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L’école baigne dans un environnement dynamique au sein duquel les mouvements démographiques, les enjeux politiques, les activités économiques de même que les progrès scientifiques et technologiques entraînent de nombreux changements. Si les institutions d’enseignement primaires et secondaires contribuent largement à ces avancées, elles doivent également s’y adapter. Dès lors, les systèmes d’éducation font périodiquement l’objet de réformes, ce qui conduit à des modifications profondes de leur structure et de leur dynamique qui se répercutent jusqu’au coeur de l’école et de la classe.

La direction d’école se trouve au centre de ces transformations et est appelée à développer ses compétences, à adapter continuellement ses fonctions, à jouer de nouveaux rôles, voire à assumer des responsabilités de plus en plus authentiques. Au début des années 2000, de plus en plus de référentiels de compétences pour les directions d’école voient le jour (Educational leadership policy standards, 2008; National policy board for educational administration, 2015; Cadre de leadership de l’Ontario, 2013; Ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport-MELS, 2008). Ceux-ci exigent, de la part des directions, plusieurs pratiques telles que celles d’établir une vision, de veiller à la réalisation des objectifs déterminés dans les plans d'amélioration de l'école, de gérer les ressources financières en préparant des états financiers en conformité avec les règles budgétaires, selon les normes et dans le respect des orientations, d’assumer un leadership pédagogique, etc. Toutefois, lorsqu’il s’agit de faire le point sur ces nouveaux impératifs, peu de recherches empiriques ont été entreprises pour évaluer les compétences des directions d’école afin qu’elles puissent répondre à ces exigences. En fait, une revue sommaire des écrits de recherche révèle que les quelques études effectuées dans ce domaine tournent essentiellement autour de deux grands axes.

Premièrement, aux niveaux macro et méso, les recherches portent sur les facteurs de changement qui influencent la gestion scolaire, tels que le contexte sociodémographique, économique et culturel. Sur le deuxième axe, au niveau micro, les recherches convergent davantage vers les pratiques des directions d’école qui favorisent la réussite éducative. Par exemple, autour du premier axe, on retrouve d’abord les études qui portent sur les effets des mouvements démographiques sur le rôle des directions d’école. Il faut savoir qu’en 2016, près de 2,2 millions d'enfants âgés de moins de 15 ans étaient nés à l'étranger (1ère génération) ou avaient un parent né à l'étranger (2e génération), ce qui représente 37,5 % des enfants canadiens (Statistique Canada, 2016). Ainsi, pour assurer une gestion qui respecte la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse dans nos écoles, les directions ne doivent-elles pas développer des compétences interculturelles et inclusives (Gélinas-Proulx, IsaBelle, et Meunier, 2014; Toussaint, 2010)? Dans la même veine, tout un courant de recherches vise à favoriser une gestion inclusive de la diversité qui réponde aux besoins de tous les élèves, et à lutter contre la discrimination (Abdallah-Pretceille, 2011; Berger et Heller, 2001; Bouchamma et Tardif, 2011, Mc Andrew et Audet, 2010; Ouellet, 2010). Présent également dans les milieux minoritaires francophones, ce courant de valorisation culturelle et linguistique, exige de la part des directions d’école de nouvelles compétences de gestion pour tenir compte de ses particularités sociales, mais aussi juridiques, avec l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (Doucet, 2014; Gélinas Proulx, 2013; Gérin-Lajoie et Jacquet, 2008) qui impose aux directions d’école de posséder un leadership particulier de compétences (Lapointe, 2005; Rocque, 2011). Puis, les enjeux politiques et économiques amènent les directions d’école à appliquer de nouveaux modèles de gestion comme la gestion axée sur les résultats et la nouvelle gestion publique (Ben Jaafar et Anderson, 2007; Gravelle, 2012; Maroy, 2008; St−Germain, 2001). Si certains chercheurs nous mettent en garde contre les dérives de ces modèles (Normand, 2011; Petrella, 2000), d’autres soulignent que les directions semblent jouir de plus d’autonomie dans la gestion de l’école primaire et secondaire, même si, en réalité, elles sont soumises à une reddition de comptes plus grande et à une imputabilité accrue qui limitent souvent leurs actions sur le terrain et nécessitent de nouvelles aptitudes managériales. Enfin, devant les exigences liées aux nouvelles responsabilités, des études traitent de façon générale de la qualité de vie au travail et du stress que vivent les directions (Gravelle, 2015; Poirel, 2009). D’emblée, ces recherches rappellent que la réussite scolaire ne peut se concrétiser sans que soit assuré un milieu scolaire sain et sécuritaire pour tous.

