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Introduction

Ce texte présente les résultats de la phase exploratoire d’une recherche portant sur la formation initiale des enseignants du secondaire et plus précisément sur la construction de savoirs professionnels en évaluation par des étudiants inscrits en troisième année du baccalauréat en enseignement secondaire dans une université québécoise[1]. Cette recherche poursuit l’objectif de documenter le processus de construction des savoirs professionnels en évaluation dans un contexte d’alternance cours/stages aux différentes étapes de la formation académique et pratique.

Dans une perspective de professionnalisation, la formation initiale des futurs enseignants s’appuie, au Québec comme ailleurs, sur des dispositifs favorisant l’alternance cours/stages. Dans notre université, les futurs enseignants en enseignement secondaire effectuent en troisième année de baccalauréat (premier cycle) un stage en responsabilité limitée (50 % de la tâche d’enseignement) en équipe de deux étudiants durant 30 jours, dont 25 de manière consécutive. Avant ce stage, tous les étudiants ont obligatoirement suivi un cours portant sur l’évaluation des apprentissages équivalant à 90 heures de formation. Ce cours permet aux étudiants de se familiariser avec les concepts centraux et les principes de l’évaluation des compétences et d’apprendre à concevoir des instruments de recueil et d’interprétation en vue de poser un jugement sur les connaissances et les compétences des élèves en cours d’apprentissage et au terme de celui-ci, dans le respect des échéances scolaires. Dans ce cours, les savoirs de formation tiennent compte d’un contexte légal où les enseignants ont le choix de leurs méthodes d’évaluation, tout en devant respecter des normes édictées par le ministère de l’Éducation; ils sont définis à partir de la compétence décrite dans un référentiel professionnel de formation (Gouvernement du Québec, 2001) et sont issus de sources scientifiques, pragmatiques et culturelles contextualisées à la réalité québécoise, tout en faisant une large part à des concepts, des techniques et des principes légitimés, circulant dans la communauté des chercheurs en évaluation scolaire et des pédagogues (Durand & Chouinard, 2012; Fontaine, Savoie-Zajc & Cadieux, 2013; Laurier, Tousignant & Morissette, 2005; Scallon, 2007, 2015). On peut dire que la formation initiale en évaluation de ces futurs enseignants leur permet d’acquérir une assessment literacy (Mertler, 2004, 2009) dans la mesure où ces savoirs de formation englobent les dimensions conceptuelles et pratiques minimales pour leur permettre d’évaluer les apprentissages des élèves.

1. Problématique

Une compréhension plus fine des paradoxes, des ambivalences (Martineau, Portelance & Presseau, 2010), voire des forces et des limites du dispositif de stage permet de mieux cerner les conditions d’émergence d’une professionnalité et de comprendre comment les interactions entre le stagiaire et les professionnels qui l’accompagnent constituent un cadre relativement favorable à la réalisation d’apprentissages professionnels significatifs, visant un développement professionnel. En effet, la double appartenance de l’étudiant à la communauté universitaire et à la communauté de pratique soulève plusieurs problématiques de nature identitaire, culturelle, cognitive, épistémologique et pédagogique (Bourgeois, 2006; Chaliès, Cartaut, Escalié & Durand, 2009).

Le stage : lieu de tensions constructives?

Les recherches menées depuis maintenant près de 15 ans sur les éléments susceptibles d’accroître ou d’affaiblir les effets structurants des stages pour le développement professionnel du futur enseignant montrent que l’hétérogénéité des savoirs est généralement une source d’apprentissage. D’après Eraut (2007, cité par Veillard, 2012, p. 56), l’une des conditions pour que les situations professionnelles deviennent des opportunités d’apprentissage est « que des personnes qui savent puissent intervenir auprès de novices pour transmettre certaines connaissances pratiques ou conceptuelles aux moments les plus opportuns pour éviter le freinage voire le blocage des apprentissages, avec l’objectif, au contraire, de les accélérer». En stage, les personnes « qui savent » appartiennent à deux communautés distinctes ayant des cultures, des savoirs, voire des compétences spécifiques (Veillard, 2012).

Si la situation de stage génère des perturbations et des déséquilibres occasionnés par la confrontation avec le terrain, ces « difficultés et conflits vécus par les apprenants entre les différents espaces de formation sont une source propice à une construction véritable des savoirs» (Vanhulle, Merhan et Ronveaux, 2007, p. 15). Selon Vanhulle (2011), les savoirs professionnels se construisent lorsque l’étudiant peut investir d’un sens personnel des manières de faire adaptées à l’environnement en réponse à des normes extérieures. Cette recherche de sens, de pertinence et d’adaptation au contact des réalités du travail nécessite la traversée d’obstacles pragmatiques et épistémiques. En effet, si les savoirs de la recherche acquis primitivement dans le cadre de cours universitaires peuvent fournir un éclairage utile pour comprendre les enjeux d’apprentissage et d’enseignement en situation de classe, ils peuvent aussi être la source de déséquilibres cognitifs, affectifs ou pratiques ce qui rend leur appropriation par l’étudiant problématique (Ibid.).

