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Ce numéro spécial est une initiative du regroupement stratégique « Santé mentale » du Réseau de recherche en santé des populations du Québec (financé par le FRQ-S). Nous aimerions d’ailleurs remercier ce Réseau d’avoir financé en partie cet ouvrage. Ce Réseau et ses regroupements stratégiques poursuivent trois grands objectifs : la formation de la relève en recherche, le soutien à des initiatives structurantes en recherche et le transfert de connaissances. Le regroupement stratégique « Santé mentale » comprend 59 chercheurs, 27 étudiants de cycles supérieurs et un grand nombre d’autres membres associés (gestionnaires et intervenants du système public).

Comme rédacteurs invités de la revue Santé mentale au Québec, nous avons voulu illustrer les travaux des chercheurs de notre regroupement, provenant presque en totalité du Québec. La santé mentale des populations est un domaine de recherche et d’intervention large et aux contours plus ou moins précis. Pour les besoins de ce numéro, nous avons identifié trois grands axes de travaux – Épidémiologie, Promotion/Prévention et Organisation des soins – en fonction desquels, nous avons regroupé les 17 articles de ce numéro spécial.

Dans cette collection d’articles, vous trouverez des synthèses de littérature scientifique, des points de vue bien défendus, des modèles théoriques, des perspectives, des données issues de recherches récentes et des recommandations pour la pratique. Certains articles sont l’oeuvre de jeunes auteurs alors que d’autres proviennent de chercheurs séniors dans le domaine de la santé mentale publique. Nous tenions à offrir un numéro spécial bien diversifié.

Partie 1 : Épidémiologie

En santé mentale publique, les travaux épidémiologiques sont indispensables pour connaître l’importance des problèmes de santé mentale, pour préciser les déterminants et les facteurs qui leur sont associés, ainsi que les conséquences de ces problèmes, dont l’utilisation des services. C’est sur la base de ces informations qu’on pourra ensuite déterminer les actions à entreprendre. Dans cette première section, nous vous présentons les travaux de quatre équipes québécoises qui travaillent en ce sens.

Le premier article, dirigé par Geneviève Piché, nous présente une recension des principaux résultats d’enquêtes épidémiologiques menées au Québec auprès des enfants et des adolescents, notamment sur la mesure et l’identification des troubles anxieux et dépressifs, sur la prévalence de ces problèmes et leur comorbidité ainsi que sur les facteurs qui leur sont associés.

Le second article de Paquette et coll. nous présente les résultats d’une étude menée auprès de 1 001 femmes québécoises sur les mauvais traitements subis dans l’enfance et les problèmes de santé mentale à l’âge adulte. On y apprendra, entre autres, que le jeune âge des répondantes, la violence sexuelle et psychologique vécue dans l’enfance sont associés à la présence de dépression à l’âge adulte.

Beauregard et coll. présentent également des données originales issues de l’étude SALVEO en lien avec la santé mentale au travail. Cette étude menée auprès de près de 2 000 travailleurs québécois a permis, dans une analyse de type exploratoire, de faire ressortir quatre profils types sur la base de liens concomitants entre l’épuisement professionnel et la consommation de substances psychoactives. Les auteurs concluent que ces formes de comorbidité, non seulement existent dans les milieux de travail québécois, mais que la sévérité de cette comorbidité tend à refléter un effet cumulé de caractéristiques néfastes de l’environnement de travail et hors travail ainsi que de caractéristiques individuelles des travailleurs.

Enfin, nous terminons cette section avec un article de Carrier et coll. Les données de la Régie de l’assurance-maladie du Québec ont permis de constituer un échantillon de toutes les personnes ayant reçu un diagnostic de schizophrénie et ayant obtenu un antipsychotique couvert par le régime d’assurance médicaments entre 1998 et 2006, soit plus de 16 000 personnes. Bien que ce type d’études comporte certaines limites, les auteurs ont pu dresser un portrait populationnel de la situation du traitement incident de la schizophrénie au Québec pendant cette période caractérisée par l’introduction des antipsychotiques de seconde génération.

Partie 2 : Promotion-Prévention

En santé publique, les interventions de promotion et de prévention sont celles que l’on souhaiterait privilégier. Agir en amont est préférable à devoir intervenir lorsque le problème est bien installé. Favoriser le développement d’une santé mentale optimale en agissant non seulement sur les individus, mais aussi sur les environnements est également un objectif à poursuivre. Dans cette deuxième section, nous vous présentons les articles de sept groupes d’auteurs qui poursuivent de tels objectifs.

