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Louis Rossetto (1993), ancien éditeur du magazine Wired, a comparé la révolution numérique à la découverte du feu en raison de l’ampleur des changements sociaux qui en découlent.

Dire qu’il a tenu ces propos il y a plus de 20 ans ! Aujourd’hui, les outils de cette révolution font partie de notre quotidien : médias sociaux, livres électroniques, Wikipédia, mégadonnées, blogues, applications mobiles, baladodiffusions, sciences humaines numériques, numérisation de masse, données liées ouvertes et réalité virtuelle. Ils ont profondément changé notre façon de lire, d’apprendre et de nous développer. Ils bouleversent même la façon d’approfondir notre connaissance du monde.

Mais quelles sont les conséquences de cette révolution pour la communauté des bibliothèques ? De quels changements sociaux Rossetto parle-t-il ? Et quelles sont les aptitudes dont les bibliothécaires doivent être dotés pour y répondre adéquatement ?

Les réponses à ces questions peuvent très bien être comparées à la découverte du feu ou, du moins, au geste de Prométhée qui, en dérobant le feu aux dieux pour le donner aux hommes, permit à l’humanité de maîtriser tous les arts et techniques alors connus : la poterie, la métallurgie, la cuisine et tant d’autres.

J’aimerais commencer par poser une prémisse : les bibliothèques ont une occasion extraordinaire d’aider les gens à comprendre et à exploiter les aspects techniques de l’information numérique d’une manière qui peut changer leur vie.

Pour donner un exemple concret, Bibliothèque et Archives Canada (BAC) vient tout juste d’élaborer un plan triennal pour les années 2016-2019. Le plan débute par l’analyse des 12 grandes tendances orientant les activités que propose le document. Sept de ces 12 tendances sont directement liées au monde numérique, comme la connectivité, la production d’applications mobiles et la préservation numérique à long terme.

Penchons-nous sur cette révolution numérique pour tenter d’en saisir la nature. En 2014, 24 millions de Canadiens possédaient un téléphone cellulaire. Ce qui ne veut pas dire que les Canadiens passaient leur temps à se parler ! Quatre-vingts pour cent (80 %) de ces téléphones étaient des téléphones intelligents, utilisés beaucoup plus pour les applications que pour la discussion. Encore que, lorsqu’on lit les bêtises que commettent les gens qui jouent à Pokémon GO, on peut se demander si les téléphones intelligents portent bien leur nom !

Selon la dernière étude de Pew Research (Perrin 2015), 65 % des adultes utilisent désormais des médias sociaux ; un taux qui a décuplé en une seule décennie. Et on ne parle pas seulement des jeunes : 35 % des personnes âgées de 65 ans et plus utilisent un réseau social, contre seulement 2 % en 2005. Ce vaste réseau de connexions redéfinit les bibliothèques.

Le monde de l’édition numérique n’est pas en reste. En 2014, BookNet (2015) a sondé les éditeurs canadiens et découvert que 93 % d’entre eux produisaient des livres électroniques. C’est sans parler des plateformes d’autoédition, comme Kindle Direct Publishing d’Amazon. Celles-ci gagnent en popularité et occupent des parts considérables de marché. Un tiers des maisons d’édition canadiennes offrent maintenant 75 % ou plus de leur fonds en format numérique.

De plus, la circulation des livres électroniques, des livres audio et d’autres médias numériques dans les bibliothèques canadiennes et américaines a augmenté de 33 % en 2014 seulement (OverDrive 2015).

Nous avons également assisté au développement des bibliothèques numériques, notamment Gallica, créée par la Bibliothèque nationale de France. À la fin de 2015, Gallica avait gratuitement donné accès à 3,5 millions de documents : livres, périodiques, cartes, enregistrements sonores, photographies, etc.

Pourtant, les livres imprimés représentent encore environ 80 % des ventes de livres dans le monde. Selon un autre sondage du Pew Research Centre (Rainie, Zickuhr, Purcell, Madden & Brenner 2012), 90 % des lecteurs de livres électroniques lisent encore des livres imprimés ; ces livres que l’on peut déposer sur une étagère, tenir dans nos mains et prêter à nos amis.

