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Toutes les sociétés, à travers le cours de leurs histoires respectives, ont eu à coeur de former et de socialiser les enfants afin qu’ils deviennent de « bons citoyens ». Dès que des turbulences sociales sont pointées du doigt telles que l’accroissement de la violence, la radicalisation ou même le désengagement politique, les enfants et les adolescents sont la cible de discours publics réformateurs, d’actions éducatives et disciplinaires. Ils deviennent l’écran de projection des peurs, des craintes sociales et des désirs du monde adulte.

Même si la citoyenneté des enfants et des adolescents est au coeur de nos politiques publiques, de nos institutions et de nos interactions quotidiennes, elle demeure nébuleuse par son caractère polysémique. Elle fait l’objet d’une pluralité de discours normatifs, d’impératifs moraux et de représentations sociales en tensions les uns avec les autres. En effet, qu’est-ce qu’un bon citoyen ? Selon qui ? Et dans quelle visée ? Les textes réunis pour ce numéro invitent à réfléchir à la notion de citoyenneté enfantine et adolescente dans le contexte des régimes politiques démocratiques. Westheimer (2015) rappelle que l’éducation à la citoyenneté réduite à une socialisation à la civilité et à la responsabilité individuelle s’observe autant dans les régimes totalitaires que dans les régimes démocratiques. La particularité de la citoyenneté démocratique est qu’elle implique une réflexion sur l’égalité et la justice et appelle à des compétences délibératives, critiques et collectives.

La difficulté de penser la citoyenneté des enfants et des adolescents s’explique peut-être par son inscription récente dans l’histoire des sociétés. Depuis 1989, La convention internationale relative aux droits de l’enfant leur reconnait de nouveaux droits et un nouveau statut, celui d’un sujet de droit égal à celui des adultes. La question n’est donc plus de savoir s’ils sont citoyens ou non, mais plutôt de réfléchir à la particularité de leur statut, d’analyser le rôle des institutions sociales à leur égard, de comprendre leurs pratiques au sein de la société. Il s’agit d’un chantier de recherche assez récent et ce numéro met en lumière trois défis intellectuels : 1) penser la citoyenneté substantive en tension avec la citoyenneté formelle ; 2) penser la citoyenneté différenciée des enfants et des adolescents ; 3) penser la citoyenneté des enfants au-delà des discours capacitaires.

Chacune des contributions de ce numéro révèle clairement un ou plusieurs de ces défis selon différences échelles d’analyse. La première partie du numéro porte sur les normativités et les représentations sociales de la citoyenneté enfantine et adolescente véhiculées par les instruments de politiques publiques en France et au Québec. La deuxième section porte sur les institutions qui répondent directement des politiques publiques et qui ont pour mandat de socialiser et d’éduquer les enfants et les adolescents aux pratiques de citoyenneté démocratique. La troisième section de ce numéro présente deux contributions qui rendent compte de l’agencéité (agency) des jeunes et de leurs pratiques citoyennes, c’est-à-dire leur capacité à développer des intentions politiques et à les mettre en action les uns avec les autres. Ce terme se distingue de celui d’agentivité qui est utilisé davantage en sciences cognitives et s’intéresse plus spécifiquement aux mécanismes de l’action individuelle (Glossaire, 2009). Finalement, nous terminons le numéro par des analyses à l’échelle des quartiers et des organisations jeunesse. On y voit comment les intervenants de première ligne, et leurs organisations locales, négocient différentes visions de l’éducation citoyenne, allant de l’éducation à la civilité jusqu’à l’intervention démocratique. Ces échelles d’analyse nous permettent d’observer les représentations de la citoyenneté en fonction des rapports de classe et d’ethnicité.

Penser la citoyenneté substantive en tension avec la citoyenneté formelle

Les considérations sur la citoyenneté des enfants renvoient directement aux réflexions en cours au sein des citizenship studies, comme proposés par Isin et Turner (2007). Ces chercheurs proposent d’étudier et de tenir compte de la citoyenneté substantive (ou la citoyenneté sociologique), en l’opposant à la citoyenneté légale et statutaire. Cette conception de la citoyenneté qui s’intéresse aux pratiques des acteurs et à la citoyenneté en tant que construit social a d’abord pris racine dans l’étude des pratiques des nouveaux immigrants et des sans-papiers. Une catégorie d’acteurs qui ont une vie citoyenne active sans en avoir le statut légal. Depuis, plusieurs chercheurs s’intéressent à la fabrication de la citoyenneté dans la vie quotidienne (Clarke et al., 2014 ; Neveu, 2015) et à son importance dans la vie démocratique (Ogien et Laugier, 2014).

