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L’archéologie de la péninsule du Québec-Labrador a pris son essor il y a plus d’un demi-siècle, et l’un des principaux instigateurs de la recherche dans ce domaine est sans contredit Patrick Plumet, décédé en 2010. C’est pour lui rendre hommage qu’en 2013 nous avons accepté de convier non seulement les chercheurs qui ont collaboré avec lui, mais également tous ceux et celles qui désiraient souligner sa contribution au développement de l’archéologie arctique: des collègues, des chercheurs ayant travaillé sous sa direction, de jeunes chercheurs ayant suivi sa trace ou proposé de nouvelles approches ainsi que des membres de sa famille et des amis. Ce numéro de la revue Études/Inuit/Studies permettra de prolonger cet hommage en réunissant les textes des communications prononcées lors de deux séances intitulées « Un demi-siècle d’archéologie chez les Inuit du Québec-Labrador (1964-2014): hommage à Patrick Plumet (1934-2010) » qui se tenaient dans le cadre du 19e Congrès d’Études Inuit à Québec en 2014.

Préhistorien d’origine française, Patrick Plumet est surtout connu pour son immense contribution à la connaissance des peuples du Grand Nord et plus particulièrement à l’archéologie de la péninsule du Québec-Labrador (Nunavik et Nunatsiavut). Les chercheurs qu’il a formés, influencés ou avec lesquels il a engagé un dialogue (archéologues, anthropologues et géographes) se sont réunis pour lui rendre hommage tout en discutant des résultats des recherches les plus récentes en matière d’archéologie arctique. Les lecteurs pourront constater non seulement la richesse des perspectives mais également les transformations qui ont affecté la pratique archéologique et les idées qui se sont formées sur la préhistoire des peuples du Grand Nord. En effet, en plus de présenter de riches corpus de données colligées au cours des dernières années, les auteurs proposent des réflexions sur le développement des approches interdisciplinaires (p. ex., ethnoarchéologie, géoarchéologie) et le dialogue interculturel: intégration des perspectives inuit en recherche, contribution des savoirs inuit à la production scientifique, retour des données dans les communautés participantes et réappropriation des savoirs par les Inuit à des fins éducatives.

La première et principale section de ce numéro regroupe les articles basés sur les présentations faites lors du Congrès d’Études Inuit par William Fitzhugh, Jean-François Moreau, Murielle Nagy, Marie-Michelle Dionne, Andréanne Couture et Yves Labrèche. Cette section regroupe également deux articles soumis subséquemment, celui de Claire Houmard et un autre de Pierre Desrosiers et Jrène Rahm. De plus, un essai par Daniel Gendron complète les textes en archéologie de ce numéro[1]. Enfin, dans une troisième et dernière section ont été regroupés les témoignages des personnes qui ont tenu à partager quelques mots en mémoire de Patrick Plumet: ceux des membres de sa famille présentés par son fils Yanaël, ceux d’un proche collègue et ami de longue date, le professeur Gilles Tassé, et ceux de leur amie à tous, Yolande Simard-Perrault.

Des deux contributions de portée historiographique, celle de Fitzhugh propose une rétrospective de deux vastes programmes d’archéologie nordique mis en place au cours des années 1970 et dans le cadre desquels toute une génération d’archéologues (p. ex., Kaplan, Labrèche et Loring) ont trouvé leur première formation de terrain: le Projet Torngat, dirigé par Fitzhugh lui-même, et le Projet Tuvaaluk, conçu et orchestré par Plumet. Pour sa part, Moreau replace dans un contexte plus vaste le développement de l’informatique appliqué à la recherche archéologique dans le cadre du programme Tuvaaluk. Il fait référence à l’importance accordée par Plumet à la conceptualisation des méthodes d’enregistrement et d’analyse en fonction du développement de programmes d’informatisation et de traitement des données, le tout réalisé grâce à la collaboration de deux chercheurs associés au Laboratoire d’archéologie de l’Université du Québec à Montréal: André Gosselin et Jean-François Moreau.

