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Le financement des logements des nations autochtones vivant sur des terres de réserve fédérale ou ayant un traité avec le gouvernement canadien est généralement l’entière responsabilité du gouvernement fédéral. Tel est le cas, par exemple, pour les Innus de la Côte-Nord, vivant sur des terres de réserve fédérale, et des Cris en Eeyou Istchee. Il en est toutefois autrement des logements sociaux au Nunavik où le financement est assuré par le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. À ces deux niveaux de gouvernement s’ajoutent de nombreux autres acteurs qui se partagent différentes responsabilités en ce qui a trait à la gestion et à la construction des logements. La gestion du logement social est ainsi complexifiée au Nunavik, où des décisions sont prises à la fois à l’échelle locale, régionale, provinciale et fédérale.

Or, le logement est particulièrement problématique au Nunavik. Le logement social est central au Nunavik où le parc d’habitation est composé à 96 % de logements sociaux (SCHL 2010). Or, celui-ci ne répond pas aux besoins de la population. Selon l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK), il manquait, en 2013, 899 logements au Nunavik pour répondre aux besoins de la population (SHQ 2014). De même, selon une étude de la Société canadienne d’hypothèques et de logement réalisée en 2010, 48 % des ménages inuits vivaient dans des logements surpeuplés alors que la moyenne canadienne est de 6 % (SCHL 2010). Dans l’ensemble, le Nunavik est la région du Canada qui connaît le plus haut taux de surpeuplement (Duhaime 2009)

Compte tenu de la proportion importante de logements sociaux sur le territoire, la problématique du surpeuplement et celle du manque de logements (SCHL 2010 ; OMHK 2010) sont donc indissociables de la gestion et de l’administration des politiques et des programmes gouvernementaux de logement.

La gestion du logement sur ce territoire est majoritairement édictée par l’Entente concernant la mise en oeuvre de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois en matière de logement au Nunavik. Cette entente est centrale, d’un point de vue politique, pour comprendre la situation du logement au Nunavik, puisqu’elle fixe les rôles de chacun des acteurs concernés et établit le financement accordé pour la construction des logements sociaux. L’entente, signée en 2000 pour une durée de cinq ans, a été renouvelée deux fois : en 2005 et en 2010. En 2015, l’entente a été renouvelée provisoirement pour un an seulement (2015-2016). Si elle avait pour but, lors de sa signature en 2000, de répondre aux besoins du Nunavik en logements, la mise en place, en 2011, d’un mécanisme de résolution des différends et l’absence d’accord, en 2015, pour un renouvellement de cinq ans, sont des signes que cette entente ne rencontrerait pas les objectifs souhaités par l’ensemble des signataires. La présente étude analyse le rôle joué par les acteurs et leur position dans ce différend. Par une analyse historique de l’entente, de sa négociation en 2000 à la mise en place du mécanisme de résolution des différends en 2011, ce texte cherche particulièrement à mettre en lumière la participation et le pouvoir que les acteurs régionaux exercent à travers cette politique.

Méthodologie

L’étude des pouvoirs des acteurs est controversée dans la littérature (Rodon 1998 ; Baumgartner et Leech 1998) ; pour cette raison les auteurs limitent ici sa définition au pouvoir institutionnel et légal. Le pouvoir consiste donc dans le « contrôle des décisions ou […] des opérations qui concernent ses ressources ou celles d’autres acteurs » (Lemieux 1996).

Gérard Bergeron fait la distinction entre quatre types d’actions politiques : la gouverne, l’administration, la législation et la juridiction. Alors que la gouverne et l’administration sont des tâches politiques, la législation et la juridiction sont des actes juridiques. De plus, les actes de gouverne et de législation sont des actes impératifs, qui commandent les actions futures, alors que les actes d’administration et de juridiction sont des actes d’exécution qui mettent en oeuvre les commandements (Bergeron 1977). Il est ainsi possible de faire la distinction entre le pouvoir de commander et le pouvoir d’agir, entre le pouvoir du personnel politique qui prend les décisions et celui des fonctionnaires qui les mettent en oeuvre (ibid.).

Pour analyser les pouvoirs des différents acteurs, cet article s’appuie sur les entrevues menées par l’auteure principale dans le cadre de son mémoire (Therrien 2013) et sur une revue de la littérature scientifique et de la littérature organisationnelle parues depuis (voir encadré). Après une description de l’entente en question, les auteurs dresseront un portrait historique des différentes étapes de la politique publique, depuis sa mise à l’agenda par les acteurs régionaux à ses différents renouvellements.

L’entente

L’Entente concernant la mise en oeuvre de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) en matière de logement au Nunavik, signée en 2000, régit la construction et l’administration des logements au Nunavik. L’entente fut signée par la Société Makivik, l’Administration régionale Kativik (ARK), l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK), le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada. Elle fut renouvelée en 2005 et en 2010, et de manière provisoire en 2015. Le document a principalement pour but de répondre aux besoins de logements au Nunavik par la mise en place d’une entente renouvelable assurant la construction de nouvelles unités chaque année. De même, l’accord établit la nature de l’engagement de chacun des acteurs dans la construction et la gestion des logements au Nunavik. Ainsi, le gouvernement du Canada doit verser dix millions de dollars, chaque année, à la Société Makivik, pour la construction des logements sociaux, alors que la SHQ verse à l’OMHK une somme semblable afin d’assurer la gestion de ces logements. Par cette entente, la Société Makivik doit construire les habitations chaque année, et l’OMHK, au même titre que les autres offices municipaux de la province, doit les gérer.

