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Située à une quarantaine de kilomètres de Rabat, la capitale du Maroc, Kénitra s’étend sur la rive sud de l’Oued Sebou, à 12 km de l’embouchure sur l’océan Atlantique. La ville est limitée au nord par la plaine du Gharb, au sud par la forêt Maâmora, à l’ouest par les cordons dunaires, et à l’est par le lac El Merja.

Kénitra, qui abrite 423 890 habitants, est considérée comme l’une des plus importantes villes du nord-ouest du Maroc, et est l’ancienne capitale de la région du Gharb, dont elle concentre la moitié de la population aujourd’hui. Elle représente également un site de relais de la métropole Casablanca-Rabat. Au niveau économique, Kénitra abrite une industrie importante dans les secteurs agroalimentaire, automobile, papier, textile. Concernant le secteur coopératif dans la ville de Kénitra, il compte 319 coopératives et 13 138 adhérents.

Lors de la campagne nationale de ramassage et d’élimination des sacs en plastique à travers le Royaume du Maroc, plus de mille tonnes y ont été collectées. En prolongement de ladite campagne, le programme pilote de promotion du sac écologique en toile a été lancé afin, tout d’abord, d’encourager l’utilisation des sacs écologiques, mais aussi de renforcer la capacité de production des coopératives. De par son important poids démographique, et donc en raison de sa pollution accentuée par les sacs en plastique, la ville de Kénitra a été sélectionnée parmi les villes concernées par le programme pilote.

Afin d’évaluer l’impact de ce « programme pilote de promotion du sac écologique en toile » sur l’économie sociale et solidaire (ESS), nous avons mené une étude auprès des deux coopératives de Kénitra. Notre méthodologie a consisté à avoir recours à la documentation de la délégation régionale de l’Office du développement de la coopération, ainsi qu’en des entretiens avec les coopératrices au sein de leurs ateliers.

Un cadre institutionnel propice au rapprochement de l’ESS et du développement durable

Au Maroc, la question du développement local, mais aussi durable, constitue l’une des préoccupations majeures des responsables et acteurs du pays. A l’instar des Etats désireux de garantir cet enjeu, le Maroc a signé et ratifié les principales conventions internationales et régionales en matière de développement durable en général, et d’environnement en particulier. En outre, lors du discours du Trône de 2009, le roi Mohammed VI a appelé le gouvernement à élaborer un projet de charte nationale de l’Environnement et du Développement durable, laquelle a été adoptée après une large concertation avec l’ensemble des acteurs.

Considérant que le progrès social et l’élément humain sont les principales composantes du développement durable, la nouvelle Constitution de 2011 stipule que « l’Etat oeuvre à la réalisation d’un développement humain et durable, à même de permettre la consolidation de la justice sociale et la préservation des ressources naturelles nationales et des droits des générations futures » (art. 35).

Dans le même sens, d’autres initiatives gouvernementales ont été lancées, comme la stratégie nationale du ministère délégué auprès du chef de gouvernement chargé des Affaires générales et de la Gouvernance destinée à l’amélioration du secteur de l’économie sociale et solidaire ; la stratégie de proximité du ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement visant à la préservation de l’environnement et la consolidation des piliers du développement durable ; sans oublier différents plans sectoriels (plan Maroc Vert, plan Halieutis, vision de l’artisanat, etc.).

Une importante synergie s’est instaurée entre l’ESS et ces projets nationaux. Les coopératives en tant que structures de l’ESS représentent un puissant levier de développement socio-économique, et ce à travers la création d’emplois, l’amélioration des conditions de vie, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le renforcement de l’approche participative et la réduction des inégalités.

Un programme pilote de promotion du sac en toile prenant appui sur les associations et les coopératives

En concordance avec la volonté de l’ESS de promouvoir la production des biens ou des services « de manière plus respectueuse pour l’homme, l’environnement et les territoires » (stratégie nationale de l’ESS 2010-2020), le ministère délégué auprès du chef de gouvernement chargé des Affaires générales et de la Gouvernance et le ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement ont conclu en 2011 un accord de partenariat dans le but d’adopter un « programme pilote de promotion du sac écologique en toile », qui constitue un prolongement du programme national de ramassage et d’élimination des sacs en plastique.

