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Introduction

C’est-à-titre d’administrateur d’un Comité Éthique de la Recherche (CÉR) et de chercheur que nous avons eu l’occasion de suivre le travail d’étudiants finissants d’un programme de santé au premier cycle (baccalauréat de 4 ans). Ces étudiants devaient effectuer une étude et un stage au sein de milieux hospitaliers régis par des traditions déontologiques parfois fort éloignées des principes prônés par l’Énoncé Politique des Trois Conseils (CRSH et al., 2010). Au nombre des écarts que nous avons notés entre les exigences de l’ÉPTC et les pratiques déontologiques acceptées dans ces institutions, mentionnons le consentement implicite, la considération du consentement aux soins, comme un consentement à l’utilisation des données en vue de recherches ultérieures, et l’utilisation de données non anonymes dans le cadre de recherches cliniques en partenariat avec des intérêts souvent privés - pour ne nommer que ceux-ci.

Rappelons que ces pratiques n’étaient pas acceptées par les principes éthiques gouvernementaux (ÉPTC), et bien des étudiants, surtout ceux qui travaillaient sur des « données secondaires »[1], dites aussi « rétrospectives », se sont vus retarder et parfois refuser leur certificat éthique - et ce, même si les hôpitaux soutenaient leur recherche. C’est ainsi que bon nombre d’étudiants n’ont plus voulu travailler sur des protocoles impliquant des sujets humains, et se sont rabattus sur des protocoles utilisant des mannequins, ou encore, sur des données secondaires, alors que leur métier implique concrètement une relation avec des gens atteints de cancers - avec tout ce que cela peut sous-entendre en termes d’incertitude et d’efficience thérapeutique (Benoit et Dragon, 2011). Cette situation a malheureusement engendré des décalages dans l’approbation des formations et la disponibilité de ressources cliniques importantes pour la population. Elle illustre également des habitudes en recherche, chez certains professionnels, qui considéraient la liberté prodiguée par leur appartenance à un corps professionnel comme étant plus importante que le respect des principes éthiques de l’ÉPTC.

Le présent texte se veut une analyse critique d’une étude de cas de six cohortes d’étudiants impliqués dans un programme de recherche universitaire en santé. Le texte permet de mettre en lumière les différentes façons d’utiliser les règles de l’ÉPTC, en matière de culture et de pratiques, entre les institutions de santé et celles du savoir.

1. Rappel historique : L’éthique de la recherche et la formation clinique

Un petit rappel historique permettra de comprendre l’origine des principes éthiques qui nous gouvernent au Canada. En 1998, le Canada soumettait les institutions de recherche et d’enseignement à un ensemble de mesures et de principes, connu sous le titre d’Énoncé de Politique des Trois Conseils (ÉPTC), visant l’harmonisation des conditions d’approbation des protocoles de recherche utilisant des sujets humains. Ces mesures devenaient aussi une condition de financement pour les institutions bénéficiaires des fonds de recherche gouvernementaux obtenus auprès des Trois Conseils[2]. Le principal document de l’ÉPTC occasionnait maints bouleversements, particulièrement dans les domaines des sciences humaines appliquées et également dans les sciences de la santé. Beaucoup se sont alors plaints de la proximité du gouvernement dans les laboratoires scientifiques, et de l’intrusion des orientations gouvernementales en matière de recherche. Ces mesures auraient un impact sur des questions importantes telles que l’autonomie professionnelle et la liberté académique. En effet, bien des chercheurs y voyaient une intrusion dans leur espace professionnel ainsi qu’un ralentissement de leur performance académique générale. Sur la base de ces critiques, une certaine « résistance » s’est construite.

Or, cette « résistance » n’était pas nouvelle. Au sortir du procès de Nuremberg (1947), les scientifiques américains du domaine biomédical, ne ressentant aucune responsabilité envers les atrocités commises par le régime nazi, semblaient peu enclins à reconnaître les normes éthiques visant à prévenir quelques cruautés (Doucet, 2010). Pourtant, de nombreux exemples, particulièrement en recherche clinique, ont démontré, pendant les années 1950 et 1960, qu’ils n’étaient pas exempts de tels faux pas (Beecher, 1966), particulièrement avec les avancées d’une médecine qui exigeait de plus en plus de financements en recherche (rapport Belmont, 1979). De plus, la « résistance » à l’égard des normes éthiques en matière de recherche sur les êtres humains dans les années 1960 ne s’explique pas uniquement par le souci de préserver une indépendance envers l’État et la société en général, mais également par les intérêts qu’offraient les regroupements scientifiques pour consolider l’apport du financement, et éventuellement la commercialisation, des produits de la recherche.

Devant une telle situation, le Canada, suivant l’exemple des États-Unis, met en place, entre le début des années 1970 et la fin des années 1980, un programme d’éthique partageant les responsabilités de la recherche utilisant des sujets humains entre l’État, les communautés et les organismes subventionnaires (Doucet, 2010). Aux États-Unis, un équilibre dans le partage des pouvoirs est atteint par le fait que la majorité des membres du Congrès américain ne provenaient pas des milieux associés à la recherche scientifique. Le Canada, inspiré par ces principes d’indépendance élabore des énoncés éthiques fédératifs qui mèneront à l’ÉPTC. Ces principes reconnaissaient que l’expertise scientifique, aussi pointue soit-elle, n’était pas suffisante pour garantir une protection adéquate lorsque la recherche utilise des sujets humains. L’apport des expertises dites « communautaires » à la recherche fut alors convié à la mise en place des comités éthiques. Caillé (2005) fait remarquer que ces dimensions essentielles à la diversification de la recherche, à partir de la fin des années 80, n’ont pas cessé de se rétrécir, et ce, malgré la meilleure volonté des acteurs de la communauté à la fois scientifique et éthique, et la mise en place des lignes directrices de l’ÉPTC qui tentaient de répondre en 1998 à ces préoccupations.