L’entente a également créé un nouvel organe, le Comité sur l’habitation au Nunavik (CHN), renommé depuis 2010 Comité sur l’habitation dans la région Kativik (CHK). Ce comité réunit, trois fois par année, deux représentants du gouvernement du Canada, deux représentants du gouvernement québécois, une personne de l’ARK, une personne de la Société Makivik et une personne de l’OMHK. Le CHK doit s’assurer que « les ressources financières octroyées en vertu de la présente entente [soit] utilisées de manière à construire un nombre optimal d’unités de logement inuit, tout en favorisant la formation de la main-d’oeuvre ainsi que la création d’emplois et d’autres bénéfices économiques » (Entente concernant la mise en oeuvre 2000, art. 5.2). En plus de servir de lieu d’échange d’information, le CHK doit procéder à une évaluation de l’entente avant chaque renouvellement (Entente concernant la mise en oeuvre 2000, art. 7). Finalement, l’entente signée en 2000 incluait aussi l’obligation pour l’ARK et l’OMHK de collaborer avec la SHQ en vue de l’application d’une nouvelle échelle des loyers.

La mise à l’agenda

Pour comprendre l’entente, il faut retourner dans le temps. En 1981, le gouvernement fédéral transférait à la province la propriété et la gestion des logements sociaux dans le cadre de l’Entente de transfert entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec concernant le transfert de la propriété et des responsabilités pour le logement au Québec. Par cet accord, le Québec acceptait de s’acquitter des responsabilités jusqu’alors prises en charge par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) en ce qui a trait à la gestion du logement. Du même coup, le Canada cédait la propriété de ses habitations et de ses équipements au Québec. Ces deux acteurs convenaient alors que le Québec assumait dorénavant les responsabilités attribuées au Canada dans la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) [Entente de transfert 1981].

Près de dix ans plus tard, en 1990, le Canada signait avec la Société Makivik l’Entente concernant la mise en oeuvre de la CBJNQ. L’entente définissait la forme que prendraient les différents engagements du gouvernement fédéral dans le cadre de la CBJNQ. Ce dernier accordait vingt-deux millions de dollars à la Société Makivik en échange de la quittance sur certains sujets de la CBJNQ (Entente concernant la mise en oeuvre 1990)[1].

L’entente de 1981 et l’Entente concernant la mise en oeuvre de la CBJNQ ont cependant été la source d’un important différend dans le domaine du logement. En effet, le gouvernement du Canada, par l’entremise du MAINC, déclarait alors qu’il n’avait plus l’obligation légale de financer la construction de logements au Nunavik (Société Makivik et Administration régionale Kativik 1998). De son point de vue, le gouvernement canadien avait rempli ses obligations dans ce domaine lorsqu’il avait transféré la propriété des logements sociaux au gouvernement québécois en 1981. L’entente de mise en oeuvre de 1990 confirmait la fin des obligations du Canada, puisque les « Inuit reconnaissent que […] le Canada s’est acquitté ou s’acquitte, selon le cas, des obligations qu’il a en vertu des dispositions du chapitre 29 de la CBJNQ concernant ce qui suit : […] le développement économique et social » (Entente concernant la mise en oeuvre 1990, art. 9.2).

La Société Makivik et l’Administration régionale Kativik étaient opposées à l’interprétation du Canada. Pour ces deux acteurs, l’entente de transfert ne permettait pas au gouvernement de s’acquitter de l’ensemble de ses responsabilités, entre autres, en ce qui a trait au logement. Selon leur interprétation des articles 29.0.2 et 2.12 de la CBJNQ, les obligations des gouvernements fédéral et provincial continuaient de s’appliquer pour les Inuits de la même manière que pour les autres autochtones du Canada. Les programmes et services inclus dans la CBJNQ, tel le logement, s’ajoutaient à ceux déjà offerts par le fédéral et ne les remplaçaient pas (Société Makivik et ARK 1998).

Cette position a été défendue dès 1981 par la Société Makivik et l’Administration régionale Kativik, qui critiquaient le transfert de responsabilités du fédéral au provincial puisque les Inuits n’avaient pas été consultés à ce sujet. Or, à partir des années 1990, le gouvernement fédéral souhaite se retirer des politiques de logement au Nunavik. Cette volonté s’est traduite par l’absence presque totale de constructions de nouveaux logements entre 1995 et 1998 (SHQ 2001). Les pressions de la Société Makivik sur le gouvernement canadien ont repris plus fortement, alors que les dernières habitations du programme de rattrapage avaient été construites et qu’aucun nouveau programme de construction n’était prévu. En février 1996, la Société Makivik a donc demandé, devant le conseil de mise en oeuvre de la CBJNQ, que le gouvernement fédéral participe à un groupe de travail sur la conception d’un nouveau programme de construction d’habitations. La participation du fédéral était vue par Makivik comme une reconnaissance par le Canada de ses obligations dans ce domaine (Canada 1982 ; Entrevue n˚ 2).

Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) a toutefois refusé de participer à un tel groupe de travail. Une série de rencontres et de correspondances entre le gouvernement fédéral et la Société Makivik a suivi. Chaque organisation tentait de convaincre l’autre du bien-fondé de sa position. Le MAINC a demandé par deux fois à Makivik de s’adresser à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Or, pour Makivik, seul le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) avait des obligations en vertu de la CBJNQ et c’était donc seulement avec lui que les Inuits devaient traiter. Lorsque Makivik s’est adressée à la SCHL, cette dernière l’a redirigée vers le MAINC (Société Makivik et ARK 1998).

En réponse à cette attitude, le 11 juin 1998, Makivik amorçait le mécanisme de règlement des différends (MRD) prévu dans l’Entente de mise en oeuvre de la CBJNQ (Société Makivik et ARK 1998). Un an plus tard, en juillet 1999, le gouvernement canadien reconnaissait ses obligations en ce qui a trait au logement au Nunavik (Société Makivik 2000). À partir de ce moment, le gouvernement fédéral devait collaborer avec la Société Makivik, l’Administration régionale Kativik et le gouvernement québécois afin de mettre sur pied un nouveau programme de construction de logements sociaux au Nunavik.

Parallèlement, le gouvernement provincial négociait avec l’Administration régionale Kativik. Désirant que des actions soient entreprises rapidement dans le Nord, le Secrétariat aux affaires autochtones (SAA) du Québec parvenait, en 1998, à une entente-cadre avec l’ARK. Cette entente modifiait les politiques et les acteurs dans le domaine de l’habitation au Nunavik (Société Makivik et ARK 1998). Dans le cadre de lEntente-cadre concernant la région Kativik, le gouvernement provincial et l’ARK s’engageaient à mettre en place un nouvel organisme de gestion en décembre 1998. Ce nouvel organisme a pris la forme d’un office municipal : l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK).

Sa création a suscité plusieurs critiques de la part de l’ARK. En effet, tel que l’expose un ancien employé de l’ARK, la création de l’office n’était pas souhaitée par l’Administration régionale Kativik, qui gérait déjà les logements sociaux dans chaque village (Entrevue 1). L’ARK proposait de créer une division qui se consacre à l’habitation sociale puisqu’elle avait déjà des représentants dans tous les villages. Le gouvernement du Québec a pourtant insisté pour la création de cette organisation, et l’ARK, étant donné l’urgence de la situation, a accepté (Entrevue 2). Pour le Québec, le Nunavik devait adopter le même modèle que le reste du Québec, soit celui d’un office municipal (Entrevues 1 et 2). Cet office avait pour avantage d’être dissocié des autorités politiques, en obtenant son mandat directement de la SHQ. Selon le gouvernement québécois, ce système améliorerait la gestion des logements ainsi que la collecte des loyers et permettrait une distribution plus impartiale des logements aux familles (Entrevue 1 et 2). De plus, un office municipal permettrait, selon Québec, de rassembler sous un même toit la gestion des logements dans les quatorze communautés. Ce nouvel organe amènerait de l’emploi et permettrait de donner plus de pouvoir à la région (George 1998). Cette volonté ainsi que l’urgence de la situation ont amené les acteurs à accepter la création de l’Office municipal et à signer l’entente rapidement (Entrevue 2).

Formulation et décisions

À partir du moment où le gouvernement fédéral a reconnu ses obligations, en juillet 1999, la négociation s’est déroulée rapidement. En avril 2000, les deux gouvernements annonçaient publiquement les sommes qui devaient être versées dans le cadre de la future entente et de la nouvelle responsabilité qu’aurait Makivik en ce qui a trait à la construction des logements sociaux (George 2000).

Dans un premier temps, les discussions portaient sur la somme à allouer à la construction des logements. Makivik et l’ARK auraient aimé avoir davantage de fonds (Entrevue 3) et leurs propositions se basaient sur les besoins en logements de la population (Entrevue 4). L’enveloppe financière établie dans l’entente correspond à un compromis entre ce que voulaient octroyer les gouvernements canadien et québécois et ce que Makivik et l’ARK désiraient (Entrevue 2). De même, d’importantes discussions ont eu lieu entre les gouvernements fédéral et provincial sur la manière de répartir équitablement les sommes d’argent à investir. Le gouvernement fédéral souhaitait que la somme qu’il allait débourser soit égale à celle du gouvernement provincial et inversement. Il fut alors convenu que le Canada payerait pour la construction, et le Québec, pour la gestion. Ces deux catégories de dépenses étaient estimées d’égale valeur par les deux gouvernements (Entrevue 3).

Un autre sujet de discussion fut celui de donner à Makivik la responsabilité de construire les habitations. Lors des premières rencontres, les acteurs avaient convenu que la SHQ continuerait de construire les habitations en procédant par appel d’offres. Or, lors d’une rencontre, Makivik a mentionné qu’il lui serait possible de construire les nouveaux logements sociaux. Louise Harel, alors ministre responsable de la SHQ, s’est étonnée que Makivik ne le fasse pas déjà et trouvait plus approprié que ce soit cette société qui construise les logements (Entrevue 2). Il y eut certaines réticences du gouvernement fédéral et des employés de la SHQ. Ces derniers perdaient le mandat qu’ils avaient dans la région. Aussi, le gouvernement fédéral était réticent face à ce transfert de responsabilité, Makivik n’ayant pas d’expérience, à ce moment-là, dans la construction immobilière (Entrevue 2). En ce sens, il y a eu une « décision gouvernementale » qui a permis de transférer la responsabilité à Makivik (Entrevues 2 et 3). Depuis ce temps, Makivik et le gouvernement fédéral signent un contrat de gré à gré dans lequel Makivik obtient, chaque année, la construction des habitations pour cinq ans contre des obligations de performance, c’est-à-dire l’obligation de construire à faible coût.

