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Réalisé sous la direction de Michel Gariépy et d’Olivier Roy-Baillargeon, cet ouvrage collectif se veut un portrait contemporain de la gouvernance métropolitaine au Canada, mettant en évidence les dynamiques de collaboration et de participation qui sous-tendent les démarches de planification. À la suite d’une introduction dans laquelle Gariépy et Roy-Baillargeon jettent les bases conceptuelles de la participation, de la gouvernance et de la planification territoriale, l’ouvrage propose sept chapitres dans lesquels des urbanistes, des aménagistes et des géographes posent leur regard sur six régions métropolitaines.

Le premier chapitre, signé Gariépy et Roy-Baillargeon, analyse l’impact de la participation récurrente de certains groupes de la société civile aux exercices de consultation publique dans le Grand Montréal sur leur propension à faire, de la cohérence logique, verticale, horizontale et temporelle des plans et des actions proposés, un enjeu central de leur participation. Certes, les participants récurrents s’avèrent préoccupés par des considérations pragmatiques et opérationnelles, ce qui n’est pas étonnant compte tenu du fait que la concordance dans le régime québécois d’aménagement du territoire n’est pas tant garantie par le mécanisme de consultation publique que par l’analyse et l’émission des avis de conformité par les instances gouvernementales supérieures. Mais c’est plutôt la transformation du rôle joué par les participants récurrents qui ressort de ce chapitre : ces derniers sont appelés à devenir de véritables parties prenantes dont l’avis est sollicité aussi bien en amont qu’en aval des plans et des projets.

Dans le second chapitre, Florence Paulhiac Scherrer traite du processus d’élaboration et du contenu de la Stratégie nationale de mobilité durable du gouvernement du Québec. Elle s’interroge notamment sur l’ampleur de l’intégration du référentiel du « nouveau paradigme » de mobilité durable (que Todd Litman qualifierait de nouveau paradigme en planification des transports basé sur l’accessibilité aux services et aux activités [2013]). Cette analyse d’un projet de politique avorté illustre les limites de la portée des exercices de consultation publique et témoigne des réticences d’un gouvernement à agir en situation minoritaire.

Rédigé par Francis Roy et Guy Mercier, le troisième chapitre retrace le processus menant à l’adoption, en 2011, du premier Plan métropolitain d’aménagement et de développement de la Communauté urbaine de Québec, lequel succédait à l’échec de l’exercice d’élaboration d’un schéma métropolitain d’aménagement et de développement par la même instance. En plus d’expliquer la dynamique politique et les limites de la gouvernance métropolitaine à Québec, les auteurs démontrent comment l’imbrication du mandat, des compétences, de la composition et du système de votation des instances de planification métropolitaines dans ceux des paliers inférieurs est nécessaire au fonctionnement d’un système d’aménagement basé sur la règle de conformité.

Dans le chapitre IV, Mario Gauthier, Guy Chiasson et Lynda Gagnon analysent un exemple d’échec de différenciation dans l’action publique locale, soit les difficultés de réalisation des initiatives de revitalisation du centre-ville de Gatineau. Ils attribuent trois facteurs à cet échec : la démarche de consultation publique classique, « tardive », contrôlée par les experts de l’aménagement et plus propice à susciter la confrontation que la concertation ; le manque de leadership politique, empêchant de forger un consensus et de mobiliser les parties prenantes ; et la défaillance de la structure de mise en oeuvre du projet, dont la responsabilité aurait dû être confiée à un organisme de développement, plus apte que le Service de l’urbanisme à assurer la réalisation des projets urbains, selon les auteurs.

Le chapitre V, signé Caroline Andrew, consiste en une évaluation de la capacité des processus de planification territoriale et de participation publique de la Ville d’Ottawa à incorporer les innovations démocratiques telles qu’entendues par Smith (2009), lesquelles bonifieraient la participation citoyenne dans les processus décisionnels. Il en ressort que les initiatives locales de participation publique organisées par la Direction de services communautaires et des services sociaux, en collaboration avec des groupes communautaires, respectent davantage les critères d’inclusivité, de contrôle populaire, de jugement réfléchi, de transparence, d’efficacité et de transférabilité que les processus de planification territoriale et ses composantes.

Dans le chapitre VI, Pierre Fillion dresse un portrait de la riche histoire de la région de Toronto en matière d’aménagement depuis la Seconde Guerre mondiale, retraçant au passage les grandes décisions d’aménagement et analysant leurs retombées sur la forme urbaine. Une approche scalaire de l’aménagement métropolitain permet à l’auteur d’expliquer l’absence de participation populaire aux exercices de consultation publique à l’échelle métropolitaine, lesquels sont davantage l’apanage des lobbies bien organisés et contrôlés par différentes catégories d’experts.

Quant au dernier chapitre, signé Ève Arcand et Emmanuel Brunet-Jailly, il est consacré aux relations conflictuelles entre le gouvernement provincial et les instances locales et régionales de Vancouver dans les dossiers d’aménagement et d’infrastructures de transport collectif, si communes dans les métropoles nord-américaines. Les faits relatés par les auteurs mettent notamment en exergue l’inévitable méfiance des gouvernements provinciaux à l’égard des instances métropolitaines lorsque celles-ci menacent de facto leur légitimité. Arcand et Brunet-Jailly soulignent également les conséquences du glissement vers la privatisation de la planification du transport public résultant de la prise de contrôle des instances de planification par le gouvernement provincial.

En conclusion, Roy-Baillargeon nous présente son compte rendu d’une discussion au cours de laquelle Franck Scherrer et Marie-Odile Trépanier approfondissent certains enjeux soulevés, dont la spatialisation du développement économique, l’inéquation entre les projections démographiques et la volonté de densification, la culture du projet urbain, le rôle du fonctionnaire et de l’aménageur dans les exercices de consultation, ainsi que les jeux de pouvoir dans la gouvernance et la planification métropolitaine, et ce, tout en offrant des perspectives comparatives nationales et internationales.

Au lieu d’offrir une approche et une démarche uniformisée appliquée à l’ensemble des cas à l’étude, chaque chapitre propose une perspective singulière sur les dynamiques de collaboration dans la gouvernance métropolitaine, faisant de cet ouvrage un portrait à l’image des études urbaines au Canada, empreint de diversité. Compte tenu de la richesse de son contenu et de la variété des théories et des méthodes employées, l’ouvrage aurait cependant mérité une synthèse et une conclusion, en plus de la discussion entre Scherrer et Trépanier, laquelle soulève de nombreuses pistes d’enquête. La question de la cohérence entre les plans d’aménagement et les décisions politiques, effleurée par les auteurs en introduction, aurait notamment pu y être abordée, d’autant plus qu’elle est soulevée dans plusieurs chapitres, outre celui de Gariépy et Roy-Baillargeon, qui y est partiellement consacré. Un retour sur les méthodes et approches théoriques employées dans les études de cas aurait aussi bénéficié aux lecteurs. Néanmoins, les auteurs et leurs contributeurs remportent leur pari d’offrir un portrait actuel de la gouvernance métropolitaine au Canada, rendant cet ouvrage collectif indispensable aux spécialistes et aux étudiants des cycles supérieurs s’intéressant aux questions de planification, de participation et de politique urbaine.