En effet, bien que le document de l’ÉPTC ait énuméré des obligations qui avaient pour mérite de baliser le travail avec des sujets humains, il soulevait du même coup des défis importants sur le plan des régimes de gouvernance qui, au Canada, étaient soumis à des obligations fort différentes d’une institution à l’autre, que ce soit dans les universités ou dans les hôpitaux. À ceci s’ajoutait aussi que l’ÉPTC était loin de rendre justice à la diversité des pratiques heuristiques soumises à son attention. En effet, il ne faut pas négliger l’importance prédominante accordée, dès 1994, au modèle biomédical dans la détermination des lignes directrices de l’ÉPTC, modèle qui ne rendait pas toujours compte des spécificités des autres autres domaines de recherche (Burgess, 2010). Encore une fois, les enjeux financiers associés à la recherche, le mandat parfois peu clair des comités éthiques, ainsi que leur incapacité à imposer leurs décisions dans un contexte d’« économie du savoir », ont joué sur leur capacité de faire valoir les intérêts des sujets humains. Ainsi les comités éthiques pouvaient être perçus comme une instance de censure de la recherche, ou encore de dénigrement de celle-ci.

Par ailleurs, si le document de l’ÉPTC1 (version finale, 2005) représentait une avancée significative pour l’évaluation de la recherche impliquant des sujets humains, il soulevait aussi beaucoup de questions quant à sa réelle portée. Ne facilitait-il pas certains types de recherche, dont les recherches cliniques, notamment celles qui utilisaient des données dites « secondaires » ? Ceci nous amène à poser également des questions relatives au consentement implicite obtenu dans un contexte multicentrique parfois complexe et fastidieux. En tentant de répondre à de telles difficultés, il va sans dire que la refonte de la première édition (ÉPTC1) était grandement attendue par les divers milieux de la recherche.

La première ébauche de l’ÉPTC2 (aux fins de discussion) fut soumise au public en décembre 2009 et en décembre 2010[3]. Dans cette nouvelle édition, l’ensemble des principes (essentiellement extrapolés de la déclaration d’Helsinki et du code de Nuremberg) était maintenu, puisque ces principes représentaient le ciment de la recherche avec des êtres humains depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Bien que cette nouvelle édition se soit enrichie de précisions sur la recherche avec plusieurs autorités, et que des chapitres supplémentaires sur la recherche qualitative et avec les premières nations aient été ajoutés, elle assouplissait autant l’évaluation de la règle proportionnelle (enjeux et bénéfices) qui est au coeur de la notion de « risque » que certaines règles autour du consentement (Ringuet, 2010).

Nous avons été un témoin privilégié de cette transition entre l’ÉPTC1 et l’ÉPTC2, transition à travers laquelle nous aurions souhaité que les sujets humains soient mieux protégés, alors que beaucoup de chercheurs que nous avons côtoyés se sont sentis légitimés, dans un tel contexte, d’agir comme si ce document, qui demeurait consultatif, dictait dorénavant les nouvelles règles en matière de conduite en recherche. Les situations engendrées par une telle interprétation devenaient préoccupantes, et permettaient de saisir l’importance d’une saine gouvernance, afin d’assurer une réelle autonomie des CÉR et la protection des sujets humains dans un contexte de recherche.

2. Question de recherche et approche méthodologique

Dans le cadre de leur stage, les étudiants étaient soumis à une formation de chercheur universitaire dans un milieu professionnel. La réussite de leur stage dépendait grandement de leur intégration dans ce milieu hospitalier, où un spécialiste de leur discipline supervisait la réalisation de leur protocole de recherche. S’ajoutait également pour l’étudiant la capacité de s’intégrer à des équipes interdisciplinaires impliquant le respect des diverses obligations, d’une diversité de pratiques déontologiques et professionnelles. La question était de savoir si les professionnels des milieux hospitaliers impliqués dans la recherche et la formation des étudiants reconnaissaient suffisamment leurs obligations face aux principes de l’ÉPTC ? D’entrée de jeu, nous avions déjà remarqué, dans l’évaluation des protocoles de recherche, l’ignorance, si ce n’est l’évacuation, de la règle proportionnelle, à la source même de l’équilibre entre le « risque » et le « bénéfice » pour le patient dans l’ÉPTC. Dès lors, à qui appartenaient les bénéfices et à qui incombaient les inconvénients ? Telle fut la question à laquelle il nous fallait répondre en travaillant avec les étudiants.

Une étude de cas, suivant l’approche de Gagnon (Gagnon, 2012), a été réalisée dans le cadre de cette recherche. Cette approche de type qualitatif correspondait le mieux à la démarche méthodologique que nous avons employée pour analyser cette culture déontologique en émergence dans un programme de santé. Aussi, à la lumière du questionnement que nous avons établi, avons-nous interrogé la documentation qui nous était fournie par le comité éthique de la recherche que nous dirigions[4]. Nous avons ainsi examiné les demandes éthiques de six cohortes, d’une douzaine de finissants chacune, effectuant leur « stage » (formation clinique d’une durée d’une année) dans un programme de santé offert par plusieurs Universités partenaires en Ontario (Canada) dans des milieux hospitaliers répartis sur l’ensemble de la province. Ces étudiants étaient dirigés par des chercheurs universitaires de plusieurs établissements impliqués dans des équipes interprofessionnelles composées de médecins, radiologues, infirmières et administrateurs de santé.

Notre étude a permis d’analyser 78 dossiers ayant soumis un protocole de recherche aux fins d’approbation éthique dans le cadre d’un programme de santé, entre 2006 et 2012. Dans un premier temps, nous avons regroupé l’ensemble de la documentation impliquée dans la démarche de certification éthique entreprise par les étudiants supervisés par leurs professeurs et les coordonnateurs de stages. Cette documentation comprenait : les formulaires de demande éthique, les formulaires de consentement, les ententes de partenariat interinstitutionnel hôpitaux/Université, la correspondance entre les chercheurs et le CÉR, les évaluations par les membres du CÉR, dont nous faisions partie, les documents issus des rencontres avec les coordonnateurs de stage, et les documents de formation destinés aux étudiants et aux coordonnateurs de stage. Ce matériel représentait un corpus d’analyse d’environ 3500 pages. Dans un deuxième temps, nous avons extrait les données pertinentes des documents à l’appui de l’ensemble des protocoles soumis au CÉR. Cette démarche, inscrite à travers le temps, consistait à «revoir» la mise en place du programme de l’ÉPTC à travers ses réussites, ses défis, et les problèmes récurrents rencontrés par les six cohortes d’étudiants désignés. Dans un troisième temps, nous avons consulté les évaluations et décisions effectuées par les membres du CÉR de manière à déterminer quels furent les principaux problèmes rencontrés par les étudiants et le comité éthique. Après avoir pris en compte le sens transmis par cette riche documentation, nous avons formulé un résumé et codifié les éléments significatifs sur le plan des règles éthiques applicables selon les principes de l’ÉPTC. Dans un quatrième temps, nous avons analysé les données codifiées permettant de les présenter sous forme de catégories. Ces catégories révèlent des résistances envers les obligations exigées par la mise en application de l’ÉPTC et témoignent de l’ouverture qui mène à des changements dans l’organisation du travail de la recherche. Cette quatrième démarche dans le traitement des données a donné lieu à l’analyse de chaque cohorte présentée ci-dessous.