Cette situation pose un véritable défi, tout particulièrement aux bibliothèques publiques qui doivent conserver des collections imprimées et numériques.

La révolution numérique a aussi permis à l’information et aux connaissances collectives d’être publiées sur des sites collaboratifs comme Instagram et YouTube. L’information ne se communique plus seulement du haut vers le bas ; elle s’échange de tous bords tous côtés.

Les bibliothèques doivent réagir avec créativité et courage à ce flux constant de données et de ressources. Elles doivent faire preuve de leadership au sein d’un réseau, et non auprès d’une seule personne ou d’une seule organisation.

La Digital Public Library of America (DPLA) en est un bon exemple : elle donne gratuitement accès en ligne à plus de 14 millions de ressources en provenance de bibliothèques, de centres d’archives, de musées et d’universités américaines. Seulement trois ans après sa mise en service, le nombre d’établissements participants est passé de 500 à plus de 2 000. Parmi eux, mentionnons l’Institut Smithsonian, la Bibliothèque publique de Boston, la bibliothèque numérique HathiTrust, la Bibliothèque publique de New York et l’Université Harvard.

Seul un réseau peut donner accès à une telle quantité de contenu numérisé. Le partage de leadership est une des raisons du formidable succès de ce projet. La DPLA a été lancée par six groupes de travail aux États-Unis, et elle continue de progresser grâce à ce travail collectif. Quinze employés seulement en assurent la gestion centrale. C’est tout le contraire d’une structure hiérarchique traditionnelle.

La DPLA redéfinit les concepts de bibliothèque et d’information. Robert Darnton (2013), bibliothécaire émérite de l’Université Harvard et un des principaux porte-parole de la DPLA, décrit l’organisation en ces mots :

Un réseau ouvert et décentralisé de ressources intégrales en ligne qui met à profit le patrimoine vivant préservé dans les bibliothèques, les universités, les centres d’archives et les musées en vue d’instruire et d’informer les générations actuelles et futures, et d’accroître leur autonomie.

Nous traduisons

Instruire, informer et rendre autonome. Il semble que nous avons là les piliers de toute bibliothèque d’envergure.

Comment pouvons-nous alors, dans le contexte de cette révolution, instruire, informer et accroître l’autonomie des gens ? Et comment gérer nos ressources humaines pour y parvenir ?

Nous savons que les bibliothécaires d’aujourd’hui ont besoin d’un nouvel éventail de compétences et de savoir-faire. Bibliothèque et Archives Canada est née de la volonté de créer une organisation formée de bibliothécaires et d’archivistes, au carrefour de deux disciplines.

L’idée était audacieuse à l’époque. Le Canada est toujours le seul pays membre du G20 à s’être doté d’une telle institution nationale fusionnée, conçue pour :

  • rassembler l’expertise et la technologie ;

  • offrir un service intégré dans un monde de plus en plus intégré.

La Belgique, les Pays-Bas et la Nouvelle-Zélande ont récemment tenté de fusionner leurs bibliothèques et archives nationales, sans succès. Singapour l’a fait en 2012 et, jusqu’à présent, il semble bien que le projet soit une réussite.

BAC a eu une occasion exceptionnelle en 2004. Cependant, le mariage de deux cultures aussi différentes n’a pas été facile. Comme le Canada était le premier pays occidental à fusionner ses institutions documentaires (seul l’Iran l’avait fait précédemment), nous n’avions aucun modèle à suivre ; nous avons donc procédé par essai et erreur.

Nous avons peut-être poussé le concept un peu trop loin, tentant de rendre nos bibliothécaires et nos archivistes interchangeables, sans suffisamment tenir compte de leurs savoir-faire respectifs. Cette année, nous avons réorganisé notre secteur des opérations, en tentant d’harmoniser les disciplines plutôt que d’en faire disparaître les traits distinctifs. Nous avons mis sur pied cinq directions générales : Patrimoine publié, Archives privées, Documents gouvernementaux, Services au public et Préservation.