Deuxièmement, d’autres recherches gravitent autour de la mise en place de pratiques, par les directions d’école, pour favoriser la réussite éducative de tous les élèves. Mentionnons en tout premier lieu que, depuis la fin des années 1970, plusieurs recherches s’attardent à l’identification des caractéristiques expliquant la performance de certains établissements scolaires (school effectiveness - Teddlie et Stringfield, 2007) et aux facteurs d’amélioration (school improvement - Pelletier, Collerette et Turcotte, 2015). Parmi ces recherches, le rôle des directions d’école ressort comme un élément majeur de la réussite éducative. C’est en effet par ses pratiques et ses compétences que la direction d’école peut influer directement sur le climat de travail, la motivation, les attitudes et les comportements des enseignants afin de contribuer indirectement à l’amélioration des apprentissages des élèves (Lapointe et Gauthier, 2005; Louis, Leithwood, Wahlstrom, et Anderson, 2010; Pont, Nusche et Moorman, 2008,). De même, des études récentes issues des écrits de la recherche anglo-saxonne, canadienne et européenne au sujet de la performance des établissements scolaires focalisent toutes sur un ensemble de caractéristiques que les directions d’école devraient posséder afin de contribuer significativement à la réussite éducative des élèves (Anderson, Rodway-Macri, Yashkina, Bramwell, 2013; Archambault, Garon et Harnois, 2014; Collerette, Pelletier et Turcotte, 2015; Ofsted, 2014; Sackney, 2007; Louis et al., 2010; Teddlie et Stringfield, 2007). À la lecture de ces recherches, neuf domaines de pratiques favorisent la réussite des élèves par l’entremise des actions posées par les directions d’école. Il s’agit, sans ordre d’importance : 1) du leadership administratif et pédagogique; 2) d’une culture de l'école axée sur l’harmonie et la sécurité; 3) du climat de l’établissement, axé sur la collaboration; 4) des priorités de l'école, axées sur l’apprentissage et la réussite de tous les élèves; 5) des attentes élevées pour tous; 6) du suivi rigoureux des progrès des élèves et des résultats de l’établissement; 7) de la formation et du perfectionnement professionnel des enseignants; 8) de l’engagement des parents et de la communauté; 9) du maintien de la performance à long terme. Plus récemment, à partir d’une recension des écrits, Archambault, Poirel, Sballil, Garon et Rodrigue (2017) proposent 14 dimensions du leadership centré sur l’apprentissage qui favorisent la réussite scolaire.

Par ailleurs, en examinant plus spécifiquement les études menées au Canada auprès des directions d’école quant à la réussite éducative, il est possible d’observer que plusieurs d’entre elles portent sur leurs rôles, leurs responsabilités et leurs pratiques. Certaines études soulignent l’importance du rôle des directions d’école lors de la prise de décision en situation complexe (Chitpin et Evens, 2014). Ces recherches montrent comment ces prises de décision ne peuvent plus s’effectuer de façon autoritaire, mais plutôt en collaboration avec les différents intervenants scolaires (Lapointe et Gauthier, 2005; Leurebourg, 2012). En ce sens, le fonctionnement en communautés d’apprentissage professionnelles constitue un levier considérable pour favoriser la collaboration entre les enseignants et un leadership distribué ainsi que pour assurer un suivi individualisé de chaque élève (Cranston, 2009; Hargreaves et Fink, 2006; IsaBelle, Génier, Davidson, et Lamothe, 2013; Leclerc et Labelle, 2013; Lamothe, 2017).

Le présent numéro thématique propose sept articles tous aussi pertinents les uns que les autres. Ces articles présentent des recherches empiriques menées dans différentes provinces canadiennes, voire en Haïti ou, encore en collaboration avec la Suisse.