Si certains sujets sont moins discutés que d’autres, la clause obligeant les parties à négocier une nouvelle échelle des loyers a, quant à elle, été l’objet d’un grand désaccord. Le Québec et le Canada souhaitaient, depuis près de vingt ans, que le système de calcul des loyers soit le même au Nunavik que dans le reste du Canada, soit des loyers fixés à 25 % du revenu du locataire (Entrevues 4 et 5). Les loyers, à l’époque, n’étaient pas calculés selon le niveau de revenu du locataire, mais plutôt selon le type de logement (nombre de pièces et années de construction) et la source de revenu du locataire (aide sociale ou autre revenu). Les loyers étaient donc beaucoup moins élevés qu’ils ne l’auraient été avec une échelle tenant en compte le niveau de revenu du locataire. En ce sens, le gouvernement provincial percevait peu d’argent des locataires et le gouvernement canadien devait verser davantage d’argent au gouvernement du Québec pour la gestion des logements au Nunavik, puisque moins d’argent était amassé par les loyers par le gouvernement québécois. L’argument du gouvernement québécois allait aussi en ce sens, c’est-à-dire que, si le gouvernement fédéral ne lui payait plus les sommes supplémentaires, le Québec se retrouverait avec un manque à gagner (Entrevue 2). Les gouvernements fédéral et provincial souhaitaient donc qu’une nouvelle échelle des loyers soit mise en place (Entrevue 1).

Or, pour l’ARK et Makivik, le calcul du loyer selon le revenu allait être dommageable pour le Nunavik. Le coût des biens de consommation étant élevé dans cette région, seul le faible prix du loyer permettait de diminuer le coût de la vie (Entrevues 1 et 2). En modifiant l’échelle des loyers, les craintes étaient que les arrérages de loyer et le niveau de pauvreté au Nunavik augmentent (Entrevue 5). La scission entre la position des gouvernements et celle des organisations régionales a perduré. Or, pour que cet article fasse partie de l’entente, les deux gouvernements ont obligé les acteurs régionaux à négocier sur le sujet pour qu’il y ait construction de logements : « C’était un deal breaker, s’il n’y avait pas d’échelle des loyers, il n’y avait pas d’entente, c’était aussi clair que ça. » (Entrevue 2)

Application

Avec cette entente, une panoplie d’acteurs sont maintenant partie prenante de la gestion du logement au Nunavik. Du gouvernement fédéral aux villages nordiques, les différents paliers de gouvernement sont tous engagés dans la mise en place de cette politique.

La responsabilité des gouvernements fédéral et provincial

Le gouvernement fédéral a la responsabilité de donner les fonds à la Société Makivik. De 2000 à 2005, sa contribution annuelle était de dix millions de dollars par année (Entente concernant la mise en oeuvre 2000). À partir de 2005, la somme donnée à Makivik a été renégociée : les fonds ont alors été indexés pour correspondre à l’augmentation du coût de la vie (Entente concernant la mise en oeuvre 2005).

Du côté du gouvernement provincial, la responsabilité de la Société d’habitation du Québec (SHQ) est d’octroyer les fonds pour la gestion des logements au Nunavik. Elle doit payer la différence entre les loyers récoltés par l’OMHK et le coût réel de gestion des logements au Nunavik qu’elle doit assumer (Entrevue 1). Aussi, la SHQ a la responsabilité d’approuver le budget de l’OMHK, préalablement approuvé par l’ARK ; elle a le droit d’apporter au budget « toute modification qu’elle juge opportune » (Contrat d’exploitation 1999). De même, la SHQ doit vérifier les plans et devis de la Société Makivik avant qu’elle ne commence la construction des logements en plus de s’assurer, par le biais de l’OMHK, que les bâtiments construits sont conformes aux normes de construction en vigueur au Québec (Entrevue 3). Depuis 2000, ces deux niveaux de gouvernements ont donc un rôle de pourvoyeur de fonds et de vérificateur des dépenses et de la conformité des bâtiments.

L’Administration régionale Kativik (ARK)

L’ARK est une organisation qui a été créée par la CBJNQ, en 1978, et elle représente l’ensemble des résidents de la région. L’ARK a, entre autres, compétence en matière de transport, de communication, du service de police, de formation et d’utilisation de la main-d’oeuvre. Dans le domaine du logement, elle a une seule responsabilité : déterminer, chaque année, le nombre de logements à construire dans chaque village. Une fois par année, au printemps, l’ARK réunit l’ensemble de ses conseillers, représentant chacun des quatorze villages nordiques, pour décider où construire les différents logements l’année suivante. Les décisions prises se fondent principalement sur les statistiques fournies par l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK). Les statistiques font état des besoins en logements et des besoins en chambres à coucher de chaque communauté. L’OMHK propose alors un scénario de distribution des logements dans quatre à six villages du Nunavik. L’ARK décide, à partir de ce scénario, de la distribution finale des logements (Entrevue 6). De plus, pendant ces rencontres, l’ARK approuve les budgets de l’OMHK pour l’année suivante (Entrevue 1).