3. Composition du corpus et analyse des documents

Le nombre de protocoles soumis annuellement à notre attention fut assez stable (entre 12 et 15). Quant à la nature des recherches effectuées, précisons qu’il s’agissait surtout d’« analyses de données secondaires » et d’études cliniques. Plus marginalement, il y avait aussi des études d’assurance qualité (essentiellement de rendement), des projets pilotes, des rencontres publiques, des analyses de matériel, et l’utilisation de mannequins. Plusieurs de ces protocoles ne nécessitaient pas de certification éthique, bien que chacun d’entre eux ait dû être proposé à l’examen du CÉR afin de déterminer si une exemption s’appliquait.

En ce qui concerne l’ensemble des irritants relevés par chacune des cohortes, il nous est rapidement apparu que certains problèmes notés par le travail d’évaluation des membres du CÉR étaient plus manifestes et récurrents, de sorte que nous avons pu identifier onze catégories de problèmes (indicateurs), parfois coordonnables, et sous lesquels pouvaient quelquefois s’aligner d’autres variables. (Tableau 1)

Tableau 1

Indicateurs/problèmes rencontrés par chacune des cohortes

Indicateurs/problèmes rencontrés par chacune des cohortes
Sources : Données compilées par les auteurs

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Ces problèmes relevés par le travail des évaluateurs du CÉR furent ordonnés de la manière suivante, et selon l’ordre du plus important au moins important. Ce sont : « l’Assurance de la confidentialité » ; le « Devis et le mérite » ; les « Procédures internes (et les formulaires) » ; les « Risques et l’évaluation des risques » ; l’« Utilisation du consentement implicite (PHIPA 44) »[5]  ; la « Malhonnêteté »[6] ; la « Confusion entre formation, recherche et mauvaise connaissance du processus » ; les « Problèmes dans la procédure de consentement » ; la «Propriété des données » ; les « Délais indus » ; et, les « Problèmes de coordination interne au CÉR ». Nous avons pu également noter que pour une seule demande éthique il pouvait se trouver plus d’un problème. De la même manière, il pouvait se trouver plusieurs anomalies dans le cadre d’un seul indicateur. Enfin, certaines catégories pouvaient engendrer des problèmes dans d’autres catégories.

L’analyse des documents que nous avons soumis à l’évaluation des six cohortes d’étudiants permet de dégager une période d’adaptation aux règles éthiques qui mènera graduellement à une certaine résistance, puis à ce que l’on pourrait appeler une acceptation graduelle des règles formulées par les organismes gouvernementaux dès lors que celles-ci répondaient davantage à leurs attentes (ÉPTC2), en protégeant toutefois moins les sujets de la recherche.

3.1 Première cohorte (2006-07) : la mise en place d’un programme

La première cohorte représentait le défi du développement d’une expertise éthique permettant d’encadrer les exigences d’un nouveau programme de santé. Ce nouveau programme était, en effet, à la fois soumis aux principes de l’ÉPTC et aux nouvelles lois provinciales de l’Ontario [PHIPA et FIPPA (Freedom of Information and Protection of Privacy Act)][7] qui resserraient les exigences de confidentialité des informations entourant la vie privée. Cette première cohorte a rencontré maints obstacles associés à une mauvaise compréhension à la fois des politiques de l’ÉPTC et de la démarche de certification éthique du protocole de recherche. Les superviseurs de stage et les étudiants évaluaient fort mal les questions de confidentialité, de consentement, et considéraient difficilement la question des risques et des bénéfices à l’égard des sujets de la recherche. Certains superviseurs ne comprenaient pas pourquoi le CÉR demandait d’effectuer des modifications au protocole de recherche des étudiants. Ces problèmes ont entraîné des délais dans l’évaluation des protocoles par le CÉR[8]. En revanche, ces problèmes ont aussi permis de mieux définir le cadre d’évaluation et de coordination des activités du CÉR qui en était, rappelons-le, à sa première année de travail avec ce programme de santé.

3.2 Deuxième cohorte (2007-08) : réussites, défis et problèmes récurrents

Dans cette deuxième année, beaucoup d’efforts ont été déployés par la coordination du programme ainsi que l’administration du CÉR en vue de mieux former les étudiants, les directeurs et les membres du comité éthique au processus de certification éthique ainsi qu’à la culture de l’ÉPTC. Parmi ces efforts, mentionnons la formation des membres du CÉR aux exigences de l’évaluation en milieu clinique ; la multiplication des rencontres avec les coordonnateurs du programme, les superviseurs de stage et la direction du bureau de la recherche universitaire ; la mise sur pied d’un comité d’étude pour mieux soutenir les besoins de ce programme ; l’élaboration de fiches, formulaires standardisés et matériel pédagogique répondant mieux à l’identification des objectifs liés à la démarche de certification éthique dans le cadre de leur programme et, finalement, la tenue de multiples séminaires, qui allaient devenir récurrents, pour mieux former à la fois les superviseurs et leurs étudiants. Ces initiatives ont permis de relever une grande partie des défis rencontrés l’année précédente sur le plan de l’administration et de la coordination du processus, mais, bien entendu, pas tous. On pouvait noter une amélioration significative du respect de la loi PHIPA 44 (essentiellement liée ici à l’utilisation du consentement implicite et, plus généralement, au respect des règles de consentement de l’ÉPTC).

