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Introduction

La finalité de cet article est une meilleure compréhension de l’orchestration des ressources comme processus général générateur de la croissance de la jeune TPE[2],[3] accompagnée selon la perspective des acteurs entrepreneuriaux[4]. La perspective de la firme fondée sur les ressources (resource-based view (RBV), en anglais) a initialement mis l’accent sur l’identification des actifs et des ressources, en vue de soutenir la croissance de l’entreprise (Penrose, 1959), au détriment d’une compréhension plus approfondie de leur intégration dans l’organisation (Hodgson, 2008). La perspective offerte par l’orchestration des ressources, telle qu’introduite par Sirmon, Hitt et Ireland (2007, 2011), Helfat et al. (2007), et actualisée récemment par Teece (2012) et Helfat et Peteraf (2015), rend manifeste l’intérêt d’étudier cette problématique afin de mieux comprendre la croissance de la jeune TPE accompagnée. L’étude de la croissance de la jeune TPE accompagnée permettrait également selon les termes de Venkataraman, Sarasvathy, Dew et Forster (2012, p. 25) de mener des « travaux empiriques sur les actions et les interactions entre acteurs entrepreneuriaux et leurs parties prenantes comme unité d’analyse importante » (traduction des auteurs).

En effet, des travaux récents ont souligné le besoin d’approfondir l’étude des actions en matière d’orchestration des ressources, susceptibles de favoriser la croissance de l’entreprise (Kraaijenbrink, Spender et Groen, 2010 ; Sirmon et Hitt, 2009). Selon Mueller, Volery et von Siemens (2012), les actions menées par les acteurs entrepreneuriaux sont d’une part, administratives dans le sens managérial du terme, et sont réalisées dans le but d’améliorer les opérations existantes, ou d’autre part, entrepreneuriales en apport au processus créatif et à la découverte d’opportunités (Alvarez et Barney, 2007). L’importance de la distinction entre ces deux types d’actions correspond à la position de Watson (2013, p. 414) qui insiste aussi sur l’existence d’une « tension/contradiction » entre elles puisque menées par le même acteur entrepreneurial (Metcalfe, 2008 ; Thornton, 1999). Spécifiquement, les actions managériales visant l’allocation et l’organisation optimales des ressources (Penrose, 1959) sont menées concurremment avec les actions entrepreneuriales sources de croissance (Davidsson, Achtenhagen et Naldi, 2005 ; Wright et Stigliani, 2012).

Il convient d’examiner « comment » les acteurs entrepreneuriaux se représentent la mise en oeuvre des actions permettant la croissance de l’entreprise dans une dynamique d’orchestration des ressources (Sirmon et al., 2007, 2011 ; Helfat et al., 2007 ; Helfat et Peteraf, 2015). L’intérêt de la représentation[5] comme objet d’étude, en tant que schéma mental collectif, ou produit cognitif ascendant, des acteurs entrepreneuriaux en matière d’actions managériales et entrepreneuriales dans l’orchestration des ressources, consiste à reconnaître explicitement la complexité et l’apport des « systèmes référentiels qui guident les individus » (Cossette, 2004, p. 42) et les collectifs (Schmitt, 2004) dans ces processus. Suivant la problématique précédemment soulevée, la question de recherche devient : « Comment les actions à entreprendre, selon les représentations des acteurs entrepreneuriaux, permettent-elles de favoriser la croissance de la jeune TPE, en s’inscrivant dans une perspective d’orchestration des ressources ? ».

À l’instar de travaux conduits en management, la présente contribution s’appuie sur une démarche méthodologique telle qu’appréhendée par le réalisme critique (RC) en étude de cas (Easton, 2010 ; Tsang, 2014 ; Wynn et Williams, 2012). Le RC guide sur le plan méthodologique les étapes requises permettant d’identifier, dans les résultats d’études de cas, les mécanismes d’autorenforcement générateurs du phénomène étudié. Le RC utilise l’inférence de rétroduction (ou d’abduction) dans la conjecture de demi-régularités empiriques[6] nécessaires à l’interprétation des mécanismes d’autorenforcement (Avenier et Gavard-Perret, 2012 ; Easton, 2010 ; Tsang, 2014 ; Wheeldon, 2010 ; Wynn et Williams, 2012).

En lien avec le positionnement du RC, un cadre méthodologique mixte propre à l’approche de la cartographie des concepts en groupe (CCG) est mis en place dans cette recherche (Kane et Trochim, 2007 ; Rosas et Kane, 2012 ; Trochim et Cabrera, 2005). La CCG s’inscrit dans un courant méthodologique en émergence en management stratégique et en entrepreneuriat où l’intervention auprès de groupes de participants, ou de parties prenantes, permet de mettre en évidence les représentations obtenues dans la recherche de cadres conceptuels ou de représentations collectives et partagées (Cloutier, Cueille et Recasens, 2013, 2014a ; Stigliani et Ravasi, 2012 ; Tarakci et al., 2014). Dans cette recherche, en raison des analyses statistiques multivariées sous-jacentes, la CCG produit un artéfact de représentations. Cette carte des concepts se rapporte aux actions et interrelations entre les actions d’orchestration des ressources des acteurs entrepreneuriaux dirigeants de jeunes TPE accompagnées. Une carte des concepts représente la complexité systémique de ces interrelations.

L’objectif principal de cette recherche consiste donc à rendre intelligibles les conjectures de demi-régularités des représentations des acteurs entrepreneuriaux concernant les actions favorisant la croissance de la jeune TPE accompagnée. L’atteinte de cet objectif repose sur la réalisation d’une étude intercas entre deux groupes de jeunes TPE accompagnées, l’un en France, l’autre au Québec. L’approche empirique employée permet de représenter, par une carte des concepts pour chacun des cas, les actions managériales et entrepreneuriales susceptibles de favoriser la croissance par les acteurs entrepreneuriaux participant à l’étude. Les distinctions contextuelles entre les cas sont d’autant plus évidentes qu’ils se situent dans des pays différents. À ce sujet, il est important de réitérer que l’attrait du RC en matière de généralisation analytique des demi-régularités empiriques aux notions théoriques réside dans l’articulation de conjectures s’appuyant sur des événements, processus, propriétés émergentes et mécanismes d’autorenforcement communs aux cas. Les analyses intercas systémiques en RC sont donc d’intérêt conjectural là où les mêmes questions se posent et des circonstances analogues observées (Byrne, 2009a).

Cette recherche constitue donc une contribution méthodologique originale de l’utilisation de la CCG par le truchement de son positionnement épistémologique selon le RC dans l’étude de la croissance de la jeune TPE accompagnée. Elle propose l’examen de la croissance comme un processus s’inscrivant dans le développement entrepreneurial de la jeune TPE accompagnée et contribue spécifiquement à une meilleure articulation des notions de ressources (RBV), de capacités organisationnelles et dynamiques, de compétences et de création de valeur. À ce sujet, quatre mécanismes d’autorenforcement générateurs de la croissance sont mis au jour à partir des représentations empiriques des actions managériales et entrepreneuriales des acteurs entrepreneuriaux des cas à l’étude. Ces résultats permettent d’établir trois conjectures d’ordre théorique se rapportant au processus général et sous-processus d’orchestration des ressources dans la croissance, mais aussi au rôle de l’accompagnement entrepreneurial en matière d’orchestration des ressources. Ce rôle est intéressant à mettre en évidence, la perspective de l’orchestration des ressources n’ayant pas, jusqu’ici, examiné le rôle de l’accompagnement entrepreneurial dans la construction des compétences en s’appuyant sur les ressources de l’environnement dans le phénomène de la croissance.

L’article est structuré de la manière suivante. La section 1 permet de présenter une analyse de la littérature relative à la croissance de la jeune TPE et de proposer un cadre d’interprétation du phénomène. La perspective épistémologique du RC et le cadre méthodologique sont détaillés à la section 2. Dans la section 3, les résultats intracas des cartographies des concepts sont introduits et interprétés. Des conjectures issues des résultats de la recherche sont suggérées à la section 4 où sont également présentées les contributions théoriques et managériales. Les implications et limites de la recherche sont présentées en conclusion.

1. La croissance de la jeune TPE accompagnée : repères théoriques et proposition d’un cadre d’interprétation

Depuis les travaux de Penrose (1959), la notion de croissance a été largement explorée en management. Il s’agit d’une notion polysémique qui fait référence à la fois (McKelvie et Wiklund, 2010) à un résultat quantitatif (la croissance mesurée par des indicateurs comme le chiffre d’affaires, le montant des actifs ou le nombre de salariés), à des conséquences organisationnelles[7] (la croissance influence l’organisation et implique des changements en matière d’agencement des ressources, de structure organisationnelle et de stratégie, par exemple) et à un processus (ouvrir la « boîte noire » de la croissance et comprendre comment l’entreprise croît). Récemment, les recherches ont porté sur les déterminants de la croissance (Davidsson, Delmar et Wiklund, 2006) et sur les processus y conduisant, en insistant sur le rôle clé du dirigeant-entrepreneur (Ireland, Hitt et Sirmon, 2003 ; Barney, Ketchen et Wright, 2011 ; Sirmon, Hitt et Ireland, 2011).

Cette revue de la littérature met tout d’abord en évidence les antécédents externes et internes de la croissance de la jeune TPE (section 1.1.), puis détermine les processus managériaux à l’oeuvre dans le phénomène (section 1.2.). Sur cette base est proposé un cadre d’interprétation de la croissance de la jeune TPE accompagnée (section 1.3.).