La Société Makivik

La Société Makivik a été mise en place en 1975 avec la signature de la CBJNQ. Elle représente les bénéficiaires inuits de la région et a notamment comme responsabilité l’administration des compensations financières découlant de la Convention. Dans le domaine du logement, elle construit les logements en utilisant l’ensemble des fonds fournis par le gouvernement fédéral. Les constructions doivent respecter ou surpasser les normes de construction fixées par la SHQ, et la Société Makivik doit maximiser le nombre de logements construits (Entente concernant la mise en oeuvre 2000).

Cet objectif est en partie atteint par le fait que la division Construction de Makivik est sans but lucratif. Elle ne cherche donc pas à faire de profit sur les logements qu’elle construit. De même, Makivik a adopté, pour la majorité de ses constructions, le modèle des duplex. Il s’agit d’un modèle qui avait déjà été utilisé pour les employés de la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik (Entrevue 2). Son utilisation a donc permis à Makivik de diminuer ses coûts de construction, puisque la Société a pu acheter les plans et devis de la Régie régionale, au lieu d’en confectionner de nouveaux. De plus, le modèle du duplex permet le partage de la salle mécanique, utilisée par les deux unités de logement, et la construction d’un seul radier. Finalement, l’utilisation du même modèle année après année permet à Makivik et à l’OMHK d’acheter le matériel en grande quantité. Ces organismes peuvent donc avoir des prix unitaires plus bas pour leurs équipements et pièces (Entrevue 2).

L’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK)

L’OMHK a été créée en 1999. Il a pour mandat « l’acquisition, la construction et l’administration d’immeubles d’habitation pour personnes ou familles à faible revenu ou à revenu modique résidant sur le territoire du Nunavik » (Québec 1999). Une fois la construction des habitations terminée, les logements sont inspectés par l’OMHK, au nom de la SHQ, pour voir s’ils respectent l’ensemble des normes. Une fois les habitations réalisées, la propriété du logement est transférée à l’OMHK pour un dollar (Entrevues 5 et 12). L’OMHK a alors la responsabilité de gérer les logements : elle doit les entretenir, veiller à la bonne application des règles d’octroi des logements et surveiller la qualité générale des habitations construites par Makivik. De même, elle doit percevoir les loyers et veiller à l’administration des programmes d’habitation de la région (SHQ 2014).

Le Comité sur l’habitation Kativik

Le Comité sur l’habitation dans la région Kativik (CHK), renommé ainsi depuis 2010, a été mis en place pour assurer la bonne gestion de l’entente. Ce comité se subdivise en deux sous-comités : un comité administratif et l’autre technique.

Le comité administratif est composé de deux personnes de la SHQ, d’un représentant de Makivik, d’un représentant de l’ARK, d’un représentant de l’OMHK et de deux représentants du gouvernement fédéral (un représentant de la SCHL et un représentant du MAINC) [Entrevues 3 et 6]. Ce comité discute surtout de l’évaluation de l’entente et de son renouvellement, mais il traite aussi de l’ensemble des initiatives touchant l’habitation au Nunavik (Entrevue 5). Il s’agit ainsi d’un lieu d’échange d’information sur le logement entre les acteurs régionaux, provinciaux et fédéraux (Entrevues 2, 5 et 6).

Le comité technique traite davantage des standards et de la qualité des logements. Les membres sont les mêmes que ceux du comité administratif, à l’exception du gouvernement fédéral qui n’y participe pas (Entrevue 6). Un des sujets fréquemment abordés lors de ces réunions est celui de la qualité des logements par rapport au nombre total d’habitations qui pourraient être construites (Entrevues 1, 5, 6). Les acteurs se divisent alors souvent en deux camps. La SHQ et l’OMHK mettent de l’avant la qualité des logements, puisqu’ils en sont les gestionnaires. Les coûts liés à leur entretien dépendent de la qualité des logements construits par Makivik (Entrevues 1 et 5). À l’inverse, Makivik obtient un montant fixe du fédéral et elle a la responsabilité de maximiser les constructions. De même, étant donné les besoins importants en logements au Nunavik, la Société souhaite construire le plus de logements possible (Entrevue 12). L’ARK partage souvent la position de cette dernière (Entrevue 6), mais reste, tout de même, « un peu neutre par rapport à [ses propos] » puisqu’elle n’a pas un rôle très technique à jouer dans leur construction (Entrevue 1). Les positions divergentes des acteurs résultent de la formulation de l’entente puisque, de « la façon dont l’entente est faite, ce problème-là arrive. Il y a deux payeurs pour deux affaires différentes, donc un nuit à l’autre » (Entrevue 5). Les décisions quant à la qualité des matériaux sont alors souvent le fruit de compromis, afin d’obtenir un « juste équilibre » entre le coût et la qualité (Entrevues 1 et 12).

Quelques modifications amenées par les acteurs régionaux

Grâce à l’Entente, Makivik et l’ARK ont également été en mesure de modifier certaines pratiques et de choisir les types de logements à construire.