Toutefois, d’autres problèmes sont apparus. Nous pensons, par exemple, à l’amorce du protocole de recherche sans obtention de certification éthique ; à la représentation d’une recherche comme projet pilote et à l’intention d’en publier les résultats (ce qui n’est pas permis par l’ÉPTC) ; à l’utilisation du consentement implicite et à celle de formulaires internes (provenant des milieux hospitaliers) qui ne respectaient pas les principes de l’ÉPTC - pour ne nommer que ceux-ci. Ces « nouveaux » problèmes traduisaient non seulement des carences en matière d’éthique de la recherche, mais touchaient aussi souvent à l’épineuse question de l’« honnêteté » intellectuelle (indicateur) - ce que nous n’avions pas rencontré la première année. Ces problèmes semblaient également démontrer une séparation, sur le plan de la culture éthique, entre une appartenance professionnelle et les principes de l’ÉPTC. C’est donc à la fin de 2007 et au début de 2008 que l’idée de pouvoir revenir à la déontologie professionnelle se démarque dans les milieux cliniques et hospitaliers. Sont apparus alors des groupes de pression manifestant leur opposition en déposant des mémoires pour protester contre l’emprise de l’ÉPTC, non pas un uniquement sur l’éthique de la recherche, mais sur la recherche elle-même[9].

Il semblait de plus en plus évident que les problèmes les plus récurrents apparaissant dans les demandes de certification éthique étaient liés à l’utilisation du consentement implicite et aux questions de confidentialité entourant l’utilisation des informations liées aux patients. En ce sens, et malgré nos efforts, la question du respect de la personne humaine dans le traitement de l’information semblait toujours représenter un problème. En outre, la notion de « risque » semblait balisée par une culture de la recherche où la notion de « bénéfice » pour le sujet de la recherche était pratiquement inexistante. Qui plus est, cette culture de la préséance accordée aux normes professionnelles sur les normes gouvernementales en matière d’éthique de la recherche était si bien institutionnalisée qu’elle se repérait dans la résistance des autorités hospitalières à transformer des formulaires existant depuis les années quatre-vingt - lesquels enfreignaient à la fois les principes de l’ÉPTC et le respect des lois entourant la confidentialité des données (et droits humains), -et ce, bien que notre CÉR les ait informé à maintes reprises de leur caractère obsolète et illégal. En somme, et malgré des progrès considérables, un bras de fer semblait se dessiner à l’horizon entre l’« autonomie de la recherche » clinique et le respect des principes de l’ÉPTC.

3.3 Troisième cohorte (2008-09) : un progrès notable malgré des résistances

Sur le plan des améliorations, la troisième cohorte a témoigné d’une meilleure connaissance du processus de certification éthique. Plus particulièrement, elle a fait preuve d’une meilleure évaluation de la notion de « risque », et moins confondu le cadre de formation avec celui de la recherche. Par exemple, certains étudiants en arrivaient à confondre leur demande d’approbation éthique avec leurs travaux d’étudiants, de sorte que nous nous retrouvions avec leurs travaux de scolarité tenant lieu de demande de certification éthique auprès du CÉR. Il fallait aussi noter, selon nos indicateurs, une plus grande « honnêteté » en général et une amélioration des procédures pour le maintien de la confidentialité, et ce, malgré quelques problèmes liés à l’hébergement de certaines données dans des serveurs logés aux États-Unis et soumis aux exigences du célèbre Patriot Act - lequel, comme on le sait, se réservait un droit de regard sur toute information hébergée par des serveurs américains.

Toutefois, les institutions hospitalières continuaient souvent à travailler à partir de procédures (et formulaires) non conformes aux politiques de l’ÉPTC. Nous constations aussi une augmentation de l’utilisation du consentement implicite, surtout lorsque ces protocoles associaient des données de recherche à l’approbation de produits brevetés et des activités dites de « transferts technologiques » et d’innovation (Beaudry et al., 2006). N’oublions pas que nous étions dans un cadre de formation, et non pas de recherche, moins encore de promotion de produits liés aux industries de la santé. Ceci démontrait que la culture éthique entourant la certification éthique semblait maintenant moins incomprise que rejetée, particulièrement chez les directeurs de stage dont les travaux s’apparentaient aux transferts technologiques.

3.4 Quatrième cohorte (2009-10) : une dichotomie entre les initiatives et les obligations

La quatrième cohorte se distingue par une amélioration significative sur le plan de la coordination interinstitutionnelle du processus de certification éthique. Ceci a été rendu possible par des efforts de formation continue et par une collaboration exceptionnelle entre l’administration du processus de certification éthique par le CÉR et la coordination interinstitutionnelle du programme. En effet, il faut souligner l’impact direct de l’implication de la coordination interinstitutionnelle sur l’amélioration du processus d’évaluation. De fait, la direction s’intéressait de près à l’éthique de la recherche et avait réussi à en transmettre les exigences aux étudiants en collaborant à la mise en place de séminaires de formation. De plus, celle-ci était très proactive dans la résolution des problèmes associés au processus d’approbation des protocoles de ses étudiants, avec pour résultats qu’une attention particulière fut portée à l’utilisation abusive du consentement implicite et à l’évaluation des risques dans les protocoles de recherche utilisant des données secondaires.

En dépit de la qualité de cette collaboration et de la diminution de certains problèmes récurrents, nous avons tout de même assisté à une augmentation du nombre de protocoles qui confondaient les exigences de formation et les exigences de recherche. Dans la même foulée, l’indicateur de « malhonnêteté » a fortement augmenté, particulièrement en ce qui concerne l’amorce des recherches avant l’obtention d’une certification éthique et aussi dans le cas de l’utilisation de la « tromperie » (« deception » en anglais) sans justification rigoureuse - ce que l’ÉPTC proscrivait avec fermeté. Est-ce à dire que les exigences liées à la supervision des stages dans les milieux hospitaliers étaient ressenties, par les étudiants, comme plus importantes que les formations dispensées par la coordination du programme universitaire - lesquelles visaient à répondre aux principes de l’ÉPTC ? Et bien que cette cohorte ait été sans doute la meilleure en termes de performance administrative pour le CÉR, elle s’est aussi distinguée par des « réflexes », de la part des soumissionnaires, qui appuyaient des recherches qui continuaient à peu se soucier des risques entourant la protection de la confidentialité des données. On y relevait une bonne connaissance du processus de certification éthique qui côtoyait cependant une résistance à celui-ci, et ce, au moment même où des groupes de pression, à l’occasion de la définition des grandes orientations de l’ÉPTC2, s’organisaient pour dénoncer l’impact de l’ÉPTC sur le ralentissement de la recherche, particulièrement pour la recherche clinique et multicentrique.