Dans un contexte de changement où les pratiques professionnelles sont axées sur la coopération et l’imputabilité, Pelletier (2017) constate que des dirigeants scolaires prennent des retraites anticipées et que les écoles peinent à trouver des remplaçants. La recherche pancanadienne d’IsaBelle arrive à point nommé. Menée auprès de 101 acteurs de l’éducation, 30 directions et directions adjointes d’école possédant cinq ans et moins, 28 directions d’école possédant six ans et plus d’expérience, 20 directions générales ou adjointes de l’éducation au niveau des districts scolaires, cinq présidents d’associations de directions d’école et 18 professeurs d’université en administration scolaire, deux questions ont guidé ses entretiens : 1) Quelles sont les forces ou les compétences actuelles des directions et directions adjointes d’école possédant cinq ans et moins d’expérience pour bien gérer leur école ? 2) Dans quels aspects de leurs tâches ces nouvelles directions ont-elles le plus besoin d’aide ou quelles compétences devraient-elles consolider ? Sept catégories de la composante Habiletés, sept catégories de la composante Attitudes et six catégories de la composante Connaissances d’une compétence ont émergé. Ses graphiques illustrent avec brio les réponses selon les groupes d’acteurs et selon les provinces.

En relation avec l’aide et l’accompagnement à apporter aux directions d’école dans le cadre de leurs fonctions, l’article d’April et Bouchamma met en évidence les pratiques gagnantes de directions d’école pour surmonter les obstacles rencontrés en supervision pédagogique. C’est qu’en sciences administratives, on dénombre cinq grandes fonctions : la planification, l’organisation, le commandement, la coordination et le contrôle. En éducation, ces fonctions se déclinent en trois phases dans le processus d’enseignement-apprentissage : la planification, l’enseignement et l’évaluation des apprentissages. Il en va de même pour les directions et les directions adjointes d’école qui assurent l’administration et la gestion des établissements éducatifs. Cependant, si les écrits scientifiques portant sur le leadership des directions d’école foisonnent, il n’en va pas de même en ce qui a trait à la supervision pédagogique. Cette dernière, qui comporte deux volets, l’accompagnement et l’évaluation, fait l’objet d’une étude rigoureuse conduite par April et Bouchamma. Leur article débouche sur quelques recommandations, dont celle d’adopter une politique-type relative à la supervision pédagogique qui viendrait soutenir les directions d’école, légitimer leurs pratiques et assurer une cohérence lors de leurs interventions.

S’il existe différents modes de supervision pédagogique, la communauté d’apprentissage professionnelle constitue un excellent mécanisme pour, non seulement améliorer la réussite éducative des élèves et le développement professionnel des enseignants, mais aussi pour assurer ce type de supervision. En corollaire, de plus en plus d’écoles canadiennes et étatsuniennes travaillent en communauté d’apprentissage professionnelle. De ce nouveau mode de fonctionnement, nous connaissons ses caractéristiques (Hord, 2004; ses conditions d’implantation (Génier, 2013; Maatouk, 2014); ses avantages pour les élèves et les enseignants (Leclerc, Dumouchel et De Grandpré, 2015); or force est d’admettre que peu d’études franco-canadiennes ont étudié la compétence nécessaire, chez les directions d’école, pour instaurer ce mode de fonctionnement. La recherche d’IsaBelle et Martineau Vachon a été menée auprès de 15 directions d’école de trois provinces canadiennes qui ont implanté et fait progresser leur école à un stade avancé d’une communauté d’apprentissage professionnelle. L’étude visait à identifier les composantes de la compétence nécessaire pour instaurer et faire progresser ce nouveau mode de fonctionnement. Les résultats révèlent trois habiletés, une attitude et des connaissances nécessaires pour réussir l’implantation d’une communauté d’apprentissage professionnelle.