1.1. Les fondements externes et internes de la croissance de la jeune TPE

La croissance de la jeune TPE doit être étudiée dans son contexte dans la mesure où, par exemple, les caractéristiques du secteur d’activité ou du territoire peuvent constituer des facteurs externes de croissance (Arlotto, Cyr, Meier et Pacitto, 2011). Le contexte de la croissance de la jeune TPE comprend, d’une part, une composante « industrielle » (notamment concurrentielle), et d’autre part, une composante institutionnelle. La première composante présente des spécificités pour les TPE, pour lesquelles l’accès au financement, au marché, aux matières premières et à la main-d’oeuvre (du fait du caractère novateur des produits et des technologies) pose un certain nombre de difficultés. La composante institutionnelle renvoie tout d’abord à l’intrication entre la croissance et le territoire sur lequel elle se produit (Malecki, 1997). Il est possible d’observer, sur le territoire, à la fois des relations de concurrence, d’exploitation de complémentarités, des formes de coopétition, de partage de filière économique, ou encore des relations commerciales entre un donneur d’ordres et des sous-traitants. Ces phénomènes sont analysés dans des approches « collectives » de la croissance (Houle et Prévost, 2003), à travers, par exemple, des grappes, des districts industriels ou technologiques, des réseaux d’entreprises, des technopôles… La composante institutionnelle réside, ensuite, dans le cadre juridique, porteur de contraintes, mais aussi d’opportunités en matière d’entrepreneuriat (aides financières, soutiens). Elle est également constituée d’un environnement scientifique et technologique (centres de recherche, universités), qui favorise la croissance des TPE par le transfert technologique ou encore l’essaimage universitaire. Enfin, la composante institutionnelle a trait à la présence de dispositifs d’accompagnement des TPE, observables, d’une part, à un niveau « méta », au travers des organismes publics et gouvernementaux responsables de la mise en oeuvre des politiques de soutien à la croissance (Messeghem, Sammut, Chabaud, Carrier et Thurik, 2013 ; Cuzin et Fayolle, 2006), et d’autre part, à la proximité physique des entreprises accompagnées, en tant que « fournisseurs » de soutien aux entreprises, tels les incubateurs ou les pépinières (LabEx Entreprendre, 2014).

Afin de prendre en compte la richesse et la diversité du contexte, des approches systémiques sont proposées pour étudier l’environnement entrepreneurial. Dans la lignée des travaux sur les écosystèmes d’affaires (Moore, 1993, 1996 ; Van de Ven, 1993), la notion d’écosystème entrepreneurial (Isenberg, 2010, 2011) permet d’insister sur le caractère systémique de la croissance et sur le phénomène de coconstruction des initiatives d’acteurs privés et publics tournées vers la croissance.

Concernant les antécédents internes de la croissance, les structures de connaissance et les processus cognitifs individuels de décision (microfondements de la croissance), outre la motivation de l’entrepreneur à la croissance, sont de nature à influencer celle-ci (Wright et Stigliani, 2012). En particulier, les entrepreneurs doivent souvent prendre des décisions dans des situations qui dépassent leurs capacités de traitement d’informations et dans un contexte caractérisé par l’incertitude, la nouveauté, l’émotion et le manque de temps, ce qui favorise l’apparition de biais cognitifs (Baron, 1998, 2000 ; Russo et Schoemaker, 1992 ; Cooper, Woo et Dunkelberg, 1988). Toutefois, la compréhension des interactions entre processus cognitifs, environnement et action entrepreneuriale reste à approfondir (Wright et Stigliani, 2012). La RBV, en soulevant indirectement la question de la latitude d’action du dirigeant dans l’agencement des ressources, rejoint les préoccupations au sujet des microfondements de la croissance (Helfat et Peteraf, 2015). Cette latitude est a priori élevée pour une jeune TPE, en raison de son agilité organisationnelle. Cependant, elle est souvent confrontée au besoin d’adapter une trajectoire initiale issue de « l’idée du dirigeant » aux exigences du marché (Wright et Stigliani, 2012).

Les antécédents internes de croissance peuvent également s’analyser sous l’angle des différentes formes de capital. Le capital humain, en matière d’éducation, expérience, connaissance et compétences, par exemple, est susceptible d’être un facteur influençant le succès et la croissance de l’entreprise (Unger, Rauch, Frese et Rosenbush, 2011 ; Cassar, 2006 ; Davidsson et Honig, 2003). Il en est de même pour le capital social (Anderson et Miller, 2003 ; Florin, Lubatkin et Schulze, 2003 ; Hite et Hesterly, 2001), dans la mesure où il consiste en la capacité de l’entrepreneur à s’insérer dans des réseaux et à accéder aux ressources, et pour le capital entrepreneurial qui concerne la capacité à identifier et poursuivre des opportunités, obtenir et coordonner des ressources, poursuivre la réalisation du projet à travers la création et le développement de l’entreprise (Erikson, 2002).

Par ailleurs, la croissance est susceptible d’être influencée par l’orientation entrepreneuriale (Wiklund, Holger et Shepherd, 2009) ; ce concept faisant référence à l’orientation stratégique de l’entreprise et au caractère entrepreneurial du style de prise de décision, des méthodes et des pratiques d’affaires. Il est notamment possible d’établir un lien entre orientation entrepreneuriale et exploitation d’opportunités par l’intermédiaire de la notion de capacités dynamiques, celles-ci étant comprises en tant que mécanismes de reconfiguration des ressources de façon à poursuivre les opportunités. L’orientation entrepreneuriale est donc utile pour comprendre comment les entreprises se renouvellent, à travers de nouvelles trajectoires de croissance (Covin et Lumpkin, 2011).

Enfin, la croissance est susceptible d’être influencée par la capacité d’apprentissage permettant de développer les connaissances entrepreneuriales et managériales nécessaires pour s’adapter au changement (Macpherson et Holt, 2007) ; la connaissance étant conçue comme un actif qu’il est possible d’acquérir au travers des réseaux ou d’un processus d’apprentissage par l’expérience, notamment. L’expérience vécue par les membres de l’équipe entrepreneuriale étant susceptible de conduire à la modification de leur perception des tâches managériales à accomplir et, en conséquence, à leur réallocation (Séville et Wirtz, 2010).

1.2. Les processus managériaux à l’oeuvre dans la croissance de la jeune TPE

Si le rôle des antécédents externes et internes de la croissance est largement analysé dans la littérature, il reste beaucoup à comprendre sur les processus managériaux permettant de conduire à la croissance de l’entreprise, notamment lorsque son environnement est complexe et instable. De plus, relativement peu de travaux abordent la question de la croissance de l’entreprise de façon globale et intégrative (Wiklund, Holger et Shepherd, 2009). Développer une telle approche est toutefois important afin de mieux comprendre et expliquer comment interagissent les facteurs de croissance ou, autrement dit, pour déterminer les processus de croissance à l’oeuvre.

La RBV se focalise sur le fonctionnement interne de l’entreprise, dont la performance résulte des ressources stratégiques détenues (Wernerfelt, 1984 ; Barney, 1991). L’existence d’interrelations entre les ressources stratégiques amplifie les problèmes d’accès à celles-ci pour les TPE. Plus précisément, obtenir un avantage concurrentiel dépend de la capacité de la firme à acquérir et à mobiliser, en interne, les ressources stratégiques (Peteraf, 1993 ; Black et Boal, 1994). La capacité de l’entreprise à mobiliser les ressources dans un processus stratégique serait à l’origine de création de valeur (Lorino, 1995) ; un processus stratégique étant défini comme « un ensemble d’activités organisées en réseau, de manière séquentielle ou parallèle, combinant et mettant en oeuvre de multiples ressources, des capacités et des compétences, pour produire un résultat ou output ayant de la valeur pour un client externe » (Lorino et Tarondeau, 2006, p. 318). L’approche de l’environnement qui résulte de la RBV renvoie à la notion d’écosystème, avec lequel l’entreprise doit entretenir des relations lui permettant d’accéder aux ressources sur lesquelles elle pourra tabler pour construire un avantage concurrentiel (Teece, 2007).

Les travaux plus récents de la RBV proposent d’analyser l’évolution des capacités organisationnelles en tant que combinaisons de ressources permettant à l’entreprise de détenir un avantage concurrentiel. Les capacités dynamiques (Teece, Pisano et Shuen, 1997) sont celles qui permettent à l’entreprise d’intégrer, construire et reconfigurer les compétences pour faire face aux changements rapides de l’environnement (Teece, 2012). En lien avec ce qui précède, le cadre interprétatif de Salvato et Rerup (2011) relativement aux compétences et capacités dynamiques, distingue les compétences comme un attribut lié aux apprentissages des dirigeants et résultant en routines décisionnelles (Betsch, Haberstroh et Höhle, 2002 ; Squire et Kandel, 1999), alors que les capacités font référence à une construction au plan organisationnel permettant de guider l’organisation dans son environnement en mobilisant les connaissances et les expériences ainsi produites (Teece, Pisano et Shuen, 1997 ; Helfat et al., 2007). La notion de trajectoire d’évolution des capacités organisationnelles (Helfat, 1994) complétée par celle du cycle de vie des capacités organisationnelles (Helfat et Peteraf, 2003), permettent d’appréhender comment l’entreprise fait évoluer ses ressources au fil du temps, dans un contexte turbulent.

