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Loin du formidable enthousiasme suscité en Occident (même chez les « spécialistes »), le printemps arabe a été, au contraire, perçu avec beaucoup de méfiance et de pessimisme en Israël. S’il y a bien eu quelques déclarations optimistes (de façade ?), notamment de la part des deux grandes figures qui avaient déjà développé l’idée de la « paix démocratique » dans les années 1990, l’ancien président Shimon Peres et le président de l’Agence juive, Natan Sharansky, il n’en reste pas moins que les perceptions des révoltes arabes furent majoritairement négatives dans l’opinion publique israélienne[1], dans les médias israéliens comme dans les milieux politique et militaire (Duplaquet 2015).

L’idée généralement la plus répandue était la suivante : les mouvements de révolte dans les pays arabes pouvaient certes déboucher sur des processus démocratiques, mais ceux-ci bénéficieraient inévitablement aux partis religieux, mieux organisés que les mouvements laïques, jouant un réel et important rôle social (délaissé par les régimes autoritaires) et, surtout, intrinsèquement plus hostiles à l’État hébreu que les anciennes dictatures en place. Cette thèse reposait, il est vrai, sur des précédents historiques dans le monde arabe et musulman : la révolution iranienne en 1979, le processus démocratique en Algérie dans les années 1990 et, enfin, la victoire électorale du Hamas en 2006 (Roy 2013).

Ainsi, alors qu’en Occident (et surtout en France) les analyses de ces événements furent étonnamment angéliques, celles des stratèges hébreux se révélèrent beaucoup plus réalistes. La tournure des événements et l’évolution de ce vaste mouvement de contestation populaire, enclenché en Tunisie en décembre 2010, ont malheureusement donné raison aux hauts responsables politiques et militaires israéliens. En effet, après les six années qui nous séparent du début des « printemps arabes », les transitions démocratiques tant espérées n’ont pas eu lieu, sauf peut-être en Tunisie, où l’on a cependant connu une vague d’attentats sanglants. Les « printemps arabes » n’ont été pour l’instant qu’un bref mirage pour des pays comme l’Égypte, la Libye ou la Syrie, sans parler du Yémen ou encore de Bahreïn… Dans ces pays, ce fut plutôt un retour au statu quo (Bahreïn) et à la dictature (Égypte) ou, pire, une chute inexorable dans le chaos (Libye, Syrie, Yémen). Aujourd’hui, l’instabilité et la recomposition géopolitique de la région – prise dans son acception la plus large, à savoir du Maghreb à l’Iran – qui en découlent inévitablement ne peuvent que préoccuper l’État hébreu.

Il n’est pas question ici de refaire le film des événements ni de cette recomposition générale de la géopolitique régionale. D’abord, nous nous attarderons simplement et principalement sur les répercussions des crises en Égypte et de la guerre en Syrie, deux pays éminemment importants pour Israël, puisque frontaliers avec ce dernier. Ensuite, nous évaluerons les éventuelles menaces que peut représenter pour Israël une organisation comme Daech. Enfin, nous ferons un état des lieux des dangers ou des perspectives qui peuvent se présenter à l’État hébreu dans ce « nouveau Moyen-Orient ».

I – Israël face aux conséquences des « printemps » égyptien et syrien

A — Israël et la « nouvelle » Égypte d’al-Sissi

Dès la fin du mois de janvier 2011, alors que les manifestations avaient commencé sur la place Tahrir, au Caire, Benjamin Netanyahou, le premier ministre israélien, faisait part de sa crainte. L’évolution de la situation en Égypte préoccupait particulièrement l’État hébreu dont les dirigeants, après la chute d’Hosni Moubarak, redoutaient notamment que le traité de paix qui avait neutralisé stratégiquement le front sud à partir de 1979 ne soit remis en question. Ainsi, les victoires électorales des Frères musulmans leur donnèrent raison : grâce à leur discipline, à leur organisation et surtout à leur rôle social auprès des plus démunis, les Frères récoltèrent seuls les « fruits » du « printemps du Nil ». Et l’élection à la présidence de leur représentant, Mohamed Morsi, en 2012 ne pouvait qu’accentuer les inquiétudes israéliennes. Les islamistes à présent au pouvoir allaient-ils rompre unilatéralement le traité de paix israélo-égyptien ? Cela semblait exclu, puisque l’Égypte ne pouvait raisonnablement se passer des 2 milliards de dollars versés par les États-Unis en échange du maintien de la paix (Le Morzellec 1980).

Autres sujets d’angoisse : la dégradation de la situation sécuritaire dans le Sinaï, espace géostratégique majeur pour Jérusalem, et les relations entre les nouvelles autorités égyptiennes et le Hamas, qui régnait en maître dans la bande de Gaza depuis 2007. Les tensions dans la péninsule s’y étaient d’ailleurs multipliées depuis plusieurs mois. Il y eut d’abord l’attentat en août 2011 contre un bus israélien de la compagnie Egged assurant la liaison du nord du pays vers Eilat, visé par une roquette en provenance de la frontière égyptienne. Dans le même temps, le pipeline par lequel est acheminé le gaz à destination d’Israël – qui couvrait, avant les découvertes israéliennes en Méditerranée orientale, 40 % des besoins du pays – a été saboté à plusieurs reprises. Peu après, à la mi-août 2011, un groupe issu des comités de résistance populaire implantés à Gaza est parvenu, avec le soutien d’appuis locaux du Sinaï, à franchir la frontière égyptienne et à tuer huit Israéliens[2]. Un an plus tard, le 15 août 2012, eut lieu l’attaque de dix-sept gardes-frontière égyptiens – a priori par des islamistes –, illustrant l’islamisation croissante de la péninsule. Le Hamas accusa alors Israël d’avoir orchestré cette opération afin de déstabiliser le pouvoir égyptien…

Par ailleurs, le mouvement islamiste de Gaza (branche palestinienne des Frères musulmans égyptiens) ne pouvait que sortir renforcé de la victoire des Frères musulmans en Égypte. Une délégation du Hamas fut d’ailleurs accueillie au Caire dès juillet 2012. De plus, Morsi et les Frères musulmans égyptiens décidèrent de desserrer l’étau autour de Gaza (soumise à un blocus en règle de la part d’Israël et de l’Égypte sous Moubarak) en ouvrant de manière permanente le point de passage de Rafah, au sud du territoire (limité cependant au seul flux de personnes).

Dernier point de friction entre les autorités israéliennes et les islamistes du Caire : la découverte par les nouveaux responsables cairotes des dessous du contrat très avantageux sur l’achat du gaz égyptien dont bénéficiait Israël. Les Frères ont en effet pu mesurer l’ampleur de la perte sèche dont était victime l’Égypte depuis trois décennies.

Enfin, même si durant cette longue période de transition l’institution militaire égyptienne, véritable colonne vertébrale de l’État (Lombardi 2013), gardait certaines prérogatives (notamment dans le domaine économique) et attendait (ou oeuvrait ?) en coulisse, les Israéliens craignaient par-dessus tout un scénario à la turque, à savoir que les islamistes au pouvoir au Caire finissent progressivement par écarter d’une manière ou d’une autre les militaires, seuls garants finalement de la normalisation des relations israélo-égyptiennes. De fait, donc, les conséquences du « printemps du Nil », comme nous venons de le voir, étaient en train de confirmer les premières appréhensions israéliennes.

