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Introduction

Depuis le début des années 2000, le milieu scolaire québécois accueille de plus en plus d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) dans les classes ordinaires. Cette augmentation du nombre d’élèves HDAA s’explique, entre autres éléments, par le nombre important d’élèves ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA)[1] dans les écoles du Québec, croissance estimée à 26 % par année (Noiseux, 2012). Pour l’année scolaire 2009-2010, près de 41 % des élèves présentant un TSA fréquentaient une classe ordinaire (Noiseux, 2012). Le TSA se caractérise par des altérations dans la qualité de la communication et des interactions sociales ainsi que par des comportements, des activités ou des intérêts restreints, stéréotypés et répétitifs (APA, 2013). En moyenne, aux États-Unis, la prévalence de ce trouble chez les enfants de 8 ans atteindrait un enfant sur soixante-huit (CDC, 2014). Les profils cognitifs et comportementaux de ces enfants sont variés et plusieurs d’entre eux présentent également d’autres difficultés telles que des particularités sensorielles, alimentaires ou des difficultés de sommeil (Abouzeid, 2013; Rogé, 2008; Schwarts, Sandall, McBride et Boulware, 2004; Simpson, Boer-Ott et Smith-Myles, 2003). Plusieurs troubles peuvent également être comorbides avec le TSA : trouble anxieux, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, trouble de l’humeur, trouble du comportement, trouble spécifique du langage, dyspraxie, syndrome Gilles de la Tourette et déficience intellectuelle (Abouzeid, 2013; Gurney, McPheeters et Davis, 2006; Joshi et al., 2010; Matson et Nebel-Scwalm, 2007). Il est donc clair qu’intégrer un enfant présentant un TSA en classe ordinaire est un défi pour le milieu scolaire et les parents.

Dans ce contexte, plusieurs personnes jouent un rôle important dans l’éducation de l’enfant présentant un TSA. À ce propos, plusieurs études indiquent que l’implication des parents constitue un élément clé du succès éducatif des enfants présentant des besoins particuliers qui sont intégrés dans une classe ordinaire (Turnbull, Turnbull, Erwin et Soodak, 2006). Or, à notre connaissance, aucune étude québécoise n’a porté spécifiquement sur cette question. Ce manque de données semble particulièrement problématique dans le contexte où le Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS, 2010) reconnaît que le rôle des parents est essentiel dans l’intégration scolaire de leur enfant, mais que les pratiques du milieu scolaire ne vont pas dans ce sens. Bien que l’implication des parents joue un rôle essentiel, les recherches rapportent également que les mères s’impliquent différemment des pères auprès de leur enfant (Granger, 2011; Sabourin, 2013; Stoner et Angell, 2006; Tehee, Honan et Hevey, 2009). Par exemple, les mères s’occuperaient davantage des tâches reliées à l’éducation de leur enfant (Tehee et al., 2009). Il apparaît donc important de connaître la façon dont les mères québécoises s’impliquent dans l’intégration scolaire en classe ordinaire de leur enfant ayant un TSA. Cette démarche permettra d’identifier les formes d’implication adoptées par les mères pour faciliter le processus d’intégration de leur enfant. Il sera ainsi possible de mieux comprendre leur rôle et leur attente face à l’intégration scolaire de leur enfant.

Contexte théorique

Scolarisation en classe ordinaire des enfants présentant un TSA

Au Québec, la politique de l’adaptation scolaire mise en vigueur en 1999 stipule que tous les enfants, incluant les élèves présentant un TSA, ont droit à la réussite éducative (MEQ, 1999). Parallèlement, le ministère de l’Éducation propose également un système d’organisation des mesures d’enseignement en cascade qui met en avant que l’enfant présentant des besoins particuliers doit bénéficier du cadre d’apprentissage le plus normalisant possible, la classe ordinaire, vers le plus spécialisé, l’enseignement en centre d’accueil ou en milieu hospitalier, selon ses besoins (COPEX, 1976). Selon cette politique, les milieux scolaires doivent adapter leur environnement pour permettre autant que possible d’intégrer les enfants avec des besoins particuliers. Ce système implique également qu’avant d’être redirigé vers un milieu plus spécialisé, le milieu scolaire doit avoir mis en place des mesures pour tenter de pallier les difficultés de l’enfant (Boutin et Bessette, 2009). À ce sujet, le milieu scolaire peut offrir des services et des adaptations diversifiés pour répondre aux besoins de l’enfant, ceux-ci pouvant passer des services et de l’accompagnement supplémentaires (par exemple : technicienne en éducation spécialisée, orthopédagogue, psychoéducatrice, psychologue) à l’adaptation de l’environnement scolaire (par exemple : structure visuelle, classe plus petite, ratio enseignante/élève plus petit). Dans ce contexte, c’est à la direction d’école de fournir les services et les ressources nécessaires pour le personnel scolaire. Le système d’éducation québécois donne aux commissions scolaires et aux directions d’école le pouvoir de prendre les décisions relatives au budget pour l’attribution des services (MELS, 2007). Toutefois, à notre connaissance, peu de documents facilement accessibles ou fournis par la commission scolaire informent les parents de leur pouvoir quant au choix du mode de scolarisation de leur enfant ou de leur droit en contexte d’intégration scolaire. Dans les faits, l’école doit avoir le consentement des parents par le biais du plan d’intervention pour que leur enfant fréquente une classe ou une école spécialisée (MEQ, 2004; MELS, 2007). Un autre point important à mentionner est que les parents québécois d’enfants présentant un TSA semblent souvent insatisfaits des services offerts par le milieu scolaire ordinaire (Protecteur du Citoyen, 2009).

Implication parentale dans le milieu scolaire

La section qui suit présente les principaux écrits qui ont porté sur l’implication des parents en contexte d’intégration scolaire de leur enfant présentant des besoins particuliers dont aucune de ces recherches n’a été réalisée auprès des parents québécois, père ou mère, qui ont un enfant présentant un TSA intégré en classe ordinaire. Bien que ces écrits ne tiennent pas compte exclusivement de la perception des mères, et qu’ils s’inscrivent dans un contexte différent des politiques sociales québécoises, ils renseignent sur les enjeux qui peuvent être présents lorsqu’un enfant présentant un TSA est intégré en classe ordinaire. Cette spécification géographique est essentielle puisque chaque pays ou chaque province a ses propres politiques en ce qui concerne l’éducation des personnes qui ont des besoins particuliers.

À ce jour, les recherches sont unanimes quant à l’importance de l’implication des parents dans l’éducation de leur enfant ayant un TSA afin de favoriser l’évolution positive de ce dernier dans le milieu scolaire (Benson, Karlof et Siperstein, 2008; Ivey, 2004; Starr et Foy, 2001; Stoner, Bock, Thompson, Angell, Heyl et Crowley, 2005; Turnbull et al., 2006). Pourtant, il arrive fréquemment que les parents soient exclus des décisions concernant le choix des services et des interventions à prioriser pour leur enfant (Benson et al., 2008; Ivey, 2004; Starr et Foy, 2001; Stoner et al., 2005). Il est donc possible de croire que les mères québécoises sont insatisfaites des services offerts par le milieu scolaire (Protecteur du Citoyen, 2009) parce qu’elles se sentent exclues des décisions prises pour leur enfant dans le milieu scolaire.

Plusieurs études montrent que la satisfaction des parents envers le système d’éducation a une influence sur leur degré d’implication (Blue-Bannin, Summers, Frankland, Nelson et Beegle, 2004; Stoner et Angell, 2006; Zablotsky, Boswell et Smith, 2012). En effet, les parents ayant la possibilité de s’impliquer auprès du personnel scolaire dans la prise de décision concernant les services ou les interventions offertes à leur enfant seraient plus satisfaits du processus d’intégration de celui-ci (Renty et Roeyers, 2006). Dans le même ordre d’idée, l’étude de Zablotsky et ses collègues (2012) fait ressortir que les parents les moins satisfaits de l’intégration de leur enfant s’investiraient moins dans l’éducation de ce dernier. Engelbrecht et ses collaborateurs (2005) mettent quant à eux en évidence que les parents d’enfants fréquentant une école où les intervenantes[2] adaptent leur intervention aux besoins de celui-ci ressentent moins l’obligation de s’investir dans l’ensemble des décisions prises par le personnel scolaire. Le degré d’implication des parents est également influencé par la présence de soutien social. À cet effet, l’étude de Benson et ses collègues (2008) souligne que les mères qui reçoivent du soutien social de la part de leur famille et de l’école de leur enfant sont plus impliquées, car elles ont davantage de possibilités d’assister aux diverses rencontres avec les membres de l’équipe-école. Ces résultats précisent également que la qualité des connaissances et des compétences du personnel scolaire influencent l’implication des parents en contexte d’intégration scolaire.