Des travaux récents introduisent la notion d’orchestration des ressources (Sirmon, Hitt et Ireland, 2011), qui permet d’intégrer deux cadres théoriques qui se sont développés concomitamment, mais de manière disjointe : celui du management des ressources et celui de l’orchestration des actifs. Le premier intègre les processus de structuration, d’association et de mobilisation des ressources (Sirmon, Hitt et Ireland, 2007) et le second traite de processus de recherche/sélection et de configuration/déploiement des actifs (Helfat et al., 2007). Ces deux cadres théoriques utilisent des terminologies différentes, mais conceptualisent, à travers des processus qui se recoupent, la même dynamique des ressources.

Centrée sur le rôle que jouent les dirigeants dans l’obtention d’un avantage concurrentiel fondé sur les ressources, l’orchestration des ressources est définie comme la sélection et la structuration des ressources de manière à exploiter les opportunités, afin d’obtenir avantage concurrentiel, croissance et création de valeur (Ireland, Hitt et Sirmon, 2003 ; Barney, Ketchen et Wright, 2011 ; Sirmon, Hitt et Ireland, 2011). L’orchestration des ressources revêtirait des exigences spécifiques selon les étapes du cycle de vie de l’entreprise. Durant la phase de croissance, l’orchestration des ressources devrait être focalisée sur le développement de ressources nouvelles, notamment pour accroître les capacités de production et de distribution de l’entreprise, ou pour internaliser des fonctions jusqu’alors confiées à des prestataires extérieurs (Sirmon, Hitt et Ireland, 2011). Cette phase devrait également correspondre à une structuration forte de l’entreprise, reposant sur une formalisation des procédures et l’établissement d’une hiérarchie. Enfin, la construction d’un réseau de relations autour du dirigeant serait essentielle, notamment pour permettre à l’entreprise de lever les fonds indispensables en soutien à la croissance.

1.3. Un cadre d’interprétation de la croissance de la jeune TPE accompagnée

Cette analyse de la littérature sur la croissance révèle qu’il reste encore à approfondir la façon, dont les différents antécédents internes et externes interagissent les uns avec les autres, notamment en ce qui concerne la transition, pour les entreprises récemment créées, vers la phase de croissance (Wright et Stigliani, 2012). La manière, dont sont orchestrées les ressources, apparaît comme un apport essentiel, permettant d’agencer les antécédents externes et internes, afin de favoriser la croissance des jeunes TPE. Les dispositifs d’accompagnement sont susceptibles de jouer un rôle particulier en matière de croissance. Ils peuvent en effet assurer un rôle de « catalyseur » en favorisant le transfert de connaissances, le renforcement des compétences et le développement des réseaux (Macpherson et Holt, 2007). Le schéma de la figure 1 propose une représentation du cadre d’interprétation issu de la littérature.

Figure 1

Cadre d’interprétation de la croissance de la jeune TPE accompagnée

Cadre d’interprétation de la croissance de la jeune TPE accompagnée

-> Voir la liste des figures

Le passage de la phase de lancement à la phase de croissance s’inscrit dans un processus de développement entrepreneurial destiné à produire un avantage concurrentiel durable fondé sur les ressources. Les ressources peuvent avoir comme origine l’écosystème entrepreneurial (antécédents externes). La jeune TPE peut, par exemple, bénéficier de financements mobilisés auprès d’investisseurs en capital-risque, mais les ressources peuvent également être d’origine interne à la jeune TPE (antécédents internes). Par exemple, le projet de développement entrepreneurial peut reposer sur la compétence des collaborateurs. Les ressources sont ensuite structurées, associées et mobilisées au sein d’un processus destiné à soutenir le projet entrepreneurial. Il s’agit de rechercher et sélectionner les actifs que la jeune TPE souhaite détenir ainsi que de définir la configuration requise pour soutenir ce projet et de déployer les actifs en conséquence. Ainsi, la croissance peut être interprétée comme le fruit d’un processus d’orchestration des ressources reposant sur des antécédents externes et internes.

2. Positionnement épistémologique et cadre méthodologique

Trois thèmes focaux sont traités ci-après. En section 2.1. sont présentées des notions au sujet des représentations cognitives. Les critères de choix des cas à l’étude et le positionnement épistémologique de la recherche sont introduits à la section 2.2. Les étapes du cadre méthodologique suivi sont décrites à la section 2.3.

2.1. Représentations et méthodes de représentations des acteurs entrepreneuriaux

Concrètement, une représentation cognitive peut devenir un artéfact matériel (un modèle, un système, un dessin…) d’un objet cognitif ou d’une idée non directement observable (Denis, 1989). Une représentation n’est donc pas qu’une simple « reproduction » d’un construit non directement observable, car elle met en relief des caractéristiques que des artéfacts possèdent et qui peuvent être expliquées ou clarifiées au bénéfice de tiers (Denis, 1993). L’utilisation de méthodes et outils visuels permettant de soutenir la production de représentations apparaît essentielle puisqu’elle contribue à l’appropriation, par des acteurs ou des groupes, des connaissances ainsi produites (Filion, 2008 ; Schmitt, 2004). Comme envisagé dans de multiples disciplines, les représentations mentales constituent donc à la fois un processus cognitif et le reflet mental de celui-ci (Denis, 1989).

Les études sur les représentations en entrepreneuriat ont examiné ces produits cognitifs (cartes cognitives), soit le contenu de l’esprit plutôt que son fonctionnement (Cossette, 2004). Ces efforts ont été focalisés sur la visée d’action pratique de la notion de représentation, celle-ci étant : « un état de l’image mentale que se fait un sujet ou un groupe d’un objet, d’un concept, d’un contexte, d’un événement, d’un système, d’un comportement, plus généralement. Il s’agit d’une (re)construction circonstancielle du réel […] pour faire face aux exigences de la tâche en cours » (Schmitt, Julien et Lachance, 2002, p. 5-6). Ces travaux ont porté sur les représentations des acteurs (Cossette, 2000) et des enjeux de recherche d’intérêt pour comprendre la complexité des représentations des acteurs ont été soulevés (Filion, 2008).

Une lacune souvent constatée de ces outils visuels de représentation est l’absence de mécanisme sous-jacent de production des interrelations entre les éléments de la représentation, permettant de mettre en évidence la complexité des relations systémiques de celles-ci (Trébucq, 2012). La manière et l’approche utilisées dans la production de la représentation sont d’importance capitale pour en comprendre leur nature. L’approche des cartes heuristiques de Novak (1998), à titre d’exemple, repose sur la perspective informelle des intervenants ou acteurs qui font usage d’un logiciel graphique pour mettre en évidence les liens entre les éléments d’une carte. Il en émerge une perspective qualitative descendante (top-down, en anglais) non soutenue par une analyse statistique. La dimension participative formelle, utile à une démarche collective, telle l’approche de cartographie des cognitions managériales proposée par Tyler et Gnyawali (2009), n’intègre pas une analyse statistique des données.

La manière avec laquelle il est possible d’obtenir une représentation d’un objet, ou d’une idée, et de permettre à des groupes ou collectifs de mettre en lien et d’articuler des catégories formées dans leurs structures cognitives individuelles à leur sujet, demeure une intrigue d’ordre méthodologique centrale et d’actualité. Utilisée dans de nombreuses sphères, la CCG permet d’appréhender l’ensemble de la complexité associée aux interrelations entre les actions envisagées par les participants (Kane et Trochim, 2007). L’apport de la CCG comme approche de recherche a permis d’analyser des cadres de représentation partagés par des groupes, et d’en mesurer les interrelations et les perceptions qui leur sont associées dans de nombreux champs de connaissances (Rosas et Kane, 2012), dont celui de la jeune TPE accompagnée (Cloutier, Cueille et Recasens, 2013, 2014a). Le cadre méthodologique mixte intégré (qualitatif et quantitatif) de la CCG est participatif et ascendant (bottom-up) et peut être employé dans la réalisation d’études de cas selon les prémisses du RC (Easton, 2010 ; Tsang, 2014 ; Wynn et Williams, 2012).

2.2. Sélection des cas : dispositifs d’accompagnement

Les cas à l’étude ont été sélectionnés selon deux critères précis. Premièrement, un accès fréquent et soutenu aux acteurs entrepreneuriaux et aux accompagnateurs par les chercheurs. Les participants étaient intéressés par la construction d’une relation de recherche soutenue impliquant diverses étapes de collecte et d’analyse de données avec rétroaction. Dans une approche dite ascendante, les chercheurs interviennent activement en soutien à la production des représentations des participants, donc pour modéliser la complexité du contexte étudié (Schmitt, Julien et Lachance, 2002) ; pour ainsi produire une représentation collective de représentations individuelles. La position épistémologique du RC adopte la perspective que les « […] cas ne sont pas des unités empiriques ou des catégories théoriques, mais le produit d’opérations de base en recherche » (Ragin, 1992, p. 218) (traduction des auteurs). Ce type d’interaction entre les chercheurs et les participants trouve écho dans l’inférence de rétroduction (ou abduction) en RC, c’est-à-dire, formuler des conjectures demi-empiriques au sujet de mécanismes générateurs permettant d’expliquer un résultat (Danermark, Ekstrom, Jokobsen et Karlsson, 2002).