C’est la raison pour laquelle les dirigeants israéliens ont accueilli comme un immense soulagement (et même, pour certains, comme un véritable « miracle ») la chute de Morsi et le retour effectif de l’armée aux affaires.

Ainsi, dès le 7 juin 2014, Abdel Fattah al-Sissi, le nouveau président « élu », fut félicité par Netanyahou. Dans les faits, les Israéliens officialisaient la satisfaction ressentie déjà onze mois plus tôt lorsque le président Morsi fut destitué par le véritable coup d’État d’al-Sissi et de l’armée.

Pour la grande majorité des Égyptiens, il est vrai que la révolution du 30 juin, la révision de la Constitution, puis l’élection d’al-Sissi (toujours très populaire, quoi qu’en disent les divers observateurs occidentaux) ont été perçues comme une opération de sauvetage de l’Égypte et de l’État : l’armée, toujours très respectée, est considérée comme la garante de la sécurité et de l’unité de la nation.

Pour les Israéliens, ce nouveau pouvoir au Caire signifiait deux choses importantes : la perte pour le Hamas de son principal soutien dans la région (les Frères musulmans étant dorénavant considérés comme une organisation terroriste interdite en Égypte) et le retour à la sécurité, à plus ou moins long terme, dans la péninsule du Sinaï.

Et en effet, depuis maintenant trois ans, le président égyptien s’est révélé être le meilleur allié de l’État hébreu dans la région. Il est vrai que l’ancien patron des renseignements égyptiens a toujours entretenu de très bons rapports avec ses homologues israéliens. Depuis qu’al-Sissi est à la tête de l’Égypte, on peut dire que les relations entre Le Caire et Jérusalem sont devenues excellentes, à un niveau sans précédent dans l’histoire.

Notons que c’est d’ailleurs al-Sissi qui, à l’été 2014, fut le véritable auteur des termes mettant fin au conflit entre Israël et le Hamas (opération Bordure protectrice lancée par Tsahal du 8 juillet au 26 août 2014). Le président égyptien a pratiquement supervisé les négociations israélo-palestiniennes (France Diplomatie 2017).

Plus tard, au printemps 2015, l’Égypte de Sissi a classé le Hamas (sa branche militaire puis politique) comme organisation terroriste. Depuis, l’armée égyptienne, à l’instar de Tsahal, recherche sans relâche les tunnels du mouvement islamiste (Hervé 2013). Entre 2015 et 2016, elle en a détruit ou inondé 90 % (Smolar 2016).

Enfin, n’oublions pas qu’en mars 2015 le président al-Sissi a également signé avec Israël un important accord gazier. Accord qui ne devrait pas être remis en cause par les propres découvertes récentes de gaz par l’Égypte, du moins pour l’instant.

Aujourd’hui, le Sinaï (où la population, majoritairement composée de Bédouins, a longtemps été délaissée par les autorités égyptiennes, d’où d’ailleurs le succès de Daech dans cette zone) est encore une zone dangereuse. Toutefois, malgré les attaques et les attentats qui s’y produisent, la situation reste relativement sous contrôle. D’ailleurs, cette situation n’est pas sans « gêner » outre mesure le pouvoir égyptien, qui peut en effet se servir des événements dans la péninsule pour maintenir un état d’urgence et, aussi, se présenter à l’Occident comme l’un des meilleurs partenaires dans la lutte antiterroriste. Quoi qu’il en soit, les forces égyptiennes continuent leur combat dans la région contre les djihadistes de la Wilayat Sinaï (la branche égyptienne de l’État islamique), et ce, en parfaite collaboration avec le renseignement et les militaires israéliens (Sand 2014).

B — Israël et la guerre civile syrienne

Depuis mars 2011 et le début de la révolte en Syrie, Israël a perçu les risques et a rapidement décrété l’état d’alerte maximale. D’autant que des incidents de frontière n’ont pas tardé à se produire. Il s’agissait des premiers d’une telle ampleur depuis la fin de la guerre de 1973, comme lorsque des manifestants syriens (des Palestiniens syriens pour la plupart) sont parvenus à pénétrer sur le plateau du Golan, provoquant des tirs de Tsahal. D’autres accrochages plus ou moins graves entre les forces israéliennes et celles du régime de Damas suivront, mais sans jamais dégénérer pour autant. Ainsi, le 11 novembre 2012, après que des mortiers syriens se sont déployés dans le gouvernorat de Kuneitra, ces derniers font feu près d’un avant-poste militaire israélien sur le plateau occupé par Tsahal. Les soldats israéliens répliquent par des tirs de sommation et menacent les Syriens de représailles si les attaques continuent. Le 12 novembre 2012, l’armée syrienne combat les positions rebelles dans le village de Bariqa, situé près de la frontière israélienne. Environ 200 rebelles, sous le feu de l’artillerie lourde du régime, sont expulsés près de la frontière et un obus syrien tombe près de Tel Hazeka sur le plateau du Golan. Israël réagit en bombardant les positions syriennes avec ses chars Merkava ; deux soldats syriens auraient été blessés dans les échanges de tirs. Le 17 novembre 2012, un autre incident a lieu lorsque l’armée syrienne fait feu sur une patrouille israélienne près de la zone démilitarisée, endommageant un véhicule. L’artillerie de Tsahal répond en bombardant les positions syriennes et rapporte que plusieurs soldats syriens pourraient avoir été tués dans l’incident. Enfin, le 25 novembre 2012, des combats entre les rebelles et l’armée d’Assad éclatent de nouveau près de la frontière. Israël n’exerce toutefois pas de représailles.

De même, durant l’été 2012, Israël dépose une plainte auprès du Conseil de sécurité des Nations Unies contre l’incursion de soldats syriens sur le Golan, alors même que ce territoire jouit d’un statut particulier. En effet, la majeure partie du Golan a été partiellement conquise sur la Syrie par Israël au cours de la guerre des Six Jours. Pendant la guerre du Kippour, il a été repris par les Syriens, mais la contre-attaque des Israéliens a fait en sorte qu’il leur revienne, avec en prime un terrain supplémentaire. L’accord d’armistice du 30 mai 1973 a fait de ce terrain une zone tampon administrée par l’Onu (Conseil de sécurité des Nations Unies 1973). Le bataillon de Casques bleus affectés à cette zone est la Fnuod, la Force des Nations unies chargée de surveiller la mise en oeuvre de l’accord et le respect du cessez-le-feu. Le Golan fait partie des territoires occupés par Israël qui font l’objet de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Israël a annexé le Golan à son territoire en 1981, mais l’annexion, non reconnue par la communauté internationale, a été condamnée par la résolution 497 du Conseil de sécurité.

En septembre 2014, les Israéliens ont abattu au-dessus du plateau un bombardier Soukhoï Su-24 syrien qui avait violé l’espace aérien hébreu. Par ailleurs, de nombreux tirs syriens, venant soit du régime, soit – le plus souvent – des milices rebelles (souhaitant ainsi une escalade entre Jérusalem et Damas), ont atteint le territoire israélien. Ils ont parfois provoqué des représailles de la part des forces israéliennes, mais qui ont toujours été « mesurées », traduisant ainsi la réserve et les précautions verbales et officielles de l’État hébreu.

