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Cet ouvrage collectif porte sur la redéfinition de l’ordre mondial et la stratification du pouvoir international à l’époque de l’après-Guerre froide. Il réunit une dizaine de contributions dont la moitié est produite par des chercheurs de l’Université d’Aalborg au Danemark. À l’heure de l’essor des brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et des « émergents », ou de ce qu’ils considèrent – en paraphrasant Parag Khanna – comme l’affirmation du « deuxième monde » (pages 14, 41, 113 sq.), les auteurs tentent de répondre à une série de questions qui tournent autour de celle de la redistribution du pouvoir et de la refonte de l’ordre mondial.

Pour appréhender la question du pouvoir dans le capitalisme mondial, l’ouvrage s’inscrit dans une démarche d’économie politique internationale ; il s’attelle en effet à étudier les interactions de l’économique et du politique sur la scène régionale et mondiale. Toutefois et étant donné qu’ils ont mis au centre de leurs préoccupations l’étude des mécanismes de domination hégémonique, les auteurs ont fait le choix d’inscrire leur analyse dans la nouvelle économie politique internationale et plus particulièrement dans le paradigme de la théorie critique d’inspiration néo-gramscienne. Cette approche se concentre particulièrement sur les mécanismes menant à la construction et à la pérennisation de l’ordre hégémonique mondial. Comme le rappelle le directeur de l’ouvrage, la théorie critique conceptualise le lien entre hégémonie, ordre et changement historique afin d’expliquer comment l’hégémonie interne, régie par les forces sociales dominantes d’un État, s’étend ensuite à l’échelle mondiale ; cette hégémonie donne ainsi lieu à un ordre international particulier. Cet ordre se construit et se maintient grâce à la capacité des groupes dominants (élites politiques, économiques et intellectuelles) à faire accepter leur conception du monde comme légitime par les autres groupes de la société (interne et internationale) (page 7 sq.).

Les auteurs soutiennent qu’avec la fin de la confrontation bipolaire et la disparition de l’Union soviétique, le système hégémonique mondial centré sur l’Occident et plus particulièrement sur les États-Unis a eu tendance à se réformer afin de s’adapter à la déterritorialisation, la transnationalisation et la globalisation croissante des marchés. Dorénavant la puissance hégémonique américaine promeut la mondialisation des marchés sous une structure transnationale (page 114 sq.). Cette représentation du monde fait penser à l’idée d’« empire déterritorialisé » (non territorial empire) développée par Susan Strange dans son article « The future of American Empire » (Journal of International Affairs, 1988) où, face à l’action des grands groupes économiques mondiaux, seuls les États-Unis jouissent encore d’une certaine marge de manoeuvre dans l’économie mondiale « dollarisée ».

Les contributeurs de cet ouvrage s’interrogent sur la pérennité de cet ordre mondial durant la période post-guerre froide. Cette interrogation s’explique par le développement concomitant de trois tendances majeures en relations internationales qui affectent l’ordre dominant actuel, à savoir les conséquences néfastes des interventions militaires américaines en Irak et en Afghanistan, la persistante crise systémique qui trouve sa source aux États-Unis et le décentrage continu du pouvoir mondial sous l’effet de l’essor des pays du brics et d’autres acteurs émergents comme nouveaux centres potentiels de pouvoir politique et économique mondial (page 93 sq.). Face à cette situation, le directeur de l’ouvrage suggère que le système international contemporain connaît une profonde crise de fonctionnalité, de portée, de légitimité et d’autorité (p. 11).

Dès lors, trois tendances internationales possibles sont évoquées : soit le maintien de l’ordre hégémonique de l’après-Deuxième Guerre mondiale, réformé durant l’après-guerre froide afin de mieux s’adapter aux changements internationaux, soit l’essor d’un nouvel ordre hégémonique conduit par les brics, soit une période de transition. Pour les auteurs, l’essor des brics et d’autres puissances émergentes introduit une nouvelle dynamique dans le système international (page 114) et, partant, crée une transition dans l’ordre mondial (page 25 et 201). On serait donc dans une période d’interregnum qui s’étalerait de l’année 2015 à l’année 2050, c’est-à-dire une ère entre le tassement de la puissance américaine et la phase pré-hégémonique chinoise (page 205). Cette époque de transition reste, malgré la crise, marquée par la logique capitaliste de l’accumulation du capital, le productivisme et le consumérisme. La domination globale du capitalisme ne fera donc que se consolider.

Les auteurs s’interrogent, néanmoins, sur l’ordre qui émergera de cette période de transition. Autrement dit, qui organisera le futur ordre mondial ? Pour répondre à cette question, trois hypothèses sont avancées. La première d’entre elles envisage une continuité par rapport à l’ordre existant. La deuxième renvoie à une situation où les puissances émergentes sont exclues du façonnement du système, ce qui les forcera à tisser leurs propres alliances. La dernière, et celle qui paraît souhaitée par les pays du brics, est celle où les puissances établies acceptent une évolution commune dans laquelle les puissances émergentes et les puissances établies s’accordent à défendre conjointement la gouvernance mondiale (page 43). D’après les auteurs, le g20 peut devenir une structure de gestion des affaires mondiales où puissances établies et émergentes coopéreront pour l’organisation de l’ordre international (page 125).