Deuxièmement, en lien avec ce qui précède, les cas ont été choisis pour leur similitude sur le plan processuel en matière d’orchestration de ressources ; plutôt que pour leur similitude selon des trajectoires liées à des tendances. En RC, les cas sélectionnés servent à préparer une comparaison entre systèmes complexes relativement à des configurations d’événement, d’action et de structure (Ragin, 2004). Ce critère, conçu comme un « attracteur » en complexité systémique permet de justifier la représentativité des phénomènes, processus et propriétés émergentes (cohérence, cohésion) analogues pouvant faire l’objet d’analyses intercas (Cloutier, Cueille et Recasens, 2014b). En systèmes complexes, l’attracteur permet de préciser le domaine où se situe l’espace des caractéristiques d’un système (Byrne, 2009a). Ceci est fondamental en RC puisque ce qui motive le choix des cas réside dans les conjectures relatives à l’attracteur du système représenté par les cas à l’étude. La comparaison intercas prend son sens lorsque les systèmes à l’étude sont suffisamment semblables, mais différents, pour être considérés comme entités de recherche comparables pour le phénomène à l’étude (Bryman et Bell, 2011 ; Byrne, 2009b ; Eisenhardt, 1989 ; Gobo, 2004 ; Yin, 2013). En somme, l’existence de nombreuses différences contextuelles rend plus pertinente l’identification des régularités intercas au sujet des phénomènes et processus attracteurs d’intérêt ; alors que les analyses de cas dits « représentatifs » sont linéaires et se centrent plutôt sur la comparaison entre les tendances suivant la variation d’un paramètre précis (Byrne, 2009a ; Langley, 1999).

Les cas choisis pour la présente recherche possèdent des différences contextuelles significatives. Ces différences sont d’autant plus évidentes qu’ils sont géographiquement éloignés : l’un au Québec (QC), l’autre en France (FR). Les distinctions évidentes concernent le contexte institutionnel et culturel, de marché, d’une part, et le type de structuration de l’activité économique, d’autre part, dans les écosystèmes entrepreneuriaux respectifs (Cloutier, Cueille et Recasens, 2014b). Ceci permet d’appréhender les actions en matière d’orchestration de ressources orientées croissance dans des environnements concurrentiels et institutionnels contrastés. L’élément « attracteur » source de similitude entre les deux cas à l’étude est la problématique commune de dynamisation du tissu de jeunes TPE sur leur territoire respectif. Les acteurs entrepreneuriaux dirigent de jeunes TPE accompagnées en voie d’amorcer un cycle d’affaires pour lequel les enjeux de la croissance visant à les pérenniser et à les développer est à l’avant-plan des réflexions et des actions à entreprendre. À cette fin, les acteurs entrepreneuriaux doivent mettre en oeuvre des actions concernant, par exemple, l’amélioration et la formalisation des pratiques de management, le recrutement des ressources humaines, la gestion du couple produit-marché, la mise en place de partenariats et collaborations, et la nature de l’accompagnement souhaité.

Le cas QC inclut de jeunes TPE aux activités d’affaires non spécialisées, dont la relation d’accompagnement s’effectue principalement avec un centre local de développement (CLD)[8]. Ces entrepreneurs peuvent bénéficier de formations et de programmes de soutien financiers et non financiers spécialisés, à la manière d’un incubateur, sans toutefois être groupés physiquement. Par les soutiens et accompagnements offerts par un CLD, les entrepreneurs fédèrent leurs actions dans la construction d’un tissu industriel orienté vers le développement d’opportunités d’affaires.

Les entreprises du cas FR sont situées dans une région caractérisée par la présence d’un donneur d’ordre industriel d’envergure internationale, dont le retrait progressif pose une problématique de reconversion d’activité pour des TPE qui opèrent dans les services à l’industrie. Des activités entrepreneuriales y sont soutenues par une pépinière afin de dynamiser la croissance de jeunes TPE, permettant ainsi de substituer les pertes d’emplois et un effritement potentiel du tissu industriel. En plus des services de soutien, d’hébergement et d’accompagnement, les entrepreneurs peuvent suivre des formations en gestion et échanger avec leurs pairs, contribuant ainsi à briser l’isolement. Il est possible pour ces entrepreneurs de se prévaloir de diagnostics individuels permettant de mettre en place un plan d’action en soutien à la croissance.

2.3. Étapes de recherche

La finalité du cadre méthodologique mis en place est l’étude des représentations collectives des acteurs entrepreneuriaux se rapportant aux mécanismes générateurs de croissance de la jeune TPE accompagnée. Les étapes du cadre méthodologique présentées au tableau 1 ont été exécutées parallèlement selon une procédure identique pour les cas à l’étude.

Étape 1 : génération des énoncés d’action

Des groupes de discussions ont été organisés avec le concours des dispositifs d’accompagnement respectifs des cas QC et FR. Des acteurs entrepreneuriaux dirigeants de jeunes TPE accompagnées ont pris part aux groupes de discussions. Les participants ont discuté entre eux la phrase à compléter suivante : « une action spécifique à entreprendre pour assurer le développement de mon entreprise est… ». Le groupe de discussion permet la cueillette de données par induction sous forme de contenus qualitatifs non structurés en préparation à une cueillette de données quantitatives (Geoffrion, 2010). Des listes d’énoncés distinctes ont été préparées et ont fait l’objet de révisions entre les membres de l’équipe de recherche et ceux des équipes de pilotage, soit deux acteurs et accompagnateurs entrepreneuriaux des dispositifs d’accompagnement des cas QC et FR, respectivement. Les énoncés initiaux recueillis lors des discussions ont été prétestés selon des critères établis (concision, forme négative éliminée, redondance, et clarté de fond et de forme) auprès d’acteurs entrepreneuriaux ou accompagnateurs des sites de recherche. Cette étape procure un usage systématique du contenu des énoncés obtenus lors du groupe de discussion (Jackson et Trochim, 2002). En référence à l’étape de génération des énoncés d’action, la liste finale pour le cas QC compte 82 énoncés alors que celle du cas FR en comprend 121[9]. Un identifiant numérique unique a été attribué à chaque énoncé aux fins de traçabilité lors des analyses de données et de production des résultats.

Tableau 1

Étapes, tâches et extrants du cadre méthodologique

Étapes, tâches et extrants du cadre méthodologique

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Étape 2 : structuration des énoncés d’action

Les données structurées ont été recueillies auprès des mêmes acteurs entrepreneuriaux du cas QC (NQC = 25) et FR (NFR = 15) ayant participé à l’étape 1. Les participants ont accompli trois tâches individuelles selon des consignes précises. Premièrement, un formulaire de renseignements sociodémographiques a été rempli. Deuxièmement, les participants ont formé des piles d’énoncés selon la similitude ou la proximité des contenus des énoncés. Pour procéder, les participants ont utilité des cartes, format cartes de visite, sur lesquelles étaient imprimés un énoncé d’action et son identifiant numérique. Les classements d’énoncés ainsi formés ont ensuite été inscrits sur un formulaire avec un nom de thématique correspondant aux contenus. Troisièmement, les énoncés d’action ont été évalués sur des échelles de type Likert de cinq points pour obtenir des mesures de perception au sujet de « l’importance » et de la « faisabilité » (1 signifie pas important/pas faisable, alors que 5 signifie extrêmement important/faisable). L’ensemble des données recueillies a été saisi et analysé dans le logiciel dédié The Concept System Professionnal® (V. 4.0.175).

Étape 3 : analyse de cartographie des concepts en groupe (CCG)

L’analyse effectuée comprend trois étapes principales, soit l’analyse de positionnement multidimensionnel (MDS) (multidimensional scaling analysis, en anglais) non métrique, la classification ascendante hiérarchique (CAH) (hierarchical agglomerative cluster analysis, en anglais) par l’algorithme de Ward (Everitt, Landau, Leese et Stahl, 2011), et l’analyse de fiabilité et de validité interne des schémas des correspondances pour les échelles d’importance et de faisabilité.

Premièrement, les données obtenues lors du classement des énoncés constituent un codage ascendant et exhaustif des énoncés d’action par les participants (Jackson et Trochim, 2002). Ces données servent à produire les matrices diagonales carrées totales de similitudes de dimension k × k, selon les cas (où k correspond au nombre d’énoncés pour chacun). Les matrices ainsi obtenues ont été analysées par la MDS. La MDS est la procédure statistique qui répartit sur un plan bidimensionnel euclidien les coordonnées (x, y) des énoncés d’action (Kruskal et Wish, 1978 ; Davidson, 1983). À chaque point sur le plan correspond un énoncé d’action distribué dans cet espace. Obtenue lors des calculs de la MDS, la valeur de stress (VS) mesure la fiabilité statistique interne utile à l’évaluation de la cohérence des estimations de la MDS relativement aux données brutes de codage des participants. Une VS faible signifie que la structure des résultats de la MDS est représentative des données recueillies. Pour le cas QC, la VSQC = 0,27 (24 itérations), alors que pour le cas FR, la VSFR = 0,27 (10 itérations). Les VS des cas QC et FR présentent une excellente fiabilité de cohérence structurelle relativement aux standards établis en CCG (Rosas et Kane, 2012).