De nombreuses études confirment également la nécessité de considérer l’expertise des parents concernant les besoins et les particularités de leur enfant qui présente un TSA afin de s’assurer que ce dernier reçoit tous les services nécessaires à son intégration et à sa réussite scolaire (Eldar, Talmor, et Wolf-Zukerman, 2010; Lynch et Irvine, 2009; Starr et Foy, 2001). À cet effet, deux études font ressortir que les parents aimeraient pouvoir prendre des décisions lors des rencontres de plan d’intervention, au même titre que le personnel scolaire présent (Lake et Billingsley, 2000; Stoner et al., 2005). En effet, la connaissance qu’ont les parents de leur enfant offre aux membres de l’équipe-école une perspective plus complète de l’enfant s’assurant ainsi de répondre à tous ses besoins (Brewin, Karlof et Siperstein, 2008; Starr et Foy, 2001). Ces résultats mettent en évidence l’importance pour le milieu scolaire d’adapter ses pratiques afin d’optimiser l’implication parentale dans le but de partager ses connaissances sur les besoins, les forces et les difficultés de l’enfant.

Formes d’implications parentales lors de l’intégration scolaire d’un enfant présentant un TSA

Quelques études ont investigué les différentes formes que peut prendre l’implication parentale lorsqu’un enfant présentant un TSA est intégré en classe ordinaire (An et Hodge, 2013; Brown, Ouellette-Kuntz, Hunter, Kelley et Cobigo, 2012; Defur, Todd-Allen et Getzel, 2001; Fish, 2006; Hartas, 2008; Lake et Billingsley, 2000; Philip, 2009; Smith, 2001; Starr, Foy, Cramer et Singh, 2006; Stoner et Angell, 2006; Stoner et al., 2005; Stoner, Angell, House et Bock, 2007; Turnbull, Turnbull, Erwin et Soodak, 2006). À notre connaissance, aucune étude de ce type n’a été réalisée au Québec. Pourtant, il est pertinent de comprendre comment les mères québécoises s’impliquent afin de mieux saisir leurs attentes à l’égard du milieu scolaire et de mieux comprendre leur appréciation des services offerts. Par exemple, une mère qui s’implique activement pour former le personnel considère peut-être que ce dernier ne possède pas suffisamment de connaissances. Les conclusions de ces études permettent néanmoins de faire ressortir trois formes d’implication qui reviennent de manière récurrente dans la littérature : (a) la revendication, (b) la surveillance et (c) le soutien et la formation.

Certaines études précisent que l’implication des parents lors des rencontres de plan d’intervention (PI), lors des discussions avec les membres de l’équipe-école et lors de la présentation des rapports expliquant la condition de leur enfant leur permettent de devenir les représentants de celui-ci en exprimant leurs besoins et en réclamant au personnel scolaire les services répondant aux besoins de leur enfant (An et Hodge, 2013; Fish, 2006; Hartas, 2008; Spann, Kohler et Soenksen, 2003; Stoner et Angell, 2006; Stoner et al., 2005). Plus spécifiquement, les rencontres de PI sont importantes pour les parents qui considèrent ce moment comme un temps où le personnel, ainsi qu’eux-mêmes, peuvent exprimer les besoins et les stratégies pour favoriser le développement de l’enfant (Fish, 2006; Philip, 2009; Turnbull et al., 2006; Smith, 2001). D’ailleurs, les parents seraient plus satisfaits de l’intégration scolaire de leur enfant s’ils pouvaient prendre des décisions lors de l’élaboration du plan d’intervention (PI) (Starr et al., 2006). En revanche, le manque d’information sur le fonctionnement de la réunion, l’utilisation d’un vocabulaire professionnel et l’incompréhension du rôle de chaque professionnel font que les parents peuvent être découragés à la suite de ces rencontres (Smith, 2001). Ainsi, dans l’étude de Spann et ses collègues (2003), seulement 33 % des parents considèrent avoir pu participer de façon active au PI et avoir acquis un pouvoir décisionnel sur l’éducation de leur enfant. Par ailleurs, avant même la scolarisation de leur enfant, de nombreux parents disent avoir été « échaudés » par le système public, particulièrement lors des rencontres d’évaluation diagnostique (Stoner et al., 2005). Pour ces raisons, plusieurs parents présentent d’emblée une attitude de revendication pour s’assurer que leur enfant reçoive l’aide nécessaire.

La littérature scientifique mentionne l’importance que les parents accordent à la qualité et au contenu du programme offert à leur enfant. Certains parents, par l’entremise des comportements de l’enfant, d’observations dans la classe ou de communications informelles avec le personnel, surveillent l’évolution de leur enfant pour s’assurer que les moyens ciblés lors du PI sont réellement mis en place (Benson et al., 2008; Hartas, 2008; Stoner et al., 2007). Toutefois, en ce qui concerne les communications informelles entre le personnel du milieu scolaire et les parents, plusieurs études rapportent qu’elles sont une source d’insatisfaction importante pour ces derniers (Defur et al., 2001; Lake et Billingsley, 2000). En effet, selon Ivey, (2004), moins de la moitié des parents aurait des échanges quotidiens avec le personnel. À ce sujet, les parents d’enfant présentant un TSA seraient encore plus insatisfaits que les parents d’enfant présentant un autre type de problème problématique (Zablotsky et al., 2012). Il est clair que dans une telle situation, la collaboration entre l’école et les parents n’est pas optimale. Une autre source de frustration pour ces parents est lorsqu’ils constatent que les moyens et les adaptations ne sont pas mis en place et qu’ils sont impuissants face à cette situation (Fish, 2006). En somme, lorsque les parents sont insatisfaits de l’intégration scolaire de leur enfant, ils ont tendance à s’impliquer particulièrement pour revendiquer les services nécessaires et pour surveiller l’application des mesures prescrites au PI.

Plusieurs études soulignent que les parents qui sont satisfaits de l’attitude des enseignantes à l’égard de leur enfant ont tendance à s’impliquer auprès de ceux-ci en leur apportant du soutien pour les interventions à faire avec leur enfant (An et Hodge, 2013; Brown et al., 2012; Hartas, 2008; Stoner et Angell, 2006). Le soutien offert peut varier, passant du soutien direct (par exemple : fourniture de matériel, aide pour les interventions ou transmission de l’information aux différents professionnels) à un soutien indirect (par exemple : continuité des interventions à la maison). Stoner et ses collaborateurs (2007) soulignent également que les parents vont souvent préparer l’enfant à l’entrée à l’école pour faciliter le travail de transition, ce qui rend le premier contact entre l’enfant et l’enseignante plus agréable. L’étude de Stoner et al. (2005) rapporte que les parents vont s’impliquer dans la recherche d’informations et l’autoformation sur le TSA par l’intermédiaire d’Internet, de séminaires et de lectures pour pouvoir réclamer les services répondant aux besoins de leur enfant, mais également pour pouvoir fournir de l’information à jour au personnel scolaire. À cet effet, deux études mettent en évidence le fait que les parents ont trouvé difficile la perte des services intensifs offerts alors que leur enfant faisait son entrée à la maternelle (par exemple : l’intervention comportementale intensive), car ces services leur avaient permis d’avoir accès rapidement à de l’information valide en raison des contacts quotidiens et du soutien des intervenantes (Brown et al., 2012; Granger, 2011).

À ce jour, la littérature nous indique que les parents modulent leur implication en fonction des conditions d’intégration de leur enfant. Or, les conclusions des diverses recherches sont parfois contradictoires. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer ces divergences. L’apport culturel, les caractéristiques personnelles des parents, l’acceptation par la société du trouble du spectre de l’autisme, jouent probablement un rôle important dans la perception des parents. Une autre piste qui peut être avancée concerne les différences entre les divers systèmes d’éducation, car, en effet, chaque pays ou même chaque province possède sa propre structure législative en ce qui concerne l’intégration des enfants avec des besoins particuliers, dont font partie les enfants présentant un TSA. Ainsi, il est possible que les services offerts par le milieu scolaire varient d’un pays ou d’une province à l’autre. Il est donc important de documenter le point de vue des parents québécois, ici des mères, sur leur implication dans l’intégration scolaire de leur enfant.

