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NPS – En premier lieu, pourriez-vous définir l’acronyme SIS ?

À Montréal, le terme « SIS » réfère aux « Services d’Injection Supervisé ». Plusieurs autres termes sont utilisés ailleurs — Salle de consommation, Site d’injection supervisée, etc. Au Canada et au Québec, un SIS est un endroit où une personne qui fait usage de drogues par injection (UDI) peut s’injecter en toute sécurité et en toute légalité sous la supervision d’un personnel qualifié. Ce personnel qualifié est défini comme du personnel médical infirmier formé à la supervision de l’injection et capable de réagir en cas de complications. Quant à [la] légalité, un service d’injection supervisée doit avoir obtenu l’exemption à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) en vertu de l’article 56. Cette exemption est accordée par Santé Canada.

NPS – Au Canada, le service d’injection supervisé le plus connu est Insite, situé à Vancouver. Est-ce qu’il y a une distinction entre les services d’injection supervisée qui seront implantés à Montréal et Insite ?

En fait, à Vancouver, deux sites ont obtenu une exemption de Santé Canada. Le Dr Peter Centre est beaucoup moins connu. C’est un centre de traitement du VIH pour les personnes vulnérables. Ils offrent de multiples services — y compris les logements — et ils ont depuis plus de 10 ans une petite salle de consommation à l’intérieur pour leur usager… pour laquelle ils ont obtenu leur exemption tout récemment ! La police aurait pu intervenir et fermer l’endroit, car ils opéraient sans exemption, mais ce service a été toléré, car c’était un petit service de quelques places dans une grande structure. C’était somme toute très discret.

Quant à Insite, c’est un SIS qui a commencé comme un projet de recherche. Insite est né au début des années 2000 pour répondre à un besoin bien précis dans le centre-ville de Vancouver, plus précisément dans le Downtown Eatside. L’équipe d’infirmières qui travaillent à Insite et qui offrent la supervision médicale des injections est employée par le Vancouver Coastal Health, l’agence régionale de santé qui a piloté le développement d’Insite. Quant aux services d’accueils et de répit offerts par des intervenants sociaux et des pairs, ils sont fournis par le Portland Hotel Society, un organisme à but non lucratif.

En termes d’offre et de trajectoire de services, c’est relativement le même modèle qu’on implante à Montréal. Par contre, à Montréal, nous avons rapidement constaté que la répartition de la population des personnes qui font usage de drogues par injection n’est pas concentrée au centre-ville. Depuis le début des années 90, nous avons constaté que près de la moitié des personnes qui font usage de drogues par injection sont présentes dans d’autres quartiers que le centre-ville, tel que Hochelaga-Maisonneuve, le Centre-Sud… et c’est moins connu, mais aussi dans le Sud-Ouest, Petite-Patrie–Villeray, Ahuntsic. Bref, dès le début des années 90, nous avons eu cette préoccupation de répondre aux besoins des personnes UDI de Montréal réparties dans différents quartiers et nous avons développé l’approche de réduction des méfaits au-delà du centre-ville. Plusieurs services ont été développés, tels que le travail de rue, les sites fixes de distribution de matériel stérile d’injection et de récupération et le réseau de pharmacies qui participent à notre programme de distribution de matériel. Nous avons aussi développé l’implication par les pairs. Cette implication a mené au développement de l’AQPSUD (Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues) qui est un regroupement de personnes qui consomment des drogues et qui sont les producteurs de la revue l’Injecteur. Bref, tous ces services s’inscrivent dans notre programme de santé publique et nous les avons soutenus de différentes façons, y compris financièrement. Et c’est à cause de cet éventail de services en réduction des méfaits que nous avons conclu qu’à Montréal, un SIS ne serait pas seulement un site, mais un service de supervision médical de l’injection.

NPS – Pourriez-vous nous brosser un portrait du chemin parcouru entre l’offre de services de travail de rue, d’intervention par les pairs, de la distribution de matériel et l’ouverture des SIS ?