Ainsi, l’observation de différents groupes sociaux (nouveaux immigrants, sans-papiers, enfants) qui n’accèdent pas au vote par choix ou par dépit, mais qui développent leur appartenance sociale et politique dans la quotidienneté ou dans les mouvements sociaux, nous amène à redéfinir les contours de la citoyenneté pour intégrer ces pratiques tout en les inscrivant dans leurs rapports à l’État. Le groupe des enfants et des adolescents est particulièrement pertinent à analyser puisqu’il s’agit d’un groupe qui a récemment acquis des droits et qui tente d’accéder à la vie politique. Plusieurs groupes de jeunes revendiquent notamment le droit de vote à 16 ans. Leur présence et leur quête de reconnaissance suscitent une redéfinition des rapports sociaux au sein de la communauté politique.

Le défi de penser la citoyenneté différenciée des enfants et des adolescents

Parce que la citoyenneté a d’abord été théorisée en sciences politiques à travers la citoyenneté nationale et l’expression ultime de celle-ci, qu’est le vote démocratique, la citoyenneté est associée à la catégorie sociale de l’adultéité : l’âge de raison. Les sociologues de la jeunesse et des parcours de vie ont été nombreux à démontrer la construction sociale de cette catégorie d’âge. Ainsi, la frontière entre l’adolescence et l’âge adulte est si floue qu’elle représente un appui théoriquement faible pour définir l’accès à la pleine expression de la citoyenneté.

Il faut dire qu’au moment où naissent les sociétés démocratiques à la fin du XVIIIe siècle, les enfants et les adolescents existent à peine comme catégorie sociale (Ariès, 1960c2014). Il n’est donc pas étonnant qu’ils n’aient pas été considérés comme des sujets de la communauté politique. Ils commencent à acquérir des droits pendant la période industrielle du début du XIXe siècle, sous les pressions du mouvement hygiéniste qui tente de protéger la santé des enfants travailleurs dans les quartiers ouvriers urbains. Le rapport entre l’État et ce groupe de citoyens se pose dans un rapport de protection jusqu’à l’après-Seconde Guerre mondiale où les traités des droits de la personne apportent avec eux l’idée d’y intégrer les enfants. Avec la Déclaration des Droits de l’Enfant par les Nations Unies en 1959, il y a une reconnaissance partielle des droits de ces derniers, jusqu’à leur pleine reconnaissance en 1989, avec La convention internationale des droits de l’enfant.

Ces traités imposent alors une nouvelle relation entre l’État et ce groupe social, allant de pair avec une transformation dans les représentations sociales de leur citoyenneté. Avant les années 80, les sociologues remettaient peu en cause l’idée selon laquelle ils étaient des citoyens en devenir qu’il fallait socialiser par la famille et l’école (Corsaro, 2011). Depuis, nombreux sont ceux qui reconnaissent les enfants et les adolescents comme des acteurs sociaux, mais ils demeurent tout de même invisibilisés en raison d’une conception étroite de la citoyenneté légale et parce qu’ils représentent des citoyens vulnérables et dépendants des adultes (Breviglieri, 2014).

Ce changement de paradigme demeure récent et plusieurs impensés persistent. Ils nous obligent à considérer la citoyenneté en tant qu’appartenance politique indépendamment de l’expression de cette citoyenneté par le vote. Il y aurait une citoyenneté différenciée des enfants et des adolescents (Lister, 2007), c’est-à-dire qu’ils sont des citoyens à part entière, mais leur citoyenneté est différenciée de celle des adultes en raison de leur capacité et de leur lien de dépendance. Si nous voulons prendre au sérieux le statut de ce groupe social, une des tâches urgentes de la communauté scientifique consiste à observer et à analyser les pratiques qu’adoptent les enfants et les adolescents pour exprimer leur appartenance sociale et politique (Caron, 2014). C’est le défi que relèvent plusieurs chercheurs de ce numéro qui, par leurs méthodes de recherche, considèrent la parole et les pratiques de ce groupe (Bélanger et Connelly, 2007).

Le défi de penser l’enfance et l’adolescence au-delà des discours capacitaires

À la difficulté de penser la citoyenneté différenciée des enfants et des adolescents s’ajoute celle de penser ces catégories sociales au-delà des discours que proposent les professionnels de la jeunesse. En effet, les discours experts en éducation, en santé et en psychologie dominent actuellement les débats. Plusieurs d’entre eux défendent une perspective individualisante et capacitaire de cette catégorie sociale. À chaque âge doivent correspondre des habiletés sociales et cognitives, normalisées scientifiquement. La société a ainsi le devoir de les développer adéquatement. Les discours experts qui pensent la société et les collectivités sont quasi inaudibles dans les discussions qui portent sur ces catégories sociales.