De fait, les révoltes syriennes et la répression du régime de Damas ont concerné directement Israël et ne l’ont sûrement pas laissé indifférent. Jérusalem a pourtant fait preuve de retenue et d’un silence pragmatique sur la question syrienne même si l’État hébreu est resté, jusqu’à l’intervention russe de l’automne 2014, le seul pays du « camp occidental » à avoir frappé le territoire syrien depuis la révolution (bombardements de convois et de sites d’armes destinées au Hezbollah). Pour les Israéliens, il ne fut toutefois jamais question (officiellement toujours) d’intervenir directement entre le régime et les insurgés. Certes, ils n’ont pas droit à l’erreur et préfèrent rester très prudents.

En ce qui concerne une hypothétique intervention secrète israélienne dans le conflit, cela demeure le sujet de nombreux « délires conspirationnistes » de tous bords. Considéré comme le diable par tous les belligérants (le régime syrien accuse les Israéliens d’aider les insurgés, qui, eux, affirment qu’Israël soutient Bachar al-Assad), Israël a toutefois accueilli et soigné des Syriens (des civils, voire quelques rebelles) qui se sont présentés avec des blessures causées par les affrontements. L’armée israélienne a même fini par établir un hôpital de campagne à leur intention. Les Israéliens ont également fourni de l’eau et de la nourriture à des réfugiés syriens, mais en refusant toute demande d’asile. D’aucuns ont aussi dénoncé la présence d’agents israéliens qui contribueraient aux côtés des Américains à la formation, en Jordanie, des combattants de l’opposition (Roche 2013). Bien sûr, il est impossible d’authentifier cette affirmation, qui peut même sembler peu probable. Toutefois, il n’y aurait sans doute pas de meilleur moyen pour sonder ou observer certains groupes ou protagonistes du conflit.

En attendant, Israël observe, toujours de manière officielle, une certaine neutralité. Certes, en théorie et à première vue, la chute d’Assad aurait représenté à bien des égards un atout stratégique pour l’État hébreu (fin de l’alliance avec Téhéran, affaiblissement du Hezbollah, un allié de Damas). Cependant, sans alternative sérieuse au régime d’Assad, les Israéliens (qui restent cependant toujours vigilants quant aux armes chimiques syriennes[3]) semblent s’être résolus à se satisfaire de l’enlisement de la situation avec un pouvoir syrien affaibli, mais qui résiste, refuse de tomber et reprend même le dessus depuis l’intervention des forces russes. En effet, les responsables hébreux redoutent par-dessus tout un nouveau voisin qui sombrerait dans le chaos total et donc dans une complète incertitude.

Finalement, même si les Israéliens ne portent pas Bachar al-Assad dans leur coeur, celui-ci s’est toujours bien gardé de franchir certaines lignes rouges avec Israël : « Mieux vaut le diable que l’on connaît à celui que nous ne connaissons pas ! » (Lombardi 2014 : 122).

À terme même, au regard des dernières évolutions du conflit qui semblent l’annoncer, une relative « victoire » du régime, soutenu indéfectiblement par Moscou, est finalement peut-être moins préjudiciable pour Jérusalem qu’une « victoire », à présent de plus en plus improbable, de l’opposition.

En effet, même si Assad ne pourra pas reprendre un contrôle total sur tout le pays et qu’il restera redevable à l’Iran et au Hezbollah, une sortie de crise politique, sous l’égide de la Russie, semble être la meilleure solution pour le peuple syrien comme pour Israël. Il se pourrait bien même que la géopolitique de la région en soit transformée. Car, une fois la Syrie « stabilisée », Bachar al-Assad pourrait créer une grande commission de réconciliation afin d’enrayer une dynamique négative des règlements de comptes interconfessionnels (comme au Liban dans les années 1990) et, surtout, engager des négociations historiques avec l’État hébreu. Selon le schéma prévu lors des négociations de Shepherdstown (États-Unis) en 1999, Assad pourrait ainsi redorer son blason auprès de la communauté internationale en tendant la main à Jérusalem.

Une conférence de paix internationale basée sur des pourparlers au sujet du Golan ou des zones pétrolifères et gazières en Méditerranée orientale pourrait alors voir le jour. Elle serait sûrement patronnée cette fois-ci par une Russie devenue incontournable (comme sur le dossier iranien et pourquoi pas, demain, sur le dossier palestinien). Une Russie qui entretient par ailleurs de très bonnes relations avec les deux parties (Israël et Syrie) et qui souhaite notamment jouer un rôle grandissant dans la région. Cette perspective, tout aussi inattendue, exceptionnelle, voire insolite qu’elle soit, pourrait être la meilleure issue pour les Israéliens mais aussi et peut-être pour les Syriens.

Lombardi 2014 : p.131

II – Nouvelles menaces et nouvelles stratégies pour Israël ?

A — L’État islamique, nouvel adversaire sérieux d’Israël ?

L’organisation État islamique (ei ou Daech) est en train, chose unique dans l’histoire de la région, et avec toutefois encore quelques balbutiements, de liguer contre elle toutes les puissances internationales (Russie, États-Unis, France, Union européenne) mais aussi régionales (Iran, Arabie saoudite, Égypte, Turquie, Irak et Israël), et ce, malgré leurs rivalités et leurs orientations stratégiques propres.

Concernant la dernière menace d’al-Baghdadi, le chef de l’ei, envers l’État hébreu en décembre 2015, il faut rappeler qu’elle n’est pas la première ni la dernière (comme celles précédemment proférées à l’encontre de l’Arabie saoudite, la Jordanie et bien d’autres). Déjà, en octobre de la même année, Daech publiait une vidéo en hébreu dans laquelle un terroriste armé et masqué s’adressait aux « juifs occupant les musulmans » et déclarait que « pas un seul juif ne restera[it] à Jérusalem » ! Les autorités israéliennes ont depuis très longtemps intégré ces menaces et elles sont bien conscientes que l’« affrontement » est inévitable. Dès septembre 2014, l’organisation État islamique a été déclarée hors-la-loi par l’État hébreu.

D’ailleurs, depuis plusieurs mois, les services de sécurité israéliens ont relevé des signes clairs de la présence en Israël de réseaux djihadistes liés, de manière directe ou indirecte, à Daech. Selon le Shabak (ou Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien), entre 150 et 200 Arabes israéliens ont rejoint les rangs de l’ei, tout comme environ 200 Palestiniens de Cisjordanie et un nombre indéterminé de Gazaouis. Plusieurs d’entre eux ont déjà été arrêtés à leur retour de Syrie via la Turquie, et des réseaux ont pu être également démantelés avec l’aide des autorités chypriotes et grecques (Jérusalem ayant conclu en août 2015 avec Athènes une série d’accords de coopération sur les questions militaires (Israeli Air Force 2015), de sécurité et de lutte contre le terrorisme). Chaque semaine, des cellules embryonnaires de terroristes sympathisants de l’ei, avec des armes lourdes et préparant des actions, sont neutralisées sur le territoire israélien. Les arrestations les plus symboliques ont été celles, en octobre et novembre 2015, d’un groupe d’Arabes israéliens de Nazareth se réclamant explicitement de Daech. Enfin, rappelons que la vague de violence qui débuta à l’automne 2015 et qui perdure encore aujourd’hui, parfois appelée l’Intifada des couteaux (attaques au couteau et à la voiture-bélier qui touchent la population israélienne), fait totalement écho aux consignes terroristes et aux modes opératoires que l’on trouve dans les recommandations et les différents appels de l’État islamique.