Le programme pilote de promotion du sac écologique en toile est le fruit d’une réflexion sur la dégradation alarmante de l’environnement. Partant d’« un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (rapport Brundtland, 1987), le programme vise deux objectifs majeurs :

  • renforcer la production et l’utilisation des sacs écologiques « amis » de l’environnement, et par là réduire l’utilisation des sacs en plastique nuisibles à la nature ;

  • consolider les capacités de production des coopératives et donc augmenter leurs revenus ; créer de nouveaux emplois ; consolider les capacités des associations locales ; renforcer la participation de l’économie sociale à la préservation de l’environnement.

Afin d’atteindre ces objectifs qualitatifs, le programme a donc planifié la production et la distribution de près de trois millions de sacs écologiques en toile, visant ainsi à améliorer le chiffre d’affaires d’à peu près 150 coopératives actives dans le domaine de la couture ainsi que les revenus de 2 600 adhérent(e)s. Le programme visait également la mobilisation et l’appui d’environ 80 associations actives dans le domaine de l’environnement ainsi que la sensibilisation d’environ 2,5 millions de ménages (40 % de la population nationale) sur les impacts négatifs des sacs en plastique.

A ces fins, le ministère délégué auprès du chef de gouvernement chargé des Affaires générales et de la Gouvernance et le ministère de l’Energie, des Mines et de l’Environnement ont consacré une enveloppe budgétaire de 70 millions de dirhams (environ 6,5 millions d’euros) au financement du programme.

Vingt-six villes ont été sélectionnées à travers le royaume du Maroc pour y participer. Il s’agit des villes où les taux de participation à la campagne de ramassage des sacs en plastique avaient été les plus élevés. Cette sélection prend également en compte la représentativité régionale, c’est-à-dire au moins une ville par région. Les villes bénéficiaires sont donc : Béni Mellal, Settat, Khouribga, Ifrane, M’diq, Laâyoune, Fès, Meknes, Marrakech, Benguerir, Kalaa Sraghna, Agadir, Benslimane, Tanger, Dakhla, Taza, Al Hoceïma, Kénitra, Casablanca, Safi, El Jadida, Ouarzazate, Oujda, Rabat, Salé et Guelmim.

Afin de mener à bien le programme, des organes centraux et locaux ont été mis en place. De plus, une assistance technique a été organisée pour l’accompagnement et le suivi du programme.

Enfin, l’Office du développement de la coopération, en tant que partenaire de ce programme, a participé pleinement à sa mise en oeuvre. Il a ainsi veillé à la réception des sacs en toile produits par les coopératives ; au traitement des candidatures des coopératives désireuses de s’engager dans le programme ; à l’accompagnement des coopératives lors des opérations de production ; à la programmation des réunions de validation du planning des visites des coopératives.

La ville de Kénitra face au programme pilote

Dans le cadre du programme pilote, la ville de Kénitra a confié la compagne de distribution des sacs en toile à trois associations actives dans le domaine de l’environnement. Leur rôle s’articulait autour de deux actions principales : la distribution et la sensibilisation.

Quant à la fabrication des sacs en toile, suite à l’appel à manifestation d’intérêt lancé aux coopératives, quatre d’entre elles ont été choisies (au niveau régional). Il s’agit des coopératives Al Hadaf et Al Ibdaa Li Al Anamil Addahabia à Kénitra ; des coopératives Al Maymana et Arrayhane à Sidi Kacem.

Deux coopératives de couture

Notre enquête a concerné les deux coopératives de Kénitra comme échantillonnage, toutes deux spécialisées dans la couture.

Afin de faire face à l’ampleur de la tâche, ces coopératives ont eu recours à des salarié(e)s provisoires qui ont été intégrés dans l’équipe des coopératrices (voir tableau ci-dessous).

Au total, trente-trois personnes ont été impliquées dans le programme (pour les deux coopératives). Certaines coopératrices n’ont pas voulu, durant les deux premières tranches (mois), s’engager dans le projet, car elles pensaient que l’impact du programme serait faible et/ou qu’elles ne pourraient pas accomplir la mission vu l’ampleur du travail. Par la suite, en constatant la satisfaction de leurs compagnes de travail, elles ont décidé de se joindre à l’équipe.