Pourtant, penser la citoyenneté démocratique oblige à déplacer le débat vers des discours experts capables de réfléchir à la société et aux collectivités. Plusieurs articles de ce numéro illustrent les tensions existantes entre le désir des intervenants jeunesse à soutenir la citoyenneté démocratique dans des projets dits collectifs et leurs pratiques qui soutiennent davantage leurs capacités individuelles. Plusieurs interventions auprès d’enfants et d’adolescents s’inscrivent dans le registre capacitaire, c’est-à-dire que les interventions portent davantage sur le développement des compétences individuelles ; de l’insertion avec l’objectif de soutenir la responsabilisation des jeunes plutôt que de soutenir leur participation dans des projets collectifs et politiques. Les discours capacitaires remettent peu en question les éléments structuraux qui expliquent les inégalités que les jeunes vivent.

À l’inverse, les discours des experts qui présentent la participation citoyenne des jeunes comme une panacée n’est pas nécessairement garante d’une citoyenneté démocratique. Les conseils scolaires ou municipaux destinés aux jeunes sont peu souvent créés en fonction de leurs demandes et leur voix n’est pas nécessairement écoutée par les adultes. Le rôle des adultes dans ce type d’organisation est crucial, puisque leur intervention doit non seulement promouvoir un discours sur la citoyenneté démocratique, mais aussi inscrire l’intervention comme pratique démocratique afin de donner du pouvoir aux jeunes (Vromen et Collin, 2010). Davantage de recherche de la part d’experts qui s’intéressent aux collectifs de jeunes devient nécessaire pour penser leur citoyenneté au-delà des discours capacitaires.

Ce numéro aborde les trois défis intellectuels posés par le chantier de recherche sur la citoyenneté des enfants et des adolescents. Nous avons regroupé les textes en quatre sections en fonction de différentes échelles d’analyse. Un court résumé de chacun des textes est proposé.

1. Les représentations sociales de la citoyenneté des jeunes dans les politiques publiques

Les articles de cette section démontrent la complexité des conceptions de la citoyenneté qui cohabitent dans les outils de politiques publiques de la France et du Québec. Plusieurs ne reconnaissent pas l’agencéité des jeunes, même s’ils tentent de soutenir leur pleine capacité. D’autres, au contraire, la valorisent en laissant de côté l’importance des droits et responsabilités citoyennes.

Valérie Becquet présente la diversité des dispositifs d’action publique destinée à la jeunesse en France. Elle démontre comment les politiques nationales et territoriales sont reliées à des instruments de politiques publiques qui véhiculent des conceptions de la citoyenneté des jeunes en contradiction les unes avec les autres. Elle y explique que les enfants et les adolescents sont le plus souvent associés à une représentation sociale de « l’usager contraint ou assujetti, à des savoirs et à des comportements ». Ces représentations contredisent toutefois celles d’une jeunesse perçue comme une ressource que l’institution sollicite et qu’elle encourage dans une perspective capacitaire.

Normand Landry et Chantal Roussel étudient plus spécifiquement la politique québécoise d’éducation aux médias afin d’identifier les valeurs et les normes qu'elle véhiculé. Ils expliquent que les élèves du primaire (5 à 12 ans) sont représentés à la fois comme des consommateurs et des producteurs de médias. Le programme se destine avant tout à développer l’esprit critique des jeunes afin qu’ils soient capables de distinguer le réel du virtuel, mais aussi sur une prise de conscience des effets des médias sur la vie sociale. On conçoit les enfants comme des citoyens actifs, capables d’esprit critique et de décision. Or, constatent les auteurs, des enjeux importants tels que la cyberintimidation, le harcèlement ou la protection de la vie privée sont absents des objectifs du programme. C’est comme si, dans le cadre de cet instrument de politique, la citoyenneté statutaire – les droits et les devoirs- avait été évacuée au profit d’une conception de la citoyenneté substantive.

Caroline Caron démontre toutefois que la citoyenneté formelle domine encore notre conception de la citoyenneté des jeunes dans la plupart des outils de politiques publiques sur les médias. Il s’agirait notamment d’une représentation véhiculée par des disciplines comme la science politique pour laquelle le vote représente la forme de participation et d’appartenance principale à la communauté politique. Il s’agirait d’une conception adultiste de la citoyenneté que nous devons repenser au profit d’une réflexion différenciée qui permet de reconnaître la spécificité de l’appartenance et de la participation des jeunes à la société et à la vie politique. Dans son article, l’auteure propose de revoir cette catégorie sociale afin de rétablir une justice épistémique entre les catégories jeune et adulte et de leur reconnaître leur pleine citoyenneté.