Ce n’est pas difficile d’y arriver ! Les SIS existent depuis la moitié des années 80 dans plusieurs pays. Il existe des évaluations et des données claires en termes de réduction des décès et des surdoses en plus de l’impact sur l’épidémie de VIH parmi les UDI. Bien qu’il n’y ait pas de données probantes concernant la réduction de l’épidémie de l’hépatite C, la probabilité scientifique demeure. Les SIS sont peut-être novateurs chez nous, mais ce n’est pas réellement novateur, car ils existent ailleurs ! Lorsque nous avons réalisé l’étude de faisabilité en 2011[1], nous avons fait un sondage auprès des UDI et des focus groups avec des pairs, des infirmières, des médecins, des travailleurs sociaux et des intervenants communautaires. Nous avons constitué un groupe pour travailler sur l’organisation des services. Nous avons aussi constitué un groupe pour étudier la question de l’acceptabilité sociale. Nous y avons réuni les services de police, tables de quartier, association de citoyens, etc. Nous avons consulté les élus et les décideurs des grandes organisations.

En termes d’organisation de services, nous avons constaté qu’il y a en fait très peu de supervision d’injection à Montréal. À l’exception de quelques travailleurs de rue qui sont témoins d’injection dans le cadre d’une intervention à domicile ou dans des piqueries (même s’il n’y en a plus beaucoup), peu d’intervenants ont « accès » au moment de l’injection. D’ailleurs, dans ces cas-là, ils sont présents en tant que témoin et non pas dans un cadre de supervision. Ce qui était très inquiétant dans notre étude et ce qui l’est toujours, c’est le malheureux problème de l’injection dans les lieux publics, en particulier dans les toilettes des établissements du réseau de la santé. L’injection dans des lieux publics est dangereuse pour les UDI. Pour faire face à ce danger, les UDI s’injectent dans les toilettes des urgences et des hôpitaux, car ils se sentent en sécurité parce qu’il y a du personnel médical en place. En laissant cette situation continuer, nous sommes en train de créer un problème éthique important et peut-être même dangereux.

Somme toute, et je résume, le constat que nous avons fait dans l’étude de faisabilité était que nous intervenons avant l’injection et après, mais non pendant. La personne vient dans les programmes de réduction des méfaits pour chercher son matériel stérile et elle peut (ou pas) parler avec un intervenant communautaire ou un pair de ses préoccupations par rapport à sa technique d’injection — ce que nous appelons le counseling sur l’injection à risque réduit. La personne sort ensuite s’injecter, en aparté, et dans une situation potentiellement dangereuse, puis elle revient après son injection pour recevoir des services — discuter avec un intervenant ou parce qu’[elle est] trop intoxiquée, etc. À ce moment-là, les intervenants peuvent être témoins d’une surdose et ils sont outillés pour intervenir. En ce moment, les services sont divisés en un « avant » injection et un « après » injection, mais rien n’est offert pendant l’injection. C’est à ce moment — le « pendant » — que les SIS vont intervenir.

NPS – L’intervention pendant l’injection soulève la question de l’aide à l’injection. Par exemple, si quelqu’un est trop intoxiqué, est-ce que les infirmières du SIS pourront l’aider ?

La question est vraiment de définir ce qu’est l’aide à l’injection. Nous avons documenté ce qui se faisait ailleurs : les circonstances de cette aide, le code de conduite des usagers, les cadres législatifs ainsi que les cadres professionnels. Les pratiques sont assez variables. Pour définir nos pratiques et notre limite autour de l’aide à l’injection, nous avons tenu compte du cadre réglementaire de Santé Canada et de récents changements législatifs, du code des professions des médecins et des infirmières ainsi que du point de vue du Collège des médecins et de l’Ordre des infirmières.

Nous nous sommes aussi fiés à Insite, car ils ont développé un protocole autour de cette question. Bref, nous avons défini ce qu’est l’acte infirmier lors de la supervision d’injection et qu’elles en sont les limites. Si je résume, l’infirmière ne va pas s’insérer dans le rituel de consommation de la personne, parce qu’on veut vraiment que les personnes se sentent à l’aise de venir. Il y a une offre d’éducation, mais elle n’est pas obligatoire à l’offre de service.