Objectif de l’étude

La littérature met en avant que l’implication des parents est un élément clé pour l’évolution de l’enfant présentant un TSA en contexte d’intégration scolaire en classe ordinaire (Benson et al., 2008; Ivey, 2004; Starr et Foy, 2001; Stoner et al., 2005; Turnbull et al., 2006). À la lumière des résultats des recherches effectuées jusqu’à maintenant, il apparaît important de mieux documenter les diverses formes d’implications adoptées par les mères québécoises lors de l’intégration scolaire de leur enfant présentant un TSA. Cette démarche permettrait de mieux comprendre le rôle joué et le rôle souhaité par les mères québécoises ainsi que leur appréciation des services rendus par le milieu scolaire en contexte d’intégration en classe ordinaire. Il sera également possible de mieux cerner l’influence du système d’éducation québécois sur la famille. Au bout du compte, nous pourrons aussi mieux identifier leur besoin et leur attente face à l’intégration de leur enfant.

À notre connaissance, aucune recherche québécoise n’a documenté l’implication des mères québécoises dans l’intégration scolaire de leur enfant. Pourtant, plusieurs recherches montrent l’importance de documenter le point de vue de ces dernières (des Rivières-Pigeon et Courcy, 2014; Granger, 2011; Sabourin, 2012). Cet article vise donc à identifier les différentes formes d’implication adoptées par les mères dans le contexte d’intégration en classe ordinaire au primaire de leur enfant ayant un TSA. Notre objectif n’est pas de généraliser les résultats à l’ensemble des familles vivant cette situation, mais plutôt de mieux comprendre comment les mères rencontrées perçoivent leur implication dans ce contexte d’intégration.

Méthode

Participantes

Dix-huit entretiens ont été conduits auprès de mères d’enfant présentant un TSA intégré en classe ordinaire à la maternelle, au 1er ou 2ème cycle du primaire. Aucune mère correspondant aux critères n’a été exclue. Les principales caractéristiques des participantes sont présentées au Tableau 1. Les enfants font partie de 10 commissions scolaires francophones à travers la province de Québec qui ne seront pas nommées pour s’assurer de l’anonymat des mères.

Tableau 1

Caractéristiques des participantes

Caractéristiques des participantes

Abréviation : Dx, Diagnostic; TED-NS, Trouble envahissant du développement non-spécifié; T. Plein, Travail à temps plein; T. Partiel, Travail à temps partiel; TDA/H, Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.

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Procédures

Le projet a été soumis au comité d’éthique de l’institution, l’Université du Québec à Montréal, qui a fourni l’attestation permettant d’amorcer la recherche. Un guide d’entretien a été élaboré à partir de la recension des écrits sur le sujet de l’intégration scolaire des enfants avec des besoins particuliers. Ce guide a été révisé par des experts spécialisés dans le domaine du TSA. Néanmoins, le guide est demeuré ouvert et il a été adapté au fil des entretiens afin d’obtenir une plus grande richesse d’informations. Au final, six sections ont été conçues pour pouvoir répondre à l’objectif de la recherche : (a) les services de préscolarisation, (b) la transition vers l’entrée à l’école primaire, (c) l’intégration, (d) l’influence de l’intégration scolaire sur l’enfant présentant un TSA, (e) l’influence de l’intégration scolaire sur la mère et la famille et (f) la poursuite de la scolarisation de leur enfant. Le guide d’entretien a été utilisé de manière ouverte, c’est-à-dire que pour chaque thème une question ouverte a d’abord été posée (canevas en annexe). Dans le cas où la participante a eu de la difficulté à élaborer sur le thème proposé, des questions plus spécifiques ont été posées à partir de l’ensemble des questions disponibles dans le guide d’entretien. L’entretien étant ouvert certaines questions ont parfois été modifiées pour permettre à chaque mère de décrire son expérience selon sa propre logique. Par conséquent, certains thèmes n’ont donc pas été abordés, car ils ne correspondaient pas à la réalité de certaines mères.

Les mères ont été sollicitées par l’entremise de divers organismes, associations, cliniques, commissions scolaires et réseaux sociaux. Ce sont les mères intéressées à participer à l’étude qui ont contacté l’expérimentatrice pour obtenir de plus amples informations. Les mères ont pris contact avec la personne responsable du projet afin de s’assurer du respect des critères d’inclusion de l’étude, du consentement éclairé, de prendre un rendez-vous et de choisir un lieu de rencontre à leur convenance. Les entretiens se sont déroulés au cours de l’année 2011-2012. Trois participantes habitaient en région éloignée. Afin de permettre une collecte d’informations plus diversifiée et de donner une place à ces mères, les entretiens ont été réalisés par vidéoconférence. Un seul entretien de 90 à 120 minutes a été réalisé avec chaque participante.

Traitement et analyse des données

Nous avons privilégié une analyse qualitative thématique telle que décrite par Braun et Clarke (2006) ayant pour objectif d’identifier et d’analyser les thèmes émergeant du contenu des entretiens. En psychologie, l’analyse thématique est fréquemment utilisée pour explorer des sujets peu documentés, ce qui correspond aux besoins de la présente recherche. Nous avons en effet remarqué, au cours de l’analyse, que plusieurs des thèmes qui ont émergé n’étaient pas abordés dans les études que nous avons recensées. Il était donc pertinent de privilégier une approche inductive nous permettant ainsi de traiter l’entièreté de l’information contenue dans les entretiens sans être restreint par un cadre théorique imposant des thèmes a priori. Pour réaliser l’analyse, nous avons suivi les six étapes proposées par ces auteurs. Pour faciliter la classification et l’analyse des données, le logiciel NVivo 10 a été utilisé. Un codage « libre » en unité de sens des transcriptions a été effectué par un unique codeur, la responsable de la recherche. Chaque unité de sens représente une idée unique qui peut se traduire en un mot, une phrase ou un paragraphe. Cette étape a permis de colliger une grande quantité d’unités de sens qui ont été, par la suite, classifiées dans des thèmes potentiels (par exemple : toutes les unités de sens évoquant la recherche d’informations par les mères ont été classées ensemble). À ce moment, des catégories et des sous-catégories ont été élaborées afin de bien définir chaque thème. L’ensemble de cette procédure a permis de constituer une carte des principaux thèmes et des concepts-clés.

Résultats

Avant de décrire de façon précise les différentes formes d’implication maternelle qui ont émergé de l’analyse, il faut souligner deux grands constats qui ressortent, de façon marquée, du propos des mères que nous avons rencontrées. Le premier concerne l’importance que les mères accordent à leur implication, en tant que parent, dans les décisions prises pour l’éducation de leur enfant. Toutefois, dans tous les cas, et même si les mères souhaitaient vivement prendre part aux décisions, elles considéraient également que les adaptations et la mise en application des interventions sont des rôles qui devraient être assumés en premier lieu par les membres de l’équipe-école. De plus, la nature de l’implication des mères rencontrées peut clairement être reliée aux compétences perçues du personnel scolaire et les attitudes adoptées à leur égard ainsi qu’à la place qui leur a été laissée pour s’impliquer au sein de l’école. En effet, certaines mères n’ont pas pu s’impliquer dans le processus de prise de décision concernant leur enfant, et ce, malgré le fait qu’elles souhaitaient vivement y participer. D’autres mères ont quant à elles été fortement sollicitées alors qu’elles n’avaient pas formulé le souhait d’être très impliquées.

Le second constat général qui s’est imposé est le caractère changeant de l’expérience vécue par les mères d’année en année, ce qui a entraîné des variations dans les formes d’implication adoptées par ces dernières. Par exemple, une mère peut s’investir de façon intensive lors de la maternelle parce qu’elle perçoit des difficultés d’intégration chez son enfant et, l’année suivante, s’investir moins intensément à la suite d’une évolution positive de ce dernier. Cet exemple illustre bien que certains facteurs extérieurs comme le changement d’enseignant ou de classe peuvent influencer l’implication des mères dans l’intégration scolaire de leur enfant. Par conséquent, une même mère peut adopter plusieurs formes d’implications tout au long de l’intégration de son enfant. Outre ces deux constats généraux, l’analyse des propos des mères rencontrées a fait émerger sept formes d’implication maternelle adoptées par les participantes en contexte d’intégration : (a) préparer l’enfant à l’entrée à l’école, (b) rechercher et transmettre de l’information, des connaissances et du savoir-faire au personnel scolaire, (c) participer aux rencontres de plan d’intervention, (d) négocier et revendiquer les services nécessaires pour l’enfant, (e) poursuivre les apprentissages et les interventions à la maison, (f) investir du temps et de l’argent et (g) accompagner l’enfant à l’école. Les sections suivantes décrivent chacune de ces formes d’implication.