Ces derniers mois, l’ei a perdu beaucoup d’hommes, de matériel et de territoires, en Syrie comme en Irak. Dès lors, nous devons nous attendre à d’autres attaques terroristes en France, en Europe et ailleurs. Les autorités israéliennes ont d’ailleurs grandement renforcé la sécurité de leurs ambassades, de leurs ressortissants et de leurs intérêts à l’étranger. Mais la stratégie de Daech dans ce domaine est aussi diabolique que claire. Elle est la même, qu’elle vise par exemple la France, la Russie ou Israël : utiliser les populations locales pour commettre des attentats et générer une atmosphère de guerre civile, en faisant monter les tensions et la haine entre les communautés. L’islamologue français Gilles Kepel rappelle d’ailleurs que, dès 2005, cette stratégie a été mise en oeuvre par Abou Moussab al-Souri dans son fameux Appel à la résistance islamique mondiale : la multiplication des attentats aveugles va organiser des lynchages de musulmans, des attaques de mosquées, des agressions de femmes voilées et ainsi provoquer des guerres d’enclaves, qui mettront à feu et à sang l’Europe, perçue comme le ventre mou de l’Occident (Kepel 2016 : 52).

Ainsi, pour restaurer son image dans le monde arabe, Daech peut tout aussi espérer, par exemple, un attentat d’envergure dans une grande ville israélienne, une sorte d’opération « de prestige », comme la qualifient les spécialistes israéliens. Jusqu’à présent, les services de sécurité israéliens, qui sont peut-être les meilleurs du monde, ont réussi à déjouer ces tentatives. Mais pour combien de temps ? Car un méga-attentat commis par des Arabes israéliens serait catastrophique pour l’État hébreu, aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur. Surtout, il pourrait déclencher une troisième et réelle Intifada généralisée, la seule menace stratégique sérieuse pour Israël à ce jour.

B — Nouvelles stratégies pour l’État hébreu ?

Dans cet environnement régional devenu, depuis 2011, plus qu’incertain et chaotique, Israël a bien évidemment renforcé ses capacités de défense, actualisé et réadapté ses stratégies (Razoux 2013).

D’abord, il ne faut pas oublier que la suprématie militaire et conventionnelle israélienne sur toutes les forces voisines arabes ou régionales reste aujourd’hui plus que jamais incontestable. Mais la principale force des Israéliens, surtout depuis 1973, c’est de savoir reconnaître leurs faiblesses et surtout d’apprendre de leurs erreurs. À l’inverse de certains pays occidentaux, l’État hébreu essaie toujours d’être en avance d’une guerre. Les stratèges hébreux ne laissent donc rien au hasard. C’est pourquoi, même si, comme nous l’avons vu, la principale menace de Daech envers Israël est intérieure, il n’en reste pas moins que l’État hébreu, « encerclé par les islamistes radicaux » (comme le déclara Netanyahou en juillet 2015) (Lyon 2015) et craignant des débordements de frontières, se prépare activement à tous les scénarios extrêmes et possibles d’attaques extérieures ou d’infiltrations de commandos djihadistes. Déjà, dès 2011 et le début des troubles en Égypte et de la révolte en Syrie, l’État hébreu a hautement renforcé les défenses de ses frontières au sud et dans le nord.

Par exemple, afin de stabiliser durablement le front Sud, dans le Neguev, et d’empêcher officiellement l’immigration clandestine, Israël a construit une barrière de sécurité sur près de 240 km.

Parallèlement, les militaires israéliens (parachutistes et unités d’élite) ont été déployés et se préparent à toutes les éventualités. Des exercices de grande envergure ont déjà eu lieu et vont se poursuivre à la frontière nord, face à la Syrie, mais surtout au sud, le long de la frontière avec l’Égypte, où la branche de Daech dans le Sinaï reste très active et où le risque est le plus grand.

Par ailleurs, les Israéliens sont même en train de perfectionner leur défense antiaérienne et leurs batteries mobiles des différents systèmes d’interception de roquettes et de missiles. D’abord, avec le système antimissile Dôme de fer permettant d’intercepter les roquettes (de 5 à 70 km de portée) du type de celles tirées par le Hamas. Même si l’efficacité réelle de ce dispositif de défense, utilisé notamment lors de l’opération « Bordure protectrice » de l’été 2014, a été remise en cause par certains spécialistes, notamment Theodore A. Postol (2014), Tsahal a fait le choix d’investir massivement dans ce système. Cette protection contre les menaces proches est complétée par deux autres dispositifs. En premier lieu, le système Arrow 3 de missiles antimissiles, en service depuis 2010, qui vise à contrer la menace balistique iranienne. Ensuite, le programme « Baguette magique » ou « Fronde de David », système antimissile, chargé d’intercepter les roquettes de moyenne à longue portée (50 à 200 km) ainsi que les missiles de croisière volant à une vitesse peu élevée, comme ceux que possède le Hezbollah. Ainsi, grâce au développement de ce triple bouclier protecteur, ce programme de défense multicouche peut répondre, en théorie, aux menaces de la panoplie de missiles dirigés contre le territoire israélien. Comme notamment, aussi, d’éventuels tirs de Scud (fort improbables en définitive) qui équipent les armées syrienne et irakienne, mais qui auraient pu tomber dans des mains mal intentionnées.

Enfin, gageons que les services de renseignement israéliens, qui ont toujours réussi à infiltrer par le passé les états-majors de puissants pays ennemis (Égypte dans les années 1960-1970 et Syrie dans les années 1960 ; voir l’affaire Eli Cohen) et plus récemment des groupes terroristes (Hezbollah et Hamas entre autres), ont déjà noyauté des milices djihadistes en Syrie et peut-être l’État islamique lui-même. Car, même si les services secrets israéliens excellent dans le renseignement « high-tech », ils n’ont jamais abandonné ni négligé pour autant le renseignement humain qui s’avère toujours être le plus efficace.

III – Quelles perspectives pour Israël dans ce « nouveau » Moyen-Orient ?

A — Consolidation des anciennes « alliances » et de nouveaux « partenariats » pour Israël

Même si les crises, les désordres et les affrontements interarabes et inter-religieux chez leurs proches voisins peuvent présenter à court terme un certain avantage pour eux, il n’en reste pas moins que les Israéliens préfèrent, pour leurs propres intérêts, une certaine stabilité qu’un indescriptible chaos à leurs frontières.

Les presque six ans de bouleversements faisant suite aux révoltes arabes, et surtout la montée en puissance d’un groupe tel que Daech, auront eu au moins le mérite de changer la donne géopolitique de la région et, donc, de consolider certaines alliances pour l’État hébreu ou d’en faire apparaître d’autres.

Concernant les « anciennes » alliances : malgré certaines divergences, voire une profonde animosité, entre le président Obama et le premier ministre Netanyahou, la coopération stratégique entre Israël et les États-Unis reste intense, comme le prouve d’ailleurs la dernière aide militaire américaine à l’État hébreu, signée en septembre 2016 pour un montant record de 38 milliards de dollars.