Évidemment, la personne peut à tout moment demander l’infirmière à son cubicule. À la demande de la personne, l’infirmière va pouvoir déployer sa connaissance infirmière pour aider la personne et répondre aux questions de la personne. L’infirmière peut prodiguer des conseils à différentes étapes de l’injection — trouver les bonnes veines, placer le garrot, etc. C’est en fait le rôle traditionnel de l’infirmière. C’est comme l’infirmière qui fait de l’éducation aux personnes diabétiques sur les injections d’insuline... c’est la même logique.

Par contre, il pourrait y avoir des situations particulières que nous avons appelées les zones à risque. Ces situations nécessiteraient que les infirmières aillent un peu plus loin, comme aider à positionner une seringue correctement. Dans le contexte actuel, elle ne sera pas habilitée à injecter la personne. L’injection effectuée par le personnel médical est une pratique controversée et qui fait l’objet de beaucoup de discussions au Canada, parce que c’est une situation qui arrive fréquemment, soit que l’infirmière se voie dans l’impuissance de répondre à une personne qui vraisemblablement est en manque. Néanmoins, en ce moment, les infirmières ne sont pas habilitées à effectuer l’injection.

NPS – Est-ce qu’un pair (conjoint, ami, etc.) peut aider à ce moment-là ?

Dans le cadre législatif et réglementaire actuel, non, un pair ne peut pas injecter une autre personne. D’ailleurs, un couple qui a l’habitude de s’injecter ne pourra pas le faire dans le service d’injection supervisé. Ceci dit, nous voulons construire une pratique qui répondra aux besoins des personnes UDI, avec le meilleur éclairage au plan éthique. Nous suivrons de près l’évolution de la pratique au plan canadien, ce que Santé Canada acceptera ou pas, et nous adapterons les pratiques en fonction de ces facteurs. Nous ne voulons pas altérer la qualité de l’offre de services qu’on va offrir aux UDI, mais nous voulons travailler dans la légalité. De plus, il est essentiel pour nous d’obtenir l’exemption de Santé Canada. Cette exemption va d’année en année. Comme nous l’avons obtenue en février 2017, nous la redemanderons en février 2018. C’est un long processus et nous pouvons être soumis à des inspections sans préalables. Insite a développé un lien de confiance avec Santé Canada et a pu assouplir ses pratiques avec le temps. Nous devons tout d’abord créer un lien de confiance avec Santé Canada. Nous sentons qu’ils sont très favorables au projet de SIS, mais ils veulent vérifier la sécurité du service que l’on offre.

NPS – Les pratiques de SIS sont somme toute vivantes et elles vont être appelées à évoluer…

Oui, certainement. On le voit d’ailleurs en Colombie-Britannique, en réaction à la crise des opiacés opioïdes. Actuellement, ils font place à une crise incommensurable. Pour y faire face, le gouvernement provincial a décrété la mise en place de centres de préventions des overdoses. Ces centres sont des centres de monitorage d’injection — ce ne sont pas des SIS. L’objectif est qu’il y ait une personne à proximité de la personne qui s’injecte, pour que les secours puissent être appelés s’il y a lieu. Le monitorage se fait par des intervenants communautaires ou des pairs dans différents endroits, par exemple dans des ruelles. C’est une intervention de très bas seuil. Cependant, elle crée de la confusion : ces centres ne bénéficient pas de l’exemption de Santé Canada et ce sont des mesures d’urgence. À Montréal, nous sommes dans une logique de SIS, soit de mise en place des services d’injection supervisée par du personnel médical.

NPS – Nous ne pouvons pas (encore) parler de crise des opioïdes à Montréal. Cependant, pensez-vous qu’une telle crise pourrait avoir un impact sur les SIS et leur implantation ?