De plus, certains auteurs relèvent que les communautés avec lesquelles fraie le stagiaire ne partagent pas toujours une conception cohérente de la formation, allant parfois jusqu’à proposer des savoirs de formation sans en référer aux universités avec qui elles collaborent (Chaliès et al., 2009, p. 99, citant Lunenberg et al., 2000). Les savoirs professionnels des enseignants qui accueillent les stagiaires dans leur classe ne sont pas nécessairement objets de formalisation (Lussi Borer, 2009) et ne donnent pas nécessairement lieu à une légitimation scientifique (Chaliès et al., 2009). L’ignorance générale dans laquelle sont tenus les enseignants du terrain scolaire en ce qui concerne le contenu des cours suivis par le stagiaire est un fait de plus en plus reconnu (Portelance, Gervais, Lessard & Beaulieu, 2008) et potentiellement problématique pour la formation du stagiaire (Desbiens, Spallanzini & Borges, 2013).

Dans une récente étude menée au Québec, Laurier (2014) révèle que les pratiques évaluatives des enseignants associés (qui accueillent potentiellement les stagiaires en enseignement) ne s’appuient pas nécessairement sur des savoirs scientifiques et ne tiennent pas nécessairement compte de l’évolution des prescrits ministériels. L’hétérogénéité des pratiques évaluatives des enseignants en exercice semble découler de difficultés d’adaptation aux nombreux changements ayant eu lieu au cours des dix dernières années, voire même du refus implicite de certaines modifications de l’encadrement prescriptif (Conseil supérieur de l’éducation, 2014; Laurier, 2014). Les enseignants en exercice sont aux prises avec les exigences de leur propre développement professionnel qui les soumet à des adaptations fréquentes dans un contexte de réforme perpétuelle (Durand & Chouinard, 2012; Nizet, 2014), ce qui questionne la nature de l’évolution de leur propre assessment literacy.

Cette situation semble préoccupante puisque selon Vial (2009), la pratique évaluative s’appuie sur des théorisations résultant d’une accumulation de « conceptualisations » à propos de l’évaluation qui finissent par constituer pour le praticien un système évolutif de références, un « ensemble fini de concepts mobilisateurs […] dépendant des aléas de la culture de l’acteur. » (p. 20). Le processus de référenciation désigne l’ensemble des étayages conscients et inconscients sur lesquels s’appuient la construction de pratique, le produit de la pratique, sa pensée et sa conceptualisation, que l’on pourrait qualifier de culture évaluative. Le repérage des éléments de ce système de référence est le pivot d’une formation à l’évaluation (Vial, 2009) et, en contexte de stage, le partage de ces étayages constitue l’ancrage potentiel d’une construction de savoirs professionnels. La capacité de l’étudiant à transiger avec des cultures différentes dans une démarche réflexive avant, pendant et après le stage et en interaction avec les personnes qui l’encadrent s’avère essentielle pour qu’il puisse construire des savoirs professionnels (Perez-Roux, 2007). Lorsqu’il rend compte de cette construction, l’étudiant doit soutenir de manière argumentée la pertinence, la validité et la cohérence de ses savoirs en fonction des deux communautés auxquelles il appartient (Vanhulle, Balslev et Buysse, 2012). Sa socialisation professionnelle l’engage « dans sa relation à lui-même, aux autres acteurs, et plus largement, à l’institution. » (Perez-Roux, 2007, p.55).

En matière d’évaluation, se professionnaliser signifie d’abord incorporer des savoirs professionnels en évaluation reconnus, légitimés et scientifiquement valorisés (Carnus & Terrisse, 2006 ; Jorro, 2009). Par exemple, pouvoir repérer les différentes fonctions de l’évaluation, la considérer comme un processus fait de différentes étapes, pouvoir rédiger des critères, produire un résultat chiffré de manière éthique, ou encore maîtriser les différentes typologies de grilles d’évaluation. Ensuite, dans le contexte du stage, le stagiaire et l’enseignant associé sont appelés à conscientiser et témoigner de leur système de référence (au sens de Vial, 2009) en fidélité à la communauté à laquelle ils appartiennent; les activités de communication sont donc une source importante de partage sur les références des pratiques et leur justification. Enfin, les pratiques ne sont pas déconnectées du contexte dans lequel elles s’exercent, et l’exercice professionnel de la compétence à évaluer requiert une nécessaire négociation entre les prescrits (ministériels entre autres), les représentations du stagiaire et de l’enseignant associé et les contextes professionnels (Vanhulle, 2009), ce qui s’avère également une expérience porteuse de tensions.

2. Cadre conceptuel

Souhaitant documenter le processus de construction des savoirs professionnels en évaluation de futurs enseignants afin de mieux comprendre comment, dans un contexte marqué par l’hétérogénéité de pratiques évaluatives décrite par Laurier (2014), le stage de troisième année peut contribuer à leur formation, nous présentons ici les éléments conceptuels retenus pour orienter le recueil et l’analyse d’entretiens menés auprès d’étudiants stagiaires dans la phase exploratoire de notre recherche.

2.1 La reconfiguration des savoirs

Nous avons adopté une partie du cadre proposé par Vanhulle, Balslev et Buysse (2012) pour décrire le processus par lequel le stagiaire pourrait formaliser des savoirs professionnels au terme de son troisième stage. Bien que ce cadre soit surtout développé pour et dans l’analyse de discours écrits, alors que nous analyserons des discours rapportés par le stagiaire, plusieurs indicateurs discursifs propres à ce cadre nous semblent pertinents et nous en avons retenu quatre : les types de savoirs en fonction de leurs sources, l’objet des interactions, les régulations qui en résultent et les démarches cognitivo-réflexives présentes dans le discours.