Ainsi, au Nunavik, la majorité des logements construits pendant la première entente quinquennale, soit de 2000 à 2005, étaient de type duplex. Bien que le choix des duplex semble justifié par leur plus faible coût de construction, il a été l’objet de discussions. L’ARK, entre autres, pensait qu’avec la composition des ménages inuits, la construction de logements contenant jusqu’à cinq chambres à coucher était plus adéquate (Entrevue 2). L’OMHK a montré, à l’aide de statistiques, que de nombreuses jeunes familles avaient besoin de logements. Par conséquent, des logements contenant deux chambres à coucher devaient être construits en majorité (Entrevue 6). Encore en 2010, l’enquête sur les besoins en logements réalisée par l’OMHK montrait un besoin important pour des habitations contenant une chambre à coucher. Pour l’ensemble de la région, le déficit de logements contenant une chambre à coucher est passé de 909 unités en 2008 à 1067 en 2010, puis à 899 en 2013. Étant donné le statut souvent temporaire des personnes célibataires et des couples, l’OMHK recommandait donc de continuer la construction de duplex à deux chambres à coucher (OMHK 2010). Si jusqu’à aujourd’hui le choix du duplex contenant deux chambres à coucher a fait l’objet d’un certain consensus (Entrevues 2, 6, 12), le besoin pour ces logements semble diminuer, et de nouvelles habitations unifamiliales sont de plus en plus nécessaires (Entrevue 6). C’est pourquoi Makivik construit, de façon ponctuelle, des logements de plus de deux chambres à coucher (Société Makivik 2003), des logements d’une chambre à coucher et, depuis 2009, des logements bigénérationnels (SHQ 2014).

La Société Makivik et l’ARK ont aussi apporté des changements à la saison de construction. Auparavant, la SHQ et l’ARK décidaient de la distribution des logements dans chaque communauté du Nunavik au printemps pour l’année en cours. Les matériaux étaient acheminés aux villages pendant l’été et leur construction se terminait souvent en février de l’année suivante. Il fallait alors, en décembre et en janvier, démobiliser et remobiliser les employés du chantier (Entrevue 1). Or, depuis 2001, l’ARK fait la distribution des logements au printemps pour l’année suivante. Le choix plus hâtif permet à Makivik d’envoyer les matériaux de construction dans chacun des villages pendant l’été et d’y construire les radiers pour l’année suivante (Société Makivik 2001). La construction peut alors commencer au printemps de l’année suivante, avant que le transport maritime ne soit accessible. Les logements sont terminés, habituellement, en décembre de la même année. Ces changements dans la saison de construction permettent également à Makivik de diminuer ses coûts de construction (Entrevue 1).

Makivik a aussi tenté de diminuer le nombre de villages où sont construits des logements chaque année. Makivik tente de construire des logements dans trois à six villages par année (Entrevues 1 et 6). Cependant, bien que Makivik demande toujours « plus de maisons dans moins de villages, parce que c’est moins cher évidemment, pour la mobilisation et tout ça », le conseil de l’ARK vote pour que soient construits des logements dans « 5 ou 6 communautés par année » (Entrevue 2). En ce sens, l’objectif de la Société n’est jamais totalement atteint. De même, Makivik essaye de rester plus d’une année dans un même village, ce qui permet à la Société de diminuer les coûts de son chantier. Elle a moins de chantiers à mettre en place, et sa main-d’oeuvre peut rester plus longtemps dans une même municipalité (Entrevue 6).

Les organisations locales

Différentes organisations sont également engagées dans la gestion locale des logements. Ainsi, les maires des villages nordiques ou un de leurs conseillers ont comme principale responsabilité de choisir, au sein du conseil de l’ARK, les villages où seront construits les prochains logements. Une fois ce choix fait, les municipalités doivent, avec la corporation foncière locale[2] et l’ARK, déterminer les sites où seront construits les prochains logements (Entrevue 8).

Ensuite, le comité local d’habitation, auquel prennent part des citoyens élus par les résidents, décide à qui iront les prochains logements. À Puvirnituq, par exemple, en 2012, le comité était composé de cinq citoyens élus et de deux membres du conseil de la ville (Entrevue 8). Avant de choisir les locataires, l’OMHK transmet à chaque village les règles relatives à l’octroi des logements aux locataires ; ces règles donnent à chaque citoyen attendant un logement social un pointage relatif à sa condition. Des points leur sont attribués selon certains critères : leur situation sociale (âge, nombre d’enfants, état civil, etc.) et psychologique (par exemple, les victimes de violences) et la situation du logement dans lequel ils sont (taux d’occupation du logement, état sanitaire, etc.) [Entrevues 5 et 7]. Les personnes ayant le plus de points sont celles à qui devraient être octroyés les logements. Le comité local d’habitation valide ce pointage, c’est-à-dire qu’il confirme que la situation des locataires est telle qu’elle est présentée. Il soumet sa recommandation à l’OMHK à Kuujjuaq, qui octroie ensuite les logements aux locataires sélectionnés (Entrevues 5 et 7).

En ce sens, bien que la municipalité, la corporation foncière et le comité local d’habitation soient responsables de la gestion du logement dans leur communauté, ils n’ont, en fin de compte, que peu à dire. Ils doivent discuter avec les autres municipalités pour demander plus de logements, ce qui pénalisera alors d’autres communautés, qui en recevront moins. Ils peuvent choisir à qui iront les logements, mais en respectant les règles décidées par l’OMHK. Leur seul pouvoir réside donc dans le choix de la localisation des logements. Cette entente fait donc peu de place aux acteurs locaux qui, plutôt, se voient relégués à un rôle d’approbation des décisions prises régionalement. Ainsi, la communauté est exclue des décisions relatives à l’habitation (Déjos et Craïssac 2014), et toute initiative locale doit alors passer par d’autres mécanismes.