Je pense qu’elle aura un impact majeur et ce, à différents niveaux. Le Fentanyl n’est pas encore arrivé à Montréal, mais il peut arriver n’importe quand. À Montréal, la chance que nous avons est que la compétition au Fentanyl soit des médicaments de qualité pharmacologique disponibles sur le terrain. Ailleurs au pays, il n’y a plus de telles alternatives, et c’est pourquoi les UDI se tournent vers des alternatives plus dangereuses. C’est pourquoi le débat sur le contrôle des opioïdes est plus complexe qu’il n’y paraît : si nous sommes plus sévères sur les prescriptions des opioïdes, nous allons créer un vide dangereux. Pour en revenir à la crise des opiacées, je pense que les SIS joueront un rôle important si le Fentanyl arrive dans les rues montréalaises.

Pour revenir à l’implantation des SIS, dans notre étude de 2011, nous n’avons pas mesuré l’ampleur du changement dans les pratiques de consommation des personnes UDI. Nous planifiions superviser la consommation de la cocaïne et toute notre réflexion était ancrée autour de cette réalité. Or, depuis, nous avons mesuré que la consommation d’opioïdes a tellement augmenté qu’elle est presque au même niveau de la cocaïne. Nous avons aussi observé que la consommation d’opioïdes était associée à des comportements à risques plus importants que la consommation de cocaïne. Par exemple, certaines personnes qui consomment des opioïdes s’injectent plus de fois par jour qu’une personne qui consomme de la cocaïne. Avec l’Institut National de santé publique (INSPQ), nous avons révisé les pratiques d’injection à risques réduits. Ces pratiques présentent concrètement les étapes pour consommer une drogue dans une solution la plus propre et la plus sanitaire possible. Notre travail avec l’INSPQ nous a amenés à modifier le matériel d’injection que nous distribuons. Nous sommes actuellement en attente du nouveau matériel. Pour en revenir aux SIS, nous allons probablement ouvrir les SIS avant l’arrivée du matériel, mais je pense que les SIS vont nous permettre d’effectuer plusieurs observations sur les pratiques actuelles. Mon intuition c’est qu’il va falloir travailler très fort sur la distribution et l’usage du nouveau matériel. Mais la beauté de la chose est qu’avec les SIS, il sera possible de mobiliser et consulter rapidement les UDI autour de la question du nouveau matériel.

NPS – Vous avez mentionné l’importance de mobiliser les UDI. Quelle sera leur implication dans l’implantation des SIS ?

Éventuellement nous aurons un comité aviseur, un comité des usagers qui pourra nous dire de manière indépendante comment ils vivent le service, donner leur point de vue. L’objectif est d’avoir un dialogue qui ne passe pas seulement par les groupes communautaires, mais qui s’articule aussi entre la DSP (Direction régionale de santé publique) et les UDI. J’aime bien que ça soit direct. Dans les prochaines semaines, nous irons sur le terrain rencontrer des usagers afin qu’ils nous guident dans le développement de l’identité visuelle et pour échanger avec eux sur les meilleures façons de les joindre en vue de leur faire connaître les services. C’est une préoccupation de tous les moments de s’assurer que les personnes UDI font partie du projet, que les personnes UDI soient écoutées et impliquées. Personnellement, je m’attends à ce que leur rôle progresse dans le temps, mais pour le moment, nous avons élaboré un modèle d’intervention et nous ajusterons les paramètres d’implication avec le temps.

NPS – Vous avez souligné précédemment l’importance de l’intervention par les pairs pour la DSP. Quelle place aura cette forme d’intervention dans les SIS ?