La reconfiguration des savoirs s’effectue dans le cadre d’interactions avec les différents porteurs de savoirs (qui en deviennent les sources) : en l’occurrence, dans le cadre de cette étude, le stagiaire et l’enseignant associé. L’évocation de problèmes liés à l’activité en stage peut s’avérer une source utile à la compréhension des mécanismes de construction de savoirs professionnels entre autres par la reconfiguration de savoirs de référence qu’elle induit et par les régulations que la résolution du problème suppose (Vanhulle, Balslev & Buysse, 2012). Dans notre étude, les objets d’interaction sont les problèmes évoqués par le stagiaire et nous les analysons selon le découpage suivant : 1) l’espace d’analyse du problème dans lequel le problème est présenté et une explication de ce qui pose problème est fournie par le stagiaire; 2) l’espace de recherche de solution dans lequel on trouve une énumération des solutions possibles, une discussion sur la prise de décision et sur le choix de la bonne décision à prendre; 3) l’espace d’application de la solution dans lequel on trouve la description de l’application de la solution et la description de l’action réalisée et enfin 4) l’espace d’évocation de solutions alternatives, espace dans lequel des régulations peuvent avoir lieu. Ces régulations peuvent porter sur trois types d’éléments : le système d’actions, les conceptions ou les sous-jacents (affectifs, de personnalité et émotifs) mobilisés par le stagiaire en cours de résolution (Ibid.).

Toujours selon ces auteurs, quatre types de savoirs peuvent être évoqués dans les discours témoignant d’une reconfiguration : 1) les savoirs académiques proposés à l’étudiant comme des références scientifiques; c’est le cas de la plupart des savoirs « pour évaluer » enseignés dans le cours d’évaluation des apprentissages qui se fonde sur une littérature spécialisée produite par des universitaires; 2) les savoirs institutionnels proposés comme des orientations pour agir en fonction des attentes de la société et de l’employeur : par exemple les cadres d’évaluation ministériels, les épreuves ministérielles ou le Programme de formation de l’école québécoise seraient des savoirs de type institutionnels, par ailleurs également enseignés dans d’autres cours universitaires; 3) les savoirs de la pratique issus de l’enseignant associé qui accueille le stagiaire et proposés comme « pertinents » ou « efficaces »; 4) les savoirs expérientiels associés à l’expérience personnelle du stagiaire fortement imprégnés de croyances dont l’origine ne serait pas consciente.

Enfin, nous avons retenu comme dernier indicateur discursif les opérations cognitivo-réflexives portant notamment sur la pertinence ou la validité (pragmatique, sociale, éthique, épistémique, etc.) des savoirs ou significations proposés à partir de la recherche ou des prescriptions, conseils, reçus en cours de stage, etc. (Vanhulle, 2013). Citons parmi les plus fréquentes, des opérations telles que la décision, le choix, l’attribution causale, l’explication, la justification, le jugement, l’analyse, ou la délibération, entre autres. Ce type d’indicateur met en évidence la nécessité de comprendre les mécanismes par lesquels le stagiaire entre dans un questionnement épistémologique qui lui permet d’attribuer une valeur aux savoirs de formation et de faire évoluer cette valeur en cours de stage. Selon Avenier (2011), tout questionnement épistémologique s’articule autour de la nature de la connaissance, de la constitution des connaissances et de leur valeur ou de leur validité, mais il vise également la compréhension de l’évolution de cette valeur au contact de situations réelles selon une exigence de confrontation à l’expérience de l’action (Avenier, 2011 citant Von Glasersfeld, 1988, 2001). Afin de repérer concrètement des indices d’attribution de valeur dans les opérations cognitivo- réflexives du stagiaire, nous avons créé un cadre regroupant les différents critères de validité ou de viabilité couramment évoqués dans des sources théoriques. Le résultat de cette exploration nous a permis d’élaborer une matrice conceptuelle susceptible de soutenir l’analyse du contenu d’échanges recueilli après le stage en lien avec les différentes exigences de professionnalisation évoquées plus haut.

2.2 Validité et viabilité des savoirs de formation

Le point de départ de notre cadre est constitué des trois dimensions d’incorporation, de communication et de négociation présentées plus haut comme caractérisant le processus de professionnalisation des enseignants et des futurs enseignants en matière d’évaluation (Nizet et Leroux, 2015). Ce processus engage le stagiaire dans la traversée d’espaces intrapsychiques, interpsychiques et situationnels qui constitue en quelque sorte - pour les savoirs de formation qu’il construit - une épreuve de viabilité et de validité.

La validité est considérée comme la justification de la valeur attribuée à la connaissance ou au savoir (Avenier, 2011). Nous définissons la viabilité d’une connaissance, d’un savoir ou d’une compétence, comme étant la conservation de sa valeur dans la traversée de l’intra à l’interpsychique, d’une part et dans l’adaptation fonctionnelle aux situations rencontrées, d’autre part

Tableau 1

Critère de validité et de viabilité des savoirs en évaluation

Critère de validité et de viabilité des savoirs en évaluation
Adapté de Nizet et Leroux, 2015

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Nous avons identifié trois critères de validité  des savoirs les plus fréquemment évoqués : l’intelligibilité, l’efficacité du savoir en situation et sa légitimité aux yeux de la communauté.