Du point de vue des ressources humaines, le processus décisionnel qui a mené à cette réorganisation a été intéressant. Nous avons consulté les gestionnaires et les directeurs de BAC, rencontré plus de 340 employés (sur 1 000), et reçu plus de 160 courriels du personnel contenant des suggestions et des idées. Nous avons également consulté notre Forum des partenaires, un groupe formé des 12 principales associations professionnelles canadiennes, ainsi que nos comités consultatifs. Nous avons aujourd’hui en place une structure organisationnelle lisible, tant à l’interne qu’à l’externe.

Beaucoup de bibliothécaires et d’archivistes qui travaillent à BAC proviennent de diverses disciplines. Ils sont spécialisés en études canadiennes, en théorie littéraire, en communications publiques, en études du Proche-Orient, en linguistique, en histoire de l’art, et même en études classiques !

De plus en plus, leurs compétences recouvrent les sciences de l’information et la technologie numérique. Les bibliothécaires qui détiennent un diplôme de cycle supérieur en bibliothéconomie et qui se sont aussi spécialisés dans un autre domaine donnent une perspective de recherche inestimable à l’institution. C’est un atout essentiel pour bâtir des collections et offrir des services pertinents aux utilisateurs.

Selon une étude menée récemment par la Faculté de gestion de l’information de l’Universiti Teknologi, en Malaisie (Sa’ari, Johare, Manaf & Baba 2013), les compétences professionnelles des bibliothécaires incluent maintenant des connaissances dans les domaines :

  • des ressources documentaires ;

  • de l’accès à l’information ;

  • de la technologie, de la gestion et de la recherche.

Les bibliothécaires doivent aussi exploiter ce savoir pour fournir des services de bibliothèque et d’information. Par exemple, un des services de pointe à BAC est celui chargé de recueillir l’information sur Internet, notamment les sites Web du gouvernement fédéral. Ce service recueille les collections Web qui traitent de divers sujets, comme le pipeline Keystone, les événements de Fort McMurray et l’attaque sur la Colline du Parlement en 2014. Il offre des conseils stratégiques sur les bibliothèques et les archives numériques au gouvernement du Canada, à la population et aux universitaires. Il s’attaque à des questions telles que la façon de déterminer l’authenticité d’un document numérique. Le service est dirigé par une équipe de bibliothécaires et d’archivistes travaillant de concert dans un milieu fortement axé sur la technologie numérique.

C’est important, car les bibliothèques doivent adapter leurs compétences acquises dans le monde analogique au monde numérique. Elles doivent aussi préparer les bibliothécaires de demain à dénicher ce qui est utile dans une masse d’information !

Les décisions de notre communauté auront une profonde incidence sur les bibliothèques de demain, ne serait-ce qu’à cause du problème posé par la quantité d’information numérique qui est créée. C’est une des raisons pour lesquelles BAC a entrepris, en 2014, une étude afin d’examiner les nouvelles compétences des professionnels de l’information à l’ère numérique[1]. Ce rapport a permis de tirer des conclusions particulièrement intéressantes.

La première est que la transformation numérique n’est pas seulement une question de technologie. Il s’agit davantage d’adapter les modèles d’affaires à ce nouvel environnement.

Bien sûr, certaines compétences sont utiles pour « toutes » les professions du XXIe siècle : la capacité de collaborer, le désir de s’adapter au changement et la volonté d’apprendre de façon continue. Toutefois, les professions exigeront aussi des connaissances spécialisées, en plus de ces compétences universelles. Les compétences requises par le monde numérique sont acquises à partir d’une « logique numérique ».

Je veux dire par là qu’il faut exploiter le potentiel des technologies afin que l’environnement de travail ne soit plus hiérarchisé et que le réseautage et la collaboration se fassent facilement dans l’ensemble des organisations.

Notre succès dépendra de la capacité d’adaptation à la technologie, mais également de la vision, de la stratégie, de la culture organisationnelle et des processus de mise à jour des structures.

