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Le domaine du renseignement est présentement en pleine effervescence en France. Si auparavant l’historiographie française écrivait peu comparativement aux Intelligence Studies, les dernières années ont démontré qu’elle pouvait se renouveler. L’oeuvre d’Hughes Marquis fait sans aucun doute partie de cette mouvance. De plus, en se concentrant sur les espions anglais pendant la période révolutionnaire française (1793-1804), Marquis dévoile un sujet jusqu’ici inexploré et riche. En effet, l’espionnage anglais était à un tournant de son histoire. La Révolution française menaçant les acquis de l’Angleterre, celle-ci devait agir afin de se protéger. Une véritable révolution ethnographique de leur espionnage eut alors lieu. L’Angleterre, plutôt que d’employer des espions individuels, recrutera des « maîtres-espions » qui organiseront de véritables réseaux afin d’espionner et d’influencer les activités de la France républicaine. Ce sont là les ancêtres des services de renseignement britanniques tels que nous les connaissons au XXe siècle. Marquis le démontre très bien en dévoilant les opérations des réseaux agissant dans les pays voisins de la France, comme la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas.

L’une des forces du livre de Marquis est la facilité avec laquelle il expose la précarité de ces réseaux et la manière à laquelle Londres est en mesure de les reconstituer rapidement, notamment grâce à la classe noble française qui s’est exilée du pays ou aux fonctionnaires corruptibles de la République française. L’une des caractéristiques qu’on observe chez les organisateurs de réseaux que Marquis nous présente est, en plus de leurs capacités linguistiques hors pair, leur haine/insatisfaction envers le nouveau régime français. Et si ce n’est pas là la motivation principale, l’argent l’est certainement. Marquis nous expose d’ailleurs que l’Angleterre, dès 1794, ne néglige pas sur les moyens pour parvenir à installer ses réseaux. On constate également que plus la République s’installe en France, plus il est difficile d’opérer les réseaux et moins l’Angleterre voit l’intérêt d’y dépenser ses deniers. Le financement des forces coalisées contre la France devient alors une voie plus intéressante pour la Grande-Bretagne. Sans compter qu’à l’arrivée de Napoléon au pouvoir, le contre-espionnage français devient de plus en plus efficace, grâce à une réorganisation en quatre branches des services de renseignement et en une surveillance accrue des frontières et des ports du pays. Non seulement la France devient-elle moins poreuse et plus difficile à pénétrer en son territoire, mais elle contre-attaque également en exploitant le danger irlandais comme filière pour ses propres espions. Ce qui, momentanément, inquiète l’Angleterre, car Bonaparte bâtit une flotte à Boulogne et constitue une menace de débarquement contre l’île britannique. Marquis saisit bien cet élément et il démontre comment la Grande-Bretagne réagit en exploitant les royalistes français, du moins la peur d’une conspiration anglaise pour restaurer les Bourbons sur le trône de France. C’est là un aspect des réseaux anglais, c’est-à-dire que plusieurs emploient des espions oeuvrant déjà pour la dynastie déchue. Parfois, c’est une force, car l’espion apporte des informations inestimables et d’autre fois, c’est un obstacle, car l’espion ne travaille que pour le bénéfice uniquement. Ce qui implique que les informations qu’il ramène sont soit basiques, soit douteuses ou peu fiables. Si l’Angleterre ne réussit pas à infiltrer durablement la France, elle parvient du moins à inspirer une peur de ces espions, que l’on dit être partout.

L’ouvrage de Marquis nous expose avec plus d’éloquence ce que nous venons de résumer ci-haut. L’analyse qu’il porte sur les services secrets anglais a le mérite d’être complète, de bien expliquer les différentes phases du régime française—ce qui change les manières de faire des réseaux anglaise—, mais également des relations internationales du moment, tout en démontrant les difficultés que rencontre l’Angleterre dans sa quête de renseignement et d’influence. Un bémol que nous devons émettre, est que la quantité d’informations vient parfois nuire à la compréhension du texte. Ceci est un peu plus apparent dans les premiers chapitres de l’ouvrage, alors que l’auteur explique différentes situations du renseignement anglais apès la révolution et qu’il les expose en utilisant plusieurs exemples simultanément. Par contre, plus on progresse dans l’oeuvre de Marquis, plus la cohésion et surtout la précision des démonstrations/analyses deviennent justes et plus la lecture en est agréable. Notre avis est qu’il s’agit d’un mal nécessaire pour bien mettre en condition le lecteur dans la réalité des services de renseignement anglais de l’époque. Finalement, il s’agit d’un texte que tout historien du renseignement du XIXe siècle doit consulter et qui mérite certainement une version anglaise, de par le sujet exploité, mais également par la qualité du travail effectué par Hugues Marquis.