Corps de l’article

Cher Monsieur !

C’est avec grand intérêt que nous avons lu vos deux nouvelles et nous aimerions vous dire que ce travail reflète, nous en sommes convaincus, un véritable talent. Malheureusement, nous avons finalement dû nous résoudre, avec beaucoup de regrets, à refuser vos manuscrits. Et cela, pour les raisons suivantes.

La première histoire relate, avec une plume d’une exactitude impressionnante, un cas flagrant et particulier de misère sociale. Nous pourrions très bien imaginer cette histoire dans un recueil où d’autres viendraient implicitement la compléter ; ou bien dans un roman, enchâssée dans un contexte plus large. Dans un journal, en revanche, elle revêtirait immédiatement un aspect factuel qui éclipserait la dimension artistique et dépasserait le cas particulier. Et même si l’événement en question devait être à peu près maîtrisé sur le plan esthétique, il ne serait pas, en tant qu’événement extraesthétique, aussi typique que nous le souhaiterions.

L’autre histoire possède à peu près les mêmes qualités que la première. Mais on y trouve là aussi un fragment d’existence revêtant une signification sociale d’actualité. Puisque, dans votre présentation, vous en soulignez encore davantage l’actualité, nous pensons qu’un thème de ce genre aurait davantage sa place dans un reportage objectif que dans un texte de prose plus ou moins issu de votre imagination. Comprenez, s’il vous plaît, que nous sommes tellement touchés par les sujets de vos histoires (les logements misérables, la détresse des mutilés) en tant que réalités, que nous préférons les diffuser simplement, tout au moins chez nous, en tant qu’événements bien réels et non comme produits esthétiques. Bien entendu, cela ne signifie pas que la grande forme poétique ne permettrait pas à l’horreur de cette réalité de ressortir et d’informer ; mais selon nous, vos travaux ne constituent pas une telle forme de création poétique. Au contraire, le contenu y domine. Et comme la poésie ne saurait le saisir intégralement, ce contenu déborde, sans pour autant se montrer aussi concret qu’un reportage. Vu la particularité de vos thèmes, nous préférons cependant, comme nous l’avons mentionné précédemment, un exposé des faits si l’oeuvre littéraire ne sait pas convaincre complètement.