Notre façon de travailler au XXIe siècle sera donc très différente de celle à laquelle nous sommes habitués. Le rapport de BAC sur les compétences comprend un cadre de travail pour la transformation numérique fondé sur la notion de « Personnes 2.0 ». Ce cadre de travail est conçu pour toutes les organisations qui tentent de s’adapter aux nouveaux paradigmes technologiques du XXIe siècle. La majorité de ces compétences s’appliquent donc à notre cas.

Prenons, par exemple, la « Collaboration 2.0 ». Elle repose sur une forme d’intelligence collective qui produit un processus décisionnel créatif et novateur, axé sur les interactions, à tous les échelons de l’organisation. Le temps des tours d’ivoire est révolu.

Le rapport aborde également la question des « RH 2.0 » portant sur le recrutement numérique, lequel nous permet de joindre, en temps réel, un plus vaste bassin de talents au moyen de sites de réseautage social comme LinkedIn et Twitter.

Nous vivons dans un monde nouveau, avec de nouveaux modèles pour attirer des employés, les garder et les former. Mentionnons l’apprentissage entre pairs et la formation en ligne, le mentorat et l’accompagnement, le suivi des objectifs, la rétroaction en temps réel et la reconnaissance des réalisations.

Enfin, il y a la notion de « Gestion 2.0 ». La gestion à l’ère numérique est fondée sur la transparence, l’écoute active, la confiance dans la sagesse de l’équipe, la reconnaissance lorsqu’elle est méritée et la volonté d’essayer des idées novatrices.

Tout cela est complexe et nécessite une vision différente de l’avenir. Une vision qu’incarnent les bibliothèques, les centres d’archives et les autres organisations de mémoire partout dans le monde.

Prenons, par exemple, la National Archives and Records Administration (U. S. NARA) des États-Unis. Son plan stratégique pour 2014-2018 comprend un « engagement à offrir à tous les employés la formation et les occasions nécessaires pour effectuer une transition réussie vers un environnement numérique » (U. S. NARA 2014, 15, nous traduisons).

Voici un extrait de cette stratégie :

Nous avons l’occasion de grandir, de trouver de nouvelles façons de soutenir notre personnel, de mieux effectuer notre travail, d’être plus avisés dans nos décisions et plus audacieux dans notre engagement à être des chefs de file en archivistique et en bibliothéconomie afin de nous assurer que les archives demeurent pertinentes et florissantes à long terme dans une société numérique.

U. S. NARA 2014, 15, nous traduisons

Voilà qui est inspirant.

Dans mon propre milieu de travail, à BAC, nous préparons également une nouvelle vision de la gestion des ressources humaines. Par exemple, c’est en raison d’un besoin d’échange de savoir-faire, de connaissances et de technologies que nous avons conclu l’an dernier des ententes avec l’Université d’Ottawa et l’Université Dalhousie. Ce sont les premières ententes de ce genre conclues par BAC avec des universités canadiennes qui souhaitent partager leurs savoir-faire avec nous.

Grâce à ces partenariats, BAC et les établissements universitaires sont maintenant à la fine pointe de la bibliothéconomie et de l’archivistique. Grâce à eux, les chercheurs et les étudiants des cycles supérieurs auront un meilleur accès aux ressources et aux employés de BAC, ce qui les aidera dans leurs travaux, particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Thomas Jefferson a dit un jour que le savoir appartenait à toute l’humanité. Tout bibliothécaire n’aspire qu’à réaliser cet idéal. Les bibliothécaires consacrent le plus clair de leur vie professionnelle à rendre le savoir collectif accessible à tous. Autrefois, ils trouvaient, recommandaient et prêtaient le livre le plus pertinent.

Les choix faits par les bibliothécaires étaient assez simples. Les bibliothèques nationales conservaient des exemplaires de toutes les publications des maisons d’édition – livres, journaux et revues spécialisées. Elles mettaient de côté tout ce qui était édité à compte d’auteur, jugeant ces ouvrages sans intérêt. Après tout, si les maisons d’édition n’en voulaient pas, pourquoi les bibliothèques nationales en voudraient-elles ?

