des implications importantes pour la construction de l’argument principal. Le populisme est traité comme un troisième pôle dans le large spectre de l’activisme de l’extrême droite et du radicalisme. En d’autres termes, si le populisme et le nativisme se combinent parfois, le premier peut exister sans le second. En conséquence, cette interprétation reste finalement inapte à expliquer si le populisme représente une caractéristique idéologique de l’extrême droite ou plutôt un dispositif rhétorique utilisé stratégiquement par ces acteurs pour parvenir à un consensus local, régional et national.

Néanmoins, l’ouvrage soulève de nombreuses questions importantes et opportunes qui nourriront les débats théoriques sur les relations entre le populisme, le nativisme et la politique d’extrême droite. Qui plus est, l’approche présentée dans ce livre ouvre de nouvelles questions et considère différentes façons de penser le populisme et les processus « alternatifs », notamment en matière de rhétorique « contre-pouvoir » ; les recherches futures pourraient étudier la nature hybride des discours populistes et ceux venant des élites politiques. En ce sens, le livre influencera sans doute le cours de la littérature pour les années à venir.