Même si les deux mandats de Barack Obama ont été marqués par un « retrait » relatif des États-Unis au Moyen-Orient et par une « froideur » diplomatique entre Jérusalem et Washington (le point d’orgue étant le vote contre la colonisation israélienne de la résolution de l’Onu en décembre dernier où les États-Unis se sont abstenus pour la première fois de l’histoire), les relations entre les deux alliés pourront connaître un certain réchauffement à partir du 20 janvier 2017 et de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche. En effet, ce dernier a clairement affiché son soutien à Israël. Certes, le candidat Trump a appelé durant sa campagne à plus d’isolationnisme et au désengagement de l’Amérique face par exemple aux « coûts exorbitants » de l’alliance transatlantique ou de la présence américaine au Moyen-Orient, mais les États-Unis ne pourront totalement et raisonnablement abandonner leur leadership. Tout simplement parce que l’Europe et le Moyen-Orient sont les bases du pivot tant souhaité vers l’Asie (Bieri 2016). Ce qui nécessite donc leur stabilité, tout comme des relations apaisées entre l’Occident et la Russie.

Toutefois, la droite israélienne, qui s’est déjà félicitée de la victoire de Trump, devrait rester très prudente (Schillo 2016), également, quant au choix de David Friedman (un avocat décrit comme un « faucon » pro-israélien) comme ambassadeur en Israël. D’abord, car c’est Trump et son administration qui insuffleront la politique américaine dans la région et non monsieur Friedman. En effet, Donald Trump et Benyamin Netanyahou sont de vrais amis. Ils ont d’ailleurs eu les mêmes mécènes lors de leurs campagnes électorales respectives, notamment un ami commun, le milliardaire Sheldon Adelson. Bien qu’il ait fait, surtout au début de sa campagne, de nombreuses déclarations contradictoires sur le conflit israélo-palestinien, se déclarant même « neutre » sur le sujet, le candidat républicain s’est finalement révélé être un farouche partisan de l’État hébreu. En tant qu’ami sincère d’Israël, Trump sera sûrement respecté et écouté par les Israéliens. Mais, grâce à ce statut, il pourra être beaucoup plus exigeant et, surtout, leur demander beaucoup plus que ne l’ont fait ses prédécesseurs. Même la promesse sur le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem peut se révéler, finalement, un moyen de pression supplémentaire afin d’obtenir en échange plus de concessions de la part des Israéliens.

Concernant l’Iran, là encore la droite israélienne devrait calmer ses ardeurs. Certes, le candidat Trump a accusé Téhéran d’être également un vecteur du terrorisme international. Il a par ailleurs dénoncé l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015, évoquant même son éventuelle abrogation. Cependant, il est fort probable que nous ayons sur ce dossier le premier exemple de promesses non tenues du nouveau président. En effet, l’ancien homme d’affaires pragmatique ne pourra pas tenir ses engagements (ni ne le voudra réellement). D’abord, parce qu’il s’agit d’un accord multilatéral et que les États-Unis ne peuvent pas l’annuler au nom de la Russie, de la Chine et de l’Union européenne. Ensuite, si le rapprochement entre Moscou et Washington devient effectif, les Russes seraient de parfaits médiateurs sur ce dossier sensible. Enfin, l’Iran, État phare du chiisme, est (re)devenu incontournable dans la région ; surtout, il apparaît comme un formidable marché pour les sociétés américaines qui sont déjà bien présentes à Téhéran.

De plus, faut-il rappeler que dès 2001, après le choc du 11 Septembre, quelques experts et officiers américains ont déjà proposé de « lâcher » l’Arabie saoudite pour se tourner vers l’Iran ? On sait aujourd’hui qu’ils n’ont pas été entendus, mais le général Flynn, principal conseiller du candidat Trump sur le Moyen-Orient et bref conseiller à la sécurité nationale, était de ceux-là. D’ailleurs, lorsqu’il était en poste en Irak et en Afghanistan, l’ancien des forces spéciales et surtout ancien patron du renseignement militaire avait discrètement renoué et développé des contacts avec les services secrets iraniens afin d’obtenir leur soutien en Irak et en Afghanistan, notamment contre les talibans (Lombardi 2016b).

De même, il est intéressant de noter ici, que le successeur du général Flynn (démissionnaire en février 2016) au poste de conseiller à la sécurité nationale, n’est autre que le général McMaster, fin connaisseur, lui aussi, du Moyen-Orient. En effet, ce brillant officier, vétéran de la guerre du Golfe de 1991 puis proche collaborateur du général Petraeus en Irak entre 2007 et 2008, est parfaitement au fait des subtilités moyen-orientales et donc de l’importance de l’Iran pour la stabilité de la région.

Ajoutons que Rex Tillerson, l’ancien pdg d’ExxonMobil, une des multinationales pétrolières et gazières les plus puissantes de la planète et nouveau secrétaire d’État (ami par ailleurs de la Russie !), mais aussi James Mattis, l’ancien général des Marines, vétéran de l’Afghanistan et d’Irak et actuel secrétaire à la Défense, connaissent très bien la région, même si leurs positions sur celle-ci ont souvent été fort divergentes par le passé. Toutefois, ce sont deux réalistes (Galactéros 2016), et non des idéologues, et sur le conflit israélo-palestinien ils sont au moins d’accord sur un point : la solution à deux États… comme l’est finalement David Friedman, et ce, malgré ses déclarations en faveur des colonies israéliennes !

Pour les autres pays occidentaux, ou du moins pour les plus éclairés, au premier rang desquels la France (notamment depuis les derniers attentats de novembre 2015 à Paris), la coopération (qui n’a jamais cessé dans la réalité) avec l’État hébreu redevient d’actualité et surtout plus visible (même si la conférence de paix sur le conflit israélo-palestinien, proposée par Paris, prévue en janvier 2017 mais rejetée par les Israéliens, a beaucoup déçu en Israël). Toutefois, face au même danger de l’islamisme radical, qui peut se permettre sérieusement de se passer de l’expérience et du savoir-faire israéliens (comme égyptiens ou jordaniens d’ailleurs) dans la lutte contre le terrorisme ?

À propos de la Turquie et de l’Arabie saoudite, si certains responsables israéliens sont séduits par une « coalition de pays arabes sunnites modérés » pour contrer « l’axe chiite », d’autres, et notamment les généraux, ne font que très peu confiance au Royaume saoudien et encore moins, à juste titre, à Ankara. D’autant plus que certains analystes ne sont pas dupes : les ambitions et les politiques de la Turquie et de l’Arabie saoudite sont un véritable fiasco dans la région. Les Turcs et les Saoudiens se rapprochent d’Israël, car ils sont de plus en plus isolés diplomatiquement et confrontés à de graves problèmes internes (en Turquie : réfugiés, multiplication des attentats, purges générales et surtout dans les services de sécurité à la suite de la tentative de coup d’État de juillet 2016, guerre civile larvée avec la minorité kurde ; en Arabie Saoudite : attentats, tensions entre clans et princes) comme externes (guerre à la frontière et sur le territoire syrien pour Ankara et guerre au Yémen pour Riyad).