L’intelligibilité du discours de l’enseignant est étroitement dépendante de la démarche de conceptualisation de ses pratiques et constitue une qualité essentielle des savoirs professionnels qu’il produit (Legendre & Morrissette, 2013). Pour Vial (2009), l’intelligibilité des références culturelles en évaluation est un critère de validité incontournable en situation de communication. Il s’agit également d’un critère généralement associé à l’élaboration de connaissances considéré comme un acte de construction de représentations dans le but de donner un sens aux situations (Avenier, 2011). La légitimité est également invoquée comme critère lorsqu’une communauté professionnelle décide de valider un énoncé pour lequel on cherche à garantir une certaine lisibilité sociale (Demazière, Roquet, & Wittorski, 2012). En ce qui concerne l’efficacité, il s’agit d’un critère généralement évoqué dans l’attribution de valeur à des savoirs dits d’action (Wittorski, 2013) lorsqu’une communauté sociale décide de valider un énoncé traduisant une séquence d’action jugée efficace en situation. Le respect du critère d’efficacité pour l’action serait garant de l’organisation de pratiques efficaces localement.

Globalement, on peut dire que la viabilité d’un savoir dépendrait de trois critères (dont deux ont déjà été présentés plus haut): sa valeur de vérité (ou crédibilité) aux yeux de la personne, son efficacité dans les situations rencontrées et sa légitimité. Selon Morrissette, Mottier Lopez & Tessaro (2012), les savoirs professionnels constituent des entités objectivables et communicables qui peuvent être produites au cours d’activités de négociation entre pairs et par la suite appropriés à condition qu’une certaine crédibilité leur soit reconnue ; le savoir produit doit être « tenu pour vrai » par l’enseignant pour pouvoir être incorporé (Vergnaud, 1985). Le critère de vérité est aussi retenu par les auteurs tenant du constructivisme (Avenier, 2011), dans la mesure où la connaissance doit être confrontée aux représentations d’autres acteurs dans la perspective de parvenir à un consensus. Selon Wittorski (2013), les savoirs « dits théoriques sont établis et reconnus par et dans une communauté scientifique et culturelle donnée, à une époque donnée selon un critère de vérité ». Selon Jonnaert (2011) ce sont les situations qui mettent en question la viabilité d’une compétence et des connaissances sur lesquelles elle se fonde, dans la mesure où l’enseignant qui ne peut traiter une situation avec efficacité devrait construire d’autres ressources à mobiliser.

Ce cadre nous amène à poser trois questions en lien avec l’objectif de recherche qui est de documenter le processus de construction de savoirs professionnels en évaluation d’étudiants stagiaires : quelle place tiennent les savoirs de formation (acquis dans le cours d’évaluation des apprentissages) dans la référenciation des pratiques évaluatives problématiques de stagiaires de troisième année en enseignement du secondaire ? Quel est l’apport des enseignants associés au processus de « reconfiguration » des savoirs? Comment se caractérisent la viabilité et la validité des savoirs dans les opérations cognitivo-réflexives des stagiaires ?

3. Méthodologie

Nous avons créé un dispositif favorisant une réélaboration discursive par l’étudiant, activité discursive temporellement détachée de l’activité sur le terrain (stage), mais qui peut être considérée comme une narration de l’expérience professionnelle basée sur la mémoire. Ce dispositif ne s’inscrit pas dans le cadre du programme de formation des stagiaires et il a pour fonction exclusive de recueillir des données sur l’assessment literacy des étudiants en caractérisant des problèmes de stages concernant les savoirs en évaluation afin de documenter le processus de construction de savoirs professionnels dans l’alternance cours/stage. C’est à titre de professeure responsable des cours d’évaluation que nous avons procédé au recueil d’information auprès d’étudiants de troisième année, sur une base volontaire.

3.1 Recueil

Puisque le processus de reconfiguration étudié relève essentiellement de « pratiques langagières », mais que nous n’analyserons pas les interactions réelles entre l’étudiant et l’enseignant associé en cours de stage, c’est la « mise en discours » (Vanhulle, 2013) et plus spécifiquement le discours rapporté, sollicitant une mémoire des faits et du contenu des échanges avec l’enseignant associé sur la base de ce qu’en dit le stagiaire que nous étudions.

Un questionnaire portant sur les savoirs de formation et leur utilisation en stage a été proposé à chaque étudiant au terme de son stage. Sur les dix étudiants ayant accepté de participer à l’étude, seuls cinq d’entre eux ont effectivement répondu au questionnaire. Ces étudiants ont été sollicités pour passer une entrevue portant sur les réponses apportées au questionnaire, selon un dispositif qui se rapproche de celui de Perez-Roux (2007). L’entrevue était structurée en fonction des réponses apportées au questionnaire, notamment concernant la description de problèmes vécus en stage en lien avec l’évaluation des apprentissages des élèves. Quatre étudiants ont réalisé l’entrevue dans les conditions éthiques en vigueur dans notre université. Par souci éthique, nous dirons seulement qu’ils enseignaient en histoire, en français et en sciences et nous ne référerons à aucune donnée socio-démographique susceptible de permettre leur identification.

3.2 Analyse

Un répertoire de 25 savoirs de formation a été constitué, ce qui correspond à une étape de l’analyse à priori (Vanhulle, 2013) nécessaire pour effectuer leur repérage dans la référenciation des pratiques évaluatives. Seule l’analyse de la troisième section du questionnaire visant la description d’un problème relatif à l’évaluation vécu en stage et explicité en entrevue fera ici l’objet d’une présentation de résultats. Les extraits significatifs de l’entrevue concernant un aspect de l’espace problème évoqué ont été sélectionnés et ce matériel a été codé avec le logiciel N’vivo.

