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Chroniqueur sportif à l’hebdomadaire The Nation et dans plusieurs autres médias, Dave Zirin a déjà beaucoup écrit sur le sport, mais peut-être toujours dans le même esprit et sur la même chose, ce qui fait qu’en ouvrant un de ses récents ouvrages en traduction française, le lecteur sait pertinemment à quoi s’attendre. Parmi sa dizaine d’ouvrages, on compte entre autres What’s My Name, Fool ? Sports and Resistance in the United States (2005), Welcome to the Terrordome : The Pain, Politics, and Promise of Sports (2007) et The John Carlos Story : The Sports Moment That Changed the World (2011). Il est, par ailleurs, un des défenseurs les plus passionnés de Barry Bonds au baseball majeur dans les différents procès qui lui furent intentés quant à son usage de stéroïdes. Comme c’est souvent le cas dans l’écriture de l’histoire du sport, des journalistes se mettent au même travail que les historiens, avec l’avantage d’une narration efficace, mais le désavantage, souvent, d’une conceptualisation un peu déficiente et d’explications causales parfois très réductrices. La préface fait d’ailleurs état d’une longue « tradition de dissidence progressiste au sein des sports, tradition perpétuée par nombre d’intervenants qui ont transformé le monde des sports en plateforme pour faire circuler des idées de résistance » (p. 11) et dont Zirin serait le digne représentant. Pour ce dernier, l’attention en général porte sur la question raciale dans le sport américain et sur les méfaits du capitalisme dans le sport-spectacle au point où tout le reste est pratiquement périphérique. Sans trop caricaturer la pensée de l’auteur, on peut résumer sa vision du sport américain comme une longue histoire de ségrégation et de racisme, entrecoupée d’épisodes courageux de prise de parole et de dénonciation de ces fléaux.

Un peu comme son modèle Howard Zinn, qui a signé l’introduction dans l’édition anglaise et qui offre un éloge de Zirin en quatrième de couverture – son Histoire populaire des États-Unis est d’ailleurs publiée en traduction chez le même éditeur et dans la même collection –, Zirin se donne comme objectif ici de ressusciter la voix de figures oubliées du sport américain qui ont su s’élever contre les injustices criantes affligeant plusieurs athlètes, surtout de couleur, mais aussi des femmes, des membres des minorités sexuelles, et des activistes de gauche. À quelques reprises, il faut le noter, Zirin présente des cas de discrimination à l’endroit d’athlètes d’origine amérindienne. Certaines de ces voix sont très bien connues, comme ce fut le cas de Jackie Robinson, Mohammed Ali, John Carlos (un des deux athlètes noirs américains expulsés des Jeux de Mexico de 1968 pour avoir performé le « Black Power Salute » à la remise des médailles), Arthur Ashe, Billie Jean King et Martina Navratilova. D’autres le sont beaucoup moins comme Moses Fleetwood Walker, joueur de baseball qui lutta contre les débuts de la ségrégation dans son sport dans les années 1880, Curtis Flood qui combattit en cour la clause de réserve des clubs de baseball qui leur perpétuait un contrôle sur la mobilité des joueurs même après la fin de leur contrat, et Mahmoud Abdul-Rauf, l’anti-Michael Jordan des années 1990, pour ne nommer que ceux-là.

Comme dans les autres ouvrages qui ont tenté de poursuivre l’entreprise d’Howard Zinn, qui les a préfacés et acclamés pour la plupart, sur des objets plus circonscrits comme l’histoire populaire de la Cour Suprême, de la Guerre civile, de la Guerre du Vietnam, par exemple, et qui transposent son modèle et sa méthode, ce sont les voix des insoumis du sport qui vont remplir les pages de ce qui, autrement, pourrait être faussement perçu comme une synthèse de la question sociale dans le sport aux États-Unis. On a reproché à Zinn de présenter une vision de l’injustice historique, appuyée sur une théorie continue et constituante de l’oppression dans laquelle les riches et puissants exploitent les pauvres et tous ceux qui sont privés de leurs droits fondamentaux. On pourrait tout autant le reprocher à Zirin dans son Histoire populaire du sport, pas tant par mimétisme à l’endroit de son modèle, mais que parce qu’il a développé cette approche dans la plupart de ses écrits. On a souvent l’impression que pour l’auteur, le sport est un vaste complot des élites blanches et privilégiées sur le plan socio-économique à l’endroit des classes subalternes. Cela crée certains problèmes, particulièrement importants pour quiconque se serait déjà penché sérieusement sur l’histoire du sport aux États-Unis ou ailleurs. Dans son ouvrage de près de 400 pages, présenté en 11 chapitres, Zirin ne consacre que le premier chapitre de près de 50 pages au XIXe siècle, par ailleurs si important dans le processus de naissance des sports modernes. La naissance du baseball et du football américain est passée en revue très rapidement, avec presque rien sur la naissance du basketball dans les YMCA. Et ce sont des sports qui sont des créations américaines originales. Pour le hockey sur glace, une création canadienne certes, il n’apparaît que dans les années 1980 dans le sillage du « miracle sur glace » des Jeux olympiques de Lake Placid, une victoire américaine tout inespérée et vite récupérée par le reaganisme en pleine ascension. Pour le soccer, Zirin ne s’y intéresse que pour parler du traitement inégal réservé à l’équipe nationale féminine, passant sous silence la longue et patiente histoire de plusieurs communautés immigrantes européennes ou latino-américaines qui ont construit les bases à partir desquelles le sport a pu prendre son envol dans les années 1990. Globalement, le rôle du sport dans l’intégration des immigrants ne semble pas plus l’intéresser qu’un match de cricket à Philadelphie au début du XIXe siècle.

Sur les figures déjà bien connues de Mohammed Ali, John Carlos ou Billie Jean King, le lecteur n’apprendra que peu de chose. Sur les figures moins connues et sur quelques phénomènes fort intéressants comme la rencontre entre la culture hip hop et le basketball de la NBA dans les années 1980, l’ouvrage de Zirin trouvera son public. En plus des critiques sérieuses évoquées plus haut, on peut se demander, en dernière analyse, si l’essentiel du récit qui est constitué de vignettes de figures contestataires qui ont marqué le vingtième siècle sportif américain (pour l’essentiel) représente vraiment une histoire sociale ou une histoire populaire du sport aux États-Unis ? Est-ce que l’histoire du sport aux États-Unis est synonyme purement et simplement de la question de la discrimination raciale et du long combat pour l’égalité ? Sans nier aucunement l’importance de ces questions, il faut avouer que l’ouvrage répond mal à l’appel de son titre, à partir duquel il doit être jugé. Au moment d’écrire ces lignes, les récentes prises de bec entre le président Trump et plusieurs joueurs de la NFL ou de la NBA au sujet de la question raciale à l’origine et de la liberté d’expression plus largement semblent donner raison à ceux qui, comme Zirin, considèrent le sport comme une plateforme politique d’une valeur inestimable. Pour son travail d’historien, on sera moins convaincu.