L’article de Mantoura et coll. nous propose un cadre de référence pour soutenir l’action en santé mentale des populations. Les acteurs de santé publique, nous dit-on, devraient agir comme chefs de file pour les actions en promotion et en prévention en travaillant de concert avec les partenaires du secteur de la santé, des services sociaux et des autres secteurs indispensables à l’action en santé mentale. Ce cadre traite notamment des questions de réduction des inégalités sociales de santé mentale et de responsabilité populationnelle.

L’article de Doré et Caron nous invite d’abord à distinguer les concepts de maladie et de santé mentale, deux concepts qui, bien qu’apparentés, sont toutefois distincts. Les auteurs se centrent ensuite sur les modèles théoriques et les composantes de la santé mentale, les instruments pour la mesurer et finalement sur ses principaux déterminants. Cet article constitue un fondement pour tous ceux qui souhaitent aborder le champ de la santé mentale sur une base positive et réellement travailler avec une perspective de promotion de la santé mentale.

L’article d’Emmanuel Poirel prône les bienfaits psychologiques de l’activité physique et propose un modèle explicatif biopsychosocial. L’activité physique contribuerait à améliorer l’état de bien-être individuel, de santé mentale optimale en favorisant la réalisation du plein potentiel et en augmentant les ressources psychologiques devant les difficultés normales de la vie. Avec ce modèle, l’auteur ouvre la voie à des hypothèses de recherche.

Martineau et coll. s’intéressent à l’efficacité des interventions en promotion/prévention en milieu scolaire postsecondaire. Les jeunes en transition à l’âge adulte sont parmi les groupes les plus affectés par les problèmes de santé mentale et le milieu scolaire constitue un lieu privilégié pour entreprendre des actions. Mais lesquelles ? D’abord, ils constatent qu’il y a très peu d’études permettant d’évaluer les interventions en promotion. Ensuite, ils constatent que certaines interventions semblent avoir fait leurs preuves, notamment les exercices de pleine conscience, les techniques cognitivo-comportementales, la relaxation et le développement d’habiletés sociales.

L’article de Parisien et coll. nous transporte dans le monde des aînés et de la participation communautaire. Les auteurs nous décrivent une démarche de co-construction d’un programme visant à promouvoir la participation communautaire des personnes âgées. Ce programme propose un entretien individuel, un atelier de huit rencontres, des visites de ressources communautaires et une activité collective de communication médiatique. Ce programme s’est montré prometteur, mais d’autres études seront nécessaires pour en vérifier l’efficacité.

Pour terminer cette section, nous vous proposons deux articles dirigés par Jean-François Pelletier sur la promotion de la citoyenneté, une perspective novatrice qui nous fait réfléchir sur de nouvelles manières de travailler en partenariat avec les personnes aux prises avec de sérieux problèmes de santé mentale. Le premier porte sur l’évaluation d’une intervention de promotion de la citoyenneté où une nouvelle mesure de la citoyenneté a été validée pour être ensuite administrée à 800 répondants. Les auteurs montrent, entre autres, que la dimension de « l’implication dans la communauté » obtient le résultat le plus faible, ce concept s’apparentant à l’exercice d’un travail. Le second article nous propose la mise à jour du Modèle global de santé mentale publique d’abord élaboré en 2009. Ce modèle sert à paramétrer l’intervention des mentors de rétablissement en tant que traceurs de changements, que ces changements soient d’ordre personnel, interpersonnel, culturel, socio-économique ou politique. En s’appuyant sur une approche de type « forums citoyens », on arrive à une série de recommandations intersectorielles visant à sensibiliser et mobiliser la communauté en vue d’une meilleure prise en compte des déterminants sociaux de la santé, notamment en ce qui a trait au travail. Il est à noter par ailleurs que cet article, dans sa version originale anglaise, a obtenu le prix d’excellence Outstanding Paper of the year 2014.

