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Introduction

En Amérique du Nord, les dernières données indiquent qu’un enfant sur 68 présente un trouble du spectre de l’autisme (TSA) accompagné ou non d’une déficience intellectuelle plus ou moins sévère (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, 2014). Le profil clinique de ces enfants varie grandement, ces derniers présentant un agencement de signes et de symptômes en lien avec les critères diagnostiques, et ce, à des degrés de sévérité variables (American Psychiatric Association, 2013). Depuis les dernières années, un nombre important de recherches (Brown, Ouellette-Kuntz, Hunter, Kelley, & Cobigo, 2012; Burton, Lethbridge, & Phipps, 2008; Courcy, Granger, & des Rivières-Pigeon, 2014; Myers, Mackintosh, & Goin-Kochel, 2009; Woodgate, Ateah, & Secco, 2008) a été mené auprès des familles d’enfants présentant un TSA avec ou sans DI, notamment en raison des nombreux défis auxquels sont confrontés les parents (p. ex., problèmes de santé, difficultés de maintien en emploi et conflits conjugaux) et de l’importance qui est accordée à leur rôle dans la stimulation et le développement des capacités de ces enfants. En effet, l’implication des parents dans leurs interventions parentales est généralement encouragée par les professionnels des milieux de l’intervention, les chercheurs et les instances gouvernementales ou organisationnelles afin de favoriser le développement de ses capacités individuelles tout comme son intégration sociale (Eldevik et al., 2009; Foster, Dunn, & Lawson, 2013; Makrygianni & Reed, 2010).

Dans ce contexte, l’implication parentale peut prendre de multiples formes. Il peut s’agir par exemple de communiquer avec les professionnels, les intervenants et les fournisseurs de services, de défendre les droits de l’enfant ou encore d’intervenir auprès de lui afin de favoriser ses apprentissages (Burke, 2013; Collins, 2008; Courcy et al., 2014; Grindle, Kovshoff, Hastings, & Remington, 2009; O’Halloran, Sweeney, & Doody, 2013; Woodgate et al., 2008). De ces recherches, peu d’entre elles ont porté, de façon spécifique, sur l’implication des pères dans l’éducation et les interventions auprès de l’enfant. Ce constat doit être fait à la lumière de la sous-représentation des pères qui est généralement constatée dans les recherches menées auprès des parents d’enfants présentant un TSA (Donaldson, Elder, Self, & Christie, 2011; Flippin & Crais, 2011; Vacca, 2013; Weisberg, 2011).

Depuis les dernières années, de plus en plus de pères souhaitent s’engager davantage auprès de leurs enfants présentant un TSA (Elder, Valcante, Won, & Zylis, 2003). Les dernières recherches montrent que ces derniers peuvent être d’aussi bons thérapeutes que les mères (Bendixen et al., 2011; Elder et al., 2011; Seung, Ashwell, Elder, & Valcante, 2006). Leur implication auprès de l’enfant favorisent notamment son développement cognitif, langagier, affectif et adaptatif, facilitent les interactions avec lui et diminuent les niveaux de stress de la mère, ce qui, somme toute, améliore les dynamiques familiales dans leur ensemble (Bendixen et al., 2011; Donaldson et al., 2011; Elder et al., 2003; Flippin & Crais, 2011; Winter, 2005). Cependant, des auteurs déplorent que la participation des pères dans l’éducation et les interventions des enfants présentant un TSA demeure trop souvent marginale (Flippin & Crais, 2011; Johnson & Simpson, 2013), bien que de plus en plus de pères rapportent souhaiter y participer davantage (Elder et al., 2003). Comment expliquer ce décalage entre ce qui est « souhaité » par les pères et ce qui est « fait » ? Les services, tels qu’ils sont offerts aux familles, pourraient-ils avoir un impact sur la participation des pères ? Comment mieux soutenir les pères qui désirent s’impliquer dans l’éducation et les interventions de leur enfant présentant un TSA avec ou sans DI?