Chaque SIS aura des intervenants communautaires, des pairs et des infirmières. Ce n’est pas encore facile de voir comment les pairs vont être intégrés, mais je vais veiller au grain, car c’est vraiment important. Ces dernières années, nous avons fait la promotion de l’intervention par les pairs et des groupes de pairs ont été intégrés dans les groupes communautaires – les Messagers de CACTUS, les Specteurs de Spectre de rue et les Dopalliés de Dopamine. L’intervention par les pairs est importante dans l’offre de services, car elle permet, entre autres, que les intervenants soient « challengés » par rapport à leur approche, par rapport à leurs interventions. Ce n’est pas parce qu’on est un intervenant communautaire qu’on est immunisé contre le fait d’oublier certaines réalités ou contre le fait de se remettre en question. L’intervention par les pairs a créé des chocs de cultures importants entre les intervenants communautaires et les nouveaux pairs salariés. L’intégration n’a pas été facile, ç’a pris du temps. Certains intervenants se trouvaient justement confrontés, certains avaient du mal à comprendre c’était quoi le rôle des pairs par rapport à leur rôle à eux. Au final, je crois que l’intervention a été bonifiée et que nous avons passé cette étape et que les pairs sont intégrés à l’offre de services en réduction des méfaits. La présence des pairs permet à l’équipe de professionnels de se remettre en question. Il doit y avoir des lieux de discussion dans les équipes multidisciplinaires et les pairs doivent être présents et avoir leur place.

NPS – C’est toute la tension entre le savoir professionnel et le savoir expérientiel.

Oui, et je pense que l’implantation des SIS va être un très bon examen pour l’intervention par les pairs. Je pense qu’il y a déjà un arrimage entre les pairs et les intervenants, mais il reste à voir comment les SIS vont s’arrimer à tout ça. Ce qui est intéressant dans le cas des SIS, c’est qu’il aura aussi une intégration entre des « anciens » et des « nouveaux », soit entre les personnes qui sont dans les groupes communautaires (qui travaillent auprès de UDI depuis très longtemps et qui ont certainement une expertise de la clientèle et de l’approche de la réduction des méfaits) et les infirmières et les intervenants qui interviendront au niveau des SIS. Nous avons une équipe d’infirmières qui vient de l’extérieur. Elles ont une expérience incroyable et variée, mais elles connaissent peu ou pas la clientèle. Cette réalité de l’intégration des « nouveaux » avec les « anciens » a été un défi dans d’autres SIS — par exemple, en France, ç’a été un défi d’implantation. L’enjeu se situe au niveau des savoirs : le savoir professionnel des infirmières doit être reconnu à juste titre par rapport à l’expérience des intervenants communautaires auprès des personnes toxicomanes. Chaque savoir est d’égale valeur et doit être mis à contribution dans la mise en place des SIS.

NPS – C’est intéressant parce que même la cible de l’intervention n’a été travaillée ni par les « nouveaux » ni par les anciens.

Oui, même l’intervenant qui a travaillé en réduction des méfaits depuis 15 ans, il a fait du counseling en amont et en aval de l’injection, jamais durant. Il faudra créer un espace collaboratif, pour appréhender le « choc » des cultures et les défis qui en découlent, surtout en considérant que l’infirmière va avoir la responsabilité du service et que c’est elle qui est décisionnelle à la toute fin.

NPS – Serait-il possible de nous décrire la visite d’une personne dans un SIS ?

Pour chaque site, nous avons une trajectoire de service, avec toutes les mesures de sécurité et les protocoles pour chaque étape — c’est une demande de Santé Canada. Si je donne l’exemple d’une visite « typique », la personne va entrer et arriver à l’accueil. À l’accueil, il va y avoir un pair et/ou un intervenant. Si c’est la première visite de la personne, l’intervenant(e) va l’inscrire au service et entrer les données dans le système informatique. Une fois inscrite, la personne pourra fréquenter tous les SIS de la région de Montréal.

NPS – Est-ce que l’accès aux SIS sera confidentiel ?