Par ailleurs, la mondialisation, c’est bien connu, entraîne la mobilisation des ressources humaines. Il en va de même pour d’autres facteurs tels que la faim, la maladie, les difficultés à pratiquer sa religion, les conflits internationaux ou, tout simplement, le goût de vivre dans un autre pays. Conséquemment, l’immigration a des incidences sur de nombreuses institutions, dont les établissements d'éducation. La recherche effectuée par Gélinas-Proulx, Labelle et Jacquin présente l’adaptation d’un Modèle initial de compétence interculturelle pour les directions d’école de langue française du Québec et du Nouveau-Brunswick. Ce modèle expose les trois composantes d’une compétence : les connaissances, les habiletés et les attitudes. Chacune de ces composantes regroupe plusieurs indicateurs qui forment le modèle et qui peuvent servir d’outil d’(auto)formation. Ainsi, considérant le peu de recherche et de formation offertes aux directions d’école en matière d’interculturalisme, cette étude pourrait s’avérer des plus utiles pour elles.

En ce qui concerne les recherches sur la formation des directions d’école dans les pays en voie de développement, nous retrouvons également très peu d’écrits (Baldé, 2014; Fiset, 2012). Qui plus est, les écrits scientifiques de recherche montrent que peu de recherches ont été menées dans ces pays. Par son étude et la formation offerte aux directions d’école en Haïti, l’article de Rocque trouve ici toute son originalité. Sa recherche, conduite auprès de 23 directions d’école haïtiennes, tentait de cerner l’impact d’une initiative de formation continue sur l’évolution de la notion de leadership et sur le développement de leurs pratiques professionnelles. Au-delà de l’impact évalué, le professeur Rocque admet que sa recherche, offerte in situ, a permis, entre autres, de relever des conditions gagnantes à une formation internationale : une planification d’intervention élaborée en collaboration avec les principaux acteurs du terrain, un respect des valeurs socioculturelles et un souhait d’engagement à plus long terme exprimé par tous les principaux acteurs peuvent faciliter le développement des capacités locales (Smillie et Todorović, 2001).

Toujours en lien avec la formation, Lessard (2017) affirme qu’au Québec, c’est en pleine Révolution Tranquille que la formation des maîtres prend le sentier de l’universitarisation. La recherche de Tardif et Deschenaux affine cette question en offrant le point de vue bien particulier des directions de centres de formation professionnelle sur la formation universitaire à l’enseignement professionnel. On y découvre, entre autres, que la majorité des directions de centres de formation professionnelle trouve la formation universitaire à l’enseignement professionnel pertinente, mais s’interroge sur la durée de ce programme qui a des conséquences importantes au regard de la conciliation entre le travail, les études et la vie personnelle des enseignants. En ce sens, les directions de centres de formation professionnelle ont un rôle important à jouer auprès des enseignants, notamment des nouveaux enseignants, rôle qui apparaît spécifique à l’enseignement professionnel.

La qualité de vie au travail des directions d’école est également explorée dans ce numéro thématique par l’entremise d’une étude réalisée par Poirel, Yvon, Lapointe et Denecker. Leur recherche vise à effectuer une analyse comparative des sources de stress professionnel chez les directions et les directions adjointes, afin de mieux saisir les particularités du travail des directions adjointes dans une perspective d’accompagnement et de formation. Leurs travaux comblent une lacune importante en recherche, car peu d’écrits scientifiques lèvent le voile sur les rôles, les fonctions et les compétences qui sont propres aux directions adjointes d’école. Parmi les sources de stress professionnel possibles, ces chercheurs s’attardent plus précisément aux contraintes administratives, aux conflits intrapersonnels, aux relations interpersonnelles, aux attentes de rôles, au renouveau pédagogique et aux responsabilités administratives. Les différences observées entre les directions d’école et les directions adjointes pour chacune de ces variables incitent à croire qu’il serait important de les prendre en considération dans les programmes de formation.

Ainsi les articles présentés dans ce numéro thématique mettent-ils en relief plusieurs rôles, responsabilités, pratiques, compétences et fonctions dévolues aux directions d’école. Les attentes sont grandes à leur égard. Les directions d’école sont directement imputables de leurs actions. L’exercice de leurs fonctions est fortement encadré par des lois, des conventions, des politiques et des règlements. Devant ces exigences multiples et de plus en plus complexes, la formation et le développement de leurs compétences deviennent des incontournables : compétences pédagogiques, administratives, interculturelles, certes, mais également des compétences axées sur la gestion de la qualité de vie au travail, voire la gestion de leur bien-être.