Objectifs

Cette recherche poursuit deux objectifs. Elle vise, dans un premier temps, à rendre compte de l’expérience de pères quant à leur implication dans l’éducation et les interventions de leur enfant présentant un TSA avec ou sans DI. En raison de l’importance accordée à la participation paternelle dans le développement cognitif, langagier, affectif et adaptatif de l’enfant, elle vise dans un deuxième temps à dégager des éléments pouvant, de leur point de vue, favoriser ou nuire à leur participation.

Méthode

La perception des pères quant à leur implication dans les programmes de leur enfant présentant un TSA avec ou sans DI et les éléments pouvant faciliter ou nuire à cette participation ont jusqu’à maintenant fait l’objet de très peu de recherches. Cette recherche exploratoire souhaite « baliser » cette réalité pour en documenter les aspects saillants (Trudel, Simard, & Vonarx, 2007). Elle a eu lieu dans le cadre d’une étude plus large portant sur le travail domestique effectué et le soin apporté par les parents d’enfants présentant un TSA (des Rivières-Pigeon et al., 2015). Des entretiens semi-dirigés ont été effectués afin de recueillir des informations sur les perceptions des pères quant à leur expérience et leur implication dans l’éducation et les interventions de leur enfant présentant un TSA. La méthode des entretiens apparaît comme une méthode de collecte de données idéale afin de saisir le sens que les participants donnent à leurs conduites (ici leur implication auprès de l’enfant) et comment ils vivent cet engagement (Denzin & Lincoln, 1994; Savoie-Zajc, 2010). Le comité d’éthique de l’Université laquelle a approuvé la réalisation de ce projet de recherche.

Le recrutement

L’appel de participation à la recherche a circulé dans les réseaux sociaux et sur les sites officiels d’association de parents. Une clinique privée en autisme de la grande région de Montréal a également envoyé l’appel de participation sur sa liste de diffusion. Les critères de sélection étaient : avoir un enfant d’âge préscolaire ou primaire, soit de quatre à 12 ans, et qui a reçu un diagnostic officiel de trouble du spectre de l’autisme avec ou sans déficience intellectuelle. Les pères ayant un enfant plus âgé ont été exclus compte tenu des particularités propres aux réalités adolescentes. De plus, les pères devaient vivre, au moins une semaine sur deux, avec l’enfant. Ils ont été invités à contacter une assistante de recherche, par téléphone ou par courriel pour signaler leur intérêt à participer à la recherche.

Les participants

Un échantillon présentant une variété de profil était recherché afin de rendre compte de la diversité des familles d’enfants présentant un TSA. Neuf pères ont participé à l’étude. Leur consentement, libre et éclairé, a été recueilli par écrit. Ces derniers résident dans les environs de trois villes québécoises : Montréal, Québec et Sherbrooke. La plupart des pères vivent avec la mère de l’enfant, excepté Éric[1] et Alain qui avaient la garde partagée de leurs enfants. La plupart des familles comptent deux ou trois enfants. En ce qui a trait au profil des enfants présentant un TSA, tous sont des garçons âgés entre trois et 11 ans. La moitié d’entre eux (5/10) ont également un diagnostic de déficience intellectuelle (modéré à léger). Les services reçus par les familles sont très diversifiés. Cette variation s’explique notamment par l’âge, la sévérité des symptômes associés au TSA, la présence de diagnostic multiple dans l’échantillon (déficience intellectuelle ou autre) et les écarts constatés d’une région à l’autre dans l’offre de service. Le tableau 1 présente le profil socioéconomique des familles de chacun des participants.

Les entretiens

Les entretiens se sont déroulés à domicile, près du lieu de travail du participant ou dans un local de l’Université. Deux chercheurs étaient présents lors des entrevues. La durée des entretiens a varié de 60 à 90 minutes. Les entrevues ont été transcrites dans leur intégralité, à l’exception des données potentiellement identifiantes qui ont été supprimées. La grille d’entrevue aborde l’implication des pères dans l’éducation et les interventions de leur enfant. Pour ce faire, nous avons demandé aux participants de parler de leurs tâches quotidiennes auprès de l’enfant en racontant une journée « typique » de semaine, en l’occurrence le jour précédent, ainsi qu’une journée « typique » de fin de semaine, par exemple le dernier samedi. L’entrevue se terminait sur les mesures d’aide qui, selon les participants, pourraient être mises en place pour les aider dans leur implication auprès de leur fils.