Partie 3 : Organisation des soins

La dernière section de ce numéro rassemble une série de six articles portant sur les soins en santé mentale dans une perspective de santé publique. Les soins et services sont vus comme un moyen d’améliorer la santé mentale de la population. On cible donc plus particulièrement les troubles mentaux les plus fréquents et on cherche sur le plan organisationnel des stratégies qui permettront d’améliorer l’accessibilité et la qualité des soins.

Menear et coll. nous proposent un article sur l’intégration des soins de santé mentale dans les soins primaires. Si cette stratégie est reconnue pour améliorer la santé mentale des populations, certains problèmes persistent. Cette synthèse, d’une vingtaine de grandes initiatives internationales, montre que la majorité visait à implanter des soins en collaboration en utilisant diverses stratégies d’intégration. Ces dernières sont comparées sur leurs effets et sur les enjeux d’implantation. Les auteurs concluent en faisant ressortir les principales leçons à tirer pour le Québec, notamment le besoin de consolider les soins en collaboration et de promouvoir des services axés sur la performance ainsi que la nécessité d’une plus grande utilisation des technologies pour soutenir l’intégration.

Vient ensuite un article de Jane McCusker et coll. sur la gestion de la dépression chez les personnes atteintes de maladies physiques chroniques. Depuis une vingtaine d’années, cette équipe a mené plusieurs études à ce sujet. Les auteurs nous présentent une synthèse de leurs travaux en les regroupant autour de quatre thèmes importants : la détection de la dépression dans les soins primaires, les soins en collaboration pour la dépression, les interventions d’autogestion et le rôle des aidants naturels dans les interventions d’autogestion de la dépression.

Maude Charron et coll., pour leur part, font valoir l’importance du rôle de l’infirmière dans les services de première ligne en santé mentale. Le rôle qu’elles peuvent jouer est encore méconnu que ce soit par les infirmières elles-mêmes ou par les autres cliniciens. Ainsi, les auteurs décrivent les meilleures pratiques de collaboration interprofessionnelle en santé mentale et en première ligne, ils discutent ensuite les rôles que peuvent jouer les infirmières auprès des personnes atteintes de troubles mentaux courants et finalement présentent des pistes d’intervention permettant de déployer ces rôles.

L’article de Sylvain et Durand nous plonge dans le monde du retour au travail après un arrêt en raison d’un trouble dépressif. À partir des connaissances actuelles, les auteures montrent l’importance d’intervenir précocement pour prévenir une incapacité prolongée de travail. Elles fournissent ensuite un ensemble de principes pouvant guider l’intervention en lien avec le retour au travail et fournissent des illustrations adaptées à un contexte de soins primaires, illustrations appuyées par des travaux de recherche récents en milieu québécois.

L’article suivant de Friche Passos et coll. nous amène dans la magnifique ville brésilienne d’Ouro Preto. Les auteurs rapportent les résultats d’une recherche-intervention ayant comme but principal de contribuer au développement du réseau intersectoriel et interdisciplinaire pour faire face aux vulnérabilités psychosociales des enfants et des adolescents. La méthodologie employée combine la Cartographie de Deleuze et Guattari, l’Analyse institutionnelle et la Formation croisée. Avec la participation du réseau professionnel d’Ouro Preto, les chercheurs ont pu produire un diagnostic détaillé, une proposition d’actions stratégiques à court, moyen et long termes et un plan de travail.

Enfin, le dernier article de Thoër et coll. porte sur une intervention novatrice pour rejoindre les jeunes de 12 à 17 ans : l’intervention par texto. Une recherche a permis de cerner les motivations et les types de problématiques qui amènent les jeunes à utiliser les services, à documenter les particularités de l’intervention brève par texto et d’identifier les avantages et les difficultés rencontrées par les intervenants. Leurs résultats montrent notamment que le service texto répond à un besoin de communication des jeunes et permet de rejoindre une nouvelle clientèle. L’anonymat, la possibilité de texter en tout temps et le caractère réflexif de l’écrit font partie des nombreux avantages. Cette recherche a également permis plusieurs ajustements pour améliorer l’expérience d’intervention.

Nous espérons que ce numéro spécial puisse être utile autant pour les acteurs de santé publique que pour ceux du milieu académique. Cette collection d’articles représente un bel échantillon des travaux québécois permettant de mieux cerner le domaine de la santé mentale des populations. Ce champ de recherche et d’intervention est en grand développement et nous espérons que cet ouvrage puisse y contribuer.