Par contre, les pétroliers israéliens et le Mossad sont présents au Kurdistan depuis bien longtemps. Les Peshmergas font un travail remarquable face à l’EI. S’ils sont victorieux sur le terrain, ils le doivent, certes, en grande partie au matériel et au soutien américains, mais surtout à leurs qualités intrinsèques de combattants. Ils le doivent peut-être un peu aussi à leur coopération très ancienne avec des instructeurs israéliens (Encel et Thual 2011).

Ajoutons que, depuis ces dernières années, la collaboration entre Israël et la Jordanie s’est intensifiée, spécialement dans le domaine du renseignement. Les responsables israéliens ont été soulagés par les mesures opportunes qu’a prises le roi Abdallah afin d’endiguer les premières agitations dans le royaume en 2011. Depuis, même si le royaume a toujours le soutien des tribus les plus influentes et les plus importantes, la Jordanie reste confrontée à la menace de Daech. Mais il est certain que les stratèges israéliens feront tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger la dynastie hachémite.

Quant à la coopération entre Jérusalem et Le Caire, comme nous l’avons évoqué plus haut, elle est au beau fixe, notamment dans le Sinaï, où militaires égyptiens et israéliens travaillent de concert pour combattre la Wilayat Sinaï, la branche égyptienne de Daech[4].

Au sujet des nouvelles « alliances », la première qui vient à l’esprit est celle qui est en train de prendre forme avec Moscou. En effet, la Russie peut être considérée, à juste titre, comme le nouvel allié d’Israël. Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine au début des années 2000, les relations entre Moscou et Jérusalem ont toujours été très bonnes.

Ainsi, la Russie est devenue depuis une dizaine d’années un partenaire privilégié d’Israël (où près d’un million d’Israéliens, soit 20 % de la population, sont originaires de Russie). La coopération commerciale (plus de la moitié des importations israéliennes proviennent de la Russie, explosion du tourisme), technologique (matières premières contre produits de haute technologie, mises en orbite de satellites israéliens) et militaire (systèmes radars, drones, mais aussi et surtout dans le domaine du renseignement et de la lutte antiterroriste) entre les deux pays est florissante.

Avec le retour de la Russie sur la scène internationale et surtout régionale depuis son intervention musclée en Syrie à partir du 30 septembre 2015, les Israéliens, sans le dire, voient assurément dans les Russes des alliés potentiels. Sans pour autant se substituer à l’allié américain (qui demeurera encore longtemps le principal soutien politique et militaire de l’État hébreu), pour certains stratèges israéliens, la Russie représente déjà un allié fidèle, puissant et cohérent et, qui plus est, susceptible de contrebalancer, ou du moins maîtriser, l’influence iranienne dans la région.

En attendant, aucun incident sérieux n’a été à déplorer entre les deux pays dans le ciel syrien, pourtant totalement sous contrôle russe. Le dernier en date aurait eu lieu en avril 2016, mais, là encore, sans conséquences notables. Par ailleurs, les aéronefs israéliens poursuivent encore impunément (et sûrement avec l’assentiment russe), comme en novembre 2016, leurs attaques sporadiques sur les convois du Hezbollah en Syrie.

Les généraux russes et israéliens se voient presque quotidiennement, alors que le premier ministre israélien, lui, s’est rendu à Moscou trois fois depuis septembre 2015. La dernière rencontre, du 6 juin 2016, s’est tenue sur deux jours.

À la suite de ses derniers succès militaires et diplomatiques dans la zone, il n’est enfin pas exclu que la Russie, le nouveau « juge de paix » de la région, écouté et à présent respecté à la fois par les Israéliens et les Arabes, soit, à terme, au centre d’une nouvelle initiative de paix. Signe des temps : à la fin août 2016, Vladimir Poutine faisait savoir qu’il était prêt à inviter Abbas et Netanyahou à Moscou pour relancer le processus de paix sur le conflit israélo-palestinien (Lombardi 2016a).

Enfin, deux « alliés objectifs » sont en train d’émerger pour Israël. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce sont d’abord le Hezbollah, puis le Hamas. Comme pour beaucoup de Libanais, les Israéliens ont pris conscience que, sans la milice chiite, le Liban serait peut-être dans le chaos lui aussi. Ainsi, le Hezbollah qui, d’ailleurs, n’aura probablement plus besoin de la cause palestinienne et de celle de « la Résistance face à l’entité sioniste » pour exister sur la scène libanaise, est devenu incontournable. D’autant plus qu’il n’y a pas de litige territorial entre le Liban et Israël, même si, régulièrement, le Hezbollah exploite – pour sa propagande politique interne – la fameuse question des « sept villages », en contestant la légitimité de la frontière internationale et de la « ligne bleue » (ligne fixée avec l’Onu et Israël après le redéploiement de Tsahal hors de la zone de sécurité, le 23 mai 2000). Le gouvernement libanais accepte pour sa part la réalité qui s’est dégagée depuis la signature de l’accord d’armistice et ne conteste pas la validité de la ligne de démarcation. Ces « sept villages » sont des villages chiites abandonnés par leurs habitants lors de la Guerre d’indépendance (1948). Ils étaient situés en territoire israélien, au sud de la frontière internationale, dans des zones où se dressent aujourd’hui des villages israéliens. La frontière internationale entre l’État hébreu et le Liban résulte d’un accord signé en 1923 entre l’Angleterre et la France, et fixant la ligne de démarcation entre la Palestine – Terre d’Israël (sous mandat britannique) – et la Syrie et le Liban (sous mandat français). La frontière, délimitée par une commission franco-anglaise (commission Newcombe-Paulet) fut internationalement reconnue en 1935 par la Société des Nations. Cette frontière internationale servit également de référence pour la ligne d’armistice entre Israël et le Liban (23 mars 1949). Depuis, elle est devenue la base de tout accord politique entre les capitales israélienne et libanaise. Elle a également été utilisée par l’Onu pour délimiter la « ligne bleue » après le redéploiement de Tsahal hors de la zone de sécurité (Meir Amit Intelligence and Terrorism Information Center 2008).

Quoi qu’il en soit, si l’État hébreu continuera sûrement ses frappes et ses éliminations ciblées sur le groupe chiite libanais, il est notable qu’en attendant ce dernier ne peut se permettre et, donc, ne souhaite absolument pas un nouvel affrontement avec les forces israéliennes comme durant l’été 2006. Combattant aux côtés d’Assad en Syrie, mais défendant aussi et surtout la frontière libanaise, il assure, de fait, une relative stabilité à la frontière nord d’Israël. Et qui sait, à plus ou moins long terme, une normalisation entre Israël et le Hezbollah est même probable.

Deux faits marquants méritent alors d’être soulignés : d’abord durant l’été 2014, le 11 juillet, lors de l’opération israélienne à Gaza, deux roquettes avaient été lancées par un petit groupe de djihadistes à partir du sud du Liban. Les hommes du Hezbollah (qui n’apportaient leur soutien que « du bout des lèvres » au Hamas, puisque ce dernier avait rompu avec Assad en Syrie) s’étaient alors empressés de neutraliser, à leur manière, ces islamistes libanais qui voulaient « soutenir » leurs alliés de Gaza.