Analyse

Une analyse de contenu à l’aide du logiciel N’Vivo a été effectuée (QSR International, 2012). La démarche d’analyse s’est amorcée avec une description détaillée permettant de comprendre et d’extraire les propriétés signifiantes de l’expérience et des perceptions des pères quant à leur implication dans l’éducation et les interventions de leur enfant présentant un TSA (Deslauriers & Kérisit, 1997). Il pouvait s’agir d’un mot, d’une phrase ou d’un paragraphe illustrant une idée ou un concept se rapportant aux deux objectifs de recherche identifiés au départ (Blais & Martineau, 2006). Les entrevues ont fait l’objet d’une analyse verticale afin d’en coder les différentes unités de sens (les « noeuds ») et d’une analyse transversale qui a donné lieu à la création de nouvelles catégories regroupant plusieurs noeuds. Plusieurs discussions entre les auteurs ont eu lieu pendant le codage afin de limiter les biais d’analyse. Trois principaux thèmes ont émergé du regroupement de ces noeuds : (a) les formes d’implication paternelle dans l’éducation et les interventions, (b) la portée des services sur l’implication des pères et (c) l’importance du partage des responsabilités familiales dans le couple.

Résultat

Les formes d’implication paternelle dans l’éducation et les interventions

L’analyse des entrevues effectuées avec les participants fait émerger trois principales formes rapportées d’implication : (a) l’insertion des apprentissages dans la routine familiale et le jeu, (b) l’encadrement, la prévention et la gestion des crises et (c) la recherche d’information sur Internet

Tableau 1

Profil des familles des participants

Profil des familles des participants

Note. U : Diplôme d’études universitaires; C : Diplôme d’études collégiales; S : Diplôme d’études secondaires

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L’insertion des apprentissages dans la routine familiale et le jeu. L’implication des pères vise tout d’abord à favoriser les apprentissages chez leur fils, notamment en lien avec le langage, la lecture et les interactions sociales. Par exemple, François confie « s’être entêté à lui apprendre l’alphabet » et Gabriel prendre le temps de « lire avec lui pour lui faire prononcer certains mots ». Des pères racontent également comment ils aident leur fils à se « faire des amis » (Pierre). D’autres pratiquent ces habiletés de conversation en lui demandant de raconter sa journée à l’école ou à la garderie. Somme toute, les pères favorisent les apprentissages en les insérant à la routine familiale. Un père dit à ce propos : « Quand j’ai fait le jardin, j’ai demandé à Alexandre de venir m’aider. Je lui ai expliqué comment le légume va pousser, comment il va être, de quelle couleur, etc. Je mets toujours beaucoup de détails dans l’information que je lui donne. C’est pour qu’il apprenne » (François). Les sorties apparaissent également comme d’autres occasions pour favoriser les apprentissages dans le cadre de la routine familiale. « Aller à l’aréna c’est un projet. Son grand frère joue au hockey sur glace tous les samedis matins et on y va en famille. Il doit apprendre », souligne Jonathan.

Les pères favorisent également les apprentissages de leur fils en jouant avec lui. Ces derniers soulignent l’importance d’apprendre en jouant. « Je joue beaucoup avec lui et je veux qu’il s’amuse en apprenant », résume François. Plusieurs ont également dit travailler les interactions sociales et les tours de rôle en jouant à des jeux de société avec leur fils et ses frères et soeurs. Les moments passés à jouer « en se chamaillant » (Luc) contribuent, selon les participants, à renforcer la relation avec leur fils. « Il ne jure que par papa. Juste de passer du temps avec moi, c’est un renforçateur », confie François. Cependant, cette situation n’est pas celle de tous les pères, comme le montrent les extraits suivants :

Tu sais, quand tu as un garçon, tu t’attends à faire du sport et des activités sportives avec lui. C’est sûr que ça me manque. Je lui ai acheté un vélo et il n’a jamais voulu en faire.