Mais les choses ne sont plus si simples. Aujourd’hui, le nombre d’ouvrages publiés double tous les deux ans. On voit apparaître de nouvelles discussions sur Twitter et Facebook, ce qui crée des échanges culturels libres et en temps réel. Beaucoup de publications – comme mon quotidien La Presse, The Christian Science Monitor et une gamme de revues scientifiques – ne sont plus accessibles qu’en format numérique.

Pour assurer leur pertinence, les bibliothèques doivent composer avec cette nouvelle réalité, et même prendre les devants. Nous devons comprendre les « sources numériques » de la même façon que nous comprenions les sources physiques ; car c’est là que se trouve l’information : dans les revues spécialisées, les projets de recherche, les mégadonnées, les données scientifiques, les bases de données, les blogues, les baladodiffusions, etc.

Les utilisateurs ont encore besoin d’aide pour trouver les bons renseignements. Ils ont besoin de bibliothécaires qui comprennent les rouages d’Internet et connaissent les ressources qui s’y trouvent, de bibliothécaires qui facilitent la recherche en créant de bons outils.

Par exemple, en mars dernier, le Réseau canadien de documentation pour la recherche a lancé l’Index des projets de numérisation du patrimoine canadien[2]. Cet index regroupe les collections numériques du Canada et crée une liste à jour de tous les projets de numérisation en cours au pays. C’est le premier outil de ce genre au Canada.

L’Index est un de ces services qui existent grâce à la concertation des efforts des bibliothèques, des centres d’archives et d’autres institutions de mémoire qui ont décidé de créer un produit que veulent les utilisateurs. Je suis fier de dire que le projet a été financé en partie par le Programme pour les collectivités du patrimoine documentaire de Bibliothèque et Archives Canada.

Je mentionne ces exemples, car il subsiste une crainte voulant que la technologie nous dérobe de notre capacité de penser, d’apprendre ou de mémoriser. Vous souvenez-vous de cet article de Nicholas Carr publié dans The Atlantic en 2010, « Is Google making us stupid ? » Cet article a été suivi d’un livre intitulé The Shallows : What the Internet is Doing to our Brains. Il affirmait qu’Internet réduisait notre capacité de concentration et de réflexion. Il ajoutait que le Web, en permettant de parcourir des tonnes d’information, nuisait à notre capacité de faire des lectures et de mener des réflexions approfondies.

Nous pouvons parcourir l’information, lire en diagonale et surfer, mais le prix à payer peut être exorbitant : celui de notre propre intelligence. Le Socrate de Platon témoignait, dans Phèdre, de craintes semblables à l’égard de l’émergence de l’écrit par rapport à la tradition orale, notamment la crainte que nous devenions moins humains, plus mécaniques, et que les écrits soient moins authentiques et vrais que l’oralité.

Le New Literacies Research Lab de l’Université du Connecticut[3] est l’un des centres les plus respectés du monde pour ses études sur la nouvelle littératie de la recherche en ligne et sur les aptitudes d’apprentissage qu’exigent Internet et les autres technologies. Ses membres ont analysé la façon dont les gens lisent en ligne et dans les livres.

Les résultats valent la peine d’être consultés, particulièrement par les bibliothécaires. Ils révèlent que les lecteurs en ligne ont tendance à effectuer des recherches à partir d’une question dans le but d’y trouver une réponse. Ceux-ci jugent et évaluent les sources et les renseignements qu’ils trouvent, se forgent une réponse à partir de différentes sources et partagent souvent leurs connaissances dans des blogues et des articles.

Les lecteurs de livres n’ont pas la même tendance à s’interroger. Ils sondent plutôt les index et les tables des matières, et ils font confiance aux livres dans lesquels l’information a déjà été organisée et synthétisée pour eux. Ils sont également moins portés à interagir avec d’autres lecteurs de livres. Ces deux méthodes font appel à des aptitudes différentes.

Nous avons sans doute besoin des deux profils afin d’être pleinement alphabétisés et aptes à fonctionner efficacement dans un monde numérique. Les bibliothèques continuent d’offrir des lieux de consultation physiques, en plus de leurs ressources en ligne.