Les renouvellements de l’entente

Le renouvellement de 2005

La principale différence entre l’entente renouvelée en 2005 et celle signée en 2000 est que les fonds octroyés à Makivik y sont indexés selon l’Indice implicite de prix de la demande intérieure finale (IIPDIF). Selon cette formule, les sommes données par le gouvernement canadien suivent l’augmentation de la population et l’augmentation du prix à la consommation (Entente concernant la mise en oeuvre 2005). L’insertion de cette clause dans le renouvellement ne s’est pas fait sans difficulté, puisque le gouvernement fédéral devait débourser davantage d’argent. La Société d’habitation du Québec (SHQ) n’était pas touchée par cette indexation, car, comme il a été mentionné, elle ne paye pas un montant fixe à l’Office municipal d’habitation Kativik (OMHK), mais elle comble le déficit d’exploitation. Les principales discussions ont donc eu lieu entre le fédéral et Makivik, qui devaient s’entendre sur une formule d’indexation. La formule adoptée fut celle de l’IIPDIF, qui avait pour avantage d’être la même que pour les autres ententes fédérales indexées, de se fonder sur un indice calculé par Statistique Canada et d’être disponible à date fixe (Entrevue 5). Makivik aurait bien souhaité d’autres formules plus prévisibles, mais l’adoption de celle-ci a été un compromis entre Makivik et le gouvernement fédéral, qui ne souhaitait pas, au début, indexer les montants donnés à la Société (Entrevue 2).

Le renouvellement de 2010 et ses suites

De nouvelles discussions eurent lieu lors du renouvellement de l’entente en 2010. L’un des principaux sujets de discussion a été l’insertion, dans l’entente, d’une annexe permettant le rattrapage du déficit en logements (Entrevue 2). Puisque, selon l’OMHK, il manquait toujours 899 logements au Nunavik en 2013, Makivik et l’ARK souhaitaient que les gouvernements fédéral et provincial incluent dans l’entente un montant supplémentaire permettant de construire ces habitations (George 2010). Les premières discussions sur le rattrapage ont débuté dès 2005, soit dès le premier renouvellement de l’entente. Déjà, les sommes octroyées ne suffisaient pas à combler les besoins en logements (Entrevue 2).

Or, les discussions furent plus importantes à partir de 2010. Pendant plusieurs mois, les représentants fédéraux au Comité sur l’habitation dans la région Kativik (CHK) étaient d’accord avec l’insertion de cette annexe et négociaient à ce sujet. Or, une fois le renouvellement de 2010 signé, les discussions sur le rattrapage entre le gouvernement fédéral et Makivik cessèrent (Nunatsiaq News 2013). Étant donné l’absence de discussions, Makivik envoya donc, en juillet 2011, une première lettre demandant que soit enclenché un mécanisme de règlement des différends (MRD) au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC). Le gouvernement fédéral a répondu à la demande de Makivik à la fin d’octobre, ce qui enclencha donc le MRD (Entrevue 2). De la même manière qu’en 1998 avec le MRD, Makivik prétend que le gouvernement fédéral a négocié de mauvaise foi le renouvellement de 2010 (Entrevue 5). La médiatrice a rendu son rapport en 2012. De la même manière qu’en 1998, le rapport est critique par rapport au gouvernement fédéral. Celui-ci n’a pas agi de bonne foi dans la négociation de l’entente et la demande de rattrapage des logements, selon elle (Nunatsiaq News 2013). Malgré le rapport de la médiatrice, le différend entre Makivik et le gouvernement fédéral ne s’est pas résolu rapidement cette fois. Le fédéral n’était pas prêt à investir dans un programme de rattrapage (Nunatsiaq News 2013) si bien que l’entente quinquennale n’a pu être renouvelée en 2015. Elle a laissé place à une entente provisoire d’un an qui a permis la construction de 60 logements (Rogers 2014). L’élection fédérale de 2015 a arrêté les négociations, et une nouvelle entente n’a pu être signée à temps pour 2016. Dans son budget, le gouvernement fédéral s’est tout de même engagé à verser cinquante millions de dollars, sur deux ans, pour la construction de logements sociaux au Nunavik (Rogers 2016), soit un peu plus que ce qui était alloué annuellement dans le cadre des précédentes ententes quinquennales.

Parallèlement à ce processus, le gouvernement du Québec, par le biais de la SHQ, s’est engagé à pallier une partie du déficit en logements. Avec l’annonce du Plan Nord, en 2011, le Québec s’est engagé à financer la construction de 300 logements sociaux au Nunavik d’ici 2016. Le financement est entièrement assuré par Québec (Nunatsiaq News 2013 ; SHQ 2014). Alors qu’avec le MRD en 1996, le Québec était ouvert aux négociations mais ne voulait pas s’engager sans la présence du MAINC, le Québec subventionne maintenant, avec le Plan Nord, la construction de logements, malgré l’absence de cofinancement du gouvernement fédéral. À la fin de l’année 2013, 138 des 300 logements avaient été construits (SHQ 2014).

Discussion et conclusion

À travers cette politique, il est possible de constater les importantes différences de pouvoir des participants. Alors que le fédéral semble alors se désengager du dossier, le provincial est un peu plus pro-actif, mais les acteurs locaux restent les exécutants des décisions centrales et sont peu engagés dans la gouverne.