Alain

Ce que je trouve difficile c’est qu’on ne fait pas d’activités ensemble comme du sport ou du camping. Je suis tiraillé entre le fait de faire ou non le deuil de tout ça. J’aurais besoin d’être guidé pour réussir à faire des activités avec lui.

Jean

Comme pour Jean et Alain, d’autres pères confient également que les activités récréatives ne sont pas toujours faciles ou même possibles avec leur fils, ce qui leur génère parfois de la tristesse ou de la déception.

L’encadrement, la prévention et la gestion des crises. L’implication quotidienne des pères vise également à encadrer leur fils afin qu’il réponde aux demandes qui lui sont faites ou éviter qu’il se « désorganise » (Alain). Cette tâche consiste à faire de nombreux rappels afin de diriger l’attention de ce dernier sur la tâche qu’il doit accomplir, par exemple celle de s’habiller :

Il a de la difficulté à se concentrer. Il commence [à s’habiller] mais aussitôt qu’il entend un bruit, son attention n’est plus sur la tâche. Alors il faut que je le ramène et que je lui demande : « Qu’est-ce qu’il fallait que tu fasses ? » Il me répond : « M’habiller ». Et là oups ! Il repart. Je recommence. « Xavier, qu’est-ce qu’il fallait que tu fasses ? » Il me répond et on recommence. Ça demande beaucoup d’encadrement.

Éric

La prévention et la gestion des crises demandent aussi un encadrement de leur part afin d’éviter l’émergence d’anxiété ou de comportements problématiques. Tous les participants disent avoir recours, sous une forme ou une autre, à des routines préétablies décrites sur des supports visuels placés à la vue de leur fils. Des pères soulignent également l’importance de « faire équipe » (Luc) avec leur conjointe. Il peut s’agir de s’entendre préalablement sur les conséquences qui vont lui être données s’il ne coopère pas ou d’intervenir simultanément auprès de ce dernier. Dans l’absence d’une telle concertation, des désaccords peuvent mener à des conflits entre les conjoints.

La recherche d’informations sur Internet. Les pères disent avoir consacré plusieurs heures à la recherche d’information sur des sites web spécialisés, mais aussi auprès d’autres parents d’enfants présentant un TSA avec ou sans DI par l’entremise des réseaux sociaux. Ce recours à Internet est « quasi réflexe » chez les pères interrogés, surtout dans la période entourant le diagnostic de leur fils. Alain exprime à ce propos : « Je suis tout de suite allé sur Internet. Plus je lisais, plus je reconnaissais mon fils. Je ne pouvais pas dire que le psy s’était trompé » (Alain). « Plus on écoutait des vidéos d’enfants autistes plus on reconnaissait des comportements de notre fils », souligne également Jonathan. Les consultations sur Internet semblent donc constituer une étape charnière dans la compréhension du diagnostic rendu par le spécialiste. La recherche d’informations sur Internet effectuée par ces pères pouvait également porter sur des stratégies ou des « trucs » pour mieux intervenir et interagir avec leur fils. Ce recours à Internet est justifié par le manque de ressources, et ce, surtout à l’extérieur du grand centre métropolitain. « [De l’information], tu n’en a pas en région ! », s’exclame Pierre. Somme toute, les participants ont pour visée commune de rendre leur fils le plus autonome possible. Un père confie à ce propos : « J’ai peur qu’en poussant mon dernier souffle il ait encore besoin de moi pour fonctionner. Je veux être capable de me dire qu’on a tout essayé pour lui » (Luc). La préoccupation « de ne pas toujours être là pour lui » (Éric) apparait comme la première motivation des pères à s’investir, dès maintenant, dans l’éducation et les interventions de leur fils.