Puis, en dépit des raids israéliens contre le Hezbollah en Syrie cités plus haut et surtout après l’attaque, en janvier 2015, des forces israéliennes dans le Golan (qui avait éliminé des hauts commandants du Hezbollah mais aussi un général iranien), il n’y eut pas d’embrasement à la frontière nord de l’État hébreu. Certes, le Hezbollah lança des représailles, tuant deux soldats de Tsahal. Sept militaires furent aussi blessés. Mais ce fut strictement pour « la forme ». Car, très vite, le groupe terroriste libanais informa Israël, par l’intermédiaire des Forces des Nations Unies au Sud-Liban, qu’il ne souhaitait pas une escalade. Certains ont même alors évoqué des contacts secrets entre hauts responsables israéliens et iraniens pour « calmer le jeu » (Times of Israël 2015).

Quant au Hamas, il a soutenu depuis longtemps les milices djihadistes dans le Sinaï. Cependant, très isolé politiquement, militairement et sur le plan international, il craint, et c’est déjà le cas, d’être « débordé » par Daech, qui séduit de plus en plus la jeunesse arabe israélienne et palestinienne. Ainsi, la milice palestinienne pourrait cesser sa politique tacite et parfois contradictoire (arrestations de djihadistes à Gaza et soutien aux milices du Sinaï) pour préférer une « coopération », forcée et contre nature, avec l’armée égyptienne, et donc indirectement avec les Israéliens, afin tout simplement de sauvegarder son pouvoir et son leadership.

B — Israël et l’Iran

Il est évident qu’en marge des négociations sur l’accord du nucléaire iranien, d’autres discussions secrètes ont sûrement eu lieu concernant les différentes crises qui touchent la région. Pour les Occidentaux, comme pour les Russes, l’Iran est incontournable dans la lutte contre Daech, mais aussi dans toutes les résolutions des conflits comme en Syrie, en Irak, au Yémen ou en Afghanistan. N’oublions pas la coordination diplomatique et militaire, certes discrète mais déjà bien réelle, entre Américains et Iraniens en Afghanistan (contre les talibans) et même en Irak ces dernières années (Maloney 2011).

Pour Téhéran, l’accord de juillet 2015 avec le P5+1 est très positif. Au-delà de la levée des sanctions dans les secteurs de la finance, de l’énergie et des transports, prévue en janvier 2016, et de l’afflux massif de cash qui est en train de suivre, l’Iran réintègre ainsi la communauté internationale et redevient un interlocuteur de premier plan. Finalement, pour les Iraniens, faire une croix – pour l’instant – sur l’arme nucléaire est un moyen de redevenir peut-être à terme l’un des « gendarmes » de la région, comme il le fut par le passé. D’ailleurs, et certains dirigeants iraniens l’ont déjà très bien intégré, l’Iran n’a pas besoin de détenir l’arme nucléaire pour être beaucoup plus influent et efficace dans la région que ne l’est par exemple le Pakistan qui, lui, la possède.

Par ailleurs, dans le sunnisme, il n’y a pas de clergé hiérarchisé. Alors que dans le chiisme, le système religieux est, au contraire, très formalisé et l’organisation y est pyramidale et très structurée. C’est toute la différence qui se traduit aussi au niveau politique, voire géopolitique. Ainsi, même si le régime iranien semble peu sympathique, il n’en reste pas moins que l’Iran est une république, certes islamique, mais avec une Constitution, un Parlement et des institutions sophistiquées et solides (Djalili 2005). Tout l’inverse donc du régime tribalo-bédouin de la monarchie autocratique de l’Arabie saoudite et wahhabite. Le wahhabisme, pour beaucoup, est la matrice idéologique de tous les mouvements djihadistes dans le monde, comme de l’État islamique (Kepel 2016).

Le Moyen-Orient est à majorité sunnite, mais il est extrêmement divisé et même, selon certains, ingérable et anarchique. Par exemple et pour synthétiser, l’Arabie saoudite soutient les salafistes, alors que le Qatar et la Turquie soutiennent les Frères musulmans… que l’Égypte d’al-Sissi combat ! Autre exemple : dans le royaume saoudien, il y a un millier de princes vraiment influents et importants. Ces derniers jouent chacun dans leur coin leur propre partition dans la région, et ce, pour des raisons de lutte de pouvoir ou d’influence interne. Certains financent même tel ou tel groupe islamiste (comme l’État islamique) afin de nuire indirectement au roi. Pour les profanes, comme pour certains dirigeants occidentaux, c’est très compliqué. Même certains responsables du Pentagone et de la cia commencent à se lasser de cette « cuisine orientale », comme on est en train de le voir en Syrie avec l’arrêt du programme américain d’entraînement et d’aide aux « rebelles ».

À l’inverse, malgré les oppositions entre conservateurs et réformateurs à Téhéran, l’Iran semble relativement « tenir tout son monde ». Du Hezbollah libanais jusqu’aux milices, certes brutales mais efficaces, d’Irak, en passant par la Syrie et le Yémen pour ne citer qu’eux, la République islamique impose sa stratégie et son indiscutable leadership. C’est cet aspect des choses, et l’importance géostratégique primordiale de l’ancien Empire perse et de cette nation plurimillénaire (comptant aujourd’hui près de 80 millions d’habitants, occupant le deuxième rang des producteurs de pétrole de l’opep et produisant par ailleurs des ingénieurs et des chercheurs), qui est en train, en définitive, de rassurer et de séduire certains Occidentaux.

En ce qui concerne les relations futures entre Jérusalem et Téhéran, il faut rappeler que le Moyen-Orient n’est pas aussi compliqué qu’on veut bien le faire croire. Il n’est pas plus difficile à saisir que l’Europe ou le monde asiatique. Pour l’appréhender au mieux, il suffit de connaître son histoire, ses codes, ses subtilités et de respecter ses particularités ainsi que ses mentalités. Il faut tout de même garder à l’esprit qu’en relations internationales, et particulièrement dans cette région, il y a la scène, pour amuser la galerie, mais surtout les coulisses où se joue sûrement l’essentiel. Ce n’est qu’après cette mise au point que l’on peut cerner la complexité des relations entre l’Iran et Israël.

Durant les années 1970, l’État hébreu et l’Iran constituaient les deux piliers essentiels de Washington au Moyen-Orient. Jusqu’en 1979, l’Iran du Reza Shah Pahlavi a été pour Israël un partenaire géopolitique de poids (vente de pétrole, coopération des services de renseignements, etc.). C’est d’ailleurs le shah d’Iran qui servira d’intermédiaire entre Jérusalem et Le Caire lors du processus qui mènera aux accords de paix de Camp David de 1978. Selon l’historien Pierre Razoux, directeur de recherches à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) :

Pendant vingt-cinq ans, Israël s’était approvisionné en pétrole auprès de l’Iran. La coopération avait été très étroite entre le Mossad et la Savak (le service de sécurité intérieure et le service de renseignement iranien). Israël et l’Iran étaient, après tout, les deux alliés privilégiés des États-Unis. Six mois avant la chute du chah, le général Hassan Toufanian avait rencontré à Jérusalem les plus hautes autorités israéliennes pour renforcer les relations militaires entre les deux pays, envisageant même un raid conjoint contre la future centrale nucléaire irakienne Osirak.