Préparer l’enfant à l’entrée à l’école

Une première forme d’implication évoquée par les participantes est la préparation de l’enfant pour l’entrée à l’école. L’analyse des propos des mères a fait ressortir deux catégories de préparation. D’une part, la quasi-totalité d’entre elles nous a parlé du « rôle traditionnel » de la préparation à l’entrée à l’école adoptée par toutes les participantes, que l’enfant présente ou non des besoins spéciaux. Cette forme d’implication peut être de discuter avec l’enfant de son entrée à l’école, de faire les achats scolaires, d’assister à la journée porte ouverte, de lire des histoires, etc. Par contre, la plupart de ces mères ne considèrent pas cette préparation comme étant suffisante pour répondre aux besoins spécifiques de leur enfant ayant un TSA. Selon elles, il s’agit de la préparation courante que les parents devraient faire pour tous les enfants.

D’autre part, quelques mères nous ont expliqué qu’elles ont fait une préparation liée aux besoins uniques de leur enfant. Par exemple, certaines d’entre elles ont fait la lecture de scénarios sociauxTM, ont demandé et obtenu des rencontres individuelles avec l’enseignante, ont travaillé à l’apprentissage d’un horaire typique de classe ou ont développé un album photo des endroits qui seront fréquentés par leur enfant. Les participantes ayant fait une préparation plus individualisée, avec ou sans l’aide du personnel scolaire, se sont toutes dites satisfaites de la transition vers la maternelle, et ont mentionné avoir été beaucoup moins stressées à l’arrivée de ce grand moment. Grâce à cette préparation adaptée à l’enfant, ces mères considèrent que l’environnement de l’enfant est devenu plus prévisible ce qui, selon elles, a permis à leur enfant de s’adapter plus facilement. En effet, selon ces mères, leur enfant n’aurait pas présenté de hausse d’anxiété ou de comportement problématique (par exemple : agression, colère, crise ou fugue) lors de la transition. Voici le témoignage d’une mère sur les préparatifs faits avec son enfant : « Faire visiter l’école. On a pris des photos de tous les endroits qu’il allait fréquenter à l’école. Il a rencontré les enseignants. J’ai demandé un horaire d’une journée typique à la maternelle qu’on a décortiquée avec lui. Les photos ont eu beaucoup d’impact, les photos de l’environnement qu’il a pu regarder à la maison, associées avec un horaire. » (Mère #04)[3]

Rechercher et transmettre de l’information, des connaissances et du savoir-faire au personnel scolaire

Toutes les participantes ont dit avoir cherché différentes informations et transmis leurs connaissances et leur savoir-faire aux membres du personnel scolaire. La nature des informations ou des connaissances fournies est très variable d’une mère à l’autre. Pour certaines, leur rôle consistait à obtenir de l’information par l’entremise de formations extérieures, de conseils fournis par des professionnels travaillant dans le réseau privé, de lecture ou même de recherche de programme d’intervention. L’objectif visé par cette recherche d’informations était de transmettre celles-ci aux membres du personnel scolaire afin qu’ils puissent les utiliser au quotidien avec leur enfant, comme en témoigne cette mère : « Il y avait de l’anxiété, j’ai fait un programme d’anxiété à la maison. Je suis allée à l’école, on a parlé à la technicienne en éducation spécialisée. La TES l’a appliqué à l’école. C’était assez intense, l’implication s’est faite, à ce niveau-là je dirais. » (Mère #04). La plupart des informations recherchées par les participantes étaient reliées aux méthodes d’intervention, comme des méthodes de gestion de l’anxiété ou de comportements agressifs. D’autres mères nous ont dit que leur rôle consistait surtout à transmettre leurs connaissances concernant les particularités de leur enfant et du TSA. Plusieurs mères ont même rédigé des documents ou rencontré le personnel scolaire (direction, enseignante, et TES) pour leur expliquer ce qu’est le TSA ou pour faire un portrait de leur enfant, de ses particularités, de ses besoins, de ses forces et de ses défis. L’extrait suivant illustre ce type d’implication : « J’ai rencontré l’éducatrice et la professeure. Je leur ai dit comment (l’enfant) était. J’ai écrit un document disant c’était quoi les particularités de (l’enfant), c’est quoi un autiste, c’est quoi un Asperger[4], c’est quoi les rigidités. Tu sais, au moins, je vais trouver l’info puis je vais leur transmettre. » (Mère #12). En fournissant de l’information personnalisée sur l’enfant, l’objectif de ces mères était de s’assurer que les membres de l’équipe-école soient conscients des particularités et soient sensibles à celles-ci pour qu’ils puissent les prendre en considération lors de leurs interventions avec l’enfant.

Certaines participantes ont mentionné s’être déplacées dans le milieu scolaire afin de former le personnel à intervenir avec leur enfant. Cette formation consistait surtout à transmettre les connaissances acquises lors des interventions préscolaires, mais également celles issues de leur recherche personnelle d’informations et de la connaissance qu’elles ont acquise sur les particularités de leur enfant. Quelques mères nous ont dit que le personnel scolaire, l’enseignante et la TES, ont eu du temps de libéré pour pouvoir suivre cette formation en raison de l’incapacité perçue de ces derniers à intervenir avec leur enfant. Une mère s’est même déplacée à trois reprises pour offrir ce type de formation à la TES intervenant auprès de son enfant : « J’avais l’impression que c’était du chinois pour elle un enfant TED. Je suis allée la voir trois fois 45 minutes pour lui montrer comment travailler avec un enfant TED. Finalement, l’éducatrice a été remplacée pour venir avec moi, pour que je la forme. » (Mère #18).

Les propos analysés mettent également en avant que les participantes souhaitent pouvoir échanger des conseils et de l’information avec le personnel scolaire afin d’être en mesure de suivre l’évolution de leur enfant et de s’assurer d’une continuité entre les interventions faites à l’école et à la maison. L’analyse a permis de constater que si certaines mères ont été sollicitées par le personnel scolaire pour obtenir de l’aide, d’autres mères qui ont voulu s’impliquer n’ont pu le faire. Une mère spécifie qu’elle s’est épuisée à noter toutes ses observations à la maison afin d’échanger avec l’enseignante, mais en vain, car cette dernière n’a pas été réceptive aux informations apportées : « Je suis un peu brûlée honnêtement, j’en ai ras le pompon. Ça, c’est mes observations à moi, de comment est (l’enfant) à la maison. Il me répondait “on n’a pas de problème ici, donc les problèmes sont à la maison”. Non, vous ne comprenez pas, c’est ce qu’elle fait ici qui se répercute à la maison. » (Mère #15).

Les participantes qui se sont investies dans la recherche et l’échange d’information nous ont parlé longuement de l’énergie et du temps nécessaire à ce type d’implication. Pour certaines, cette situation a mené à un épuisement. Cependant, ces mères nous ont dit préférer partager leur expertise que de laisser le personnel sans ressource pour intervenir avec leur enfant. D’ailleurs, les principales raisons qui motivent ces mères à offrir beaucoup d’informations sur leur enfant ou sur le TSA sont le désir de compenser le manque de service scolaire dans les écoles, le manque de suivi de l’évolution de l’enfant ou le manque de proactivité du personnel à trouver des solutions aux difficultés de leur enfant : « Beaucoup d’implication, beaucoup plus que ce que je m’imaginais possible. C’est certain qu’en milieu intégré, moi, le côté négatif c’est que cela demande une implication énorme du parent parce qu’il y a un manque de service incroyable. » (Mère #04). Il est également intéressant de constater que les mères qui se sont investies dans la transmission de leur savoir-faire et qui ont été écoutées par le personnel, ont une perception plus positive de l’évolution de leur enfant dans le contexte d’intégration que celles pour qui cette implication n’a pas été possible. En revanche, une mère nous a dit ne pas avoir ressenti le besoin de s’investir outre mesure, en raison de la bonne communication entre les membres du personnel scolaire et leur connaissance préalable du TSA. Cette mère s’est vue confiante quant à la capacité de l’école à intervenir adéquatement auprès de son enfant et n’a pas trouvé nécessaire d’expliquer à chaque membre du personnel scolaire les caractéristiques de son enfant et la façon dont il fallait intervenir avec ce dernier. Ceci a permis à cette mère de se départir d’un certain poids, lui permettant ainsi de ne pas adopter une position défensive vis-à-vis des membres de l’équipe-école : « C’est beaucoup moins stressant pour nous parce qu’on ne peut pas être toujours sur place, puis en sachant qu’il y a les intervenants qui communiquent et qui font les suivis. Ils gèrent les problématiques avant qu’elles surviennent et ils évitent des désorganisations. » (Mère #11).