La portée des services sur l’implication paternelle

Le deuxième regroupement thématique révélé par l’analyse des propos des participants porte sur la perception des services reçus et de son effet sur leur implication dans les interventions. D’emblée, plusieurs pères confient vivre des difficultés dans la recherche d’aide et de services pour l’enfant. L’expérience de la « jungle administrative » (Jonathan) est décrite comme une tâche qui est toujours à recommencer. Les délais liés à l’évaluation ou à l’arrivée des services sont source de vives frustrations. Les pères dont les fils sont plus jeunes soulignent le manque de service d’ergothérapie, d’orthophonie ou d’intervention comportementale intensive. Ceux dont le fils fréquente l’école primaire déplorent le manque d’accompagnement à l’école ou les pratiques d’intégration inadéquates, faisant en sorte que les enfants, en classe ordinaire, sont trop souvent « laissés à eux-mêmes » (Gabriel) alors que d’autres, en classe spéciale, se retrouvent avec des enseignants « dépassés par leur tâche » ou « pas assez formés aux réalités du TSA » (Pierre). Le manque de services spécialisés a un effet paradoxal sur l’implication rapportée par les pères. Pour certains, comme le montre l’extrait suivant, le manque de service justifie la nécessité de s’impliquer encore plus auprès de leur fils : « Le gros du travail c’est à nous de le faire. Les intervenants ne feront pas 70 heures par semaine avec lui. C’est à nous de travailler avec nos enfants » (François). Pour d’autres pères, le manque de services spécialisés est plutôt un facteur de découragement qui semble générer plus du stress qu’autre chose. L’un d’eux explique : « Les parents sont obligés de compenser. S’ils ne sont pas assez compétents pour le faire, tant pis, c’est une perte de temps et d’énergie » (Gabriel).

Dans le même ordre d’idées, le manque de flexibilité dans la façon d’intervenir de la part des professionnels qui est perçu par les pères semble également limiter leur désir d’implication dans les interventions. Le cas le plus frappant est celui d’un père qui juge que les services offerts à son fils entrent en contradiction avec ses besoins particuliers. La rigidité avec laquelle les intervenants appliquent le programme d’intervention est fortement critiquée par ce dernier :

Il était question de renforçateurs alimentaires. Avec l’historique de mon fils, c’était une fin de non-recevoir. Leur réponse a été : « Écoutez, si ça ne fait pas votre affaire, on peut tout laisser tomber ». Pas d’adaptation. C’était assez rigide. Il aurait eu d’autres moyens pour le motiver. Je me suis à peine impliqué parce que c’était des points de vue diamétralement opposés. Quand ça ne fait pas sens pour la personne qui reçoit, c’est difficile.

Gabriel

Comme d’autres pères qui ont l’impression que peu de professionnels scolaires adaptent leurs demandes ou leurs façons de faire aux particularités de leur fils, ce père dit « s’être désengagé ».

A contrario, les pères perçoivent que certaines caractéristiques des interventions favorisent leur implication. Par exemple, la présence de journaux de bord, de courriels et de comptes rendus quotidiens faits par les intervenants ou les enseignants sont très appréciés par les pères parce qu’ils leur permettent de savoir ce qui est travaillé avec leur fils et s’il y a des progrès ou l’émergence de nouvelles problématiques. Forts de ces renseignements, les pères peuvent à leur tour intervenir : « Il faut que je sache ce qui est arrivé à l’école pour intervenir à la maison [de façon conséquente] » (Alain). Au cours des entrevues effectuées, les pères signifient leur désir d’en apprendre davantage sur les façons de favoriser les apprentissages de leur fils. Le fait d’être directement interpelé à participer aux interventions est source d’enthousiasme. La présence des pères lors des séances menées par les intervenants est décrite par ces derniers comme l’occasion d’« appendre comment faire apprendre à l’enfant » (Pierre). Un père explique en ce sens : « Les premières fois que j’ai travaillé avec Alexis, c’était avec son ergothérapeute. Elle m’a beaucoup aidé au niveau de la structure ou comment lui présenter de nouvelle information. Je la voyais travailler avec mon fils et j’apprenais des trucs » (François). Le soutien des intervenants, en favorisant le développement d’habiletés à intervenir auprès de leur fils, favorise ainsi l’implication de ces pères pendant les séances d’intervention de leur fils et dans la vie quotidienne avec ce dernier.