Razoux 2014 : 126

Mais bien naïf celui qui veut croire que tout contact fut rompu à partir de la révolution de 1979. Des « ponts » ont été maintenus et, durant la guerre Iran-Irak notamment, les Israéliens ont même livré secrètement armes et matériels militaires au régime des mollahs. En effet, « dès les premiers jours de la guerre, Israël soutient l’Iran, alors même que l’ayatollah Khomeiny voue le “petit Satan” israélien aux gémonies et appelle les musulmans du monde entier à se lancer dans le djihad pour libérer Jérusalem de l’occupation sioniste. Apparemment paradoxale, l’attitude israélienne est parfaitement rationnelle » (Razoux 2014 : 126).

Quoi qu’il en soit, « en six ans (1980-1986), les livraisons d’armes et de pièces détachées à l’Iran rapporteront entre 1 et 2 milliards de dollars à Israël, plaçant celui-ci au quatrième rang des fournisseurs de l’Iran. Pour la seule année 1986, ces livraisons auraient atteint la somme record de 750 millions de dollars » (Razoux 2014 : 128).

Plus récemment, en 2011, le Trésor américain révélait que deux cents entreprises israéliennes commerçaient avec la République islamique. Avec le récent accord sur le nucléaire iranien et en dépit des discours belliqueux et la colère de son premier ministre[5], Israël a finalement obtenu ce qu’il souhaitait, c’est-à-dire du temps. L’État hébreu conservera donc son monopole nucléaire sur la région du Moyen-Orient pendant encore quinze ou vingt ans, surtout que l’on sait que la Chine et surtout la Russie, qui gère la majorité des centrales iraniennes, ne souhaitent absolument pas que l’Iran possède un jour l’arme nucléaire.

D’ailleurs, les Israéliens pourront toujours contrecarrer le programme iranien (surtout si le régime venait à s’ouvrir) par des opérations de guerre secrète, comme ils l’ont déjà fait avec succès[6].

Enfin, même si pour certains dirigeants hébreux l’« expansionnisme iranien » reste une menace, d’autres ont évolué sur le sujet. N’oublions pas que, récemment, d’anciens généraux israéliens et des responsables des services de renseignement et de la sécurité ont appelé Benjamin Netanyahou à accepter l’accord signé à Vienne (Paul 2015).

Déjà, en 2013, un responsable militaire israélien nous confiait :

Si l’Iran renonce à l’arme nucléaire, tout sera alors possible. Même – et surtout – concernant les relations entre nos deux pays. N’oublions pas que l’Iran d’avant 1979 était un de nos partenaires les plus importants… Face au chaos sunnite, les Iraniens, qui sont des pragmatiques, peuvent redevenir des alliés naturels, qui sait ? Peut-être que, finalement, il vaut mieux pour la région un gendarme iranien que les pyromanes du Golfe…[7]

Alors, bien entendu, sur la scène, les déclarations respectives des responsables iraniens (afin de rassurer les radicaux du régime) et israéliens (à des fins de politique intérieure, mais surtout pour maintenir Washington sous pression et s’assurer ainsi de son soutien financier et militaire), sans abandonner pour autant leur pragmatisme, resteront pour le moment, et dans l’ensemble, encore et sûrement remplies de craintes, voire de menaces belliqueuses. Les gestes des deux États devront aussi rester dans la continuité en affichant une certaine tension de façade. Par exemple, Israël continuera de frapper le Hezbollah lorsqu’il le jugera nécessaire. Quant à l’Iran, il continuera, à grand renfort de publicité, à exhiber sa puissance comme en octobre 2015, lorsqu’il a été testé avec succès le dernier missile balistique de nouvelle génération, baptisé « Emad »[8].

Certes, un retour à l’alliance d’avant 1979 n’est sûrement pas pour tout de suite. Mais à long terme une inflexion positive est fort probable.

En définitive et en coulisse, face à la « menace du fondamentaliste sunnite », à l’« anarchie » du monde arabe et sunnite, au jeu trouble des pays peu fiables comme l’Arabie saoudite et la Turquie, puis aux cicatrices laissées par la confrontation chiites/sunnites en Syrie et en Irak, mais aussi à l’abandon progressif de la cause palestinienne (qui était une « carte de visite » pour l’Iran et le Hezbollah dans le monde arabe), il se pourrait bien que Téhéran et Jérusalem revoient fondamentalement leurs options géostratégiques dans la région, et ce, peut-être, sous le double parrainage de Moscou et de la nouvelle administration américaine.

En guise de conclusion, nous pouvons affirmer que les « printemps arabes » et leurs conséquences ont rebattu clairement les cartes et relancé le jeu dans la région. Actuellement, la supériorité militaire et technologique de l’État hébreu sur ses voisins arabes, divisés, affaiblis ou en guerre, s’est incontestablement accentuée. Paradoxalement, nous l’avons évoqué, les révoltes arabes ont même contribué à l’intégration d’Israël en tant que partenaire stratégique clé et incontournable (Égypte, Jordanie) ou comme un allié de facto contre l’Iran (Arabie saoudite, Turquie).

Ce nouveau contexte régional a par ailleurs grandement contribué à renforcer le discours sécuritaire israélien, qui a notamment permis de reconduire par deux fois Benjamin Netanyahou à la tête du pays depuis 2011.

De plus, jouant sur une opinion publique inquiète des dernières évolutions géopolitiques régionales, le gouvernement israélien possède à présent des excuses toutes prêtes afin de justifier sa passivité et son absence d’initiative diplomatique dans la résolution du conflit avec les Palestiniens. Dans un même temps, alors que par le passé Israël avait pourtant « misé » sur l’Islam politique[9], suivant l’exemple des Américains qui avaient soutenu des mouvements radicaux et islamistes dans la lutte contre l’urss, les stratèges israéliens doivent regretter les régimes autoritaires dont finalement ils s’accommodaient fort bien et qui garantissaient au moins une certaine stabilité régionale. Si l’Islam politique a depuis démontré ses limites (Tunisie, Égypte), la menace djihadiste reste prégnante. Mais le « complexe de Massada » et la stratégie de la forteresse assiégée sont-ils raisonnablement, à long terme, les seules solutions pour les Israéliens ? Assurément pas.

Comme nous l’avons vu, les conséquences des « printemps arabes » ont exacerbé l’éternelle fitna politico-religieuse du monde arabo-musulman. Elles ont aussi démontré qu’Israël n’était pas l’unique « problème » ni l’unique préoccupation au Moyen-Orient. Toutefois, les responsables israéliens (souvent pour des raisons bassement électorales) ne devraient pas s’en réjouir et rester de simples observateurs cyniques « qui compteraient les points ». Dans ce contexte chaotique, il est vrai que le conflit israélo-palestinien n’est plus la priorité de la communauté internationale. L’échec prévisible de la grande conférence proposée par Paris (rejetée par Israël) en sera la preuve. Seules les dernières propositions, égyptienne (i24news et AFP 2016) puis russe (Alkassim 2016), saluées par Jérusalem auront à terme des chances d’aboutir. C’est ce genre d’opportunité que l’État hébreu, en relative position de force aujourd’hui, doit saisir pour sortir enfin du cycle infernal terrorisme-répression.

Si les « printemps arabes » n’ont malheureusement pas apporté, pour l’instant, la démocratie dans le monde arabe, espérons qu’à plus ou moins long terme ils contribueront aussi peut-être, indirectement et certes par des chemins douloureux, à la paix dans la région. Assurément, la route sera encore longue et parsemée d’obstacles. Reste à savoir si les Arabes et les Israéliens décideront enfin de les surmonter ensemble.