Ce sera confidentiel et anonyme. Nous avons beaucoup travaillé cette notion de l’anonymat que nous voulons préserver dans les services d’injection supervisés. Autrement dit, nous voulons garantir aux personnes que leur nom ne sera pas associé à un usage des SIS dans le réseau de la santé et des services sociaux. Nous avons donc créé un système d’information qui va répondre à toutes les exigences administratives et légales, mais qui sera complètement à l’écart du réseau de la santé. Les personnes qui viendront aux SIS devront nous donner leur « vrai » nom lors de leur première visite et nous devrons obtenir leur consentement éclairé. Par la suite, ils [sic] pourront utiliser un nickname ou un pseudonyme si ils le souhaitent.

Suite à l’inscription, l’intervenant va obtenir un consentement aux soins, ce qui inclut une réanimation en cas d’overdose et d’arrêt respiratoire, et expliquer à la personne le code de vie. La personne est alors invitée dans une salle d’attente où il y aura, selon les lieux, un tableau qui va indiquer les numéros des personnes qui attendent. Ce tableau va permettre de savoir où on est rendu et de structurer l’attente pour qu’il n’y ait pas de chicane. Ensuite, l’intervenant de l’accueil invite la personne à entrer dans la salle d’injection. Le relais de l’intervention est passé à l’intervenant dans la salle d’injection, qui va inviter la personne à prendre le matériel d’injection stérile.

NPS – Est-ce qu’il y a l’obligation de prendre le matériel qu’il y a sur place ou les personnes pourraient arriver avec des cotons usagés[2], par exemple ?

Oui, il y a une obligation d’utiliser le matériel stérile des SIS, mais c’est un débat qu’on a encore. De plus, la personne doit laisser son matériel sur place après, y compris les cotons utilisés lors de l’injection. À Insite, ils ont beaucoup insisté sur cette mesure parce que les cotons sont une source de transmission du VIH et du VHC. Nous voulons que la salle d’injection soit un lieu d’apprentissage et éviter que ça devienne un « vecteur » pour l’épidémie du VIH en tolérant des pratiques à risques. Je sais que c’est controversé comme position et, évidemment, et on ne veut pas que nos règles deviennent des obstacles à la venue des UDI… mais je réitère, on ne peut pas devenir un vecteur pour le VIH dans la communauté, ça ne fait aucun sens. Bref, pour revenir à la trajectoire de service, après avoir pris son matériel, la personne va aller à son cubicule. Elle va y faire la préparation de sa drogue. En principe, c’est une injection à la fois, mais là vu la présence des opioïdes, c’est possible qu’il y ait plus de tolérance pour quelqu’un qui voudrait s’injecter plusieurs fois, mais ce sera l’objet d’une intervention.

NPS – Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

Actuellement, en l’absence du nouveau matériel, le steri-cup[3] est trop petit pour faire une injection d’une fois avec la préparation d’opioïde parce que ça prend trop d’eau. Donc, pour la même dose, ils doivent s’injecter plusieurs fois. Vu que chaque injection est une ouverture dans la peau et donc une possibilité d’abcès, l’idéal est de réduire le nombre d’injections, mais nous voulons aussi tenir compte de la réalité des UDI. Il y a donc plusieurs règles autour de la salle d’injection et dans la salle d’injection, mais, comme je disais tantôt, nous ne voulons pas être intrusifs… mais il y a des choses qu’on ne peut pas permettre, comme la réutilisation de cotons. Pour revenir à la trajectoire de service, une fois que la personne qui a terminé son injection, elle va être invitée à sortir et aller en salle de répit. Dans les petits sites, la salle de répit et la salle d’attente seront au même endroit, mais dans le plus gros site, ce seront deux salles distinctes.

NPS – Est-ce qu’il y a une obligation de rester dans la salle de répit ?

On va insister pour que les gens restent au moins quelques minutes. Il y a certaines situations où l’intervenant et le pair qui sont à la salle de répit vont demander à l’infirmière de faire une évaluation s’ils sont inquiets de l’état de la personne, mais en principe, il n’y a pas d’obligation. De toute façon, nous pensons que si quelqu’un fait un arrêt respiratoire, ce sera dans la salle d’injection…

NPS – Est-ce que tous [les] intervenants (pairs, intervenants sociaux) vont avoir accès à la salle d’injection ?