Deuxièmement, la représentation collective des énoncés d’actions en groupement sur une carte des concepts est obtenue par la CAH (Everitt et al., 2011). La CAH groupe l’ensemble des énoncés d’actions à partir des coordonnées (x, y) de la MDS (donc des points sur la carte) en formant des polygones à partir de la distance minimum entre les énoncés d’actions. Par contre, un algorithme ne permet pas de proposer une solution « unique » ou « contextualisée », son apport se limitant à comparer la distance euclidienne minimale entre les barycentres des polygones formés sur une carte. Une heuristique faisant intervenir le jugement humain doit être employée pour déterminer le nombre de groupements à retenir sur une carte des concepts. Dans l’étude des cartes des cas QC et FR, les chercheurs ont procédé à un examen indépendant des propositions de classement obtenu par réductions successives se situant entre quinze et le nombre de groupements retenu. Des membres des comités de pilotage et des acteurs entrepreneuriaux ont aussi collaboré et rétroagi à la détermination du nombre de groupements sur les cartes des concepts. La procédure employée doit assurer le maintien de l’exhaustivité du codage des contenus dans l’émergence du sens à attribuer aux représentations produites sur la carte (Abrahams, 2010), afin de refléter l’ascendance des représentations de la croissance.

Troisièmement, un codage thématique de l’ensemble des énoncés d’action des deux cas a été effectué. Ce codage thématique visait deux cibles. La première cible est la fiabilité et validité interne des échelles d’importance et de faisabilité. La deuxième cible est la confirmation que la sélection des cas était juste. Il importe de rappeler que les énoncés d’action proposés par les participants ne sont pas identiques entre les cas alors que nombre d’énoncés traitent des mêmes notions. Le codage thématique formel permet de jeter les bases d’une analyse intercas « révélant des thèmes communs » (Miles et Huberman, 2003, p. 134). De manière indépendante, les membres de l’équipe de recherche ont associé les énoncés d’action formulés par les participants des deux cas selon la proximité des contenus. Les thèmes communs ont été réexaminés au cours de plusieurs rondes de discussions afin d’assurer un consensus. Les énoncés d’actions ont été groupés en onze thématiques communes. Les résultats du codage thématique ont été soumis à une analyse de fiabilité statistique par l’Alpha de Cronbach (1951) (Annexe 1 pour les résultats détaillés). Sur 33 échelles, 29 rapportent une fiabilité supérieure à 0,70, soit le seuil minimal accepté pour des études confirmatoires, alors que trois échelles seulement se situent entre 0,60 et, 0,70, seuil accepté lors d’études exploratoires (Nunnally, 1978 ; Robinson, Shaver et Wrightsman, 1991). Avec les petits échantillons à l’étude (NQC = 25 ; NFR = 15), les alphas de Cronbach obtenus sont très acceptables. Ce résultat permet donc de conclure, en lien avec les notions du RC, à la présence de configurations d’actions et de structures au sujet de thématiques communes entre les cas, permettant l’articulation de mécanismes générateurs de la croissance de la jeune TPE accompagnée.

Étape 4 : explication de structure en contexte

Un des principes méthodologiques du RC consiste à identifier les tendances observées dans les résultats par des mécanismes générateurs pouvant les expliquer (et non de les prédire dans le sens de trajectoires dans le temps) (Bhaskar, 1986). Les mécanismes générateurs ne sont pas directement observables (Bhaskar, 1975), mais leurs effets et manifestations le sont, et leur mise au jour s’appuie sur divers outils ou méthodes d’inférence (Wynn et Williams, 2012). Ces éléments de structure, les actions et les variations contextuelles permettent d’articuler une réponse à la question : « Qu’est-ce qui est caractéristique de cette carte des concepts (mécanismes générateurs) et produit la disposition des énoncés et des groupements (phénomènes observés) ? ». Pour répondre à cette question, il faut décomposer ces structures selon leurs relations et actions (Elder-Vass, 2007). Ces mécanismes peuvent être identifiés précisément par l’examen des actions des acteurs, ou par les explications disponibles ou déduites au sujet de leurs actions (Groff, 2004). Ceci consiste à déterminer les interrelations et les interdépendances entre les représentations des acteurs entrepreneuriaux en lien avec des notions conceptuelles.

Les méthodes empiriques de la CCG (Étape 3) permettent de proposer le sens à donner aux éléments de structure et influences contextuelles (Langley, 1999 ; Weick, 1989 ; Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005), donc aux représentations, comme résultante des mécanismes générateurs. Trochim (1985, 1989) explique qu’à travers l’analyse de la proximité des groupements d’une carte il est possible de former des « régions de sens ». Ces régions de sens peuvent inclure plusieurs groupements d’une carte et facilitent l’interprétation de la complexité interrelationnelle des groupements (Trochim et Cabrera, 2005). Les régions de sens sont déterminées par un examen minutieux et détaillé des contenus des groupements et de leur disposition sur la carte. La carte des concepts permet donc de construire des régions de sens, par juxtaposition conceptuelle ou théorique à la RBV et aux capacités dynamiques. Cette procédure d’identification des régions de sens inclut l’ensemble des résultats empiriques (MDS, CAH, analyse thématique commune, inspection visuelle [Miles et Huberman, 2003]) en adéquation aux notions conceptuelles (Trochim, 1989). Miller, Rosas et Hall (2012) ont nommé « construit latent » les frontières qui tracent les contours entre les régions de sens d’une carte. Le terme « latent » dénote que les régions de sens qui résultent de ces analyses transcendent les contenus représentés par les acteurs. Ceci renvoie aux présupposés épistémologiques du RC, à savoir que les mécanismes générateurs ne sont pas directement observables, mais leurs manifestations dans le cadre de cette recherche, sur une carte des concepts, le sont. Les analyses des cas QC et FR ont mis en évidence quatre mécanismes d’autorenforcement permettant d’expliquer la croissance de la jeune TPE accompagnée (section 3.2.).

Étape 5 : rétroduction

La rétroduction se situe au coeur du positionnement épistémologique du RC (Wynn et Williams, 2012). La rétroduction a pour objectif spécifique de mettre en évidence l’explication, sous forme hypothétique, la plus plausible des représentations obtenues des cas à l’étude par l’entremise de régularités demi-empiriques (Avenier et Gavard-Perret, 2012 ; Tsang, 2014). À cette étape, spécifiquement, l’inférence de rétroduction concerne les mécanismes d’autorenforcement identifiés qui rendent possible la croissance de la jeune TPE accompagnée. À ce sujet, une articulation des interactions entre les mécanismes identifiés est proposée afin de conjecturer à leur sujet en référence aux notions d’orchestration des ressources ; pour expliquer le processus de croissance de la jeune TPE accompagnée. Ces conjectures ont été obtenues en généralisant les résultats de l’analyse intracas en lien avec ce cadre interprétatif théorique : soit, celui de l’orchestration des ressources produit lors de la revue de la littérature (Section 2.). En d’autres termes, en RC les notions théoriques mobilisées servent de référent à l’inférence de rétroduction pour expliquer les résultats des études de cas (Lee et Baskerville, 2003 ; Mantere et Ketokivi, 2013). La rétroduction est beaucoup plus rare et difficile à appliquer en analyse de cas (Wynn et Williams, 2012). Il s’agit donc d’une contribution spécifique de cette recherche liée à l’utilisation de la CCG, puisqu’elle rencontre les conditions permettant de soutenir ce type d’inférence en analyse intercas. L’analyse intercas réalisée constitue une validation externe servant à affiner les connaissances théoriques disponibles ; une autre contribution fondamentale de cette recherche.

3. Analyse intracas et intercas : représentations et mécanismes d’autorenforcement de la croissance de la jeune TPE

Dans cette section sont présentés les analyses intracas (Section 3.1.) et intercas (Section 3.2.) des cas QC et FR. La finalité de ces analyses est la traduction des représentations des acteurs entrepreneuriaux en cadre explicatif des mécanismes d’autorenforcement sous-jacents au processus de croissance de la jeune TPE accompagnée.

3.1. Analyses intracas : représentations des acteurs entrepreneuriaux

Les analyses intracas permettent de souligner les interrelations entre les énoncés d’action et leur représentation dans l’espace bidimensionnel des cas QC et FR. Les cartes des concepts sont des systèmes de représentation de l’interrelation entre les concepts partagés par l’ensemble des acteurs de chacun des cas au sujet des actions managériales et entrepreneuriales de la croissance de la jeune TPE accompagnée qu’ils dirigent. Deux exemples d’énoncés précis sont listés par groupement sous chacune des cartes avec leur numéro d’identification, parmi ceux dont l’indice d’ancrage-chevauchement[10] (IAC) est le plus élevé pour chaque groupement. Ils sont fournis en exemples de transcriptions obtenues lors des groupes de discussion. Ces énoncés peuvent être situés sur les cartes des concepts respectives.

Cas QC : analyse des représentations des acteurs entrepreneuriaux

La carte des concepts de la figure 2 montre les représentations des acteurs entrepreneuriaux du cas QC distribuées en sept groupements d’énoncés d’action obtenus par la mise en place des étapes 1-3 du cadre méthodologique.

La région de sens située au nord-est de la carte inclut des groupements d’actions relatifs à « Promotion durable (territoire, entreprises, produits) », « Pilotage de la TPE et intégration des contraintes réglementaires et administratives » et « Évaluation et développement économique territorial », orientés création de valeur sur le territoire. Ces groupements font référence à la construction de capacités organisationnelles créatrices de valeur à considérer sur le plan collectif et au niveau du territoire. Il s’agit du développement d’infrastructures, de la possibilité d’être formellement un fournisseur de bien ou services reconnu par diverses instances locales ou encore de l’amélioration de l’image de marque des produits locaux, afin de créer une valeur aux retombées territoriales.