Les autres articles relèvent davantage du domaine de la recherche appliquée et la plupart d’entre eux illustrent les tendances les plus récentes dans le domaine des analyses spécialisées. Nagy réévalue l’interprétation de deux sites paléoesquimaux d’Ivujivik (Nunavik) à la lumière de nouvelles datations au radiocarbone. Houmard s’intéresse à l’industrie sur os mise au jour lors de fouilles sur le site Tayara au Nunavik. Son analyse typologique et comparative de collections qui se sont considérablement enrichies grâce à des interventions relativement récentes de l’Institut culturel Avataq lui permet de contribuer à la réinterprétation de la séquence d’occupation formulée initialement par l’archéologue William Taylor il y a plusieurs décennies. Dionne étudie la fonction d’outils lithiques par la tracéologie. Elle compare les résultats d’observations faites sur des collections d’objets paléoesquimaux d’Ivujivik et du site Tayara avec ceux des expérimentations qu’elle a réalisées avec des matières premières équivalentes. Elle porte une attention particulière aux traces d’usure retrouvées sur des outils à gratter les peaux devant servir, entre autres, à la confection de vêtements et identifie ainsi des activités féminines. Couture et ses collaborateurs se sont penchés sur les facteurs naturels et anthropiques qui affectent la formation des gisements inuit de la période historique. Ils ont recours à des analyses micromorphologiques et géochimiques pour traiter de l’organisation spatiale de grandes habitations fouillées au Labrador. Malgré les efforts déployés, ils soulignent la difficulté de reconnaître des aires d’activités spécifiques liées à l’occupation de ces maisons, difficulté qu’ils attribuent à une dispersion des vestiges survenant après le départ de leurs occupants.

Enfin, deux autres contributions, de portée épistémologique, se distinguent par les réflexions qu’elles permettent au sujet du développement de la recherche. Ainsi, Desrosiers et Rahm traitent des interventions archéologiques des dernières décennies qui prirent principalement la forme d’écoles de fouilles organisées par l’Institut culturel Avataq à des fins pédagogiques dans les communautés inuit du Nunavik. Ces travaux ont servi à sensibiliser les jeunes participants autant que la communauté tout entière à l’intérêt éducatif que présentent ces activités. En effet, ces écoles offraient non seulement une formation pratique lors de la collecte de données, mais visaient également à développer un intérêt et un engagement à plus long terme à l’égard de la culture matérielle et des études en archéologie pour comprendre l’histoire des Inuit. La contribution de Labrèche offre un regard critique sur les interprétations formulées au sujet du peuplement de l’Arctique et plus particulièrement au sujet des relations entre Thuléens et Dorsétiens. Cet exercice permet d’opposer les tenants d’une archéologie influencée par les sciences physiques et biologiques s’intéressant principalement aux objets et aux problèmes d’ordre classificatoire, à ceux d’une autre école qui se rattache plutôt aux sciences humaines et met l’accent sur les problèmes d’ethnicité et de relations.

Pour terminer, la question d’une présence norroise au Nunavik est réitérée brièvement par Gendron alors qu’elle avait fait l’objet d’une étude approfondie par Patrick Plumet (1969)[2] qui démontrait point par point comment les structures attribuées aux « Vikings » par Thomas Lee étaient en réalité des structures dorsétiennes. D’autres études, à l’instar de celle réalisée par Patricia Sutherland et al. (2014), devront être réalisées pour proposer des scénarios plausibles au sujet de la présence norroise, du commerce et des relations qui se sont tissées entre les divers peuples de l’Arctique canadien durant la préhistoire et la protohistoire.


Archaeology quickly developed in the Quebec-Labrador Peninsula over half a century ago, and one of the leading instigators of research in that area was unquestioningly Patrick Plumet, who passed away in 2010. To pay tribute to him, we agreed in 2013 to invite not only those researchers who had collaborated with him, but also anyone who wished to highlight his contribution to the development of Arctic archaeology: colleagues; researchers under his supervision; young researchers who have followed in his footsteps or offered new approaches; and family members and friends. This issue of the journal Études/Inuit/Studies will extend this tribute by bringing together papers from two sessions of the 19th Inuit Studies Conference in Quebec City, in 2014. The sessions were titled: “Half-Century of Archeology among Inuit of Quebec-Labrador (1964-2014): Tribute to Patrick Plumet (1934-2010).”

A prehistorian of French origin, Patrick Plumet is above all known for his immense contribution to knowledge of the peoples of the Far North and especially to the archaeology of the Quebec-Labrador Peninsula (Nunavik and Nunatsiavut). The researchers he trained, influenced, or dialogued with (archaeologists, anthropologists, and geographers) came together to honour his memory while discussing the latest research findings in Arctic archaeology. Readers will not only find a rich diversity of perspectives but also learn about the transformations that have affected archaeological practice and the ideas that have formed on the prehistory of the peoples of the Far North. Indeed, in addition to presenting rich sets of data gathered in recent years, the authors offer reflections on the development of interdisciplinary approaches (e.g., ethnoarchaeology, geoarchaeology) and intercultural dialogue: integration of Inuit perspectives into research; contribution of Inuit knowledge to academic scholarship; return of data to participating communities; and reappropriation of knowledge by the Inuit for educational purposes.