Participer aux rencontres de plan d’intervention

Une autre forme d’implication considérée importante par l’ensemble des mères que nous avons interrogées est leur participation aux rencontres du plan d’intervention. Les personnes présentes peuvent varier d’une réunion à l’autre, d’une école à l’autre, mais généralement les mères ont rencontré la direction, l’enseignante et la technicienne en éducation spécialisée ou l’accompagnatrice. Dans certaines écoles, les professionnels (par exemple : psychologue, psychoéducatrice ou orthophoniste) étaient également présents ainsi que les partenaires extérieurs qui travaillent auprès de l’enfant (par ex. centre de réadaptation en déficience intellectuelle- Trouble du spectre de l’autisme). Pour toutes les participantes, cette forme d’implication s’avère primordiale, car elles estiment que cette rencontre constitue le moment opportun de contribuer à la réussite de l’intégration en transmettant leurs connaissances concernant les besoins de leur enfant et les interventions qui devraient être effectuées avec celui-ci. Même si toutes les mères considèrent que le plan d’intervention est nécessaire au succès de l’intégration, leur perception de leur implication présente d’importantes variations. En effet, certaines mères se sont senties complètement ignorées par le personnel scolaire alors que d’autres étaient au contraire sollicitées pour toutes les décisions.

Les participantes qui ont eu la possibilité de tenir un rôle actif lors de ces rencontres ont perçu que leur présence apportait une réelle contribution à la réussite de l’intégration de leur enfant. Certaines mères se sont préparées à ces rencontres en élaborant un brouillon de plan d’intervention pour s’assurer de pouvoir présenter toutes leurs idées lors de la rencontre. Cette préparation leur a permis d’être suffisamment organisées pour pouvoir faire valoir leurs suggestions : « Je suis arrivée sur place préparée, avec mes papiers. On a donc pu ajouter des éléments au plan d’intervention, surtout pour la récréation puis le dîner, des éléments qui n’avaient pas été écrits lors de la première rencontre. » (Mère #10). Comme en témoigne l’extrait précédent, le personnel a, dans certains cas, intégré les suggestions des mères au plan d’intervention. Les participantes écoutées et soutenues par le personnel ont souligné à quel point cette rencontre a été aidante pour développer une communication réciproque avec le personnel et mettre en place des services adaptés aux besoins de l’enfant. La plupart d’entre elles se sont dites satisfaites de l’évolution de leur enfant, car elles ont bénéficié d’un suivi plus rigoureux des objectifs du plan d’intervention, ce qui a permis au personnel scolaire de s’ajuster rapidement aux besoins de leur enfant.

D’autres participantes ont toutefois déploré le fait que, malgré leur désir de participer de façon active à ces réunions, la direction d’école et le personnel scolaire n’ont pas tenu compte de leur avis. La plupart de ces mères ont vécu de grandes frustrations et de l’épuisement, car leurs efforts pour faire valoir les besoins de leur enfant se sont transformés en une « bataille » pour participer aux décisions concernant celui-ci et pour obtenir les services qu’elles croient nécessaires à son intégration. D’autres mères qui souhaitaient seulement pouvoir communiquer au personnel leur perception des particularités et des besoins de leur enfant, ont été déçues de constater que le personnel scolaire n’était pas ouvert à ce type de communication : « Je pense que dans le plan d’intervention, il devrait y avoir une partie où les parents vont expliquer comment l’enfant est à la maison, et l’écrire, pour que les intervenants aient un portrait de l’enfant. » (Mère #15). Une mère nous raconte qu’elle a tenté d’expliquer au personnel les moyens utilisés avec succès en centre de la petite enfance (CPE) pour aider l’enfant, mais les intervenantes de l’école n’ont pas tenu compte de cette information : « On sait qu’avec certains outils ça fonctionne bien. J’ai demandé de l’indiquer dans le plan d’intervention, mais cela n’a pas été fait. » (Mère #14). Cette mère avait également l’impression que le personnel scolaire ne considérait pas sa présence comme nécessaire à l’élaboration du plan d’intervention : « La lettre nous disait que le plan d’intervention pour l’enfant va avoir lieu à telle date et telle heure. Si on n’est pas là, ils le font quand même, puis que même si vous n’êtes pas là, on le fait (en parlant du plan d’intervention). Je déplaçais tous mes horaires, puis j’étais toujours sur le gros nerf. Le parent devrait être le premier concerné dans l’éducation de son enfant. Je trouve ça insultant. » (Mère #14). Cette mère avait l’impression que si les membres de l’équipe-école avaient tenu compte de son avis pour rédiger le plan d’intervention, elle aurait pu éviter le développement de certains comportements problématiques chez son enfant.

Certaines mères nous ont dit ne pas connaitre avec précision l’objectif visé par ces rencontres de plan d’intervention ni connaître les rôles de chaque professionnel impliqué. Elles ignoraient quel était le rôle qu’elles étaient appelées à jouer lors de ces réunions. Encore une fois, ces mères nous ont dit souhaiter prendre part aux décisions concernant leur enfant, mais ne se sentaient pas en mesure de le faire, ce qui a suscité chez elles beaucoup de stress : « D’expliquer c’est quoi un plan d’intervention, d’expliquer le rôle du parent là-dedans. J’étais tellement mêlée : c’est quoi la différence entre un orthopédagogue, une TES, un psychoéducateur. C’est ça qui est la plus grande source de stress, c’est de ne pas avoir d’information. » (Mère #14). Cet extrait indique que le personnel scolaire peut prendre pour acquis le fait que les mères connaissent l’ensemble des services et le rôle de chaque professionnel pouvant répondre aux besoins de leur enfant. Puisque pour plusieurs mères, le moment du diagnostic coïncide de près avec la préparation à l’entrée à l’école, la plupart d’entre elles n’ont pas eu le temps d’acquérir de connaissances quant au fonctionnement du système scolaire et de réadaptation. La plupart de ces mères n’ont donc pas eu le temps de connaître l’ensemble des services disponibles et n’ont pas bénéficié de services avant l’entrée à l’école.

Négocier et revendiquer les services nécessaires pour l’enfant

Une autre forme d’implication évoquée par les mères est la négociation et la revendication des services nécessaires à la réussite scolaire et au bien-être de leur enfant. La nature des revendications et des méthodes employées par les mères se sont toutefois révélées diversifiées. Certaines ont fait des démarches auprès des institutions officielles, soit la commission scolaire ou le MELS, pour obtenir des informations concernant leurs droits ou concernant l’application de certaines mesures prises par l’école. Par exemple, une mère a communiqué avec le personnel du ministère de l’Éducation pour savoir si l’école avait le droit d’exclure son enfant de la classe ordinaire : « C’est des batailles. J’ai fait des téléphones. J’ai fait des démarches partout, j’ai appelé au MELS, j’ai appelé la commission scolaire. Je dirais que j’ai été un bon deux semaines non-stop à essayer de joindre tout le monde. » (Mère #09). Un autre extrait illustre la difficulté des mères à obtenir des informations claires et concordantes lorsqu’elles s’adressent aux commissions scolaires et aux écoles au sujet des règles qui régissent l’attribution des services. Une mère a ainsi rapporté que les personnes travaillant à la commission scolaire n’ont pas pu lui offrir de réponse au sujet de la manière dont est effectuée l’attribution des services concernant son enfant : « J’ai appelé la commission scolaire pour demander à quoi servait le code[5] 50, où les budgets non utilisés retomberaient et pourquoi mon fils n’aurait pas droit aux services dont il a besoin? Ils m’ont dit d’appeler telle personne, qui m’a donné le numéro d’une autre personne, qui elle m’a donné le numéro d’une autre personne. » (Mère #03). Les mères ayant entamé ce type de démarches ont rarement vu leurs efforts récompensés : soit elles n’obtenaient pas de réponse claire, soit elles n’arrivaient pas à parler à une personne susceptible de les renseigner. Ces mères se considéraient donc « prises » dans l’engrenage du système scolaire public et en déploraient l’opacité. Il est également intéressant de constater que l’ensemble des participantes qui ont décidé d’entreprendre ce type de démarches l’a fait dans le contexte où elles observaient que l’évolution en classe ordinaire de l’enfant était compromise par le fait que ses besoins n’étaient pas suffisamment pris en considération. Cette difficulté d’accéder à une information claire concernant les règles qui régissent l’attribution de services par l’école ou la commission scolaire a suscité chez les mères un sentiment de colère et d’impuissance.