Les groupements situés au nord-ouest de la carte, forment une région de sens avec « Développement des réseaux et collaborations d’affaires » et « Vision et action stratégiques territoriales » qui se rapportent au capital social (Davidsson, Achtenhagen et Naldi, 2005) et dont le développement peut s’appuyer sur la disponibilité de ce type de ressources dans l’écosystème entrepreneurial (Isenberg, 2010, 2011) en tant que pourvoyeur de ressources utiles à la croissance. Il s’agit également de la région de sens la plus ancrée de la carte. Le capital social (antécédent interne) favorise la construction des capacités organisationnelles de la jeune TPE. Il facilite en outre le développement de projets collaboratifs, en lien avec une vision stratégique territoriale.

Le groupement « Accompagnement entrepreneurial, formation » situé au sud-ouest de la carte renvoie non seulement au développement de compétences par l’acteur entrepreneurial, mais aussi à l’importance que revêtent les réseaux d’accompagnement pour permettre à la TPE d’accéder à ces ressources de l’environnement pour elle-même et ses principales parties prenantes. Ce groupement est lié à l’environnement externe de la TPE, mais aussi aux microfondements internes de la croissance pour l’acquisition de savoir-faire par l’acteur entrepreneurial en gestion d’entreprise et en développement des affaires.

Au sud-est de la carte, « Développement des ressources humaines et financières » concerne la manière, dont l’acteur entrepreneurial peut créer de la valeur par le développement du capital humain et financier en développant les compétences (antécédents internes) utiles pour son entreprise en lien avec le potentiel de développement qu’offre le territoire. Ce groupement est le moins ancré de la carte (IAC moyen = 0,71) et cela est peu surprenant en contexte, étant donné que la localisation périurbaine du territoire présente un défi de taille sur ce plan, d’où une représentation plus chevauchée qui reflète nombre de manières de mettre en oeuvre des pistes de solutions à ce sujet.

Figure 2

Cas QC : carte des concepts et énoncés d’actions par groupement

Cas QC : carte des concepts et énoncés d’actions par groupement

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Cas FR : analyse des représentations des acteurs entrepreneuriaux

La carte du cas FR est présentée à la figure 3 où sont représentés onze groupements d’énoncés d’actions. Elle montre également une répartition des groupements selon des antécédents externes et internes de la croissance.

Dans la région de sens située au nord-est de la carte, on note les groupements « Gestion des risques du marché », « Analyses et décisions stratégiques », « Pilotage stratégique » et « Aide à la décision » se rapportant au capital humain, social et entrepreneurial de la jeune TPE (antécédents internes). Ces groupements renvoient aux actions des acteurs entrepreneuriaux concernant la mobilisation des capacités organisationnelles orientée création de valeur.

Dans la région de sens au nord-ouest de la carte, « Démarche marketing », « Relations d’affaires » et « Relations avec les partenaires financiers » les groupements traduisent plutôt l’idée que la détention de capital social par les acteurs entrepreneuriaux favorise la transformation des ressources captées dans l’environnement en capacités organisationnelles.

« Dispositifs d’accompagnement : identifier, exploiter » et « Développement d’un réseau de relations clés », dans la région de sens au sud-ouest de la carte, sont les plus chevauchés (IAC moyen = 0,71) et concernent les compétences et ressources que les dirigeants puisent dans les dispositifs d’accompagnement et les collaborations d’affaires ; tous deux liés à l’environnement et ressources externes, mais également aux microfondements internes de la croissance qui interviennent dans ces assimilations d’expériences et de connaissances mobilisables traduites par les compétences.

Les groupements les plus ancrés (IAC moyen = 0,25) sont situés dans le sud-est de la carte, soit « Gestion des compétences » et « Gestion d’équipe : doter et diriger », en référence à des actions se rapportant directement au capital humain et aux microfondements de la croissance (Wright et Stigliani, 2012 ; Helfat, 2014). Ces groupements font également référence aux processus cognitifs des dirigeants-entrepreneurs à l’oeuvre dans la gestion des problématiques de la jeune TPE. Ils traduisent l’utilisation des compétences dans une optique de création de valeur.

Figure 3

Cas FR : cartes des concepts et énoncés d’actions par groupement

Cas FR : cartes des concepts et énoncés d’actions par groupement

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3.2. Analyse intercas : mécanismes d’autorenforcement de la croissance

Les analyses intracas présentées à la section 3.1. permettent de dégager les contenus en soutien à une comparaison intercas entre les régions de sens identifiées sur chacune des cartes. En référence aux régions de sens examinées en mode intracas, leurs contours peuvent être tracés par des droites pointillées pour former des construits latents utiles pour initier une conceptualisation des mécanismes d’autorenforcement (Section 3.3., Étape 4). Sur les cartes des figures 2 et 3 deux axes sont donc représentés : Environnement et ressources – Création de valeur et Compétences – Capacités organisationnelles. Le premier axe souligne l’idée d’utiliser l’environnement et ses ressources, orienté création de valeur. Le deuxième axe traduit la transformation des compétences en capacités organisationnelles. Ces axes forment l’assise d’une analyse intercas des représentations des acteurs entrepreneuriaux des cas QC et FR.

Les éléments de comparaison intercas sont présentés dans le tableau 2. Il s’agit en fait des résultats de l’étape 4 du cadre méthodologique Explication de structure en contexte. Dans la première colonne, on retrouve l’intersection des axes de construits latents qui bordent des régions de sens des deux cartes. La deuxième et la troisième colonne apportent un descriptif des groupements qui forment les régions de sens des cas QC et FR, respectivement. En référence aux cartes QC et FR, chaque case du tableau dans le sens vertical de ces colonnes contient les noms des groupements d’actions et un court descriptif de sens. Finalement, la quatrième colonne permet de dégager le mécanisme d’autorenforcement correspondant à l’intersection des axes identifiés suivant l’analyse intracas des régions de sens. Quatre mécanismes d’autorenforcement d’actions sociotechniques (Hedström et Swedberg, 1998) ont été identifiés par leurs représentations sur les cartes des concepts des cas QC et FR : Exploiter les ressources environnementales et développer les capacités organisationnelles, Exploiter les ressources environnementales et développer les compétences, Accroître les compétences pour la création de valeur, Accroître les capacités organisationnelles pour la création de valeur.

Finalement, de l’analyse intercas un cadre explicatif peut être dégagé afin de mettre en évidence où se situent les représentations des actions obtenues de l’ensemble des acteurs entrepreneuriaux des deux cas. Le cadre explicatif montré à la figure 4 reprend les deux axes de construits latents. Chaque quadrant formé par les axes montre l’articulation « stylisée » qui résulte des analyses intercas au sujet des représentations des acteurs entrepreneuriaux et qui ont permis l’identification des mécanismes d’autorenforcement du processus de croissance de la jeune TPE accompagnée.

Tableau 2

Cadre explicatif : régions de sens, groupements d’actions cas QC et FR, et mécanismes générateurs de la croissance

Cadre explicatif : régions de sens, groupements d’actions cas QC et FR, et mécanismes générateurs de la croissance

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Figure 4

Cadre explicatif : interactions entre mécanismes d’autorenforcement de la croissance de la jeune TPE accompagnée

Cadre explicatif : interactions entre mécanismes d’autorenforcement de la croissance de la jeune TPE accompagnée

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Les cartes des concepts (Figures 2, 3) font toutes deux apparaître un processus d’orchestration des ressources dans lequel on peut mettre en évidence la notion d’« attracteur » d’ordre systémique, notion utile pour l’analyse intercas (Byrne, 2009b).

À titre d’exemple, sur les cartes des cas QC (Figure 2) et FR (Figure 3), les groupements dans la région de sens bordés par le quadrant Compétences et Environnement et ressources font référence aux questions de recherche et de sélection des ressources, d’une part, et de structuration de celles-ci, d’autre part. Plus spécifiquement, pour le cas QC le groupement « Accompagnement entrepreneurial, formation » renvoie à une aide à apporter aux acteurs entrepreneuriaux dans ces activités de recherche, sélection et structuration des ressources. De manière semblable, la carte du cas FR (Figure 3) comprend aussi, dans la même région de sens, des groupements concernant ces questions : « Développement d’un réseau de relations clés » et « Dispositif d’accompagnement : identifier, exploiter ».

Les groupements bordés par l’intersection du quadrant Capacités organisationnelles et Création de valeur sont relatifs aux actions d’évaluation et exploitation des opportunités créatrices de valeur. Pour la carte du cas QC, on retrouve par exemple : « Évaluation et développement économique territorial », alors que sur la carte du cas FR, les groupements renvoient à des questions de configuration et déploiement des ressources : « Pilotage stratégique », « Analyse et décision stratégiques », « Gestion des risques de marché », « Aide à la décision ». Ceux-ci sont associés à des préoccupations sur les phases de développement de l’entreprise (tempo, anticipation des phases subséquentes de développement) pour lesquelles des décisions d’affaires cruciales doivent être prises. En conséquence, situés au centre des cartes, « Aide à la décision » de la carte FR et « Évaluationet développement économique territorial » de la carte QC sont, au sens systémique, des groupements « attracteurs » dans le processus d’orchestration des ressources. Cet exemple montre qu’à proximité de ces attracteurs, les groupements liés aux dispositifs d’accompagnement peuvent s’analyser comme des soutiens externes à la décision, en particulier sur les questions d’orchestration des ressources.