The first and main section of this issue brings together articles based on presentations at the Inuit Studies Conference by William Fitzhugh, Jean-François Moreau, Murielle Nagy, Marie-Michelle Dionne, Andréanne Couture, and Yves Labrèche. This section also has two articles that were submitted subsequently, one by Claire Houmard and the other by Pierre Desrosiers and Jrène Rahm. In addition, an essay by Daniel Gendron rounds out the archaeology papers of this issue.[1] Finally, the third and last section provides first-hand accounts by those who wished to share a few words in memory of Patrick Plumet. These include accounts gathered from family members and presented by his son Yanaël, as well as accounts by a close colleague and longstanding friend, Prof. Gilles Tassé, and by a friend of one and all, Yolande Simard- Perrault.

Two contributions are in the field of historiography. Fitzhugh offers a look back at two large-scale programs in northern archaeology that started up in the 1970s and which provided an entire generation of archaeologists (e.g., Kaplan, Labrèche, and Loring) with their first training in the field: Project Torngat, directed by Fitzhugh himself, and Project Tuvaaluk, which Plumet designed and orchestrated. For his part, Moreau takes a broader view when discussing how computer tools were developed for archaeological research under the Tuvaaluk program. He refers to Plumet’s effort to conceptualize methods of recording and analysis in line with the development of computer and data processing programs, all of this being done through the joint efforts of two researchers associated with the Laboratoire d’archéologie of Université du Québec à Montréal: André Gosselin and Jean-François Moreau.

The other articles are more from the field of applied research, and most of them illustrate the latest trends in specialized analyses. Nagy reassesses the current interpretation of two Palaeoeskimo sites from Ivujivik (Nunavik) in light of new radiocarbon dating. Houmard writes about the bone industry uncovered by excavations at the Tayara site in Nunavik. By means of typological and comparative analysis of collections that relatively recent fieldwork by the Avataq Cultural Institute has greatly enriched, she contributes to the reinterpretation of the occupation sequences that the archaeologist William Taylor initially formulated several decades ago. Dionne studies the function of lithic tools through use-wear analysis. She presents the results of her observations on collections of Palaeoeskimo objects from Ivujivik and the Tayara site and her experiments with equivalent raw materials. She has especially examined traces of wear on hide-scraping tools that served, among other uses, to make clothing and thus identifies women’s activities. Couture and her collaborators describe the natural and anthropic factors that affect the sedimentary matrix of Inuit sites from the historical period. They have used micromorphological and geochemical analyses to study the spatial layout of communal houses excavated in Labrador. Despite the efforts made, they emphasize how difficult it is to recognize specific activity areas related to occupation of these houses, a difficulty they attribute to scattering of remains after the departure of their occupants.

Finally, two other contributions, epistemological in nature, provide fresh insights into the way research has developed. Desrosiers and Rahm discuss archaeological work of recent decades, which has largely taken the form of fieldwork schools that the Avataq Cultural Institute has organized for educational purposes in Nunavik Inuit communities. This fieldwork has stirred up interest in its educational content as much among young participants as within the entire community. Indeed, not only have these schools offered hands-on training during data gathering, they have also aimed to develop longer-term interest and involvement in material culture and studies in archaeology to improve our understanding of Inuit history. Labrèche’s contribution takes a critical look at interpretations of the peopling of the Arctic, especially on the subject of Thule-Dorset relations. This exercise brings into play the proponents of an archaeological school who look to the physical/biological sciences and focus on objects and problems of classification versus the proponents of another school who are closer to the social sciences and think more about problems of ethnicity and social relations.

We conclude with the question of the Norse presence in Nunavik. Gendron briefly reiterates the position of Patrick Plumet (1969), who addressed this issue at great length[2] and who showed point by point how the structures attributed to “Vikings” by Thomas Lee were in reality Dorset structures. Upcoming studies, along the lines of one by Patricia Sutherland et al. (2014), should offer plausible scenarios about the Norse presence and about trade and other relations that developed among the various peoples of the Canadian Arctic during prehistory and protohistory.