3.5 Cinquième cohorte (2010-11) : Des changements sous la pression

D’entrée de jeu, précisons que cette cinquième cohorte s’est démarquée par un taux record de soumissions de type « analyses secondaires » (92 %), lesquelles présentaient le plus haut taux de problèmes, selon nos indicateurs, dans le processus de certification. Chose plus préoccupante encore, l’analyse des données associées à cette cohorte a démontré une régression de tous les indicateurs, soulignant donc un recul considérable dans le respect même de la notion d’éthique. Précisons aussi qu’un changement dans la coordination du programme interinstitutionnel en santé l’a caractérisé ; ce qui démontre, encore une fois, l’importance d’une culture éthique partagée par l’ensemble des intervenants impliqués dans le processus de certification éthique, et même d’une culture commune dans tout processus de travail interprofessionnel et interinstitutionnel.

L’augmentation des protocoles utilisant des données de type « secondaire » ajoutée à un changement de personnel dans la coordination du programme s’expliquait aussi par une augmentation des enjeux entourant la « commercialisation » des produits de la recherche, parfois exploitée au détriment du contexte d’apprentissage et de formation, tel que le démontre l’ensemble des faits et données qui concernent cette cohorte. D’ailleurs, parmi ces reculs, les plus marqués furent dans les domaines suivants (voir tableau 1).

  1. La piètre qualité des propositions (62%) et les carences touchant les procédures visant à assurer la confidentialité (62%) ;

  2. L’utilisation du consentement implicite : touchant plus de la moitié des propositions (54 %) ; deux fois plus élevée que la moyenne des années précédentes et six fois plus élevées que l’année précédente ;

  3. La « malhonnêteté » intellectuelle : touchant 45 % des propositions et 4.5 fois plus élevée que la moyenne des années précédentes ;

  4. La propriété des données intellectuelles : touchant 40 % des propositions et cinq fois plus que dans la moyenne des années précédentes.

Que la question de la propriété intellectuelle se démarque autant ne paraissait pas étonnant dans le contexte de la concurrence et des intérêts financiers associés à la recherche (et surtout la recherche clinique). L’utilisation du consentement implicite demeurait aussi une pratique bien répandue au Canada dans la recherche en milieux hospitaliers. Quant à la question de la « malhonnêteté », elle touchait surtout à l’utilisation de la « tromperie » (« deception » en anglais) non justifiée, à la mauvaise catégorisation d’un projet (par exemple, ranger un projet sous l’égide d’un projet pilote, alors qu’il ne l’est pas) et, enfin, l’amorce de protocoles sans approbation déontologique. Ces glissements n’étaient pas mineurs, surtout en considérant qu’ils n’étaient généralement pas commis par naïveté ni omission. À notre avis, ces situations démontraient le peu de considération envers le fondement de la démarche de certification éthique et de son association directe avec des valeurs associées au respect du sujet humain. Également, la piètre qualité des propositions se voulait l’illustration, voire le baromètre, du manque de considération envers l’ensemble de la démarche de certification éthique, si ce n’est de la considération de la notion d’éthique elle-même.

Le recul de la qualité des propositions était généralement associé, encore une fois, aux indicateurs décrivant les recherches appliquées, plus précisément quand il s’agissait d’un certain type de recherches associées aux « transferts technologiques ». Il est clair que le processus d’approbation éthique, dans ce type de protocole, était moins pris au sérieux, et même perçu comme un frein. Il faut aussi constater que c’est davantage dans ces types de protocoles que les directeurs semblaient avoir confondu formation et recherche, dans un premier temps, et, dans un deuxième temps, recherche académique et recherche appliquée, si ce n’est les bénéfices professionnels et financiers en lieu et place d’une formation générale dont ils demeurent pourtant les responsables auprès des étudiants. Est-ce là aussi la différence entre un professeur appartenant à un milieu académique et un directeur de stage appartenant à un milieu professionnel ?

3.6 Sixième cohorte (2011-12) une tendance lourde : la malhonnêteté intellectuelle

Bien qu’on ait relevé une meilleure connaissance du processus chez les directeurs de stage et de la coordination du programme en santé - connaissance des procédures qui se reflétait dans la qualité des devis contenus dans les demandes éthiques (50 % au lieu de 62 %) - les risques associés aux bris de confidentialité, dans l’utilisation des données secondaires, y avaient encore augmenté (passant de 62 % à 75 %). Ce qui ne nous étonnait pas puisque la notion de « risque » y semblait mal comprise/évaluée et inadéquatement posée dans l’ensemble du déroulement des protocoles (soit pour 2 protocoles sur 3). Ces risques étaient aussi souvent liés à la procédure déficiente de consentement, laquelle avait pratiquement doublé depuis l’année précédente (passant de 23 % à 42 %). Cette procédure déficiente de consentement était également liée à l’utilisation, toujours grimpante, du consentement implicite (passant de 31 % à 42 %) en vertu de formulaires hospitaliers qui ne respectaient toujours pas les règles de l’ÉPTC2.

On notait aussi un taux inquiétant de « détournements » de la procédure (« malhonnêteté intellectuelle ») qui, pour la première fois, ne régressait pas et pouvait être évaluée à peu près au même niveau que l’année précédente. La « malhonnêteté » devenait encore plus évidente lorsqu’on divisait les six cohortes en seulement deux segments de trois ans. De fait, si les trois premières cohortes (années) montraient un taux de 5.6 %, le taux grimpait à 40,3 % pour les trois dernières.