L’importance du partage des responsabilités familiales dans le couple

L’analyse des entrevues fait également émerger un dernier regroupement thématique soulevant l’importance du partage des responsabilités familiales dans le couple (emploi rémunéré, tâches familiales et ménagères) sur l’implication rapportée par les pères. En effet, lorsque les deux parents occupent un emploi ou se partagent la garde de l’enfant une semaine sur deux, les pères de l’échantillon se perçoivent plus impliqués que les autres dans les interventions spécialisées. D’entre eux, plusieurs jonglent avec leur horaire de travail afin d’être présents aux rendez-vous avec les spécialistes et au retour de l’école. Dans les familles où seul le père est en emploi, ces derniers se disent moins impliqués dans les interventions. Ces pères soulignent l’importance de leur engagement professionnel afin d’assurer la sécurité financière de la famille. Il s’avère ainsi primordial « d’avoir un emploi qui offre de bonnes assurances » (Pierre) pour rembourser une partie des dépenses engendrées par les interventions spécialisées. Plusieurs d’entre eux confient vivre des contraintes financières. L’un d’eux l’exprime en ce sens : « Notre plus gros défi est financier. Nous avons beaucoup de services à payer. Et quand je manque le travail pour des rendez-vous avec les spécialistes, c’est de l’argent qu’on perd » (Jonathan).

Interpretation des resultats et discussion

Cette recherche avait pour objectif de rendre compte de l’expérience de pères quant à leur implication dans l’éducation et les interventions de leur fils présentant un TSA avec ou sans DI afin de dégager des éléments qui peuvent, de leur point de vue, favoriser ou nuire à leur participation. À la lumière des résultats présentés, certaines pistes peuvent être soulevées afin de mieux soutenir les pères qui désirent s’impliquer dans l’éducation et les interventions de leur enfant.

Dans un premier temps, le jeu et l’aspect récréatif de l’implication ressortent comme un élément auquel les pères accordent une importance particulière (Elder et al., 2003; Weisberg, 2011). En effet, le « rough and tumble play » occupe une place importante dans la relation père-enfant. Cependant, il semble que des pères ressentent de la frustration parce qu’ils ne parviennent pas à jouer ou à communiquer avec leur fils (Elder et al., 2003). Dans la foulée d’autres recherches, les propos des pères montrent que les programmes d’intervention qui contribuent au développement des interactions avec l’enfant, qui présentent une composante récréative et qui sont perçus par les pères comme efficaces et plaisants favorisent une plus grande implication de leur part (Donaldson et al., 2011; Wenzler, 2010; Winter, 2005). Par ailleurs, il est possible que les difficultés ressenties par les participants dans les activités sportives ou les jeux de chamailleries avec leur enfant soient d’autant plus accrues qu’il s’agissait de garçons. Le sexe de l’enfant, par le biais des rôles de genre et de la relation père-fils « attendue », pourrait ainsi moduler les perceptions des pères quant à leur enfant présentant un TSA avec ou sans DI et leur relation avec les services. En ce qui a trait à l’encadrement, la prévention et la gestion des crises, les résultats soulèvent une condition importante selon les pères : la concertation préalable entre les parents.

Dans un deuxième temps, la recherche d’informations sur Internet se révèle comme une forme d’implication effectuée par l’ensemble des pères. Ce résultat corrobore ceux d’autres recherches voulant que ce type de ressource, phénomène nouveau des deux dernières décennies, puisse constituer une source importante d’information et de partage de soutien pour (et entre) les parents d’enfants présentant un TSA avec ou sans DI (des Rivières-Pigeon, Courcy, & Poirier, 2012; Twoy, Connolly, & Novak, 2007; Wodehouse & McGill, 2009). Par ailleurs, les résultats obtenus dans cette recherche suggèrent une piste de réflexion nouvelle à l’égard de l’apport d’Internet dans la compréhension (ou l’adaptation) du parent à l’égard du diagnostic rendu par les spécialistes. Ces résultats corroborent également les résultats d’autres recherches selon lesquels les pères souhaitent recevoir de la rétroaction par Internet afin de faciliter les interactions avec leur enfant (Beharav & Reiser, 2010; Collins, 2008; Ferdig et al., 2009; Wenzler, 2010).