Clairement, les représentations des acteurs entrepreneuriaux du cas QC s’inscrivent dans un contexte d’accompagnement à la croissance relativement moins structuré que celui du cas FR : présence très limitée d’un dispositif d’accompagnement dédié à la croissance, actions d’aides ponctuelles portées par un service de développement économique (et non par une pépinière). Malgré ces différences, et tel qu’appréhendé par les principes du RC en recherche de cas, les mécanismes d’autorenforcement de la croissance mis au jour dans les représentations des acteurs entrepreneuriaux, sont assurément dignes d’intérêt, car manifestes dans les deux cas, bien que les événements résultant des mécanismes identifiés puissent produire ou non en contexte des trajectoires spécifiques semblables.

Une analyse des similitudes et dissimilitudes entre les deux cas à l’étude permet d’illustrer la manière, dont les mécanismes d’autorenforcement peuvent se manifester selon les contextes. Par exemple, le mécanisme Exploiter les ressources environnementales et développer les compétences concerne un groupement bien ancré dans le cas au Québec (« Accompagnement entrepreneurial, formation ») et deux groupements moins bien ancrés dans le cas en France (« Dispositifs d’accompagnement : identifier et exploiter » et « Développement d’un réseau de relations clés »). Les acteurs entrepreneuriaux dans le cas en France ont ainsi une représentation du rôle de l’accompagnement moins nettement délimitée et davantage intriquée avec d’autres dimensions du développement de l’entreprise. Ceci peut résulter du fait que ces dirigeants, qui ont bénéficié depuis plusieurs années d’un dispositif d’accompagnement à la croissance très structuré, ont désormais des attentes plus vastes vis-à-vis de l’accompagnement, qui, au-delà des outils de soutien et de formation, devrait notamment contribuer au développement d’un réseau relationnel susceptible d’accroître leur capital social. De plus, le thème « Accompagnement, formation » dispose de scores d’importance et de faisabilité plus élevés dans le cas au Québec que dans le cas en France (Annexe 1). Ceci peut traduire les attentes immédiates (et a priori bien délimitées) des acteurs entrepreneuriaux dans le cas au Québec en ce qui concerne l’accompagnement. Dans le cas en France, certaines dimensions de l’accompagnement (actions de formation et de soutien) peuvent désormais apparaître de moindre importance, alors que le développement d’un réseau relationnel grâce à l’accompagnement peut sembler moins aisément réalisable.

4. Discussion : conjectures, contributions et implications managériales

Les mécanismes d’autorenforcement identifiés en analyse intercas (Section 3.2.) peuvent contribuer, par rétroduction, aux fondements théoriques de l’orchestration des ressources. Ci-après, trois conjectures sont articulées et discutées pour expliquer la croissance de la jeune TPE accompagnée. De ceci s’ensuivent également des implications managériales d’ordre pratique pour les acteurs entrepreneuriaux et les accompagnateurs du développement entrepreneurial.

Pour la première conjecture, il s’agit de s’interroger plus largement sur la question de l’orchestration individuelle des ressources touchant celle de la dynamisation d’un tissu de jeunes TPE sur un territoire. Cette dynamisation est décrite comme le résultat d’un processus collaboratif, fondé sur le développement de réseaux, entre acteurs publics et privés sur le territoire. Par conséquent, apparaissent comme essentiels le besoin de soutiens publics (définir les axes de développement, coordonner et piloter les actions de développement à un niveau collectif, accompagner les entreprises dans leur croissance…) et le développement des ressources, compétences, capacités organisationnelles et interorganisationnelles orientées création de valeur.

En lien avec les quatre mécanismes d’autorenforcement, il est ainsi possible de formaliser une première conjecture sur la croissance de la jeune TPE accompagnée :

  • Conjecture 1 : pour assurer la croissance de la jeune TPE, l’acteur entrepreneurial doit maîtriser un processus général d’orchestration des ressources ; ce processus étant à adapter selon les spécificités contextuelles.

Cette première conjecture permet de préciser la nature et les exigences du travail d’orchestration des ressources qui incombent à l’acteur entrepreneurial, dans ce contexte, pour assurer la croissance de la jeune TPE. La difficulté à assurer l’orchestration des ressources résulte du nombre et de la variété des mécanismes d’autorenforcement à prendre en considération, ainsi que des interrelations existant entre eux et leurs trajectoires respectives. D’une part, la recherche réalisée permet d’identifier ces éléments de complexité du processus d’orchestration sous-tendant la croissance de la jeune TPE. La maîtrise de ce processus d’orchestration qui nécessite d’être attentif aux mécanismes d’autorenforcement des actions managériales et entrepreneuriales relatifs aux antécédents internes et externes de la croissance (Arlotto et al., 2011), s’inscrit dans une perspective territoriale (intrication entre la croissance et le territoire sur lequel elle se produit (Malecki, 1997) et renvoie à des questions de structuration collective de la croissance (Houle et Prévost, 2003)). D’autre part, en mettant en évidence les interrelations entre les mécanismes d’autorenforcement de la croissance, cette conjecture renvoie à l’approche systémique et complexe de la croissance telle que déterminée notamment par Wiklund, Holger et Shepherd (2009). De plus, cette première conjecture propose une approche processuelle de la notion d’orchestration des ressources. Cette approche permet une opérationnalisation de la notion d’orchestration des ressources, en mettant en évidence les fondements des processus managériaux (Lorino et Tarondeau, 2006) devant être exécutés par l’acteur entrepreneurial en vue d’assurer la croissance de la TPE. Bien que l’interprétation du processus de croissance fondée sur la notion d’orchestration des ressources proposée dans ce travail soit en accord avec les travaux de Sirmon, Hitt et Ireland (2007, 2011) et Helfat et al. (2007) ; les résultats obtenus par l’apport des principes méthodologiques s’inscrivant dans le RC ont permis de le focaliser plus particulièrement sur la jeune TPE accompagnée. Cette recherche contribue donc, au plan théorique, à une meilleure compréhension des actions managériales et entrepreneuriales à mettre en oeuvre, ainsi que de leurs interactions, pour favoriser la croissance de la jeune TPE accompagnée qui jusqu’alors ont été négligées dans la littérature (Kraaijenbrink, Spender et Groen, 2010).

Il est également possible, sur la base des quatre mécanismes d’autorenforcement de la croissance identifiés de mettre en évidence, au sein du processus général d’orchestration des ressources, deux sous-processus : la transformation des compétences en capacités organisationnelles et la gestion des ressources orientée création de valeur.

  • Conjecture 2 : le processus d’orchestration des ressources sous-tendant la croissance repose sur deux sous-processus en interaction, de transformation des compétences en capacités organisationnelles, d’une part, et d’exploitation des ressources issues de l’environnement orienté création de valeur, d’autre part ; ces sous-processus étant à adapter en fonction de spécificités contextuelles.

On retrouve dans cette conjecture des éléments du processus général d’orchestration des ressources. Ceci inclut soit la sélection, la structuration, la perspective de création de valeur comme événements caractéristiques des mécanismes en interaction de la croissance de la jeune TPE ; en RC, un événement étant une action découlant de l’activation d’un ou plusieurs mécanismes sous-jacents à des processus (Wynn et Williams, 2012). Les deux sous-processus identifiés soulignent que l’acteur entrepreneurial structure les actions orientées croissance autour de deux objectifs clés : la transformation des compétences en capacités organisationnelles et la création de valeur par l’exploitation des ressources. Ces deux sous-processus permettent de décomposer en mécanismes d’autorenforcement d’actions concrètes la notion d’orchestration des ressources. Les mécanismes identifiés sont eux-mêmes en interaction, la détention de capacités organisationnelles pouvant par exemple concourir à l’accès à de nouvelles ressources dans l’environnement et contribuer ainsi à la création de valeur (Teece, 2012). Par rapport à l’intérêt des travaux sur les processus stratégiques menés par Lorino (1995) et Lorino et Tarondeau (2006), ce résultat permet d’identifier plus spécifiquement les différents mécanismes d’autorenforcement du processus général sous-tendant la croissance de la jeune TPE et précise, par l’identification des interrelations entre eux, leur dynamique. Cette conjecture contribue donc, au plan théorique, à une meilleure compréhension des processus impliqués, ainsi que de leurs interactions, pour favoriser la croissance de la jeune TPE accompagnée ; cité au sujet de l’interaction de l’ensemble des actions managériales et entrepreneuriales comme un élément prioritaire de l’agenda de recherche en entrepreneuriat (Venkataraman et al., 2012).

L’identification du mécanisme d’autorenforcement Exploiter les ressources environnementales et développer les compétences, permet également de mettre en évidence le rôle fondamental des dispositifs d’accompagnement dans la croissance de la jeune TPE.

  • Conjecture 3 : les dispositifs d’accompagnement sont de nature à contribuer au déclenchement et à l’accélération de la croissance de la jeune TPE en raison de leur rôle à jouer en matière d’orchestration des ressources.

