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« Les pages qui suivent sont nées d’envies multiples. Celle de se poser un moment et de prendre le temps de réfléchir sur le demi-siècle qui vient de s’écouler » [préface].

Parmi les derniers nés de la série Religions in the Graeco-Roman World (RGRW) des publications Brill, ces actes du colloque de 2011 ont la belle ambition de célébrer les 50 ans de la naissance des ÉPRO (Études préliminaires au Religions Orientales). Cette collection, fondée par M. J. Vermaseren en 1961, avait pour objectif de créer une sélection de répertoires documentaires sur ce que F. Cumont appelait les « religions orientales ». L’objectif s’est rapidement élargi aux synthèses historiques générales et aux enquêtes plus thématiques. Ces dernières, débordant de la perspective documentaire pour généraliser aux « culte de l’Empire romain », permettent de remettre en cause la dichotomie de catégories longtemps figées entre ce qui est « gré-romain » et ce qui est « oriental » (p. 27), et finalement le concept même de « religions orientales ». Cette mutation historiographique, s’extirpant peu à peu de l’herméneutique christianisante, explique qu’en 1992 les ÉPRO deviennent les RGRW, collection plus fluide s’interrogeant sur les fonctions sociales et culturelles des religions du monde gréco-romain notamment en interaction avec le christianisme et le judaïsme, donc les mutations religieuses de l’époque hellénistique et impériale.

Sous la houlette de L. Bricault et de C. Bonnet, une vingtaine de chercheurs réputés et d’horizons variés se sont donc regroupés afin de s’interroger et de présenter un bilan thématique et méthodologique sur ce sujet à la fois large et spécifique : les mutations religieuses de l’Empire romain, tout en prenant en compte les moments courts d’accélérations ou de tensions. Le tout est organisé en trois axes : dans la première partie intitulée From local to global, N. Belayche va présenter « L’évolution des formes rituelles : hymnes et mysteria » ; P. Athanassiadi et C. Macris « La philosophication du religieux »  R. Gordon propose une discussion sur « Cosmology, Astrology, and Magic : Discourse, Schemes, Power and Literacy » ; T. Kaiser s’interroge sur « Identifying the Divine in the Roman Near East ». Dans la seconde partie Emotions, mystery cults, ans soteriology, P. Borgeaud présente simplement « Les mystères » ; G. Sfameni Gasparro retrace l’eschatologie des « cultes orientaux » à mystères depuis le Lux Perpetua de Cumont ; A. Chaniotis offre « Staging and Feeling the Presence of god : Emotion and Theatricality in Religious Celebrations in the Roman East » et F. Dunand « Images de dieux en dialogue ». Dans la troisième partie titrée New identities, ans integration processes, M. J. Verluys nous parle d’« Orientalising Roman Gods » ; J. Rüpke d’« Individuals and networks » ; J. North s’interroge sur « Power and Its Redefinitions : The Vicissitudes of Attis » ; G. G. Stroumsa nous expose « Les sages sémitisés. Nouvel ethos et mutation religieuse dans l’Empire romain ». On regrettera que les titres de ces articles ne reflètent pas réellement celui de leur partie respective (en particulier pour la première), ni la diversité documentaire que recherchaient les ÉPRO, ce que pourtant les différents index (d’auteurs antiques, de sources épigraphiques, de sources papyrologiques) et la liste d’illustrations indiquent bien, tout comme l’abondante bibliographie de 56 pages.

Pour finir cet ouvrage, V. Pirenne-Delforge et J. Scheid concluent ces actes sur « Qu’est-ce qu’une mutation religieuse ? », exposant de nouveau le pourquoi de la remise en cause de la vision cumontienne sur les « religions orientales » et leur devenir face au christianisme. Les deux chercheurs rappellent par exemple la nécessité de prise en compte de la différence de points de vue contemporains : « selon qu’on adopte la vision de l’intérieur (“emic”) ou le regard extérieur (“etic”) » (p. 310-311), cette étude de l’ « Autre » et de l’ « Ici » sera différente quant à ce qu’est l’« Orient » et ses cultes. À la lecture de cette conclusion, le lecteur s’étonnera que si le titre de l’ouvrage choisit de présenter les Religious Transformations, Pirenne-Delforge et Scheid conseille pourtant d’éviter le terme trop généralisateur de « transformation » en application à la sphère religieuse (p. 309), y préférant donc celui de « mutation », qui englobe le sens (biologique) d’apparition d’un caractère nouveau en des temporalités variables, donc selon une évolution non constante. En outre, si l’objectif premier était de se centrer sur l’Empire, ils concluent également que « la référence à l’Empire romain […] est discutable pour appréhender la longue durée de certains phénomènes religieux » (p. 310).

L’historien des religions et l’antiquisant en général apprécieront cet ouvrage de qualité, de variété historiographique et thématique. Et si l’étudiant peu spécialisé blâmera au contraire un sujet trop vaste pour être concentré de façon chronologique, géographique ou sur un culte spécifique, il y gagnera des réflexions générales et complexes sur les croyances, les pratiques, les émotions, l’orthodoxie etc., facilement transposables pour des interrogations sur l’idée moderne de globalisation.