Si, à titre de bibliothécaires et de professionnels de l’information, nous comprenons comment nos utilisateurs réfléchissent et apprennent, nous saurons comment maintenir une offre de services qui leur est utile. Nous ne changerons pas le fait que la plupart des gens se tournent d’abord vers Google pour obtenir des renseignements. C’est la nouvelle réalité. « Ce qui n’est pas en ligne n’existe pas. »

Cependant, nous pouvons élargir notre rôle et notre importance dans cet environnement. En comprenant un tant soit peu le fonctionnement des technologies, nous pourrons commencer à les adapter pour qu’elles répondent à nos besoins, plutôt que l’inverse.

L’objectif pour les bibliothécaires du XXIe siècle est donc de faciliter l’accès à l’information. Les paradigmes ont changé. Les bibliothécaires se trouvent maintenant en situation d’écoute et d’observation, cherchant la meilleure façon d’aider. Qu’est-ce que cela signifie ?

Beaucoup a été publié à propos des aptitudes dites « générales », comme la capacité de voir la situation dans son ensemble, de communiquer, de travailler en équipe, d’avoir une pensée critique et de s’engager sur le chemin de l’apprentissage continu. Nous devons aussi posséder les aptitudes professionnelles qui sont déjà associées au travail en bibliothèques, celles qui sont propres à la discipline.

À présent, cependant, un troisième élément doit être pris en compte. Celui-ci exige la compréhension des technologies de l’information, allant de l’archivage à la conservation numérique, en passant par la gestion de contenu et de bases de données. Sentez-vous la chaleur des braises du feu de Prométhée ?

Ce que cela signifie est que nous devons maintenant aider les utilisateurs à trouver les renseignements numériques dont ils ont besoin, comme nous l’avons toujours fait avec les renseignements analogiques. Peut-être devons-nous, pour bien y parvenir, fusionner les mondes physique et virtuel.

Les bibliothèques d’aujourd’hui sont devenues des centres d’information modernes, où les gens se rendent pour se renseigner, mais également pour se rencontrer, prendre un café, interroger des bases de données, produire une vidéo, tuer le temps, acquérir de nouvelles aptitudes, travailler seuls ou en équipe, visiter une exposition ou obtenir des connaissances de pointe.

Permettez-moi d’ouvrir ici une parenthèse : je trouve fascinant de constater que l’endroit préféré de nombreux étudiants dans les bibliothèques universitaires est la salle de lecture – la salle dont les murs sont recouverts de livres. De livres qu’ils n’emprunteront probablement jamais.

Peut-être qu’à cet endroit, alors qu’ils consultent leurs tablettes et leurs téléphones intelligents, ils se sentent enveloppés par l’histoire et ils y trouvent leur place. C’est un lieu où ils reconnaissent l’existence du passé et où ils se préparent pour l’avenir. Cela signifie peut-être que nous devons placer des bibliothécaires traditionnels près d’experts en informatique au bureau de service. Au minimum, ils devront travailler ensemble.

D’une certaine façon, les besoins qui étaient comblés par les anciens centres d’information ne sont pas si différents des besoins d’aujourd’hui, même si les apparences ont bien changé.

L’Information Commons de l’Université Loyola[4], à Chicago, constitue une étude de cas intéressante. Il s’agit d’un projet de coopération entre les bibliothèques de l’université et les services de TI. Les bibliothèques offrent de l’aide à la recherche, des ressources documentaires et des formations à l’utilisation de l’information, tandis que le groupe de TI fournit le matériel, les logiciels, la formation technologique, le soutien à l’utilisateur ainsi que des infrastructures sans fil et un réseau. Ce nouveau modèle connaît beaucoup de succès, notamment parce qu’il tient compte de l’importance de fusionner les différentes aptitudes et compétences, et de les mettre côte à côte.