Ce qu’on a prévu, c’est qu’il y ait toujours une infirmière et un intervenant communautaire présents dans la salle d’injection. Dans le plus gros site (à CACTUS), il y aura deux infirmières. Sans la présence de l’infirmière, la salle d’injection ne peut pas opérer. Les pairs vont assurer une présence à l’accueil et dans la salle de répit, mais n’ont pas accès à la salle d’injection.

NPS – Combien d’UDI auront accès à la salle ?

Ça dépend des sites. Nous avons a élaboré un modèle mathématique basé sur la fréquentation actuelle des services avec une petite étude de sensibilité pour avoir des minima et des maxima. Nous avons même regardé la fréquentation horaire des services pour examiner quels étaient les pics de fréquentation. Dans le site mobile, ce sera 2 cubicules. Pour ce qui est de Dopamine, ce sera 3 cubicules, Spectre de rue, 4 cubicules, et pour CACTUS, le plus gros site, ce sera 10 cubicules. C’est quand même assez élevé, plus élevé que ce que l’on avait prévu au départ dans l’étude de faisabilité. Je crois que l’augmentation peut s’expliquer par l’augmentation des injections dues aux médicaments opioïdes.

NPS – En parlant du site mobile… a-t-il obtenu l’approbation de Santé Canada ?

Non, nous sommes en attente. Pour Santé Canada, c’est un projet nouveau qui demande plus d’examen et c’est normal, car c’est une nouvelle pratique. Je crois que la sécurité est un enjeu important pour le site mobile. Tout d’abord, ils se demandent comment assurer la sécurité des personnes à bord, et ensuite, comment assurer qu’on a un bon contrôle des drogues à bord. En effet, si jamais des personnes perdent leurs drogues ou laissent leur drogue dans le mobile, il n’y aura pas de voûte pour les conserver, mais un tiroir verrouillé. Dans les sites fixes, les drogues perdues ou oubliées seront immédiatement conservées dans une voûte. Pour tous les sites, nous avons développé un protocole avec le SPVM pour la collecte de ces substances par des personnes désignées et c’est le service de police qui sera responsable de les détruire.

NPS – Vous avez brièvement soulevé cette question précédemment, mais comment aller vous maintenir le niveau d’acceptabilité sociale pour opérer le service ? Vous avez effectué des consultations pour l’étude de faisabilité, mais qu’est-ce qui est prévu pour la suite ?

Oui, nous avons défini les conditions d’acceptabilité sociale selon le point de vue de chacun des acteurs — les UDI, les voisins, les élus, les décideurs. Par ailleurs, depuis le tout début du projet, nous avons toujours répondu à toutes les demandes d’informations, constamment, qu’elles viennent de l’UQAM, des tables de quartier, nous avons été présents dans les médias. Nous avons tenté d’être proactifs avant l’implantation et de répondre minimalement à tout le monde. Nous avons fait des sondages dans la population pour connaître un peu son point de vue. Nous avons observé une évolution positive de la perception du projet. Lors de l’implantation, nous avons prévu de reprendre le comité régional qui a travaillé tout au long de l’étude de faisabilité, avec les acteurs impliqués au niveau municipal et régional : arrondissement, table de quartier, association de citoyens, même les commissions scolaires. De plus, chaque site aura un comité local qui tiendra compte des enjeux d’implantation propre à chaque site et qui tentera de trouver des solutions le plus rapidement possible. Nous allons bientôt commencer une grande tournée d’information et nous allons transmettre aux citoyens et aux autres partenaires quel numéro de téléphone appeler s’ils ont des questions, des plaintes à formuler. Nous voulons établir des canaux de communication pour que les gens sachent à qui s’adresser s’il y a des problématiques et que nous soyons en mesure d’y réagir rapidement. Nous voulons aussi prévoir des portes ouvertes avant l’ouverture des services. J’espère que nous aurons le temps de le faire pour démystifier les lieux.

NPS – Combien d’UDI vont venir fréquenter les lieux ?