D’autres mères ont choisi de rédiger des lettres ou des documents s’adressant toujours aux commissions scolaires, mais cette fois pour réclamer directement les services qu’elles considèrent nécessaires pour répondre aux besoins de leur enfant. Dans certains cas, il s’agissait de demandes relatives aux services d’accompagnement, mais dans d’autres cas, comme l’illustre l’extrait suivant, la lettre avait pour but de formuler une plainte officielle à l’égard d’un membre du personnel scolaire qui n’était pas adéquat à l’endroit de l’enfant : « J’ai monté un dossier. Elle ignorait le TED de l’enfant. Le professeur ne changeait pas ses méthodes. C’est tout écrit, c’est rendu à la commission scolaire et au protecteur de l’élève. » (Mère #15). Comme dans le cas des demandes d’information, les démarches administratives effectuées par les participantes pour obtenir des services adaptés n’ont généralement pas mené aux changements souhaités, ce qui a exacerbé la frustration de ces mères à l’endroit du système d’éducation. Encore une fois, les mères nous ont dit avoir investi beaucoup de temps et d’énergie pour obtenir ce qui, selon elles, aurait dû être donné d’emblée à l’enfant. « De l’épuisement parce qu’on a dû en faire des lettres explicatives. Moi, si j‘avais été payée pour faire toutes les démarches administratives, je serais super riche. » (Mère #08). En effet, cette forme d’implication est celle que les mères relient le plus souvent à un sentiment d’épuisement, car elle requiert beaucoup de temps et d’énergie et ne permet d’obtenir que peu d’informations ou de ressources pour répondre aux besoins de leur enfant.

Un autre constat qui ressort de l’analyse du propos des mères est que certaines sentent qu’elles doivent « prouver » à l’école que l’enfant a la capacité de réussir sur le plan académique si certaines adaptations sont mises en place et si l’enseignement est adapté aux besoins de l’enfant. Une mère nous a expliqué que l’écart entre ce que l’enfant fait à l’école et ce qu’il sait faire à la maison est énorme au profit du second. Cette situation a mené cette mère à fournir à l’enseignante des « preuves », à partir des travaux faits à la maison, visant à démontrer que l’enfant pouvait maîtriser les concepts enseignés : « (En s’adressant à l’enseignante) “La façon dont vous le voyez c’est comme s’il n’y a pas rien de bon. Pourtant, je fais les exercices à la maison, puis il les réussit bien.” Je lui ai envoyé les cahiers pour qu’elle regarde, qu’elle voit qu’il n’est quand même pas si fou que ça. » (Mère #17). Ce type de démarche ne constitue pas une démarche administrative, mais demeure malgré tout une forme d’implication qui est de l’ordre de la « revendication » ou de la confrontation puisqu’il s’agit, pour les mères, de « démontrer » à l’enseignante que l’enfant a des capacités. Les mères qui s’investissent dans ce type de démarche ont l’impression de se battre « contre » l’enseignante.

Poursuivre les apprentissages et les interventions à la maison

La poursuite des apprentissages et des interventions à la maison est également une forme d’implication adoptée par les participantes. La plupart des mères ont dit souhaiter poursuivre les interventions effectuées par les membres de l’équipe-école pour favoriser une cohérence dans les apprentissages académiques et comportementaux de l’enfant. Plusieurs d’entre elles nous ont dit qu’il est plus facile pour l’enfant de maintenir ses acquis lorsqu’il y a une continuité entre les interventions effectuées à l’école et à la maison. Une mère souligne à cet effet que le personnel scolaire a remarqué une évolution positive dans la disponibilité aux apprentissages et les capacités de l’enfant, et que cette évolution est perçue comme le résultat des interventions effectuées à l’école et à la maison : « On travaille le plan selon les commentaires émis par les gens de l’école. On fait le suivi à la maison et les intervenants nous ont mentionné que ça paraissait que nous faisions le suivi à la maison. » (Mère #06). Les participantes qui ont investi du temps pour favoriser la poursuite des apprentissages à la maison ont souvent constaté des progrès chez leur enfant, ce qui les a encouragées à poursuivre leurs interventions. Les mères sont également persuadées que le caractère mal adapté de l’enseignement aux caractéristiques de leur enfant a provoqué un « retard académique » chez celui-ci. Pour cette raison, certaines mères se sont senties contraintes d’effectuer du rattrapage académique le soir, ce qui a constitué un surplus de tâches pour elles et leur enfant, et a suscité des difficultés dans l’organisation de la vie familiale. Les mères soulignent également qu’elles doivent déjà faire face à des défis quotidiens, donc d’ajouter une charge de travail supplémentaire leur créait de la fatigue.

D’autres participantes ont dit se sentir obligées de faire à la maison des interventions qui n’ont pas été faites à l’école, car l’enfant était en état de détresse. Plusieurs mères se sont dites déçues du fait que les membres du personnel scolaire n’ont pas pris les mesures nécessaires pour aider leur enfant et les laissent entièrement responsables de gérer les répercussions de la journée. Par exemple, une des mères a dit avoir à composer avec des « états de panique » chez son enfant, car celui-ci a vécu de l’anxiété toute la journée et que son enseignante n’est pas intervenue tel que recommandé : « L’école ne voit pas de problème. (l’enfant) veut faire plaisir (…) Toute son anxiété de la journée elle l’a accumulée, ce qui fait que moi je dois gérer toutes les difficultés quand elle arrive. » (Mère #15).

Investir du temps et de l’argent

Quelques participantes ont évoqué le fait de devoir débourser des frais substantiels pour payer des services de diagnostic ou d’intervention (par exemple : TES, psychologue, orthopédagogue, ergothérapeute), pour répondre aux demandes de l’école ou pour offrir à leur enfant les services nécessaires à sa réussite. Comme mentionné précédemment, certaines mères ont dû demander conseil à des professionnelles et des intervenantes dans le réseau privé pour répondre à des questionnements ou des difficultés vécues à l’école. Parmi ces mères, plusieurs se considèrent chanceuses d’avoir les moyens de pouvoir payer de tels services à leur enfant. Par contre, cette situation représente souvent une source de stress financier, car elles ne peuvent concevoir que l’enfant réussisse sans ceux-ci.

Afin de mieux répondre aux besoins de son enfant, une mère a quitté son emploi pour réorienter toute sa carrière vers un métier lui permettant de répondre à ces besoins. Cette situation a bien entendu impliqué une perte de salaire pour la mère qui est retournée à l’université : « Donc c’est sûr qu’on n’a pas ménagé ni notre énergie ni notre temps. Et puis, moi j’ai quitté mon travail, mon milieu pour me réorienter parce qu’aussi j’avais des objectifs vis-à-vis de ma famille » (Mère #08). Une autre mère nous dit avoir été obligée de composer avec une importante perte de revenu, car elle a été contrainte de rester à la maison en raison des suspensions répétées de son enfant de l’école : « J’ai été obligée de le retirer complètement, il a été un mois ici (en parlant de la maison), parce qu’au bout de la 18e suspension, moi, j’ai craqué. J’ai du prendre un sans solde partiel pour finir à trois heures et demie pour pouvoir aller chercher les enfants à l’école. » (Mère #09). Cette perte de revenu a créé des situations de stress pour ces mères qui craignaient ne pas être en mesure de payer les services qu’elles doivent offrir à leur enfant.