Afin de répondre à la première question spécifique de recherche portant sur la place des savoirs académiques dans la référenciation des pratiques évaluatives problématiques de stagiaires de troisième année en enseignement du secondaire, nous avons repéré les savoirs de référence évoqués aux différentes étapes de la description de chaque problème. Ensuite, pour les savoirs évoqués, le repérage de leur source a été effectué (académique, pratique, expérientielle, institutionnelle). Des matrices descriptives ont alors été élaborées pour chaque cas (stagiaire) afin d’obtenir un portrait de l’apport des différentes sources de savoirs dans la position et la résolution de chaque problème.

Afin de répondre à la deuxième question spécifique de recherche, portant sur l’apport des enseignants associés au processus de reconfiguration des savoirs en réponse aux problématiques vécues par les stagiaires, nous avons repéré les savoirs de formation dont la source était explicitement liée à la pratique de l’enseignant associé. Pour ces savoirs, nous avons repéré s’ils avaient été objets d’interactions avec le stagiaire. Les matrices descriptives des quatre cas ont été analysées pour repérer les savoirs à propos desquels une ou plusieurs dimensions de la résolution des problèmes avaient bénéficié d’interactions ayant pu être source de régulation pour le stagiaire.

Enfin, pour répondre à la troisième question spécifique de recherche qui portait sur les enjeux de validité et de viabilité des savoirs académiques en évaluation dans la construction de savoirs professionnels, nous avons alors analysé le contenu des segments traduisant une démarche cognitivo-réflexive par le stagiaire. Par la suite, nous avons procédé à une analyse interprétative des matrices descriptives en termes de crédibilité, d’intelligibilité et de légitimité, sous forme d’hypothèses.

4. Résultats

Les résultats sont présentés en lien avec les questions spécifiques. Nous les présentons sous deux formes : de manière globale pour les quatre cas abordés en ce qui concerne les questions 1 et 2 et ensuite, nous illustrerons certains processus en lien avec la question 3. Nous présentons ici les résultats relatifs à l’entretien mené auprès de stagiaires après leur stage à propos de savoirs construits dans le cours Évaluation des apprentissages.

4.1 La place des savoirs académiques, institutionnels, pratiques et expérientiels dans la référenciation des pratiques évaluatives problématiques de stagiaires

Dans cette section nous décrirons comment les différents savoirs faisant partie de l’assessment literacy sont mobilisés dans les problèmes évoqués par les stagiaires. Sur les 25 savoirs de formation identifiés, 18 savoirs ont été évoqués à titre de référence, quatre d’entre eux l’ayant été par tous les stagiaires. La planification, l’évaluation de compétences, l’examen et les grilles critériées sont des savoirs de formation mobilisés comme référence dans l’une ou l’autre étape d’un problème chez chaque stagiaire.

Alors que les savoirs ne sont que rarement explicitement évoqués comme provenant de sources académiques ou institutionnelles, les sources pratiques ou expérientielles sont plus fréquemment mentionnées (voir tableau 2). Lorsque les sources sont évoquées, voici comment se répartissent les données :

Tableau 2

Source de savoirs mentionnés dans les problèmes vécus par les stagiaires

Source de savoirs mentionnés dans les problèmes vécus par les stagiaires

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Les savoirs de formation référencés comme « académiques » et associés à d’autres sources de référence (Pratiques et/ou expérientielles et/ou institutionnelles) (tous problèmes confondus) sont les suivants : « évaluation de compétences », « grille critériée », « examen », « critères d’évaluation », « progression des apprentissages », « programme », « planification » et « note ». Ceci amène à considérer que ces savoirs de formation sont peut-être potentiellement objets d’enjeux de viabilité et de validité plus importants que les autres pour les stagiaires. Il est intéressant de relever que les savoirs « note » et « évaluation de connaissances » sont nommés en référence à la pratique de l’enseignant associé à l’exclusion de toute autre source; ces éléments sont pourtant prescrits par des sources institutionnelles.

Lorsqu’on examine comment les savoirs dont les sources sont explicitement mentionnées contribuent à l’analyse du problème, à la proposition de pistes de solution et la résolution effective ou alternative, il est possible de dégager la séquence typique de problématisation suivante :

Dans tous les cas, le fait que le stagiaire intervienne dans une planification de l’évaluation qui n’a pas été pensée par lui, alors qu’il a été formé à le faire, entraîne des problèmes fréquents d’alignement pédagogique entre les objets d’apprentissages et les objets d’évaluation : soit au niveau de l’ampleur des savoirs abordés en classe, soit au niveau de la profondeur à laquelle les stagiaires ont appris à les planifier et à les évaluer.

Il s’en suit plusieurs constats liés à l’écart existant entre la nature des instruments de recueil utilisés par l’enseignant associé et les instruments proposés par les stagiaires. En effet, ces derniers perçoivent que les questions posées aux élèves dans les examens sont d’un niveau taxonomique parfois relativement bas alors qu’ils souhaitent placer les élèves en situation de démontrer leur compétence dans des tâches plus complexes (Cas 1, 2, 3 et 4), tel qu’ils l’ont appris dans le cadre de leur cours universitaire. Les enseignants associés ont également l’habitude de cumuler des notes pour produire un résultat, ce qui semble placer certains stagiaires dans l’obligation de créer des outils de recueil qui ne répondent pas, selon eux, aux exigences de validité de contenu apprises dans le cours universitaire préalable au stage.

De plus, en corollaire de cet état de fait, alors que les enseignants associés ont plutôt tendance à interpréter la production des élèves avec des instruments à correction objective impliquant le repérage de l’erreur et le retrait de points, les stagiaires souhaitent développer et mettre en oeuvre des grilles qui leur permettent de poser un jugement plus ouvert afin de pouvoir donner une rétroaction formelle et détaillée à l’élève. Ils souhaitent également pouvoir pondérer les résultats et produire une note d’une manière qui leur semblerait plus intelligible (Cas 1 et 4).