Une autre relation s’est révélée intéressante, à savoir que plus le nombre des études utilisant des données secondaires était élevé, plus le pourcentage de « malhonnêteté » grimpait. L’année où il y eut le moins de protocoles liés aux données secondaires (60%) présentait un taux « nul » de malhonnêteté, alors que l’année qui présentait 92 % d’études secondaires présentait un taux de 46 % de propositions identifiées comme comportant des facteurs de malhonnêteté. Comment expliquer de telles statistiques sans évoquer des stratégies entre la coordination du programme, les milieux de stage et les étudiants ?

Par ailleurs, ce n’est pas nécessairement la connaissance du processus qui fut toujours en cause ; celle-ci avait tendance à s’améliorer, comme on l’a vu, et à rester relativement stable. De la même manière, il faut reconnaître que la performance du comité éthique s’est améliorée de manière constante tout au long de ce processus[10]. Il nous est donc apparu clair que ce fut la volonté, chez les professionnels et les étudiants, d’obtenir des certifications éthiques plus rapidement en évitant les évaluations par le comité plénier[11], et ce, au prix du respect des règles de l’ÉPTC2, qui aura joué le plus dans ce que nous appelons les cas de « malhonnêteté intellectuelle ». L’augmentation des évaluations rapides[12] confirmait cette tendance à soumettre des protocoles qui ne soient pas soumis à l’examen par l’ensemble des membres du comité éthique[13]. Ce qui se confirme dans les faits : alors que si 75 % des propositions furent évaluées par le biais de la procédure rapide lors de la première cohorte, 100 % des propositions retenues pour des évaluations furent analysées par le biais de la procédure rapide lors des deux dernières cohortes (celles qui comportent le plus de protocoles associés aux données secondaires).

4. Interprétation des données

Trois grands thèmes se dégagent de l’analyse des résultats, à savoir : des manquements significatifs au plan des normes de confidentialité ; l’exigence d’ajuster le comité éthique aux besoins des étudiants ; l’adéquation entre les outils utilisés en milieux hospitaliers et universitaires.

4.1 Des manquements significatifs

Au nombre des problèmes qui sont apparus récurrents, nous avons noté que la plupart des superviseurs cliniques des étudiants acceptaient mal les délais engendrés par les procédures de certification éthique, et avaient une connaissance assez inégale de leurs obligations envers l’ÉPTC - avec pour résultat un retard plus marqué à la réception des certifications éthiques, dont ils furent eux-mêmes, le plus souvent, les artisans.

Nous avons noté aussi des lacunes, si ce n’est des manquements, parfois graves, aux principes de l’ÉPTC. Parmi ces manquements, nous avons relevé l’absence de consentement éclairé des sujets et l’utilisation abusive, et parfois illégale (ne respectant ni les normes imposées par l’ÉPTC et ni celles prescrites par les lois ontariennes), des données de recherches ; l’absence d’assurance de confidentialité dans l’accès et l’utilisation des données ; et un usage des données relatives à des personnes décédées sans que celles-ci, ou leur entourage, n’en ait fourni l’approbation. Certains croyaient même pouvoir publier des travaux fondés sur des études pilotes exemptées de certification éthique - ce qui est interdit par les principes de l’ÉPTC.

Force est de constater que ces pratiques étaient bien inscrites dans des habitudes et procédures qu’ils croyaient peut-être légitimes au départ, mais qu’ils continuèrent d’ignorer par la suite, alors que nous avions mis en oeuvre une série de mesures visant à les informer, et qu’ils ne pouvaient ignorer. De fait, l’examen de l’ensemble des formulaires utilisés par les établissements de santé (formulaires de consentement des patients, ententes de confidentialité des étudiants etc.) dans le cadre de la recherche a révélé que la plupart des institutions hospitalières fusionnaient le consentement aux soins avec celui de l’utilisation des données pour des fins de recherche. Un tel usage du consentement implicite, en Ontario, n’est pas autorisé par l’ÉPTC et également interdit sous PHIPA. Nous avons même trouvé l’usage de formulaires munis de clauses en « petits caractères », souvent illisibles, particulièrement problématiques lorsqu’on y pense pour des personnes aux prises avec de graves maladies. Un hôpital associait même la signature du formulaire d’admission au consentement des soins à l’utilisation du dossier du patient et de ses données. L’intervention auprès des instances administratives de ces institutions aura été parfois nécessaire pour leur faire comprendre leurs obligations à l’égard de l’ÉPTC - intervention généralement sans succès.

L’amélioration de la procédure entre nos institutions universitaires et hospitalières fut néanmoins notable. Cette amélioration résultait cependant moins de la qualité des partenariats interinstitutionnels et interprofessionnels que du volet éducatif dispensé par le CÉR lui-même. Ceci étant, nous avons aussi effectué des changements structuraux importants dans la gestion des activités du comité, et procédé à une refonte complète des instruments et politiques, avec pour résultat une nouvelle génération de jeunes chercheurs plus aguerris aux principes et exigences du processus de certification éthique que leurs prédécesseurs. Il restait néanmoins aux institutions hospitalières - afin de prévenir les aléas d’un double standard entre les exigences universitaires et hospitalières en matière d’éthique et de déontologie - à modifier leurs procédures et formulaires d’approbation de soins et l’utilisation des données et des sujets humains, lesquels contrevenaient encore souvent aux politiques de l’ÉPTC. En somme, il est clair, selon nous, que cette expérience avec le programme que nous avons étudié pendant six années incarnait le cheminement de la redéfinition des priorités en recherche au Canada.