Un troisième constat découlant des résultats est que la répartition des responsabilités familiales au sein du couple est reliée à la perception que les pères ont de leur implication auprès de leur fils présentant un TSA avec ou sans DI. En effet, les pères dont les conjointes occupent un emploi se disant plus impliqués dans l’éducation et les interventions que ceux qui assument le rôle d’unique pourvoyeur de la famille. La valeur accordée à l’emploi est également mise en exergue par l’importance des contraintes financières rencontrées par ces familles et générées en grande partie par le coût des interventions spécialisées. Il est connu que les familles de ces enfants sont particulièrement à risque de vivre une situation de précarité financière et que les pères sont, dans l’ensemble, moins impliqués que les mères dans l’intervention directe avec l’enfant et les professionnels qui l’entoure (Elder et al., 2003; Gray, 2003; Flippin & Crais, 2011; Myers et al., 2009; Vacca, 2013). Les résultats obtenus dans cette recherche indiquent que les contraintes financières, tout en s’avérant une source de stress accrue pour les pères, réduisent leur temps disponible, ces derniers devant assurer le revenu familial et conserver les avantages (assurances, banque de congés) que leurs emplois peuvent comporter. Puisque des pères cumulent plusieurs emplois ou font du temps supplémentaire pour subvenir aux besoins de leur famille, des chercheurs proposent d’inclure le rôle de pourvoyeur comme une forme d’implication parentale (voir entre autres Venter, 2011). Dans cette recherche, il fut décidé d’analyser les perceptions de pères quant à leur implication (surtout directe) auprès de l’enfant présentant un TSA avec ou sans DI, et ce, en raison de l’importance qui est accordée à leur participation dans le développement cognitif, langagier, affectif et adaptatif de ce dernier (Eldevik et al., 2009; Foster et al., 2013; Makrygianni & Reed, 2010). Enfin, la recherche de Winter (2005) souligne également les difficultés des pères qui occupent un emploi à être présents lors des séances d’intervention avec les professionnels et les intervenants en raison de leur horaire de travail (Winter, 2005). Des services pouvant avoir lieu le soir ou le week-end pourraient ainsi favoriser l’implication des pères (Wenzler, 2010), ce qui aiderait également les mères qui sont en emploi.

Dans un quatrième temps, certaines caractéristiques des services apparaissent centrales dans l’expérience des pères et la perception qu’ils ont de leur implication auprès de leur fils présentant un TSA avec ou sans DI. Comme d’autres études, les résultats soulèvent la problématique des délais d’attente et de l’insuffisance des services destinés aux familles de ces enfants (Brookman-Fraze, Baker-Ericzen, Stadnick, & Taylor, 2012; Myers et al., 2009; O’Halloran et al., 2013). L’expérience d’obstacles administratifs dans l’accès aux services et la perception de rigidité chez les professionnels dans la façon d’intervenir sont d’autres éléments également constatés dans le récit de mères (Dillenburger, Keenan, Doherty, Byrne, & Gallagher, 2010; Nicholas et al., 2016). Par ailleurs, un effet paradoxal sur la perception d’implication est constaté chez les participants : le manque de services motive certains pères à s’impliquer davantage alors qu’il en décourage d’autres. Nous ne pouvons expliquer cette différence, bien qu’il semble probable qu’elle soit en grande partie liée aux capacités d’adaptation de chacun des participants ainsi qu’aux ressources personnelles dont ils disposent (Dabrowska & Pisula, 2010, Twoy et al., 2007; Hastings et al., 2005; Luther, Canham, & Young Cureton, 2005). De plus, le manque d’adaptation de la part des professionnels qui était perçu par les pères semble également avoir eu pour conséquence de freiner leur désir de s’impliquer dans les interventions. Bien qu’il soit démontré qu’un parent s’engage peu dans une intervention qu’il ne juge pas adaptée à son enfant, il est inquiétant de constater que le manque d’adaptation de la part des professionnels est encore souvent relevé dans les perceptions parentales à l’égard des services reçus (van Tongerloo, van Wijngaarden, van der Gaag, & Lagro-Janssen, 2014). Il est possible que la pluralité des profils des enfants présentant un TSA explique en partie la difficulté des professionnels et des enseignants à s’adapter aux besoins particuliers de chacun d’entre eux, ces derniers présentant souvent des caractéristiques et des besoins très différents.