2. Les institutions civiques de l’enfance et de l’adolescence

L’école demeure une institution incontournable de la socialisation politique et de l’application de différents outils de politiques publiques. Elle est désormais mise devant le fait que les enfants et les adolescents sont des citoyens de « pleins pouvoirs », elle ne forme plus les citoyens de demain. Or, ces institutions présentent différentes tensions entre la valorisation d’une citoyenneté d’appartenance et d’une citoyenneté délibérative.

Géraldine Bozec explique que la notion de citoyenneté dans le milieu scolaire français est polysémique. L’auteure observe une double tension entre la valorisation d’une citoyenneté individuelle et collective et une autre entre la citoyenneté d’intégration et celle de gouvernance démocratique. Elle note que l'importance de la discipline et de la transmission de valeurs communes freine la formation aux conflits ; une expérience incontournable de la citoyenneté de gouvernance. Dans un deuxième temps, elle souligne que l’école a pour devoir de développer les compétences intellectuelles pour lire et écrire. Des habiletés individuelles essentielles à la discussion démocratique qui demande de raisonner et de critiquer. Ce sont les aptitudes nécessaires pour le vote électoral. Le développement des savoirs propres à la citoyenneté collective est ainsi dévalorisé au détriment d'une citoyenneté individuelle.

Nathalie Bélanger démontre que cette tension entre la citoyenneté d’intégration et celle de la gouvernance démocratique est notamment saillante dans les milieux diversifiés culturellement. Elle s’appuie sur une enquête faite dans diverses écoles francophones d’Ontario. L’auteure, par une observation participante et plusieurs entretiens, analyse les relations quotidiennes des élèves. Ces écoles ont la particularité d’accueillir un grand nombre d’immigrants francophones tout en desservant le groupe minoritaire linguistique  : la population franco-ontarienne. Dans le contexte scolaire où les enfants immigrants sont majoritaires, la citoyenneté délibérative est moins valorisée que la citoyenneté d’appartenance. Pour ces enfants, le désir de comprendre les règles et de les appliquer est important.

Maxime Felder, Laurence Ossipow et Isabelle Csupor expliquent que les écoles ne sont pas les seules institutions à investir dans la formation citoyenne et à ritualiser les âges de la vie. Certains pays, comme la Suisse, ont conservé des traditions de ritualisation de l’entrée dans la vie citoyenne en organisant des cérémonies pour tous les jeunes qui atteignent la majorité. Ces cérémonies, organisées par les communes, mettent en scène un rituel où les représentations sociales de la citoyenneté et de l’adultéité des jeunes divergent de celles des adultes. Les chercheurs exposent la complexité des frontières des catégories de citoyenneté formelle et d’âge adulte. Ils montrent que la citoyenneté ne peut ni se restreindre à la catégorie d’adultéité ni à celle des pratiques de vote électoral national, puisque les jeunes ont une conception plus large de la citoyenneté qui inclut les pratiques d’engagement social local et international, exercées avant l’âge de la majorité.

3. Les pratiques citoyennes des enfants et des adolescents

Cette section met l’accent sur l’importance de questionner et d’observer les jeunes pour comprendre la signification qu’ils donnent à leur participation.

Mathieu Bégin nous rappelle qu’il est primordial d’être critique à l’égard des intentions que les adultes confèrent aux pratiques des jeunes. Le chercheur a enquêté sur les intentions et les objectifs des jeunes lors de la production de vidéos qui portent sur la cyberintimidation. Il y explique que, pour la plupart, l’intention des jeunes derrière la production d’une telle vidéo est davantage motivée par l’apprentissage d’habiletés techniques de production audiovisuelle et par la reconnaissance que par le désir de créer du changement social ou de participer à un débat public. L’auteur nous met donc en garde devant les analyses qui présentent tout acte discursif médiatique comme une action citoyenne.

