Corps de l’article

Qu’est-ce que la dignité ? Comment s’acquiert-elle ? Auprès de qui et par quels moyens ? Comment se perçoit-elle ? (p. 19). Comme une caméra à l’épaule, le lecteur suit l’ethnologue au coeur du Mouvement social des travailleurs ruraux Sans Terre du Brésil (MST) durant deux années. Nous comprenons que si la dignité peut être prise, acquise, donnée ou niée, elle fait l’objet d’une véritable lutte quotidienne pour ces populations de l’État du Pernambuco. En s’intéressant à la formation de l’unité collective, Alexis Martig dévoile tout le processus de création d’identité, de collectivité, d’appartenance, et, par la même occasion, de reconnaissance sociale. La finesse de la démarche de l’auteur tient dans sa méthode inductive permettant d’extraire l’essence du discours des membres du MST et la manière dont les pratiques sont vécues par les individus. Ainsi, nous découvrons les logiques, les objectifs et les pratiques du MST : éveiller la mémoire historique, restaurer les vertus et développer la conscience esthétique (p. 143). Cette anthropologie de la reconnaissance proposée par Martig a le mérite d’ouvrir une réflexion sur le lien entre émancipation politique et culture. Car voici le centre névralgique de l’ouvrage : la culture comme conscience politique et comme moyen d’accéder à la reconnaissance. Cette culture commune confère un sentiment d’inclusion ; ainsi les individus sont soudés et renvoient une image reconnaissable à la société brésilienne. Cette identification par l’esthétique permet au groupe d’accéder à une reconnaissance sociale, notion inhérente à celle de dignité. Par ailleurs, Martig l’exprime fort bien : « la dignité est une question de perception de soi et de la manière dont les membres de cette société se perçoivent entre eux » (p. 146).

L’ouvrage se développe en huit chapitres rédigés dans un style énergique et personnel, accentuant l’effet d’immersion présent dès l’introduction, où les premières lignes retracent une situation qui a fortement marqué l’auteur, contribuant par la même occasion à faire germer son objet de recherche.

Le premier chapitre s’ouvre avec une cartographie des recherches, toutes disciplines confondues, concernant les notions de dignité et d’humiliation. S’ensuit l’élaboration de la définition de dignité à travers les discours des informateurs sur le terrain ; de là le lecteur réalise que la dignité va de pair avec l’égalité sociale d’un point de vue économique mais surtout moral. Enfin, pour clore ce chapitre, Martig rédige une historiographie de la subordination des travailleurs ruraux et libres, permettant ainsi de comprendre la genèse des disparités et les relations des paysans avec les classes dominantes. Les deux chapitres suivants sont centrés sur l’histoire coloniale et la formation historique de la société brésilienne, toujours dans cette perspective de saisir les facteurs et les acteurs ayant contribué à ces asymétries sociales. Les chapitres quatre et cinq détaillent le MST à travers son discours, son fonctionnement, ses logiques et ses pratiques. La culture du mouvement ainsi exposé, Martig entre dans le détail aux chapitres six et sept à travers les activités du Setor de Cultura, notamment par la Nuit Culturelle et la mística. Ces concepts clés sont longuement développés, permettant ainsi à Martig d’étayer les notions de culture et de sentiment de contribution, fondamentales pour le MST. En suivant les manifestations sociopolitiques telles que les formations esthétiques, les manifestations musicales ou encore les représentations théâtrales, l’auteur souligne par l’exemple le lien ténu entre culture, pédagogie et construction identitaire. En dernier lieu, un chapitre ramasse et analyse les notions fondamentales disséminées à travers l’ouvrage, ouvrant ainsi une réflexion fertile à propos de la reconnaissance et de la dignité.

La reconnaissance sociale et le Mouvement des Sans Terre au Brésil est un ouvrage éclairant en ce sens où Alexis Martig opte pour un style rendant compte du combat quotidien mené par le MST et la façon dont le vivent ses membres. Par cette impression d’immersion, il met en relief les difficultés et les ruses instaurées par les Sans Terres pour être reconnus et enfin pouvoir conquérir leur dignité. Cette simplicité d’écriture n’entache en rien les réflexions fécondes et novatrices abordées tout au long de l’ouvrage, bien au contraire : les propos de l’auteur sont accessibles au plus grand nombre, permettant à chacun de réfléchir à la notion de dignité.