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La journée d’étude « Pour Gilles Marcotte : exercices de lecture », tenue au CRILCQ (Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises) le 28 avril 2016 pour rendre hommage à l’oeuvre et à la mémoire d’un grand professeur et essayiste, a rendu plus sensible encore sa présence dans ces lieux. La salle où s’est déroulée la rencontre, la bibliothèque qu’elle contient, les dossiers critiques réunis dans les classeurs, les mémoires et les thèses en littérature québécoise entreposés en coulisses, portent l’empreinte, voire témoignent à leur manière, du legs intellectuel de Gilles Marcotte.

Je me suis amusée à relire un bref article paru dans Études françaises en 1991, intitulé laconiquement « Centre d’études québécoises ». Le texte est bref et descriptif, mais il montre bien que la communauté que formait alors le CÉTUQ, puis le CRILCQ, était animée par des principes, des valeurs, des modes de lecture chers à Gilles Marcotte.

Par exemple, on y précise d’emblée que

Ce centre veut favoriser et poursuivre la recherche sur les littératures québécoise et canadienne d’expression française, dans une double perspective.
1) comparatiste, c’est-à-dire privilégiant les rapports avec la francophonie et les autres littératures d’Amérique ;
2) pluridisciplinaire, c’est-à-dire intégrant à la recherche en littérature toute autre approche utile[2].

Gilles Marcotte lisait les textes dans cette double perspective, toujours d’actualité d’ailleurs, ne se soumettant ni aux vulgates sociologiques ni aux nouveautés théoriques. Il a été parmi les premiers chercheurs en littérature québécoise à s’intéresser au corpus anglophone du Québec, et plus particulièrement à l’oeuvre de Mordecai Richler ; il a pratiqué à maintes reprises le comparatisme ; il a été l’un des pionniers de la sociocritique, comme le rappelle si justement Pierre Popovic dans le manifeste du CRIST[3]. Mais surtout, il a été un lecteur, un herméneute au sens fort du terme. Si ses travaux ont permis de mettre en valeur le patrimoine littéraire et culturel du Québec, ils en ont surtout offert une lecture exigeante, soutenue par un esprit et un regard critiques qui ne donnaient jamais dans la complaisance.

Je suis arrivée à l’Université de Montréal en 1996 pour y faire ma maîtrise, trop tard donc pour y profiter de l’enseignement de Gilles Marcotte. En dépit de ce contretemps, j’ai découvert assez tôt dans mon parcours ses ouvrages lumineux, que je conseille encore aujourd’hui à mes étudiants. Le roman à l’imparfait demeure pour moi une leçon de lecture. Alors que le sous-titre « la Révolution tranquille du roman québécois » peut laisser entendre que l’essai va livrer une lecture sociologisante et nationaliste du corpus romanesque des années 1960-1970, les études qui y sont rassemblées nous ramènent toutes aux nuances, aux subtils mouvements des textes, à leurs silences, à leurs failles. Gilles Marcotte se proposait, je le cite, d’étudier « le roman comme im-parfait, roman de l’imperfection, de l’inachèvement, de ce qui se donne dans son projet même, comme expérience de langage jamais terminée, interminable[4] ».

S’il est un legs que nous aura transmis Gilles Marcotte, et que nous souhaitons transmettre à notre tour, c’est cette conception de la littérature – et a fortiori de la lecture – qui s’arrime aux expériences de langage, aux projets, à ce qui ne se donne pas de fin précise, de mandat, d’objectifs définitifs.