Ève Desroches-Maheux souligne l’importance d’analyser l’agencéité des jeunes, c’est-à-dire une capacité d’action et de subjectivation politiques, afin de comprendre leur citoyenneté. C’est ce que fait l’auteure dans l’ethnographie qu’elle présente de « la bande » des jeunes de Koné, un groupe de jeunes autochtones de Nouvelle-Calédonie qui retient l’attention locale par ses difficultés sociales. Desroches-Maheux témoigne comment, pour eux, la citoyenneté ne se réduit pas au devoir du vote, mais s’inscrit plutôt dans les engagements au sein de la famille, du clan ou de la commune. Des engagements du quotidien, alors qu’ils pourraient se consacrer à une lutte de reconnaissance de leur identité autochtone dans un contexte postcolonial. Ils préfèrent investir une citoyenneté en tant que Kanak, plutôt que de restreindre leurs actions à la défense de leur identité. Ils font ainsi l’objet de critiques de la part des plus vieux, car ils ne s’inscrivent pas dans la transmission des coutumes de la tribu dans laquelle ils n’ont jamais vécu, et choisissent de tracer leur propre voie politique, malgré tous les défis que pose leur insertion socioéconomique.

4. L'insertion ? La capacitation ? Les interventions jeunesses de proximité

Cette dernière partie porte sur les organisations locales qui prennent part à la vie quotidienne des jeunes. Dans cette section, les auteurs s’interrogent sur les différentes normativités en jeu au sein des associations, des interventions et des professionnels qui y travaillent. Ces organisations ont généralement le mandat de soutenir la citoyenneté et la participation.

Benjamin Leclerc et Jeanne Demoulin démontrent, par leur observation d’initiatives de développement social dans les HLM de cités françaises, que l’injonction à cultiver la participation citoyenne des enfants et des adolescents est notamment liée aux représentations des professionnels qui y travaillent. Ces professionnels, nouvellement diplômés, défendent une conception de l’action locale fondée sur une vision capacitaire du monde social, c’est-à-dire que chaque individu à la potentialité de devenir acteur de son quotidien. Pour avoir voix au chapitre, chacun doit se porter garant de ses paroles et de ses actes et doit respecter les règles de la collectivité. Dans les quartiers sensibles, expliquent les auteurs, la citoyenneté est réduite au registre moral du civisme et de la civilité. Les enfants y sont considérés comme des passeurs auprès des parents. Plutôt que de développer une citoyenneté complète sur la compréhension et la remise en cause de la société et de ses inégalités structurantes, les intervenants y soutiennent une conception individualiste, moralisatrice et capacitaire.

Elisabeth Greissler, Isabelle Lacroix et Isabelle Morisette expliquent que plusieurs organisations ayant pour mandat de soutenir la participation citoyenne enfantine et adolescente s’adressent particulièrement aux populations en difficulté. Pourtant, peu de recherches portent sur leurs perspectives. Cet article présente une synthèse d’analyses de différents milieux de vie où les jeunes doivent prendre part aux décisions collectives. Les auteures constatent qu’ils perçoivent généralement positivement leur engagement dans ces milieux, même s’ils sont conscients des limites de leur pouvoir. Elles y soulignent l’importance des liens significatifs avec les adultes afin que les interventions qui respectent le processus démocratique soient possibles.

Finalement, Jean-Charles Basson s’intéresse au travail d’un organisme associatif qui, à l’instar de nombreuses autres initiatives d’innovation sociale, propose de nouvelles solutions collectives pour insérer les enfants et les adolescents en difficulté. En les entraînant dans la pratique du rugby, les intervenants tentent de leur faire vivre une expérience positive d’engagement et de vie de groupe. L’auteur explique comment le rugby est mis à profit pour permettre aux jeunes de développer un ancrage social et culturel tout en les intégrant dans un projet collectif à visée égalitaire.

Ce numéro contribue de plusieurs façons à assoir la pertinence scientifique du chantier de recherche sur la citoyenneté des enfants et des adolescents. D’abord, les différentes contributions attestent l’urgence d’analyser la polysémie de ce terme et des différentes tensions qu’elle entraîne dans ses applications, tant à l’échelle des politiques publiques, des institutions, des interventions, que des acteurs. Dans un deuxième temps, les recherches empiriques présentées dans ce numéro nuancent les discours qui présentent la participation citoyenne des jeunes comme une panacée, sans tenir compte du point de vue des acteurs. Les jeunes peuvent attribuer un sens bien différent à leurs pratiques citoyennes que celui conféré par les adultes. Finalement, ce numéro révèle que les enfants et les adolescents constituent un groupe social sensible aux valeurs néolibérales promues par l’intervention capacitaire et par le développement d’une citoyenneté individuelle au détriment d’une citoyenneté collective. Ce constat porte à réfléchir, car tel que l’exprime Westheimer, l’éducation à la citoyenneté démocratique doit s’inscrire dans un souci de justice et d’équité, la promotion de la citoyenneté individuelle ne pourrait, à elle seule, atteindre l’idéal politique d’un régime démocratique.