Accompagner l’enfant à l’école

Une forme d’implication moins souvent décrite par les participantes est l’accompagnement, en personne, de l’enfant à l’école. Certaines mères ont participé volontairement à la mise en place d’activités ou d’interventions alors que d’autres se sont senties contraintes d’y participer, car l’enfant n’aurait pas bénéficié de l’activité par manque d’accompagnement, comme en témoigne cette mère : « Il y a eu un accompagnement dix heures semaine, mais pendant les sorties aucun accompagnement n’existait, si (l’enfant) participe, je n’avais pas le choix de l’accompagner. » (Mère #09). Une mère qui a eu l’occasion d’accompagner son enfant les premières semaines d’école nous a clairement dit que si elle n’avait pas été en congé prénatal, elle n’aurait pas pu offrir ce soutien à son enfant : « Je ne travaillais pas, heureusement, j’étais enceinte. Si j’avais travaillé, je pense, je serais devenue folle. Et ça a été très difficile. Il a fallu pour l’entrée en 1re année que je me fâche, puis que je dise que je vais y aller tous les jours pour m’assurer que toutes les choses de mon garçon sont en place. » (Mère #18). En effet, plusieurs mères ont dit que leur travail ne leur permettait pas de s’absenter pour répondre à toutes les demandes de l’école ou des activités spéciales.

Discussion

L’objectif de cet article était d’identifier les différentes formes d’implication adoptées par les mères lorsque leur enfant présentant un TSA est intégré en classe ordinaire au primaire afin de mieux comprendre leur rôle, leur besoin et leur attente dans ces circonstances. Le discours des mères met en évidence que les besoins accrus de leur enfant influencent la forme et le degré de leur implication. En contrepartie, les résultats indiquent également que les caractéristiques du milieu scolaire (par exemple : services disponibles, attitudes de l’enseignante) sont des facteurs qui ont un effet important sur la nécessité pour les mères de s’investir dans l’éducation de leur enfant.

L’analyse du propos des mères révèle que ces dernières accordent une place primordiale à l’éducation de leur enfant et à la prise de décision entourant les besoins et les services nécessaires à ce dernier. Les résultats sont donc concordants avec les études antérieures concernant l’importance d’impliquer les parents dans les décisions prises concernant l’éducation de leur enfant (Benson et al., 2008; Ivey, 2004; Starr et Foy, 2001; Stoner et al., 2005; Turnbull et al., 2006). Notre analyse a fait ressortir sept formes d’implication : (a) la préparation de l’enfant à l’entrée à l’école, (b) la recherche et la transmission des connaissances, (c) la participation au plan d’intervention, (d) la négociation et la revendication des services nécessaires pour l’enfant, (e) la continuité des apprentissages à la maison, (f) l’investissement de temps et d’argent et, finalement, (g) l’accompagnement de l’enfant à l’école.

Notre recherche met en évidence trois formes d’implication qui, jusqu’à présent, n’ont pas été documentées dans la littérature que nous avons recensée. La première étant la préparation spécifique des enfants présentant un TSA pour la rentrée scolaire, préparation pour laquelle les mères doivent s’investir d’une manière différente des autres mères (par ex. lecture de scénarios sociaux, photographies, horaire visuel, etc.). Ce type de préparation spécifique a, selon les mères, facilité la transition vers l’école et l’adaptation de l’enfant à son nouvel environnement. La seconde forme d’implication est l’investissement financier. Elle se présente, en premier lieu, sous la forme de perte de revenu, car plusieurs mères ont dû s’absenter de leur travail, voir quitter leur emploi, pour répondre aux besoins de leur enfant. Elle peut aussi être liée aux frais que les parents doivent débourser pour que leur enfant ait accès à des services dans le réseau privé (par ex. orthopédagogie, ergothérapie, etc.) afin de s’assurer que le fonctionnement de leur enfant soit suffisant pour être maintenu en classe ordinaire. L’analyse du propos des mères nous indique qu’elles doivent payer pour des services offerts en privé, ce qui est en contradiction avec les orientations gouvernementales qui prévoient que les services aux enfants en difficulté devraient être offerts dans le réseau public. Les parents s’attendent donc à recevoir gratuitement les services, dont leur enfant a besoin pour poursuivre son cheminement scolaire en classe ordinaire. Finalement, certaines mères qui n’occupaient pas d’emploi ont mentionné avoir accompagné leur enfant à l’école pour s’assurer que les interventions requises pour leur enfant étaient réellement mises en place, ce qui démontre le manque de confiance de certaines mères envers l’école. Par ailleurs, certaines mères auraient également voulu accompagner leur enfant, mais la conciliation travail-famille ne leur permettait pas.

Comme l’ont démontré d’autres études, nos résultats montrent que les mères s’investissent notamment parce qu’elles considèrent que, sans elles, leur enfant n’obtiendrait pas les services nécessaires à son succès scolaire et à son développement (An et Hodge, 2013; Fish, 2006; Hartas, 2008; Stoner et Angell, 2006; Stoner et al., 2005), qu’il n’y aurait pas un suivi rigoureux des adaptations (Benson et al., 2008; Hartas, 2008; Stoner et al.,2007) et qu’il ne serait pas possible de constater une évolution positive de leur enfant dans le milieu scolaire ordinaire. Notre recherche met également en lumière qu’au Québec, les mères s’impliquent particulièrement lorsqu’elles perçoivent un manque de service, une dispersion des services, un manque d’expertise perçue du personnel, un manque de proactivité des membres de l’équipe-école ou lorsqu’elles souhaitent modifier des perceptions erronées du personnel scolaire à l’égard de leur enfant. Les mères rencontrées qui ont dû revendiquer à maintes reprises des services pour leur enfant ont souligné qu’elles ont dépensé beaucoup de temps et d’énergie pour peu de résultats.

Contrairement à l’étude de Zablotsky et ses collègues (2012), les mères qui étaient insatisfaites de l’intégration se sont davantage investies que les mères satisfaites, car leur implication était perçue comme essentielle pour permettre à leur enfant de demeurer en classe ordinaire. Par contre, comme l’ont démontré d’autres études, la plupart de ces mères se sont senties exclues par le personnel scolaire (Benson et al., 2008; Ivey, 2004; Starr et Foy, 2001; Stoner et al., 2005). Il est donc possible de croire que le personnel perçoit l’implication des parents, ici des mères, comme une charge de travail supplémentaire en raison des nombreuses communications et des rencontres nécessaires pour répondre à la demande des parents. Plusieurs études, ainsi que les mères que nous avons rencontrées, ont d’ailleurs fait ressortir que le personnel ne bénéficiait pas toujours des ressources et des connaissances adéquates pour accueillir un élève ayant un TSA (Brewin et al., 2008; Eldar et al., 2010; McGregor et Campbell, 2001; Ruel, Poirier et Japel, 2015; Starr et al., 2006; Starr et Foy, 2012; Whitaker, 2007). À cet effet, au Québec, ce sont les commissions scolaires et les directions d’école qui doivent fournir le soutien pédagogique nécessaire à son personnel pour favoriser cette intégration (MELS, 2007). Il est donc crucial que les directions d’école et les commissions scolaires soient sensibilisées à la charge de travail supplémentaire qu’exige une intégration scolaire pour son personnel. D’ailleurs, l’étude de Ruel et ses collaborateurs (2015) fait ressortir que les enseignants considèrent qu’inclure un temps de préparation, d’organisation (par exemple : libération d’une heure par semaine pour préparer les exercices pour l’enfant ayant un TSA) est essentiel pour pouvoir accueillir un élève présentant un TSA. En contrepartie, nos résultats concordent avec les conclusions d’Engelbrecht et ses collègues (2005) et de Stoner et Angell (2006), qui mettent en évidence que les mères ayant perçu la compétence du personnel ont moins ressenti le besoin de s’investir de façon intensive. Comme l’ont souligné plusieurs auteurs, les compétences et les connaissances du personnel scolaire jouent un rôle de premier plan dans la confiance qu’accordent les mères au système d’éducation et influencent par le fait même leur implication (Blue-Bannin et al., 2004; Stoner et Angell, 2006; Zablotsky et al., 2012).