Les dispositifs d’accompagnement, identifiés dans des régions de sens précises des cas à l’étude (Section 4.), pourraient soutenir l’acteur entrepreneurial[11] dans le développement d’une vision systémique des mécanismes d’autorenforcement sous-tendant la croissance et à appréhender la complexité des interrelations entre eux. De plus, les accompagnateurs entrepreneuriaux peuvent contribuer à une meilleure maîtrise, par les acteurs entrepreneuriaux, des deux sous-processus constitutifs du processus général d’orchestration des ressources. Ils peuvent en effet favoriser le développement de compétences par le biais de formations, ou encore l’accès à des ressources par l’insertion dans des réseaux professionnels (Macpherson et Holt, 2007). Ces dispositifs jouent alors un rôle de « catalyseur » dans le processus d’orchestration des ressources. Ils peuvent permettre d’amorcer un cycle d’accès à des compétences qui seront transformées en capacités organisationnelles pour in fine créer de la valeur. L’identification des interrelations entre les mécanismes de la croissance de la jeune TPE rend nécessaire une gestion organisée dans le temps du processus d’orchestration des ressources et met en évidence le rôle de l’écosystème entrepreneurial, notamment celui des dispositifs d’accompagnement, pour aider l’acteur entrepreneurial à développer le capital humain, social et entrepreneurial nécessaire à la croissance. Ce constat justifie les approches récentes en matière d’accompagnement du développement entrepreneurial (LabEx Entreprendre, 2014) qui proposent de considérer la jeune TPE comme insérée dans un écosystème complexe. Il renforce également l’idée de l’existence d’un lien entre écosystème, accompagnement et microfondements de la croissance (Stigliani et Wright, 2012) et conforte le rôle de « catalyseur » qu’ont à jouer les dispositifs d’accompagnement (Macpherson et Holt, 2007). Cette conjecture contribue donc, au plan théorique, à une meilleure compréhension de comment le mécanisme d’autorenforcement lié aux dispositifs d’accompagnement en matière d’orchestration des ressources influence la trajectoire de croissance de la jeune TPE au sein de son écosystème entrepreneurial.

De plus, par rapport aux travaux conceptuels, qui identifient en détail les différents composants de l’orchestration des ressources, cette recherche conduit à une vision stylisée, à travers les deux sous-processus identifiés, des trajectoires conduisant à la croissance. Le cadre explicatif du phénomène de croissance est plus facilement appropriable par l’acteur entrepreneurial, d’une part, du fait de sa représentation simplifiée (Figure 4) issue des résultats empiriques de la CCG et, d’autre part, parce qu’elle leur permet d’élaborer une vision (Filion, 2008), selon les spécificités du contexte, des modalités d’actions concrètes correspondant aux deux objectifs décrits à travers les deux sous-processus.

À partir des contributions théoriques de la recherche, il est possible d’identifier deux types de contributions managériales, pour les acteurs entrepreneuriaux dirigeants de jeunes TPE d’abord, et pour les concepteurs de dispositifs d’accompagnement à la croissance ensuite.

Pour les acteurs entrepreneuriaux, il semble essentiel d’approfondir la connaissance des mécanismes d’autorenforcement de la croissance, dont les manifestations sont liées aux actions dans le processus d’orchestration des ressources, en développant une compréhension fine de l’environnement et des ressources, ainsi qu’une meilleure compréhension de la formation des différentes formes de capital. Il conviendrait également que ces acteurs entrepreneuriaux appréhendent le processus d’orchestration des ressources dans sa globalité et dans sa dimension temporelle. Pour ce faire, il leur est possible de s’appuyer sur les deux sous-processus d’orchestration des ressources identifiés qui correspondent aux deux objectifs majeurs devant guider leur action : exploiter les ressources issues de l’environnement de manière à dégager de la valeur ; transformer, en interne, les compétences détenues en capacités organisationnelles. Ceci a des implications nombreuses en matière de richesse des outils et méthodes de gestion à concevoir : développement des dispositifs de mesure et d’analyse de la valeur, conception des tableaux de bord, mise en place d’une veille de l’environnement dédiée à l’identification des ressources à capter, élaboration d’une démarche de gestion des compétences, conduite d’une réflexion sur la manière de construire des capacités organisationnelles à partir des compétences détenues de manière à favoriser l’adaptation de l’entreprise aux évolutions de l’environnement.

Pour les concepteurs des dispositifs d’accompagnement visant à soutenir la croissance des jeunes TPE, il s’agit, d’une part, de faire de ces dispositifs un moyen d’améliorer la connaissance que peuvent avoir les acteurs entrepreneuriaux de l’écosystème entrepreneurial dans lequel ils se situent, des ressources pouvant y être captées, des personnes et institutions clés qui peuvent faciliter l’accès à ces ressources, en prenant en considération le caractère évolutif de l’environnement. Ceci renvoie en particulier au pilotage politique de ces dispositifs d’accompagnement, l’implication des acteurs publics et notamment des élus constituant un élément essentiel d’ouverture vers l’extérieur des structures dédiées à l’accompagnement. D’autre part, il apparaît pertinent de positionner les dispositifs d’accompagnement, en lien avec la réflexion sur les compétences de l’accompagnateur (Bakkali, Messeghem et Sammut, 2010), sur l’aide à la gestion du processus d’orchestration des ressources. Ceci doit tout d’abord permettre aux acteurs entrepreneuriaux de s’approprier les notions managériales et entrepreneuriales se rapportant aux mécanismes de la croissance, liées tant à des facteurs environnementaux qu’à des éléments internes à l’entreprise, sous-tendant la croissance. Il s’agit également d’aider les acteurs entrepreneuriaux à prendre en considération l’interaction entre ces mécanismes à l’origine des actions managériales et entrepreneuriales, de même que les questions de temporalité associées à l’orchestration des ressources, en relation, par exemple, avec la question du rythme de la croissance (St-Jean, Julien et Audet, 2008). En pratique, ceci suppose, par exemple, de dépasser la proposition d’un catalogue de formations disjointes à différentes techniques de gestion, d’introduire des formations sur les processus managériaux et de proposer des séances de réflexion individualisées sur le management du processus d’orchestration des ressources.

Conclusion

Dans cette recherche, la croissance de la jeune TPE accompagnée a été appréhendée par son caractère systémique, processuel et complexe (Leitch, Hill et Neergaard, 2010 ; Witmeur et Biga Diambeidou, 2010). Cet article apporte une compréhension nouvelle de l’orchestration des ressources en général, d’une part, puisqu’il identifie et met en évidence une articulation entre quatre mécanismes d’autorenforcement générateurs de la croissance qui interviennent transfactuellement (Fleetwood, 2009), et spécifiquement d’autre part, parce qu’il précise certains tenants et aboutissants de la croissance de la jeune TPE accompagnée explicités par des conjectures tirées sur les demi-régularités empiriques observées dans les analyses intracas. Cet article constitue également une contribution par le positionnement épistémologique en RC, dont la portée philosophique est actuellement source de débats intenses et toujours en cours dans la littérature en entrepreneuriat (Alvarez et Barney, 2013 ; Shane, 2012 ; Venkataraman et al., 2012). En marge des idées et notions philosophiques débattues, cet article s’est toutefois attaqué sur le plan empirique à tracer certains pourtours du RC, afin d’en démontrer ses apports par l’opérationnalisation de la CCG, une approche de recherche mixte qui met en évidence les représentations collectives des acteurs entrepreneuriaux.

Bien que fondamentales dans l’évolution des entreprises, les actions managériales et entrepreneuriales et leurs interactions commencent à peine à faire l’objet d’un intérêt plus approfondi et soutenu dans la littérature en entrepreneuriat, en réponse à un besoin en connaissance toujours non actuellement comblé à leur sujet (Venkataraman et al., 2012). Un autre apport de cette recherche est l’utilisation des représentations des actions des acteurs entrepreneuriaux et de leurs interrelations, afin de les mettre en adéquation avec les notions théoriques des capacités dynamiques et de la RBV, celles-ci étant fondamentales à la compréhension du travail d’orchestration des ressources des acteurs entrepreneuriaux. Malgré tout, les résultats ont souligné l’intérêt d’identifier des mécanismes générateurs de la croissance, permettant d’opérationnaliser plus concrètement ces notions théoriques dans le contexte de la réflexion des acteurs entrepreneuriaux concernant les actions à mener en matière d’orchestration des ressources. En outre, l’orchestration des ressources est à considérer en lien avec le contexte dans lequel s’opère la croissance, comblant ainsi un vide important identifié dans la littérature (Kraaijenbrink, Spender et Groen, 2010 ; Sirmon et Hitt, 2009). En particulier, les résultats soulignent l’apport fondamental de l’accompagnateur entrepreneurial à la croissance de la jeune TPE accompagnée.

Des travaux futurs pourraient servir à combler certaines limites de la présente recherche. Premièrement, la recherche a mis en évidence quatre mécanismes générateurs de la croissance dans l’orchestration des ressources, alors que d’autres mécanismes interviennent possiblement dans ce processus. Les analyses intracas menées avec la CCG pourraient faire l’objet d’autres adéquations théoriques non encore explorées avec ces résultats. Deuxièmement, il serait intéressant d’intégrer aux calculs, les représentations des accompagnateurs entrepreneuriaux, afin de dresser un bilan plus riche des interrelations entre représentations d’actions de ces deux groupes d’acteurs (Schmitt, 2004) au sujet de la croissance de la jeune TPE accompagnée. Troisièmement, il serait intéressant d’effectuer un travail d’analyse des représentations comparé qui intègrerait dès le départ des participants de groupes en divers contextes, afin de mesurer la portée des consensus faibles ou élevés des actions managériales et entrepreneuriales. Quatrièmement, il conviendrait de formaliser les conjectures sous forme d’hypothèses en inférence hypothético-déductive confirmatoire pouvant être testées empiriquement sur les échantillons pertinents d’acteurs entrepreneuriaux. Ceci, afin de déterminer dans quelle mesure l’ensemble des déterminants de la croissance intervient significativement ou non dans les mécanismes générateurs de croissance, afin d’approfondir notre compréhension de l’orchestration des ressources de la jeune TPE accompagnée.