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L’introduction de l’ouvrage L’assignation de genre dans les médias. Attentes, perturbations et réassignations, dirigé par Béatrice Damian-Gaillard (Université de Rennes 1), Sandy Montañola (Université de Rennes 1) et Aurélie Olivesi (Université Claude Bernard Lyon 1), suggère que l’étude de l’assignation du genre dans les discours médiatiques permet un accès privilégié aux représentations sociales et aux enjeux de pouvoir qui les accompagnent (p. 11). Conséquemment, c’est ce que les articles de ce recueil, qui ont d’abord fait l’objet de présentations lors du colloque « L’assignation de genre dans les médias », à Rennes, en 2012, tentent d’obtenir par une incursion au coeur de discours médiatiques variés. S’appuyant, entre autres, sur les travaux respectifs de Erving Goffman, Marlène Colomb-Gully et Teresa Di Laurentis sur le genre et ses représentations médiatiques, les articles explorent divers médias traditionnels, passant de la presse dite « de référence » aux feuilletons satiriques. Il est généralement reconnu que les médias contribuent à la visibilité, dans l’espace public, des définitions de genre et à une prescription des normes et des rôles de sexe. C’est dans cette optique que les auteures et les auteurs cherchent à dépeindre la manière dont les normes et les stéréotypes sont généralement attendus, les médiasphères tentant parfois un « défigement[1] » des figures hégémoniques, ce qui contribue ainsi à certaines reconfigurations des possibles.

Suivant l’idée que les médias participent à l’apprentissage des normes sociales (Yanovitzky et Stryker 2001 : 208-239) et permettent de créer ou de renforcer des définitions/prescriptions de la normalité (Henderson, Kritzinger et Green 2000), les auteures de la première partie, intitulée « Attentes », ont étudié les discours médiatiques majoritairement francophones qui ont tendance à façonner les attentes normatives liées au genre. L’article d’Élise Vinet et Stéphanie Gosset dénonce tout d’abord les représentations stéréotypées qui renforcent les normes prescriptives de rôles de sexe dans les magazines parentaux français. Elles concluent que les documents étudiés mettent en scène des femmes qui allaitent en les castrant dans leur rôle de mère. Parallèlement, cette perpétuation de stéréotypes de rôles genrés, combinée à une discrimination racisée ainsi qu’à une représentation du couple traditionnel, dans laquelle la femme est subordonnée à l’homme, est au centre de l’article de Laetitia Biscarrat. Celle-ci présente l’émission Maman cherche l’amour[2] comme un phénomène télévisé qui est « prescripteur de normes de genre qu’il produit et reproduit activement » (p. 52). En effet, seules les mères assujetties à ces normes prescrites peuvent trouver l’amour, alors que celles qui s’en distancient, soit, entre autres, par leur couleur de peau ou leur féminisme affirmé, n’y parviendront pas. Les attentes liées aux rapports sociaux de genre, de race et de classe se trouvent également au coeur du texte de Marion Dalibert. Cette dernière analyse la médiatisation du collectif Ni putes ni soumises (NPNS) dans la presse quotidienne française dite « de référence ». Ses résultats suggèrent que les médias « ethnoracialiseraient » les groupes sociaux en contribuant non seulement à la représentation des normes de genre, mais également à la construction et à la séparation des identités « blanches » et « non blanches ». En effet, la coproduction du genre et de la race dans la médiatisation de NPNS a démontré ceci (p. 65) :

Le genre ne peut donc pas être pris en compte sans la race : les identités des groupes sociaux représentées dans les médias doivent être questionnées et étudiées dans leur intersectionnalité, et les attributs catégoriels considérés comme neutres ou génériques doivent être interrogés de la même façon que ceux qui sont socialement marqués.

La deuxième partie de l’ouvrage, nommée « Perturbations », se compose de trois chapitres. Juliette Charbonneaux aborde tout d’abord l’identité de genre en politique en offrant une comparaison de la représentation d’Angela Merkel selon Le Monde et le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Malgré la tendance des éditoriaux à révéler une différenciation des sexes en présentant des performances genrées, la féminité de Merkel ne serait pas l’angle principal d’analyse des éditorialistes, mais se trouverait en « filigrane, relayée par d’autres caractéristiques » (p. 77) identitaires, comme son origine et sa religion. Il en est de même pour le traitement des corps des femmes terroristes dans les discours de la presse française pour les années allant de 1970 à 1986. L’étude de Fanny Bugnon révèle des assignations genrées et une stigmatisation de la déviance (Cardi et Pruvost 2011) due à la non-conformité des femmes terroristes, violentes et souvent sans enfants. Dans ce chapitre, tout comme dans celui de Charbonneaux, la presse perpétuerait des représentations sexuées au caractère normatif et des stéréotypes de genre variés, mais souvent perturbés. Cette partie de l’ouvrage se clôt par l’analyse de la place des femmes dans certaines séries policières états-uniennes menées par un duo composé d’un policier ou d’une policière et d’un ou d’une scientifique. Sarah Sepulchre, auteure du chapitre, conclut que les personnages féminins sont stéréotypés, mais qu’un tel résultat subit vraisemblablement l’influence des outils scientifiques traditionnels d’analyse, eux-mêmes stéréotypés et genrés. Elle propose donc une dépolarisation des outils d’analyse.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage, intitulée « Reconfigurations », s’illustre par la transgression des stéréotypes de genre dans les médias. Les deux premiers chapitres abordent les reconfigurations des rôles sociaux dans les publicités aussi bien visuelles qu’écrites. Dans un premier temps, Jean-Claude Soulages analyse les modifications des normes dominantes : il précise que, malgré la tendance à la dénaturalisation des identités de genre, les rôles sociaux et domestiques ainsi que les assignations sexuées sont soumis à un conservatisme persistant (p. 119). Dans un deuxième temps, Stéphanie Kunert, qui se consacre à l’étude des identités de genre et aux orientations sexuelles, démontre que le processus de dé-/re-construction des normes de genre et de sexualité ne fait que réifier la norme. Dans un troisième temps, Gabrielle Trépanier-Jobin illustre, au fil de ce dernier chapitre, comment la parodie, dans le feuilleton télévisé québécois Le coeur a ses raisons, peut dénaturaliser les stéréotypes de genre et contribuer ainsi à lutter contre l’assignation de genre dans les médias. Bien que la parodie puisse transgresser les stéréotypes, l’auteure précise qu’elle peut aussi, dans certains cas, les renforcer.

L’assignation de genre dans les médias. Attentes, perturbations, reconfigurations propose un tableau varié d’études éloquentes qui situent le genre dans les discours des médias d’information. Celles-ci contribuent à mettre en lumière les différents enjeux de pouvoir des médias, qu’ils soient économiques, sociaux ou symboliques. Les chapitres se complémentent et s’alimentent entre eux; certains se réfèrent à d’autres présents dans le recueil, ce qui contribue à la cohérence de l’ensemble des textes.

L’une des forces de cet ouvrage est sa perspective intersectionnelle qui prend en considération non seulement le genre, mais également la race, la sexualité, la religion et les classes sociales. Enfin, bien que la conclusion ne soit pas, de prime abord, positive (elle propose que les discours médiatiques continuent d’alimenter les stéréotypes de genre et de présenter des figures hégémoniques), il est tout de même possible de penser que les diverses tentatives de défigement des normes stéréotypées seront fructueuses.