C’est ici que la gestion des RH peut faire une grande différence. En recrutant des bibliothécaires et d’autres professionnels ; en rassemblant les professionnels plus âgés et les plus jeunes ; en veillant à ce que le savoir soit transmis d’une génération à l’autre ; en aidant à trouver un langage que nous comprenons tous, que nous soyons bibliothécaires, archivistes, programmeurs, ingénieurs en logiciels ou experts en technologies.

Voici une anecdote qui illustre bien ce que j’avance. L’une des principales spécialistes des archives au sein de la Division des manuscrits de la Bibliothèque du Congrès détient une maîtrise traditionnelle en bibliothéconomie. Cependant, comme le souligne un blogue récent de la Bibliothèque du Congrès, elle est tout aussi à l’aise avec les signatures de fichiers et les éditeurs hexadécimaux qu’avec les documents imprimés. Elle a acquis ces connaissances dans sa vie professionnelle, après des années passées à récupérer du contenu numérique d’ordinateurs défectueux, de fichiers problématiques et de supports de données instables.

Comment nous assurer que ces connaissances seront intégrées aux programmes d’études plutôt que laissées au hasard de la méthode essai-erreur ? Et comment pouvons-nous veiller à ce que les connaissances acquises par expérience soient communiquées à ceux qui élaborent les programmes académiques ? Voilà qui donne matière à réflexion.

L’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC) a publié l’an passé un rapport sur la planification des ressources humaines dans les bibliothèques du XXIe siècle. Il est intéressant de souligner que, bien qu’elle reconnaisse la nécessité d’acquérir de nouvelles compétences, tant spécialisées que générales, l’ABRC indique que le rôle principal des bibliothécaires demeure le même : réunir les chercheurs et les sources d’information.

Je me répète, mais je crois que cela mérite d’être dit et redit. L’ABRC a ciblé la formation du personnel comme l’un des principaux défis de la gestion des ressources humaines, plus encore que les questions liées aux retraites, aux contraintes budgétaires ou à la recherche de personnel qualifié. Ce n’est pas parce que les bibliothécaires sont réticents à acquérir de nouvelles compétences, comme la bibliométrie, les systèmes d’information géographique, l’apprentissage en ligne ou la numérisation. En fait, ces compétences sont de plus en plus souvent enseignées à l’université ou au travail.

Ce qui se dégage de cette étude est le besoin de formation continue, car dans le monde nouveau de l’information, le changement est la norme. L’information et la façon dont on y accède sont en constante évolution. Si nous souhaitons rester à jour, nous devons comprendre l’information au fur et à mesure de ses transformations.

Nous devons nous adapter rapidement et prendre des décisions sans tarder. Nous devons aussi trouver la meilleure façon de former les gens pour qu’ils soient en mesure de suivre le rythme.

Par exemple, la formation peut prendre la forme d’ateliers théoriques ou pratiques, de cours en ligne, de séances de jumelage ou d’observation entre employés, d’autoapprentissage ou encore de perfectionnement personnel.

La façon de perfectionner nos compétences est à l’image du monde dans lequel elles seront appliquées : grandement déstructurée et moins dépendante des sources d’autorité et des connaissances traditionnelles. Jusqu’à un certain point, les bibliothécaires ont le fardeau de développer et d’acquérir de nouvelles connaissances, comme l’expertise judiciaire en informatique, les concepts de jeux ou encore une certaine compréhension des vocabulaires contrôlés.

Nous pouvons certainement éviter que cet apprentissage se fasse de manière aléatoire.

Ce qui m’amène à Archives au Canada : un nouveau plan directeur (2015), une stratégie pour l’avenir préparée par le Groupe de travail sur le système archivistique canadien. Au printemps 2016, le Comité directeur des archives du Canada a été créé. L’un de ses objectifs principaux était de créer des groupes de travail multidisciplinaires chargés d’établir des moyens de mettre en oeuvre les priorités énoncées dans la stratégie.

Le tout premier groupe, dirigé par l’Association canadienne des archivistes, s’attaquera au perfectionnement des effectifs. L’une de ses préoccupations sera d’examiner, d’une part, les liens entre les programmes de formation en archivistique offerts dans les universités et les collèges, et, d’autre part, les défis auxquels sont confrontés les praticiens en milieu de travail. Les participants mettront à profit les travaux entrepris dans le système archivistique canadien au cours des dernières années. Une démarche semblable pourrait être utile pour la communauté des bibliothèques.