Ainsi, bien que les acteurs fédéraux se soient fait imposer la négociation d’un nouveau programme de construction de logements sociaux en 1999, ils utilisent leur pouvoir d’impération, soit un pouvoir qui commande les actions futures, par opposition à un pouvoir exécutif (Bergeron 1977). Ils utilisent ce pouvoir afin de se retirer d’une nouvelle entente, qui devait pallier le déficit de logements, en 2010. Puis, malgré le rapport de la médiatrice, l’absence d’accord quinquennal en 2015 illustre la capacité du gouvernement fédéral à étirer les négociations et, par la non-décision, à user de son pouvoir de gouverne.

Le gouvernement provincial, quant à lui, adopte une approche différente. Proactif, il agit en parallèle avec le fédéral pour mettre en place de nouvelles structures et programmes concernant l’habitation au Nunavik. Ainsi, la SHQ et le gouvernement du Québec négocieront la création de l’OMHK en 1998 et ils mettront en place leur propre politique pour construire 300 logements sociaux supplémentaires dans le cadre du Plan Nord, alors même que les négociations pour le rattrapage du déficit en logements piétinaient.

Les organismes régionaux, quant à eux, ont majoritairement des pouvoirs exécutifs et ne peuvent généralement agir que sur la manière dont les habitations seront construites. Ils usent ainsi du pouvoir juridique d’exécution pour imposer leurs priorités, à la fois en 1998 et en 2011, pour mettre en application le mécanisme de règlement des différends. Tout au long du processus, l’OMHK administre les logements que Makivik construit. L’ARK est la seule à utiliser un pouvoir impératif de gouverne en choisissant les communautés où seront construits les prochains logements. Cette décision est politique et ne découle pas de l’application d’une politique préexistante, contrairement aux responsabilités de Makivik et de l’OMHK. Or, leurs décisions permettent, aussi bien pour l’ARK que pour l’OMHK et Makivik, seulement de modifier la manière dont sont utilisées les ressources sans pouvoir modifier la structure ou la nature de celles-ci. Contrairement au fédéral et au provincial, leur pouvoir est davantage concentré dans la sphère administrative et dans l’application des ententes que dans la gouverne elle-même.

Il est à noter également que le très grand nombre d’acteurs engagés dans la gouverne segmente également les pouvoirs de chacun et limite ainsi leur champ d’action. Lorsque des différends surviennent, les acteurs semblent divisés en deux camps : les constructeurs et les administrateurs des logements. Cette division, qui s’explique par la manière dont les fonds sont octroyés, peut légitimer l’inaction et oblige à un constant dialogue.

Ce faible pouvoir de gouverne concorde avec la conclusion de travaux précédents, au cours desquels nous avons montré que la participation consentie par l’État aux Inuits se limitait à l’acheminement d’opinions et ne comportait pas de pouvoir (Duhaime 1985). Bien que datant de plus de trente ans, ces conclusions demeureraient valables sous le nouveau régime, dans lequel le pouvoir normatif, entre autres, reste exclusif à l’État, qui continue de monopoliser la capacité de définir les besoins humains et de les réduire à leur expression techniquement et économiquement acceptable. Ce nouveau régime ne remettrait donc pas en cause la réduction du pouvoir des citoyens et la croissance du pouvoir d’État sur le logement des Nunavimmiuts (ibid.).

En effet, à la lumière de l’étude de cette entente, il est possible de conclure que le logement social au Nunavik en 2015 ne semble pas avoir beaucoup changé. Ainsi, bien que les acteurs régionaux participent à toutes les phases des politiques de logement, cette participation leur donne accès surtout à des tâches exécutives et prescriptives, alors que les acteurs de la gouverne provinciale et fédérale se gardent le pouvoir normatif et financier. Ils définissent toujours les normes de construction, ils ont le pouvoir d’adopter et de modifier des règlements et peuvent décider d’arrêter ou non les négociations. En trente ans, il ne semble donc pas que la participation des acteurs régionaux ait beaucoup changé : les acteurs inuits sont davantage intégrés à des processus de consultation et de cogestion, mais ils acquièrent très peu de pouvoir par ce biais.

De même, à travers tout ce processus, les acteurs locaux semblent absents des décisions concernant le logement au Nunavik. D’abord il est possible de constater qu’ils sont absents de l’entente. Non seulement n’étaient-ils pas à la table de négociation, mais ils ont peu à dire concernant le logement à l’exception de valider la liste d’attribution dans chacun des villages et de choisir la localisation des nouvelles habitations. Or, la participation des communautés dans l’habité est cruciale, et leur mise à l’écart des décisions centrales participe à leur dépossession du territoire, alors que les logements sont conçus hors du territoire et livrés selon un ensemble de critères souvent externes à la communauté (Brière 2014 ; Déjos et Craissac 2014). Le système judiciaire même, pour réclamer un droit au logement, leur est usurpé par les pouvoirs publics (Gallié et Bélair 2014). En plus de la construction des logements, d’autres politiques sur l’habitation ont contribué à la dépossession politique. En consentant, à son corps défendant, aux modifications à la hausse de l’échelle de loyers et à l’insertion de l’éviction comme forme de contrôle du comportement des locataires mauvais payeurs, la région a contribué à la légitimité de l’exercice de leur pouvoir par les gouvernements centraux. Ces consentements, même forcés, accroissaient le fardeau des locataires, oblitérant par la même occasion les orientations néolibérales en matière de politiques sociales, fondées sur la responsabilisation des sujets de l’État (Bourque 2004).