Des bénéfices en termes de compétences acquises et d’investissements productifs

Selon les témoignages des deux présidentes, le programme a permis aux coopératrices d’acquérir de nouvelles compétences professionnelles. Elles ont appris à maîtriser de nombreuses nouvelles techniques, notamment en couture (la coupe électrique, le matelassage, la sérigraphie, etc.), en gestion administrative (classement des dossiers, gestion des postes, comptabilité…), en organisation (nombre de produits par jour). Elles sont devenues plus performantes dans la production de grandes quantités.

Par ailleurs, en utilisant 25 % du montant total de la subvention accordée aux coopératives, elles ont pu acheter, en plus de la matière première, le matériel nécessaire à la production des sacs : machine plate pour les bandes, ciseaux, table de coupe, machines à coudre. Une fois le programme accompli, les coopératives ont pu conserver ce matériel au sein de leurs ateliers.

Tableau

Nombre des salarié(e)s et coopératrices impliqués dans le programme

Nombre des salarié(e)s et coopératrices impliqués dans le programme
Source : enquête personnelle, 2016

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Les deux coopératives ont réservé une partie des bénéfices à certaines fins. Ainsi, la coopérative Al Ibdaa Li Al Anamil Addahabia a décidé d’acheter de nouvelles matières premières pour son atelier et d’augmenter le capital de chaque coopératrice qui est passé de 2 600 dirhams (243 euros env.) jusqu’à 497 000 dirhams (46 000 euros env.) maximum. La coopérative Al Hadaf, quant à elle, a pu, grâce aux bénéfices, acheter une recouvreuse, aménager son atelier et investir dans un projet d’acquisition d’un local dans un complexe artisanal situé au centre-ville.

Des bénéfices en termes de revenu et de consommation locale

Les adhérent(e)s au programme, salarié(e)s et coopératrices, ont tiré un revenu significatif de l’opération. Pour les salarié(e)s, le revenu a atteint un montant de 2 200 dirhams par tranche (205 euros env.). La différence entre les montants dépend, en fait, de la durée du travail et/ou de la spécialité.

Le revenu des coopératrices, quant à lui, a été divisé en deux parties. La première partie concerne le salaire mensuel. Il a atteint jusqu’à 6 000 dirhams maximum (560 euros env.). La deuxième partie porte sur 25 % du bénéfice net, qui a atteint jusqu’à 30 000 dirhams maximum (2 800 euros env.) par coopératrice.

En outre, chaque femme adhérente a profité de cette source de revenus pour améliorer la vie quotidienne de sa famille : scolariser ses enfants dans des écoles privées, se soigner (l’une d’entre elles envisage une intervention chirurgicale grâce à cet argent), réaménager et/ou embellir sa maison, acheter des appareils électroménagers (télévision, machine à laver, machine à pétrin…), épargner en vue de projets futurs, etc.

Développer le dialogue entre coopératives et programmes de développement durable à Kénitra ?

En conclusion, force est de constater que le programme pilote de promotion du sac écologique en toile a pleinement répondu aux attentes. Il représente, effectivement, un modèle de projet de concertation, de participation, de partenariat et de décentralisation.

A travers ce projet, les coopératives sont devenues plus ambitieuses. A l’instigation de sa présidente, l’une d’elles a même fabriqué des échantillons de sacs destinés à une agence de voyages, en espérant une réponse favorable qui lui permettrait de concrétiser cette production. Les associations ont aussi développé leurs activités et amélioré leurs capacités.

Le développement de tels programmes pourrait profiter à l’ensemble des corps de métiers. Les vanniers détenteurs d’un savoir-faire ancestral pourraient à leur tour fabriquer des petits paniers traditionnels, écologiques et issus du patrimoine culturel immatériel. ils pourraient être estampillés d’un logo environnemental brodé à la main par des femmes, multipliant les interactions et synergies entre corps de métier.

En outre, la production des drapeaux nationaux pourrait être également confiée aux coopératives de couture, l’organisation des événements comprenant des pauses (café, déjeuner) aux coopératives des traiteurs, la construction des immeubles administratifs aux coopératives de travaux en bâtiment, en menuiserie, etc.

Ces projets de l’ESS, en s’inscrivant dans les principes de développement durable, favorisent un développement harmonieux conciliant la protection de l’environnement et l’épanouissement social et économique des générations actuelles, mais également futures.