Enfin, les stagiaires semblent utiliser abondamment les principes et les savoirs de formation pour problématiser leur intervention en classe et leurs enseignants associés leur donnent généralement la responsabilité d’évaluer les élèves et de corriger les travaux. Les stagiaires peuvent alors soit adapter les instruments proposés par leurs enseignants associés soit construire leurs propres instruments. Plusieurs instruments ainsi conçus ont par la suite été adoptés par l’enseignant associé pour un usage ultérieur (Cas 1, 2 et 4).

4.2 Apport de la contribution des enseignants associés au processus de reconfiguration des savoirs en évaluation

L’analyse des matrices descriptives de chaque cas montre que la plupart des démarches de régulation réalisées portent sur les actions des stagiaires : 58% des régulations centrées autour des neuf savoirs de formation suivants : « planification », « évaluation des compétences », « pondération », « examen », « grille critériée », « note », « évaluation formative », « rétroaction » et « programme ». Ensuite, la régulation des conceptions (31,5%) vise cinq savoirs : « planification », « évaluation des compétences », « pondération », « grille critériée » et « note ». Finalement, la régulation des sous-jacents ne vise que deux savoirs : « note » et « grille critériée » dans le cas 2.

Les savoirs qui sont à la fois objets de problématisation (évoqués dans au moins une étape de la résolution de problème), d’interaction (repérable par l’évocation d’un dialogue ou d’une discussion à ce sujet avec l’enseignant associé par le stagiaire dans l’entrevue) et de régulation (repérée dans le codage de l’entrevue qu’il s’agisse de l’action, de sous-jacents ou de conception) sont relativement peu nombreux (7). Ce sont sans doute des éléments de l’assessment literacy du stagiaire susceptibles de pouvoir illustrer comment et dans quelle mesure l’enseignant associé a contribué ou pas à leur reconfiguration. (voir tableau 3 page suivante).

Tableau 3

Savoirs ayant fait l’objet de problématisation, d’interaction et de régularisation dans le stage

Savoirs ayant fait l’objet de problématisation, d’interaction et de régularisation dans le stage

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Ainsi, c’est sans surprise que nous constatons que les savoirs de formation « grille critériée » et « note » semblent être au coeur de problèmes vécus par trois stagiaires sur quatre, problèmes qui ont donné lieu dans deux cas seulement sur quatre à des interactions avec l’enseignant associé et ont été objet de régulations relativement diversifiées. En effet, ces savoirs sont problématiques dans la profession (Laurier, 2014, p. 44) et sujets de débats récurrents depuis l’instauration d’un bulletin présentant une note chiffrée, alors que les programmes et la Politique d’évaluation des apprentissages québécoise prônent une évaluation critériée.

En ce qui concerne le rôle de l’enseignant associé, nous avons relevé pour tous les savoirs repérés plus haut, les extraits dans lesquels le stagiaire évoque un moment d’interaction en évoquant une prise de parole de l’enseignant associé, un discours rapporté de ce dernier et la réaction de l’étudiant en lien avec la régulation opérée.

Lorsque le problème évoqué est issu d’une divergence entre des savoirs académiques acquis antérieurement et les pratiques de l’enseignant associé, comme c’est le cas en ce qui concerne la planification dans le cas 1, ou encore la conception d’une grille critériée dans les cas 2 et 4, l’enseignant associé joue un rôle plutôt passif : il laisse la latitude de créer des instruments, ce qui pour les stagiaires semble important pour consolider l’incorporation de certains concepts ou de techniques de manière autonome. Il faut noter que ces savoirs ne concernent que des aspects de la tâche de l’enseignant qui ne sont pas communiqués à l’élève et représentent peut-être des enjeux moins importants pour lui. À plusieurs occasions, les enseignants associés adoptent les instruments créés par les stagiaires sans les remettre en question. La régulation se fait de manière autonome en fonction du besoin éprouvé par le stagiaire (d’instrumenter son jugement, d’évaluer ce qui a été réellement enseigné dans une perspective d’alignement pédagogique, de produire des notes de manière argumentée).

CAS 2 - R1-P2

[…] on s’est assises avec l’enseignante puis on a corrigé deux, trois copies sur des photocopies qu’on s’était faites pour […] comparer nos méthodes de correction finalement pis notre compréhension de la grille qu’elle nous avait soumise. […] on s’est proposé pour refaire la grille parce qu’on se sentait plus ou moins à l’aise avec celle qu’elle nous proposait. Donc, en fait on a refait a une grille […] au meilleur de nos… [Rires] capacités d’après ce qu’on avait appris dans le cours. Et là, avec cette grille-là… en tout cas, nous, elle nous a beaucoup plu. Je ne sais pas si c’est théoriquement idéal, mais disons qu’elle était assez bien. Puis, heu…l’enseignante l’a gardée d’ailleurs.

Parce qu’on a pris l’initiative de bâtir nos grilles, on a pris l’initiative de faire toutes les corrections. Donc, elle nous a volontiers laissé ce travail-là […] on a été très autonome dans notre démarche parce qu’après avoir corrigé ensemble, on a utilisé une autre grille.

