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Bien que datant de 2013, ce numéro de la revue Alternatives Sud, publiée par le Centre tricontinental (CETRI) en Belgique, est d’une brûlante actualité. Il regroupe, en plus de l’éditorial, huit études de longueurs inégales, autour du thème de l’économie verte. Les différentes contributions apportent des « points de vue du Sud », comme on le précise en page couverture.

Dans la présentation des diverses contributions, Bernard Duterme soumet à la critique le concept d’« économie verte », avancé depuis 2008 par plusieurs organisations internationales dont le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE). Si l’économie verte est présentée par ses promoteurs comme un système qui réconcilie croissance économique et environnement naturel, en réalité, souligne l’auteur, elle reste inscrite dans le modèle productiviste qui a ravagé la nature, elle ne rompt pas avec la logique du capitalisme, pire, elle le consolide en soumettant le capital naturel au marché, ce qui est « une manière écologique de faire des affaires », ajoute-t-il avec ironie.

L’essentiel des textes révèle le contenu largement normatif de la notion d’économie verte, notion qui s’inscrit dans une vision libérale du monde économique avec, pour objectif, un processus de marchandisation de la nature.

Dans un premier et long article, l’économiste Martin Khor déconstruit méthodiquement le concept d’économie verte. La polysémie et la complexité de cette notion sont bien mises en évidence. Il soulève le rôle de l’État en vue de mettre en place ce système économique vert (politique environnementale, notamment réglementation des activités et des marchés). Il craint que le projet de l’économie verte soit un moyen de politique protectionniste élaboré par les pays du Nord pour diminuer leurs importations de marchandises des pays du Sud, au prétexte que celles-ci ne sont pas conformes aux normes écologiques. Il ajoute que, l’échelle du monde, les responsabilités sont communes mais différenciées ; les pays du Nord, qui ont grandement contribué à la dégradation de la biosphère, doivent apporter une aide financière et technique aux pays du Sud pour qu’ils mettent en oeuvre un modèle de croissance durable.

Pio Verzola Jr et Paul Quintos proposent une réflexion intitulée « Économie verte : un bien ou un mal pour les pauvres ». Le nouveau modèle de croissance proposé par le PNUE ne protège pas la nature et n’atténue pas les inégalités de revenu, le problème de la pauvreté n’étant en outre pas pris en charge, soulignent-t-ils. La pauvreté favorise « la privatisation et la marchandisation de la nature » et « limite les marges de manoeuvre des pays du Sud ».

Dans un texte au titre chargé de sens, « Le loup déguisé en agneau », Edgardo Lander considère que c’est le capitalisme, mû par la recherche du profit, qui est responsable de la destruction de l’environnement naturel. L’économie verte est un leurre, car elle ne rompt pas avec la logique du système capitaliste.

Dans une courte contribution, Joseph Purugganan centre son analyse sur les pays asiatiques et montre que l’économie verte ne préserve pas la nature, mais renforce le « libre-échange » et ses conséquences sur la dilapidation des ressources naturelles. L’Asie, en pleine croissance économique, est aux avant-postes de cette course à ces ressources.

Yash Tandon consacre son analyse à l’Afrique, continent pourvoyeur de ressources naturelles « pour le système capitaliste kleptocrate global », selon son expression. Le ton est virulent et les affirmations péremptoires qui abondent ne suscitent pas la conviction.

Pablo Solon, dans un court texte de quelques pages, se questionne sur le programme Reduction of Emissions from Deforestation and Forest Degradation (REDD). Ce programme a pour ambition de protéger les forêts, vu leurs capacités d’absorption de gaz carbonique. Si un pays en voie de développement diminue son déboisement, il pourra vendre un crédit carbone – qui représente la capacité de séquestration de ce gaz qui a été préservée – à des entreprises des pays riches. Cela correspond à un permis de polluer, remarque à juste titre l’auteur.

L’étude de l’ETC Group et de la Fondation Heinrich Böll s’attelle à montrer que les nouvelles techniques (génie génétique, biologie synthétique, géo-ingénierie, etc.) ne constituent pas une solution à la crise écologique. Cette conception technique de l’économie verte scelle une « grande convergence », celle des sciences, de l’industrie et du capital financier pour un contrôle de la nature en vue de réaliser plus de profits.

Ce volume d’Alternatives Sud est clôturé par un second article de Martin Khor, qui examine le projet d’économie verte après la conférence des Nations Unies sur le développement durable à Rio de Janeiro, dite Rio+20, qui a eu lieu en 2012. Bien qu’émettant quelques réserves, Khor dresse un bilan positif de cette conférence « qui a préservé les bases d’une coopération internationale » et qui a réaffirmé « les engagements qui avaient été pris au sujet du développement durable ». Il rappelle également certaines critiques de l’économie verte émises par des dirigeants politiques des pays du Sud, au cours de cette conférence.

Assez riche, cette publication du CETRI est à lire. Toutefois, on peut regretter que le concept de bien commun ne soit pleinement exploité par aucun auteur. La gouvernance de certaines ressources naturelles communes par les communautés d’usagers elles-mêmes, comme solution de rechange à la privatisation, est souvent écologiquement efficace, comme l’a bien montré Elinor Ostrom dans ses travaux, à travers maints exemples dans le monde.

Ne sont pas non plus abordés les débats sur la décroissance ou sur la construction d’un système postcapitaliste qui respecterait les équilibres écologiques en mettant la sobriété au coeur de son fonctionnement.