4.2 Exigence d’ajustement du comité éthique aux besoins des étudiants

Un bref survol des six cohortes d’étudiants soumissionnaires du programme que nous avons étudié permet de décrire et de mieux comprendre la trajectoire des défis rencontrés. Cette trajectoire rencontre aussi les changements qui sont survenus plus largement en éthique au Canada. Nous pourrions résumer ces étapes en trois temps par : 1) l’établissement d’un programme d’obligations, 2) la réussite et les nouveaux défis, et aussi 3) la résistance du milieu hospitalier, malgré leur connaissance des principes et du processus, aux règles de l’ÉPTC. Ces étapes expliquent assez bien la nature et la chronologie des problèmes soulevés par l’analyse des dossiers soumis au CÉR par les étudiants et les superviseurs du programme que nous avons étudié. Il est à noter qu’au moment où se développaient ces pressions et la résistance à ces règles, on assistait à l’élargissement d’une dichotomie entre les obligations de l’ÉPTC et les initiatives de la recherche. Cette dichotomie s’est inscrite avec le dépôt de l’ÉPTC2 qui venait soutenir l’autonomie de la recherche, et ce, au moment où on assistait à la dissolution du Conseil National d’Éthique en Recherche chez l’Humain (CNERH) [14]. De la même manière, le Groupe Consultatif Interagences en Éthique de la Recherche (GIER) devenait une entité intrinsèque aux Trois Conseils, et assurait l’élaboration et l’application des principes de l’ÉPTC2[15] en abandonnant la question des régimes d’agréments et en assouplissant les règles concernant, notamment, les recherches cliniques. Cette nouvelle configuration de l’ÉPTC2, visant sans doute à accélérer certains types de recherche, contribuait précisément, à notre avis, à réduire la protection du patient, notamment par l’augmentation des bris de confidentialité.

4.3 Le décalage entre la trajectoire des chercheurs et les progrès du travail du CÉR

Ce cheminement dans la destinée de l’ÉPTC2 permet d’illustrer deux trajectoires distinctes entre les progrès du travail du CÉR et la volonté d’autonomie des chercheurs des hôpitaux formant les étudiants en recherche clinique. Mieux encore, nous pouvons y déceler l’impact des groupes de pression sur les politiques gouvernementales en matière d’éthique et la volonté de limiter ses contraintes sur la recherche, particulièrement celles contenant des enjeux financiers et commerciaux.

Il fut décevant de constater que, bien que l’expérience des cohortes ait démontré progressivement une meilleure intégration des principes, de la culture, et du processus de certification éthique, cette progression fut stoppée au cours de la cinquième année. La persistance et même l’augmentation de l’utilisation de formulaires internes non conformes (passant de 8 % à 31 %) montraient non seulement la résistance d’une culture locale professionnelle indépendante des principes fédéraux (ÉPTC), mais allaient de pair avec l’augmentation des propositions utilisant des données secondaires sans consentement explicite, sans mesure d’exception clairement démontrée. Tout ceci est sans compter que l’augmentation des protocoles utilisant des données secondaires se fondait aussi, comme on l’a vu, sur une perception (fausse) d’accélérer le processus de certification éthique, et, parfois, de favoriser l’utilisation des résultats pour des fins de recherche plutôt que de formation.

Un autre facteur important mérite d’être souligné à la base de cette résistance relativement à l’apparition de l’ÉPTC2, qui, en décembre 2010, allait devenir le document directeur régissant l’ensemble des comités déontologiques de la recherche au Canada. Bien que le document officiel n’ait pas été connu au moment du dépôt de la majeure partie des soumissions pour la cinquième cohorte (de 2010-2011), de larges extraits avaient déjà circulé, et même des versions préliminaires très proches du document final. Pour le cadre qui nous concerne, l’ÉPTC2 présentait des assouplissements de certaines règles en vue de clarifier, harmoniser et favoriser l’approbation des protocoles (notamment ceux utilisant des données secondaires dans le cadre de recherches), surtout les règles touchant les données cliniques dans un cadre multicentrique. En effet, les règles de consentement furent assouplies en en multipliant les exceptions. Il était désormais possible d’utiliser des données anonymes sans nécessairement devoir se soumettre à un processus complet de certification éthique, ni même faire état de leur propriété et du processus menant à leur « dénominalisation »[16]. Mentionnons, par ailleurs, que ce renforcement des exceptions au consentement semblait plus marqué au Québec, par les dispositions de l’article 21 du Code civil, et surtout par le projet de loi 432, lequel prévoyait de faciliter le consentement des personnes inaptes. Ainsi, le cadre légal venait renforcer ce que l’ÉPTC2 mettait de l’avant en opérant, toutefois, un déséquilibre entre l’éthique et la recherche. Comme le souligne Ringuet, on ne favorise alors plus une éthique des sujets humains, mais une éthique (…) de l’avancement des connaissances et de l’utilité sociale et économique de la recherche » (Ringuet, 2010, p. 47).

C’est aussi ce que notre analyse du cheminement de cette sixième et dernière cohorte a mis en lumière, de sorte qu’il était aussi loisible de penser que l’abaissement du niveau de sécurité entourant l’éthique dans des domaines qui intéressaient particulièrement la recherche clinique correspondait aussi à une réponse gouvernementale favorisant un certain type de recherche comportant beaucoup d’intérêts, surtout financiers.

C’est dans ce contexte que s’est effectué le passage de l’ÉPTC1 à l’ÉPTC2 dont nous avons été un témoin privilégié. D’ailleurs, ces nouvelles règles facilitaient à un point tel l’accélération du processus de certification éthique et la manipulation des banques de données que certains ont même pensé qu’il était désormais plus facile de travailler avec des « sujets humains sensibles », via les études secondaires et le consentement implicite, qu’avec de « vrais » sujets humains. Notons toutefois - et malgré ce qu’anticipaient certains professionnels résistants à l’ÉPTC - que la question du consentement implicite est toujours demeurée proscrite, puisqu’elle contrevient aux fondements mêmes de l’ensemble des principes mis de l’avant par les principaux documents et déclarations de principes à partir desquels se fonde l’ÉPTC. Pensons ici à l’article 1, article fondateur et fondamental s’il en est un, du Code de Nuremberg (1947).

Conclusion

En observant les données que nous avons recueillies, nous remarquons que la première cohorte s’est hissée au premier rang dans le nombre des problèmes liés au consentement implicite (83%), suivie de la cinquième (77 %) et de la sixième (75 %). La première cohorte reste cependant peu représentative, du fait que le processus se mettait en place. Toutefois, en examinant l’augmentation du nombre de problèmes dans chaque soumission et en considérant le type des problèmes rencontrés (dont l’augmentation de la « malhonnêteté »), nous réalisons la dégradation de l’acceptation et de la considération du processus. En effet, si le nombre de problèmes par proposition s’est maintenu pendant quatre ans autour de deux indicateurs par demande de certification éthique, il atteindra un sommet dans la cinquième année pour atteindre six indicateurs (voir le tableau 1).