Cependant, pour les autres savoirs dont le traitement implique un effet direct sur l’élève comme l’attribution de points lors d’évaluations formatives (cas 1), la production de note (cas 4) ou le type d’examen (cas 4), les stagiaires répondent aux injonctions des enseignants associés et vont même jusqu’à poser des actes qui sont contraires à ce qui leur a été enseigné dans le cours universitaire.

CAS 1-R2-P4

C’est ça parce que les évaluations formatives, on a tenté, mais là notre enseignante associée voulait qu’on les fasse compter, qu’on mette des points. […] au départ, on avait une dictée, puis là elle a dit […] je veux que vous la comptiez. Là on a dit : « bon OK, c’était ça notre évaluation formative pour les mots de grammaire avant l’examen pour voir en contexte s’ils sont capables de savoir les classes de mots et tout » Puis finalement… là ça, ça un peu échoué, dans le lexique aussi… au départ la présentation orale ce n’était pas nécessairement supposé de compter dans mon souvenir, puis là finalement ça comptait.

Par contre, lorsqu’il existe des changements de conceptions ou de sous-jacents, tels que par exemple dans le cas de la pondération (Cas 2) ou de la grille d’évaluation et de la note (Cas 1) sans régulation de l’action, les principes apportés par l’enseignant sont incorporés par le stagiaire, ou bien, c’est la situation même qui permet à l’étudiant de déduire de manière autonome des règles ou des principes nouveaux à appliquer.

CAS 1-R1-P4

Je me suis rendu compte que le groupe le plus faible de concentration n’était pas motivé, puis aussi, ils copiaient beaucoup… entre eux, alors si je le donnais en devoir, ils ne le faisaient pas […], j’imagine qu’elle disait […] ça les motive à le faire correctement, pis c’est vrai là. Au bout du compte je me suis rendu compte que […] quand […] des fois on ne disait pas nécessairement comment ça valait, si ça valait 5% […] ça les inquiétait un peu, ils se concentraient plus.

Dans un contexte où les enseignants associés ont assez peu échangé avec les stagiaires sur l’évaluation (comparativement aux autres thématiques de stage), force est de constater que le rôle de l’enseignant associé dans la reconfiguration des savoirs en évaluation semble relativement limité. Le stage semble, dans une moindre mesure, permettre de questionner les savoirs académiques ou de recherche préalablement construits par les stagiaires au niveau des situations professionnelles elles-mêmes. Il semble que le stagiaire doive surtout gérer des dilemmes causés par une certaine hétérogénéité en matière d’assessment literacy, notamment à cause de l’importance qu’auraient pour certains enseignants associés plusieurs éléments de « tradition » dans les pratiques évaluatives, Ces constats paraissent indiquer qu’en matière d’évaluation, le diagnostic de Laurier (2014) pourrait avoir des effets tangibles dans l’accompagnement des stagiaires.

4.3 Enjeux de viabilité et de validité des savoirs académiques construits par les stagiaires

Dans quelle mesure cette analyse nous permet-elle d’établir un bilan relatif aux conditions de viabilité et de validité des savoirs de référence construits par ces stagiaires?

Il semble relativement clair que les enjeux de crédibilité ne sont pas toujours en cause dans la plupart des interactions entre enseignant associé et stagiaires, sauf dans un cas où l’enseignant associé a émis un doute important sur la nature de la grille produite, comme en témoigne cet extrait :

CAS 4-R3-P1

[…] mon prof, ce qu’il avait fait pour le travail précédent […] À postériori, après avoir donné le truc (l’évaluation), il avait improvisé une échelle de A à D, avec des notations qui n’avaient pas toutes les mêmes valeurs.

Mais quand mon prof a vu ma grille d’évaluation que j’avais proposée pour le travail, il n’avait jamais vu ça.

[…] je lui ai présenté et en gros il m’a dit, les élèves n’y arriveront jamais, c’est bien trop difficile, c’est bien trop sévère, tu vas être déçue, heu…vraiment, il a vraiment vu ça comme étant extrêmement, comment dire, exigeant. Donc, je l’ai retravaillée un peu, ajusté ma pondération et tout, pis là heu… on n’en est même arrivé au débat de, est-ce qu’on devrait donner plus de points aux compétences ou aux connaissances?

Afin de créer une représentation de cette dynamique, nous avons élaboré une matrice nous permettant de situer les extraits de dialogues rapportés pour obtenir un portrait de la référenciation et des incidents relatifs à la viabilité et à la validité des savoirs de formation incluant les savoirs proposés par l’enseignant associé.

Figure 1

Matrice de scénarisation d’un dialogue rapporté

Matrice de scénarisation d’un dialogue rapporté

-> Voir la liste des figures

L’intelligibilité des solutions apportées semble surtout le fait de stagiaires qui ont pu « convaincre » leurs enseignants associés du bien-fondé des instruments produits. Elle semble à sens unique dans la mesure où réciproquement, plusieurs pratiques des enseignants associés ont semblé incompréhensibles aux stagiaires, voire même en totale contradiction avec leurs propres référents académiques. Ainsi, il semble que les stagiaires aient à plusieurs reprises considéré certaines pratiques comme non crédibles, mais qu’ils les aient adoptées en signe d’allégeance temporaire à une communauté professionnelle générée par les stages.

Sauf dans le cas mentionné ci-haut, la légitimité des savoirs des stagiaires dans la résolution des problèmes nous semble, elle aussi, peu questionnée par les enseignants associés puisque ceux-ci laissent le stagiaire utiliser ses artefacts d’évaluation avec les élèves en situation, même lorsque ceux-ci leur étaient inconnus.