C’est difficile à dire. La dernière estimation de la population UDI date de 2010 et il faut vraiment être prudent, car ça varie beaucoup, mais nous l’avions estimée à 4000 personnes. Selon l’étude de faisabilité, 70 % des UDI que nous avions sondé disaient vouloir venir à un SIS. La majorité d’entre eux était sans-abri et cela joue sur l’intention de venir. Personnellement, je pense que nous aurons 3500 personnes qui fréquenteront les SIS. Actuellement, dans les organismes communautaires, nous avons recensé 60 000 visites annuellement, soit 60 000 visites de personnes qui viennent chercher du matériel d’injection, donc a priori des UDI.

NPS – Les SIS seront-il ouverts 24 h sur 24 h ?

À Montréal, si l’on considère tous les sites, ils seront ouverts 22 h sur 24 h, 7 jours sur 7.

NPS – Les SIS sont le résultat de plusieurs années de travail. Selon vous, quel sera le prochain défi ?

Ce sera de mettre en place un plan de réponse à l’éventuelle crise de surdose liée à la consommation des opioïdes et de poursuivre les actions qu’on a mises en place depuis 2014 pour faire face à ça. Entre autres, nous avons créé le groupe de vigie de surdose. C’est un groupe actif qui nous permet d’avoir des communications formidables. Sous la responsabilité de la DRSP, ce comité est composé d’Urgences-santé, du bureau du coroner, du centre antipoison, du SPVM, des laboratoires de références, des regroupements d’usagers de drogues, des organismes communautaires, d’équipes oeuvrant en santé mentale et dépendance. Nous tentons d’identifier les substances sur le marché et d’identifier le plus rapidement possible des situations inhabituelles, telles qu’une augmentation de surdose durant un temps précis. Nous voulons pouvoir déclencher l’alerte et nous mettre en mode action le plus rapidement possible. Par ailleurs, au niveau canadien, la ministre de la Santé a inscrit dans le projet de loi C-37 le déploiement de la naloxone à grande échelle. Nous avons encore du travail à faire à ce niveau-là. Éventuellement, il faudrait que tout le personnel de sécurité qui travaille dans les lieux publics où il y a potentiellement des personnes toxicomanes qui s’injectent puisse avoir accès à la naloxone. Pour le moment, les pairs, les ambulanciers, les infirmières de proximité et les intervenants communautaires sont capables d’utiliser la trousse de naloxone et peuvent l’utiliser en cas de surdose. Nous voulons élargir. Par ailleurs, nous voulons aussi accroître l’offre de traitement de substitution parce qu’on sait que la crise de Fentanyl est associée à une offre de substitution. Si nous n’avions plus des médicaments opioïdes sur le terrain, comme c’est le cas à Vancouver, nous devrions mettre en place des programmes de substitution qui viennent compléter l’offre de prescription de méthadone, et de Suboxone, comme la prescription de Dilaudid IV et d’héroïne intraveineuse. À Vancouver, le Dilaudid comme traitement de substitution est offert suite au projet de recherche SALOMÉ. J’ai l’intention de m’attaquer à ce dossier avec les équipes cliniques avant que l’on ne soit en pleine crise.

NPS – Le fait que les SIS soient en place est une préparation intéressante pour développer ces autres projets.

Oui, je le vois comme ça. C’est un peu une gradation. Idéalement, nous aurions fait de front le développement des SIS, le déploiement de la naloxone à grande échelle et le développement des traitements de substitutions. Tout cela demande beaucoup d’énergie, donc on avance, mais pas avec la même intensité.

NPS – Nous sommes à la fin de l’entrevue. Aimeriez-vous ajouter quelque chose ?

Oui, j’aimerai réitérer l’importance de l’implication des UDI dans le développement des SIS. Ils auraient aimé que les SIS arrivent beaucoup plus vite, mais sans eux, le projet n’aurait jamais pu décoller et ne pourrait pas marcher.

NPS – Merci beaucoup pour cette fascinante entrevue.