Parmi les onze indicateurs, on observe pour les six cohortes que seulement trois indicateurs ont présenté une amélioration. De ces trois indicateurs, deux étaient liés au travail du comité éthique. Ainsi le taux le plus bas des problèmes rencontrés fut-il associé au travail du CÉR, c’est-à-dire à la capacité que celui-ci a eue d’évaluer et d’administrer le processus d’approbation des demandes de certification éthique. À contrario, parmi les huit indicateurs présentant une augmentation des problèmes, la question de la mauvaise évaluation des risques arrive au sommet, par plus de 50 %, suivie par la « malhonnêteté » et l’assurance de la confidentialité, lesquelles ont toutes deux augmenté de 42 %. Ce qui montrait clairement, encore une fois, la persistance, en milieux hospitaliers, d’habitudes de recherche qui résistaient aux réglementations de l’ÉPTC.

L’expérience avec ce programme du domaine de la santé a représenté un excellent baromètre des enjeux majeurs au coeur de ces années importantes en matière d’éthique de la recherche au Canada. La nature et la chronologie des problèmes que nous y avons rencontrés recoupaient tout à fait le cheminement du « débat » national autour de l’éthique. La venue de l’ÉPTC2, en 2010, a selon nous fait reculer ce débat à la situation qui prévalait avant la mise en place de l’ÉPTC de 1998, favorisant le retour à une approche décentralisée au détriment d’une approche harmonisée. Depuis lors, nous assistons à une recentralisation autour d’objectifs, en matière de recherche et commercialisation des produits de la recherche, qui ne permettent pas de favoriser la protection qu’avait le sujet humain sous l’ÉPTC1.

Notre expérience nous a permis de constater que l’application de l’ÉPTC2 occasionnait une augmentation générale des problèmes éthiques, des risques pour les patients, une multiplication des possibilités des conflits d’intérêts et, enfin, une dénaturation du rôle de la formation. Si le document de 1998 (ÉPTC) prévoyait une meilleure coordination des principes fédérateurs en éthique, le document de 2010 (ÉPTC2) a montré un assouplissement des règles concernant les partenariats interinstitutionnels et interprofessionnels, tout en consacrant aussi un recul quant à la protection du sujet humain - protection qui était au coeur de la mission du document de 1998. En effet, avec l’ÉPTC2, nous nous sommes vus retourner au tableau qui prévalait dans les années quatre-vingt-dix, alors que l’on décriait la situation alarmante de la recherche à l’égard de la protection des sujets humains.

Cette situation illustre aussi que les comités éthiques de la recherche semblent peu soutenus et outillés, sur le plan financier ou encore en matière d’autonomie et de gouvernance[17], pour s’adapter aux « nouvelles réalités » de la recherche, et que les principaux irritants relèvent non plus seulement de la question du consentement, mais aussi de la rapidité avec laquelle ces comités doivent répondre aux exigences et pressions autour, par exemple, des recherches multicentriques et des essais cliniques.

À titre d’exemple, bien peu de comités éthiques, devant la multiplication de leurs responsabilités et du nombre de protocoles nécessitant des certifications éthiques, peuvent, dans les faits, effectuer un travail fondamental de suivi (« monitoring ») des protocoles. Or, notre expérience nous a montré que ce suivi, bien que peu populaire auprès des chercheurs, est essentiel à la compréhension des risques dans le déploiement de leurs recherches. De plus, ce suivi permet également de faciliter le mandat d’éducation des comités éthiques auprès des chercheurs. Or, si ce mandat se déploie en sous-financement, principalement dans les milieux académiques, et sur des principes qui ne sont pas actualisés face à la réalité de la recherche, il est clair qu’il rate ses objectifs et se révèle peu enclin à assurer à la fois la protection des sujets humains et l’intégrité de la recherche scientifique. Dans un tel contexte - et la présente étude en est une illustration - l’exigence d’accélérer les certifications éthiques, particulièrement dans la recherche biomédicale et en santé, a eu pour effet de diminuer le fondement « communautaire » et l’impact des principes fédérateurs de l’ÉPTC en matière de recherche, et surtout ce dont ils sont le corollaire, c’est-à-dire la protection du sujet humain, particulièrement en ce qui concerne le consentement et la confidentialité.

Notre expérience nous a aussi montré que la majeure partie des professionnels de la santé sont sensibles aux principes fédéraux de l’éthique de la recherche (fondés sur les grands principes d’Helsinki et du code de Nuremberg), et non en faveur d’un modèle calqué sur les « transferts technologiques et l’innovation », conceptions de la recherche et de la déontologie souvent peu compatibles avec la mission des soins. En somme, pour nous, l’ÉPTC2 venait consacrer l’idée que l’on ne devait plus régler les problèmes de la recherche par l’éthique, mais régler les problèmes éthiques par la recherche. Dès lors, sommes-nous toujours en éthique de la recherche ? Ces questions sont importantes et méritent que l’on s’y attarde dans la mesure où elles déterminent non seulement les obligations des institutions face aux sujets humains, mais aussi la qualité de leur engagement face aux chercheurs et aux professionnels des soins.

L’éthique au Canada est maintenant retournée des institutions du savoir aux institutions de soins, obéissant par là aux nombreuses pressions en faveur des avantages associés à l’autonomie des codes professionnels. Pourtant, le modèle « fédérateur » de l’ÉPTC prévoyait aussi la mise en place de comités régionaux permettant une indépendance des institutions de savoirs et de soins. Ce projet s’est évanoui avec la disparition du Conseil National d’Éthique en Recherche chez l’Humain (CNERH) et de son programme d’agrément pour les institutions. Le travail de l’éthique demeure l’illustration à la fois des valeurs, des priorités ainsi que des rapports de force en société. En ce sens, il s’illustre par une redéfinition constante de ses enjeux. Si nous souhaitons que l’ÉPTC demeure une instance d’engagement et de respect des sujets humains, il est essentiel que le financement de la recherche soit diversifié et promoteur de savoirs universels et fondamentaux.