Le portrait qui se dégage de cette démarche exploratoire met pour nous en lumière une problématique de viabilité de certains savoirs enseignés en contexte académique dont les deux communautés devront certainement débattre.

5. Discussion

Dans le cadre de l’accompagnement des stages, le développement et le maintien de l’expertise des personnes qui entourent le stagiaire constituent un enjeu déterminant et cela est évoqué de manière récurrente dans un grand nombre de recherches portant sur les conditions de réalisation de stages en enseignement (Chaliès et al., 2009). La formation continue des tuteurs et des enseignants associés apparaît comme cruciale pour maintenir leur rôle de référent professionnel auprès de la communauté universitaire, de la communauté de pratique, des instances qui délivrent les autorisations d’enseigner et des étudiants eux-mêmes; sans oublier que leur rôle est aussi d’évaluer le développement des compétences professionnelles de l’étudiant en situations (Lepage & Gervais, 2013). C’est pourquoi il s’avère de plus en plus nécessaire de faire bénéficier les intervenants du terrain d’un appui scientifique pour valider et légitimer leur travail d’enseignant et de formateur (Dana & Yendol-Silva; Grisham et al., 2004, cités par Chaliès et al., 2009). L’ensemble de ces constats amène parfois les partenaires à repenser les modalités de la formation pratique (Desbiens, Spallanzini & Borges, 2013). Idéalement, cela signifierait que tous les formateurs puissent être amenés à porter « un regard nouveau sur la théorie » (Chaliès et al., 2009), mais - au-delà - que chacun d’entre eux cherche à « faire le lien entre les différents temps de formation et les temps de pratique professionnelle (Astier, 2006). » (Ibid., p. 101).

Conclusion

Le fait d’enseigner des savoirs en évaluation dans un contexte de professionnalisation ouvre la question cruciale de la validité de ces savoirs au contact du milieu de stage et de leur viabilité dans un processus de développement professionnel promu par un dispositif de formation en alternance.

Cette étude exploratoire a pour but d’expérimenter un cadre conceptuel déjà utilisé dans l’analyse discursive des propos de stagiaires afin de mieux comprendre les processus de reconfiguration des savoirs professionnels et de l’appliquer au développement d’une assessment literacy en évaluation.

Nous avons procédé au recueil d’entretiens de quatre stagiaires suite à leur stage de troisième année en enseignement secondaire après leur avoir demandé de répondre à un questionnaire portant sur 25 savoirs identifiés comme constitutifs de cette assessment literacy en contexte québécois.

Bien que non généralisables, les résultats montrent que l’absence d’explicitation de références académiques dans les pratiques des enseignants associés, leur caractère implicite, voire leur possible déni pourrait entraîner le risque de rendre leurs interventions moins efficaces dans la résolution de problèmes vécus par les stagiaires. L’expression de doute dans le discours de ces derniers nous semble révéler un questionnement quant à l’intelligibilité des gestes évaluatifs observés en classe; cette intelligibilité est pourtant une source d’apprentissage cruciale pour les stagiaires. Quand une relative liberté est laissée aux stagiaires pour mettre en oeuvre des solutions « non traditionnelles », ceux-ci réalisent des régulations de l’action de manière autonome, mais il semble que cela soit davantage vrai pour des actes professionnels qui n’engagent pas directement les élèves, par exemple, l’instrumentation du jugement professionnel. Dans les actes impliquant directement les élèves comme la construction d’examen ou la décision de noter ou pas un travail, les enseignants associés s’impliquent davantage et se montrent parfois moins souples. Le questionnement sur la légitimité des pratiques des enseignants associés par les stagiaires ne semble cependant pas empêcher ces derniers de les imiter ou de s’y conformer. Enfin, la régulation des conceptions des stagiaires grâce à l’apport des enseignants associés semble dépendre de la crédibilité de leurs propos, celle-ci s’appuyant sur une connaissance utile de principes liés à la réalité de la classe; c’est évidemment cet aspect qui constitue la richesse du stage. La validité des savoirs académiques construits par les stagiaires est, quant à elle, rarement remise en cause par les enseignants associés, essentiellement, nous semble-t-il, par manque de références communes, le contenu de leur assessment literacy étant très différent. La viabilité de ces savoirs semble cependant plus difficile à maintenir considérant les pressions que vivent les stagiaires à l’occasion de leurs stages. Le développement de l’assessment literacy des futurs enseignants et des enseignants en exercice contribue au maintien de leur expertise en évaluation (Willis, Addie & Klenowski, 2013). Considérant cela, nous faisons l’hypothèse que la compréhension de ces conditions de validité et de viabilité des savoirs est nécessaire pour entreprendre un travail de réingénierie pédagogique qui tienne compte de paramètres associés aux conditions d’exercice du métier, pour la communauté universitaire et pour la communauté professionnelle qui accueille les stagiaires. Ce n’est donc pas une réingénierie de la formation dite « théorique » qui est au coeur du propos; il s’agit plutôt de questionner les conditions de viabilité de savoirs appris en dehors du contexte professionnel pour mieux comprendre comment les situations de stages mettent en lumière des situations de contradiction (Veillard & Coppé, 2012) qui pourraient servir à problématiser les apprentissages en classe en vue de favoriser leur mobilisation ultérieure en situation (Ibid.). En cela, nous nous inscrivons dans une réflexion plus large de refonte de programmes de formation à l’enseignement qui privilégieraient un modèle d’alternance à la fois plus intégrateur et un rapprochement plus efficace des communautés de formation dans une perspective de collaboration pour la formation.