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Professeur retraité de l’Université Laurentienne, Guy Gaudreau, en collaboration avec Sophie Blais et Kevin Auger, nous convie ici à explorer la ville minière que fut Kirkland Lake durant la période de l’entre-deux-guerres. Résultant à la fois de plusieurs années d’études menées sur les villes minières de la région du Nord ontarien et québécois, mais également d’une rencontre fortuite avec des archives ayant frôlé la destruction à la East Malartic Gold Mines en 2005, Mine, travail et société à Kirkland Lake apparait comme un ouvrage fort utile pour explorer l’univers minier et les petites villes industrielles de cette région encore sous-étudiée par l’historiographie.

Composé de neuf chapitres en plus de la préface et de la conclusion, l’ouvrage constitue une sorte d’hommage aux mineurs et s’inscrit dans la foulée des travaux de Gaudreau cherchant à redorer l’image du travail minier, tout en offrant à ses travailleurs une place d’acteur au sein de cette histoire. En privilégiant principalement les sources laissées par deux compagnies minières de Kirkland Lake, soit la Lake Shore Gold Mines et la Wright-Hargreaves — notamment, les rapports d’accidents, les fiches d’employés et les livres de paie — l’ouvrage replace l’ouvrier mineur au centre de plusieurs thématiques jusqu’alors abordées par l’historiographie sur une échelle plus globale. Il s’agit, d’une certaine manière, d’humaniser l’histoire de Kirkland Lake, en étudiant l’influence qu’auront eue les mineurs sur l’entreprise, sur les conditions de travail, mais également sur la ville et leur communauté. Les chapitres sur la vie quotidienne (chapitres 6 et 9) et sur la « culture musicale » (chapitre 7) serviront quant à eux à « nuancer l’image caricaturale du mineur dépeint comme un être rustre, pourvu seulement de qualités physiques. » (p. 183) Si cette attention sur la dimension socioculturelle de la ville minière n’est pas entièrement originale — on se réfèrera, entre autres, aux travaux de Louise Bryce et d’Odette Vincent pour l’Abitibi — c’est la place centrale que prennent les mineurs dans ces études qui offre une belle contribution à l’historiographie.

À notre avis, Mine, travail et société à Kirkland Lake constitue un ouvrage cohérent et dans lequel les différentes perspectives abordées dans les chapitres s’entrecoupent, favorisant une lecture fluide et agréable. Cette cohérence est en partie attribuable au fait qu’outre quatre chapitres — dont un écrit en collaboration avec Gaudreau —, la grande majorité de l’ouvrage est le produit de ses réflexions. Il faut toutefois préciser que l’ouvrage ne constitue pas une nouveauté. Cinq de ses chapitres ont préalablement été publiés sous la forme d’articles, alors que presque l’entièreté de l’ouvrage a fait l’objet d’une publication numérique intitulée Les hauts et les bas des mineurs de Kirkland Lake en 2006. Le lecteur familier avec les travaux de Gaudreau, notamment L’histoire des mineurs du Nord ontarien et québécois (2003), y trouvera également certaines répétitions, que ce soit dans les conclusions proposées, la méthodologie adoptée, voire parfois même, dans les données et le choix des photographies. Tout de même, l’ouvrage nous permet de revisiter certains textes plus négligés par l’historiographie, bien que forts intéressants. Les contributions de Sophie Blais sur la grève de Kirkland Lake de 1941-1942 (chapitre 8) et de ses effets sur les familles et la communauté (chapitre 9), en sont d’ailleurs de bons exemples. En postulant que la grève serait le produit d’une solidarité émergeant entre les travailleurs oeuvrant sous terre, opposée à une « désolidarisation » des employés travaillant à la surface (p. 244), Blais revisite de manière fort intéressante ce conflit en questionnant, notamment, la dichotomie entre grévistes/non-gréviste généralement associée à l’ethnicité ou au corps de métiers. Bien que moins « novateur », son chapitre sur les femmes et la communauté, contribue quant à lui à documenter le vécu des femmes au sein d’autres communautés minières que celles plus étudiées par l’historiographie, dont les travaux de Nancy Forestell sur Timmins. Le texte de Kevin Auger (chapitre 3) vient quant à lui contester la forte mobilité généralement associée par l’historiographie à l’ouvrier-mineur et à cette région du Nord ontarien et québécois (Gaudreau, 2003 ; Forestell, 1993 ; Abel, 2006). Au contraire, nous précise Auger, dans le cas de Kirkland Lake, les mineurs semblent être très fidèles à leur employeur (p. 24).

Si, selon nous, ces chapitres constituent une force de l’ouvrage, celui de Gaudreau, proposant l’analyse des accidents de travail survenus dans les mines à travers le vécu d’un mineur fictif nommé Oscar Bougie, détonne quelque peu. Sorte de « faux témoignage » dont les informations corroborées proviennent à la fois des sources, mais également d’extrapolations inspirées du langage et des anecdotes d’anciens mineurs, le chapitre dresse un portrait qui se veut représentatif de l’expérience du métier d’ouvrier-mineur. Certes, il s’agit bien d’une « manière différente d’écrire l’histoire » (p. 11), servant à « humaniser » la recherche, mais contrairement à une méthodologie comme celle de l’histoire orale, l’approche privilégiée ici frôle davantage la fiction historique et ne contribue pas, selon nous, à renforcer la réflexion.

En somme, malgré certaines faiblesses, nous croyons que l’ouvrage contribue à l’historiographie et s’avère important pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il s’agit d’une recherche accessible, accordant une attention particulière à la définition des termes et concepts utilisés pour décrire l’univers du mineur (voir le chapitre 2, par exemple). Les nombreuses photographies, l’intérêt pour le vécu et l’expérience des travailleurs et l’utilisation, la plus fidèle possible, des termes associés au monde minier, sont autant de facteurs qui rendent cette lecture agréable. L’ouvrage comble également certaines lacunes de l’historiographie du monde minier, contribuant à offrir de nouvelles perspectives face à celles proposées, entre autres, par Gaudreau et al. (2003), notamment les chapitres sur les femmes, la communauté minière et la culture musicale. Bien que l’échelle à laquelle s’intéresse l’ouvrage soit plus réduite que celle du Nord ontarien et québécois, l’exemple du cas de Kirkland Lake, lorsqu’analysé en profondeur, offre un portrait permettant de nuancer, voire contredire, des perspectives plus globales de l’histoire minière de cette région. Enfin, cette étude contribue également à documenter l’histoire de villes industrielles où le rythme de l’industrie dominante coordonne celui de la ville, des familles et de la communauté. Les quarts de travail, le statut des travailleurs, les conflits de travail ou les besoins de main-d’oeuvre sont autant de caractéristiques liées aux mines qui modifient à la fois le paysage urbain, mais également l’organisation socioculturelle de ces villes. La ville apparait ainsi, dans le cas de Kirkland Lake, au diapason avec le rythme de la mine.