En effet, toutes les organisations, y compris la fonction publique du Canada, doivent surmonter les mêmes difficultés en matière de ressources humaines. D’ailleurs, la fonction publique s’y attarde dans Destination 2020 (Gouvernement du Canada, Greffier du Conseil privé 2015).

Les fonctionnaires canadiens ont souligné la nécessité d’améliorer les processus de recrutement, de les rendre plus adaptables pour qu’ils répondent plus rapidement aux priorités changeantes. Ils veulent des outils pour renforcer leurs compétences et perfectionner leurs aptitudes ; ils recherchent un milieu de travail flexible, favorisant un effectif souple capable d’assurer un rendement exemplaire. Ils veulent le type de mobilité qui favorise l’innovation et le perfectionnement, ainsi qu’un processus de recrutement qui est ancré dans un environnement ouvert et qui est axé sur le réseautage.

Les fonctionnaires souhaitent également rehausser leurs aptitudes par des expériences d’apprentissage de qualité, apprendre des meilleurs et apprendre les uns des autres. Ils veulent en outre avoir accès à des possibilités d’apprentissage à l’endroit et au moment qui leur conviennent le mieux. Je suis convaincu que nous pouvons tirer de tout cela des leçons à partager et à mettre à exécution, peu importe où nous travaillons.

À BAC, nous occupons une place de choix pour observer le changement dans la façon dont les gens obtiennent de l’information.

Notre site Web reçoit 90 millions de visites par mois. Nous avons mis 25 millions d’images numériques en ligne. Notre blogue est visité 11 000 fois par mois. Notre site Flickr reçoit quant à lui 225 000 visites mensuelles.

Nous sommes en plein coeur du projet de numérisation le plus ambitieux de notre histoire. Nous numérisons les dossiers de service de 640 000 membres du Corps expéditionnaire canadien qui ont pris part à la Première Guerre mondiale. Plus de 300 000 dossiers sont maintenant accessibles sur Internet et nous espérons rendre les 640 000 dossiers accessibles avant le centenaire de l’Armistice, le 11 novembre 2018.

Je suis ravi de ces chiffres, car ils démontrent que nos renseignements se trouvent là où le public veut les utiliser et qu’ils sont facilement accessibles.

D’ailleurs, dans le cadre d’un sondage réalisé tout récemment, 54 % de nos utilisateurs ont indiqué que l’accessibilité était leur principale priorité, et ce, devant la préservation et l’acquisition. Nous les avons écoutés. Nous avons fait de l’accès l’objectif premier de notre plan triennal.

Parce qu’en tant que bibliothèque, nous comprenons probablement mieux que quiconque les répercussions de la révolution numérique sur l’accès à l’information.

J’ai commencé mon allocution en affirmant que les bibliothèques avaient une occasion extraordinaire d’aider les gens à comprendre et à exploiter les aspects techniques de l’information numérique d’une manière qui peut changer leur vie.

Je le crois sincèrement.

Car nous demeurons les gardiens de l’accès à l’information universelle. Dans un monde axé sur l’information, l’accès peut faire la différence entre un salaire décent et la pauvreté, l’acceptation et la marginalisation, la santé et la maladie, la connaissance et l’ignorance, l’espoir et le désespoir, voire entre la vie et la mort.

Les bibliothèques sont essentielles à notre croissance en tant que peuple, en tant que nation, en tant que monde. Elles sont un bien public, présentes à chaque palier de notre société.

Il est essentiel de faire des choix pragmatiques et éclairés. Nous ne pouvons pas prévoir tous les changements qui surviendront ni la façon dont les gens s’adapteront. Et nous ne pouvons pas adopter chacune des nouvelles technologies dès qu’elles deviennent disponibles.

La façon dont nous gérerons nos précieuses ressources humaines sera donc la clé de notre succès.

Et c’est un succès dont Prométhée pourra être fier !