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Le Parlement de Québec n’est pas uniquement l’édifice administratif où est située l’Assemblée nationale du Québec ; il s’agit à l’évidence du lieu emblématique par excellence de l’histoire et de l’identité collective des Québécois, mettant en scène tous les symboles et les personnages (on disait autrefois « héros nationaux ») qui ont façonné notre image de nous-mêmes : Cartier, Champlain, De Maisonneuve, Pierre Le Moyne d’Iberville, La Vérendrye, Louis Joliet, Jacques Marquette et tant d’autres figures épiques. Présenté en format à l’italienne, ce livre d’art sur l’art public québécois montre éloquemment comment ces emblèmes et ces oeuvres ont été intégrés à l’architecture, au mobilier et à la décoration de cet espace citoyen qui demeure éminemment patrimonial, tel un lieu de mémoire – au sens où l’entend l’historien Pierre Nora dans le contexte de la France (p. 107).

Pour leur troisième ouvrage conjoint, Daniel Tremblay et Louise-Andrée Laliberté décrivent ce haut lieu, en mots mais surtout en 250 images admirablement bien composées. Toutefois, on ne saurait réduire Le Parlement du Québec. Parcours photographique à un simple album de photos ou à un beau livre – ce qu’il est indéniablement. Le parcours de la visite est marqué par la volonté de donner du sens aux symboles nationaux judicieusement intégrés au décor : le drapeau fleurdelisé, les différentes manifestations du Fleur-de-Lys, les armoiries, les médailles et même la rose britannique (p. 7, 48, 67 et 108). Les statues et les portraits magnifient et vivifient les découvreurs, pionniers et autres fondateurs qui sont ici identifiés nommément, avec les noms des artistes les ayant représentés. On peut admirer autant la décoration intérieure, de style classique, que l’architecture extérieure, de style Beaux-Arts.

N’importe qui peut visiter (gratuitement) certains secteurs de cet édifice patrimonial durant les heures d’ouverture. Exceptionnellement, Daniel Tremblay et Louise-Andrée Laliberté ont eu le privilège de photographier, de jour et de nuit, plusieurs sections habituellement fermées aux visiteurs : on peut découvrir le campanile, l’intérieur de l’horloge géante qui trône au-dessus de l’édifice principal, les combles offrant de nombreuses vues de la ville que l’on découvre sous des angles insoupçonnés. Très peu de parlementaires – même les plus importants – ont eu le privilège de contempler ces vues magnifiques sur le Vieux-Québec et sur les plaines d’Abraham ; elles constitueront une révélation (p. 45-48).

Le parcours privilégié des photographes inclut également les quatre autres immeubles de la colline parlementaire dont on ne connaît pas toujours les noms, mais qui sont tout aussi riches en histoire et sur le plan architectural : l’édifice Pamphile-Le May (qui abrite la Bibliothèque du Parlement), l’impénétrable édifice Honoré-Mercier (qui sert de bureau au premier ministre), l’édifice André-Laurendeau (qui loge le cabinet du lieutenant-gouverneur et la Tribune de la presse parlementaire) et enfin le moins connu de cet ensemble, l’édifice Jean-Antoine Panet. Chaque fois, les photographes se sont attardés aux aspects patrimoniaux et aux oeuvres d’art, comme les sculptures, les verrières, les frises, les plafonds et autres ornementations.

Spécialiste du noir et blanc, Daniel Tremblay excelle dans les cadrages obliques et les angles inattendus qui soulignent la noblesse de ces espaces stylisés. Privilégiant la photographie en couleurs, le style de Louise-Andrée Laliberté est caractérisé par la qualité de ses éclairages pour maximiser les nuances des couleurs (p. 55) : la perspective inédite qu’elle propose du Complexe « H » et de la Rive-Sud de Québec, aperçus du sommet du campanile du parlement, s’apparenterait presque à une image ancienne ou indatable (p. 46). Les deux photographes donnent à voir ce que le visiteur pourrait observer s’il obtenait l’autorisation de se hisser au faîte de la tour Jacques-Cartier, au sommet du campanile – on ne visite pas – : l’immense drapeau du Québec flottant majestueusement sur son mât, saisi en contre-plongée, mais aussi la cloche géante du parlement et les vues imprenables sur des panoramas rarement observés à partir de ce point de vue (p. 48-49).

On remarque que très peu de personnes apparaissent sur ces clichés, sans doute pour créer un effet intemporel qui a aussi l’avantage de demeurer non partisan (p. 5). Cette nette volonté de ne pas créer de hiérarchie rend ce livre méritoire en évitant la partisanerie. Ici, c’est le lieu en soi qui compte, et non ses locataires provisoires – et c’est tant mieux. Signe qu’il reste encore place à quelques ajouts, on peut même voir un exemple d’une niche encore inoccupée, prévue pour une éventuelle statue d’un illustre personnage à déterminer par « les générations futures » (p. 61).

Il ne s’agit pas du premier ouvrage de luxe à être consacré à ce monument national : l’historien Gaston Deschênes et le photographe Francesco Bellomo avaient fait paraître, en 2007, L’hôtel du Parlement. Mémoire du Québec aux Éditions Stromboli, en coédition avec l’Assemblée nationale du Québec et diffusé par Les Publications du Québec. La bibliographie en fin de volume mentionne d’ailleurs ce titre et plusieurs autres sources documentaires. Il n’y manque qu’un index des endroits photographiés. Pour plus d’acuité, les éléments historiques ont été validés par Gilles Gallichan, longtemps bibliothécaire à l’Assemblée nationale. L’historien évoque les différents parlements (fédéral et provincial) ayant existé à Québec avant la construction de l’actuel édifice, entre 1877 et 1886 (p. 2, 14-19).

Vraiment, l’hôtel du Parlement de Québec est notre trésor le mieux préservé. Existe-t-il un plus bel édifice au Québec, voire au Canada ? Je ne le crois pas. Tout comme les innombrables ouvrages sur le patrimoine existant en France, les Éditions Québec Amérique nous offrent ici le plus beau livre paru au pays en 2014. Pour les cours en éducation à la citoyenneté, en histoire visuelle, en science politique, en études québécoises (ou canadiennes) et en photographie, ce livre incomparable sur les lieux les plus inaccessibles de l’Assemblée nationale pourra servir de référence.