Dans un dernier temps, le fait d’être interpelés à participer aux séances d’interventions apparait comme une caractéristique perçue comme favorisant l’implication des pères. Ce résultat s’inscrit en droite ligne avec les écrits d’autres chercheurs et cliniciens qui accordent de l’importance à ce que les pères soient encouragés par les intervenants et les professionnels à participer aux séances d’interventions (Flippin & Crais, 2011; Vacca, 2013; Wenzler, 2010). Par ailleurs, selon Grindle et ses collègues (2009), les programmes d’intervention visant à favoriser la participation parentale demeurent surtout pensés pour les mères. À titre d’exemple, il serait souvent pris pour acquis que la mère recevra le coaching (rétroaction) des professionnels et des intervenants et qu’elle le transmettra par la suite à leur conjoint (Flippin & Crais, 2011; Vacca, 2013). En plus de restreindre la participation des pères, cette façon de faire pourrait générer des tensions au sein du couple. Wenzler (2010) souligne à cet effet l’importance que les deux parents soient présents lors des rencontres avec les professionnels ou les intervenants et que les pères soient directement interpelés à s’impliquer dans les interventions de leur enfant.

Conclusion

Au Québec, comme dans le reste du Canada, peu de recherches ont à ce jour porté sur l’expérience spécifique de ces pères, et encore moins sur le sujet de leur implication auprès de l’enfant. De façon générale, cette recherche participe à combler ces manques dans les connaissances sur les familles d’enfants présentant un TSA avec ou sans DI. Comme les mères (Woodgate et al., 2008), les pères sont préoccupés par l’avenir de leur fils lorsqu’ils ne seront plus là pour l’aider, mettant ainsi en lumière combien cette préoccupation peut être un « moteur » puissant d’engagement auprès de ce dernier. En plus de documenter des formes rapportées d’implication paternelle, l’apport de cette recherche est d’avoir mis en lumière des éléments qui, du point de vue des pères, peuvent faciliter ou nuire à leur implication. D’autres recherches devront être menées afin d’évaluer de façon plus précise la portée des pistes proposées afin de mieux soutenir l’implication paternelle dans le contexte où l’enfant présente un TSA avec ou sans DI. En raison de la taille et du mode de constitution de l’échantillon, les résultats de cette recherche ne peuvent être généralisés à l’ensemble des pères de ces enfants. Les caractéristiques et les résultats présentés ne représentent ainsi que la situation et les propos des pères interrogés dans le cadre de cette recherche. Ces résultats peuvent néanmoins enrichir notre compréhension de l’expérience paternelle et soulèvent certains aspects que plusieurs pères peuvent rencontrer dans leur vie avec un fils présentant un TSA avec ou sans DI. De plus, plusieurs similitudes ont été constatées avec les résultats d’autres études menées auprès de différents échantillons de pères et de mères d’enfants vivant une situation de handicap. Enfin, comme dans la plupart des recherches menées en sciences sociales, nous ne pouvons pas exclure la possibilité d’un biais de désirabilité sociale ou encore l’effet d’une pré-sélection selon lequel les pères les plus impliqués dans l’éducation et les interventions seraient possiblement plus enclins à participer à une recherche sur le sujet.