Nos résultats, comme ceux des autres études portant sur la considération de l’expertise des parents, mettent en évidence que ces derniers veulent avoir le même pouvoir que le personnel scolaire dans la prise de décision et souhaitent que leur opinion soit prise en compte (Eldar et al., 2010; Lake et Billingsley, 2000; Lynch et Irvine, 2009; Starr et Foy, 2001; Stoner et al., 2005). En ce sens, nos résultats montrent que l’attitude du personnel scolaire a une influence sur le rôle que les mères vont décider d’adopter. Par exemple, une mère qui se sent écoutée et reçoit des informations régulières concernant les adaptations sera plus encline à adopter un rôle de soutien auprès du personnel scolaire au lieu de mettre son énergie à revendiquer les services correspondants, selon elle, aux besoins de son enfant. Inversement, une mère qui n’a pas l’impression que son enfant est au centre des préoccupations de l’école aura plutôt tendance à adopter une attitude revendicatrice face au personnel scolaire. Le caractère opaque des règles qui régissent le fonctionnement des commissions scolaires et des écoles influence également le degré et la forme d’implication que les mères vont choisir. Face à ce manque d’information, la frustration des mères augmente et elles risquent davantage de prendre une position « revendicatrice » pour obtenir des services, car elles ne savent pas si leur enfant reçoit tous les services auxquels il a droit.

Comme l’ont démontré d’autres études, plusieurs mères se sont autoformées pour pallier le manque de connaissances sur le TSA du personnel scolaire (Brewin et al., 2008; Starr et al., 2006; Starr et Foy, 2012; Whitaker, 2007). Ces mères ont ensuite transmis leurs connaissances et leur savoir-faire aux intervenants. Cette situation est inquiétante, car le manque de formation des intervenants entraîne une charge de travail supplémentaire pour ces mères. Plusieurs mères ont dit clairement qu’elles préféraient s’épuiser plutôt que de laisser le personnel sans ressource. Une autre source d’inquiétude en lien avec cette situation est la qualité de l’information transmise par les mères. Il est certain que parmi l’information diffusée aux parents sur TSA certaines sont crédibles et sérieuses, mais d’autres ne se basent pas sur les données de recherches. Qui plus est, certaines mères se sont trouvées face à un personnel réticent, ces dernières redoublant d’ardeur pour expliquer la situation particulière de leur enfant, mais souvent en vain. Ces résultats suscitent des questionnements concernant la place que certaines directions d’école québécoises accordent aux parents et au soutien pédagogique offert au personnel scolaire en contexte d’intégration scolaire. En effet, c’est le rôle des commissions scolaires de s’assurer que le personnel dispose de formation auprès de professionnels qualifiés et reconnus dans le domaine d’expertise du TSA.

Notre analyse révèle également que les mères accordent une place importante aux rencontres de plan d’intervention. Malheureusement, comme le souligne Smith (2001), les mères sont souvent confrontées au manque d’information concernant leurs droits et les procédures ce qui fait en sorte qu’elles peuvent se sentir frustrées par le déroulement des rencontres. Par contre, comme dans l’étude de Starr et ses collègues (2006), les mères ayant pu s’impliquer activement dans ce processus sont plus satisfaites de l’intégration de leur enfant. Le manque de considération ressenti par certaines lors de ces rencontres devrait également susciter des questions, car puisque le profil des enfants présentant un TSA est hétérogène, l’expertise des parents s’avère cruciale pour bien identifier les besoins de l’enfant (Abouzeid, 2013; Rogé, 2008; Schwarts et al., 2004; Simpson et al., 2008).

L’analyse du propos des mères révèle que ces dernières compensent en plusieurs occasions pour le manque d’expertise perçu du personnel scolaire. Comme nous l’avons vu, certaines mères adoptent des formes d’implication, par exemple, la recherche et la transmission de l’information, des connaissances et du savoir-faire au personnel scolaire ainsi que certains aspects de la participation aux rencontres de plan d’intervention qui seraient plutôt la responsabilité du milieu scolaire. Cette situation nous amène à questionner la responsabilité du réseau scolaire par rapport aux politiques gouvernementales qui soulignent l’importance d’intégrer les enfants avec des besoins particuliers.

Les résultats de cette recherche débouchent également sur quelques constats importants à considérer pour le personnel scolaire qui intervient auprès de leur enfant. Pour que les mères fassent confiance au système d’éducation, il est primordial que les besoins de leur enfant soient au centre des préoccupations du personnel scolaire. Il serait également important qu’un système de communication efficace et transparent soit instauré pour favoriser la confiance et la continuité avec le milieu scolaire. Un flou est aussi présent dans les rôles de chaque personne impliquée auprès de l’enfant présentant un TSA. Il est certain, comme l’ont démontré d’autres recherches (Eldar et al., 2010; Lynch et Irvine, 2009; Starr et Foy, 2001), qu’il est essentiel de considérer l’expertise des parents en contexte d’intégration scolaire. Toutefois, en raison du manque d’expertise perçu du personnel scolaire, les mères prennent souvent un rôle d’intervenante pour compenser ce manque. Il serait donc nécessaire de délimiter les rôles respectifs des parents et du milieu scolaire.

Notre étude comporte un certain nombre de limites. En effet, les résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des familles québécoises qui ont un enfant ayant un TSA intégré en classe ordinaire en raison de la méthodologie utilisée et de la taille de l’échantillon (N=18). De plus, l’échantillon a été recruté au sein de seulement 10 des 72 commissions scolaires québécoises ce qui ne permet pas d’avoir un portrait exhaustif, car chacune d’elle possède son propre fonctionnement malgré qu’elles relèvent toutes du MELS. Les mères ayant choisi de participer à l’étude peuvent également présenter des caractéristiques différentes de celles retrouvées dans la population des mères dans cette même situation. Comme cette recherche concerne l’implication, on peut penser que les mères plus impliquées pourraient avoir tendance à vouloir participer davantage à une étude pour exprimer leur besoin. Par ailleurs, une seule mère monoparentale a participé à l’étude (voir tableau 1); on peut dès lors penser que la majorité des mères de l’échantillon a probablement pu bénéficier du soutien d’un conjoint. Comme l’ont souligné Benson et ses collègues (2008), les mères ayant un plus grand soutien social s’impliquent plus activement.

Un autre point important à souligner est l’âge de l’enfant lors du diagnostic : plus de la moitié des enfants (voir Tableau 1) dont les mères ont participé à cette étude ont reçu leur diagnostic lors de l’entrée à l’école ou après, modifiant ainsi le rôle des mères durant le parcours scolaire, car ces mères doivent également s’adapter à leur nouvelle réalité. Par exemple, une mère ayant déjà côtoyé des services préscolaires pour le TSA est familière avec certains processus tels que le plan d’intervention. Par contre, les mères qui apprennent que leur enfant présente un TSA lors de l’entrée à l’école ne connaissent pas tous les services et les besoins de leur enfant, et peuvent donc être contraintes d’effectuer de nombreuses démarches pour obtenir de l’information. Comme chaque stade de la vie comporte des défis différents et que pour cette recherche nous n’avons qu’abordé ceux vécus au primaire. Pour de futures recherches, il serait intéressant de documenter les différences culturelles et socioéconomiques des parents d’enfants présentant un TSA intégré en classe ordinaire, car l’échantillon de cette recherche était relativement homogène. Un autre aspect qui pourrait être pertinent à documenter est la perception du personnel scolaire en ce qui a trait à l’implication des parents dans le processus d’intégration d’un enfant présentant un TSA. En documentant cette perception, il serait possible de construire un modèle de collaboration plus efficient.

Pour conclure, les résultats de notre analyse suscitent des réflexions quant à la place accordée aux parents, ici particulièrement aux mères, au sein de l’école québécoise en contexte d’intégration. Nos conclusions portent à croire que l’implication de ces dernières est très variable et qu’elle est souvent liée à un manque perçu de service ou de compétence dans le milieu scolaire. Certaines mères voudraient réduire leur niveau d’implication alors que d’autres se sentent exclues. Plusieurs mères ne semblent pas savoir quel rôle est attendu d’elles dans le milieu scolaire ne connaissant ni leurs droits ni leur pouvoir au sein du système d’éducation, et nombre d’entre elles ont l’impression de subir les décisions du personnel scolaire sans pouvoir y participer. Nos conclusions confirment malheureusement celles du MELS (2010), qui soulignait que le milieu scolaire québécois ne favorise pas encore une implication parentale optimale pour la réussite de l’intégration de l’enfant.