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Le collectif Translation Effects, dirigé par Kathy Mezei, Sherry Simon et Luise von Flotow, est paru en 2014 aux éditions McGill-Queen’s University Press. À travers 32 études de cas, l’ouvrage aborde le rôle qu’a joué la traduction dans les diverses sphères de la culture canadienne depuis le début du XXe siècle. Mentionnons, toutefois, que toutes les contributions, à deux exceptions près, couvrent une période allant des années 1970 jusqu’à nos jours.

Translation Effects se donne pour mission de mettre en évidence la diversité des contextes dans lesquels la traduction a lieu au Canada ainsi que leurs effets sur la culture canadienne. Les différentes contributions montrent également que les luttes de pouvoir se dégagent de ces moments de traduction, en particulier lorsqu’il est question des Amérindiens, des immigrants et de l’affirmation identitaire québécoise. Ainsi, l’ouvrage est subdivisé en cinq parties (sans compter l’introduction), qui abordent la traduction des médias et des arts ; la traduction de la politique ; la traduction de la poésie, de la fiction et de l’essai ; la traduction du théâtre et, enfin, l’acte de traduction. Dans chaque partie, les études de cas sont présentées par ordre chronologique.

Les contributions de la première partie se penchent sur la traduction dans les domaines des médias et des arts. L’étude de productions audiovisuelles y occupe donc une place importante. Par exemple, le premier chapitre, de Ray Ellenwood, met à l’avant-plan les barrières langagières et l’importance de la traduction dans la production d’un téléfilm sur Big Bear. Dans ce téléfilm, les Amérindiens s’expriment en langue anglaise alors que les Anglais parlent une langue inventée complètement incompréhensible pour le téléspectateur, l’objectif étant de sensibiliser le public anglophone à la barrière linguistique vécue par les Autochtones. La contribution de Sherry Simon relate pour sa part le contexte du lancement de Territoires et trajectoires, traduction activiste qui a permis d’introduire au Québec la notion de « politiques racio-culturelles » [« cultural race politics » (p. 50)]. Au chapitre quatre, Luise von Flotow explique qu’en 2007 des politiciens québécois ont débattu sans succès un projet de loi qui aurait obligé les producteurs de films hollywoodiens à effectuer leur doublage dans la Belle Province. Glen Nichols change de cadre dans son chapitre, qui se penche sur le Pays de la Sagouine, parc d’attractions où l’univers d’Antonine Maillet et la culture acadienne sont traduits pour les touristes.

La deuxième partie propose cinq contributions sur la traduction de la politique. Denise Merkle ouvre le bal en démontrant que la voix minoritaire de certains poètes acadiens a été tue par des traductions anglaises qui n’ont pas su recréer les tensions sociopolitiques centrales aux poèmes en français. Au chapitre huit, Julie McDonough Dolmaya aborde de son côté la question de la traduction anglaise de Nègres blancs d’Amérique. La production de la traduction met en lumière la différence d’attitude de la classe politique envers les francophones et les anglophones du Canada à la suite de la crise d’Octobre. Pendant que les autorités s’efforcent de freiner la diffusion de la critique de Vallières, entre autres par la saisie du livre au Québec, McClelland and Stewart distribue une traduction états-unienne auprès des Canadiens anglais. Le dernier chapitre de cette section pose un regard critique sur la traduction culturelle à travers l’exemple de la commission Bouchard-Taylor. Renée Desjardins y explique que la commission a fourni un cadre aux participants afin qu’ils puissent traduire pour d’autres leurs valeurs et leurs croyances.

Comptant onze articles, la troisième partie de l’ouvrage, qui explore la traduction de la poésie, de la fiction et de l’essai, est la plus volumineuse. Il y est notamment question de la littérature nordique et d’immigrants islandais qui choisissent l’anglais comme langue d’écriture afin de traduire leurs expériences pour les Canadiens. Au chapitre douze, Patricia Godbout s’intéresse à la correspondance entre Anne Hébert et F. R. Scott et observe que, au fil du temps, leur dialogue sur la traduction se transforme en monologue, puisque Scott se distancie des suggestions d’Hébert et privilégie ses choix initiaux dans les versions subséquentes de The Tomb of the Kings. De son côté, Hugh Hazelton relate l’augmentation des traductions d’oeuvres latino-américaines au Canada depuis les années 1970. Au chapitre quinze, Gillian Lane-Mercier étudie la retraduction du Cassé et l’utilisation du « urban street slang » pour rendre le joual du texte original. Au chapitre vingt et un, Hélène Buzelin décrit l’arrivée en scène de la maison d’édition Les Allusifs qui, pendant ses onze années d’existence, s’est consacrée à la publication de traductions françaises d’oeuvres de la littérature internationale. Les Allusifs fut pionnière en ce sens qu’elle faisait la promotion d’auteurs qui s’exprimaient dans une langue autre que l’anglais et qui provenaient de l’extérieur de l’Amérique du Nord.

La quatrième partie propose des études portant sur la traduction du théâtre. Michel Tremblay y occupe une place de choix : trois des sept chapitres portent sur les traductions de ses pièces de théâtre, de la production de la version anglaise des Belles-soeurs à Toronto (chapitre de Louise Ladouceur) à la traduction en yiddish présentée à Montréal en 1992 (contribution de Rebecca Margolis). Kathy Mezei, pour sa part, explique qu’une petite maison d’édition d’avant-garde établie à Vancouver a publié les traductions anglaises de quatre pièces clés du théâtre québécois (API 2967 et The Trial of Jean Batiste M. de Robert Gurik ainsi que Hosanna et Les Belles Soeurs de Michel Tremblay) dans le but de rapprocher les deux solitudes et de faire comprendre la situation politique difficile des années 1970. De son côté, Jane Koustas démontre que l’oeuvre de Robert Lepage explore la question du choc des langues et des cultures au Canada.

La dernière partie se penche sur l’acte de traduction. Brian Mossop explique que la traduction d’écrits allemands dans le milieu gai de Toronto des années 1970 a mené à la découverte d’un premier mouvement pour les droits des homosexuels qui remonte à la République de Weimar, mouvement réprimé, par la suite, par le régime nazi. Quant à lui, Andrew Clifford insiste sur la nécessité de mettre en place des mesures législatives afin d’obliger le recours aux interprètes professionnels dans le milieu de la santé.

Comme il s’agit d’un collectif, Translation Effects propose un regard sur une multitude de facettes de la traduction au Canada. Une des critiques propres à ce type d’ouvrage est qu’il est impossible de présenter une vision exhaustive de la question. De plus, bien que les contributions soient présentées par ordre chronologique dans chaque section, on note parfois l’absence d’un fil conducteur entre les chapitres. Cependant, ce format (aidé de l’index) a l’avantage de permettre d’effectuer rapidement des recherches à l’intérieur du livre et de se concentrer sur un aspect en particulier. Bref, si l’ouvrage n’offre pas une vue d’ensemble sur le phénomène de la traduction au Canada, il permet néanmoins d’étudier en profondeur des évènements de l’histoire canadienne au cours desquels la traduction a tenu une place centrale.

Le Canada est un pays qui repose sur la traduction, et la traductologie y est une discipline florissante. Toutefois, à notre connaissance, peu d’études ont été réalisées sur l’histoire de la traduction dans notre pays. Translation Effects contribue à nourrir ce volet et constitue donc un pas dans la bonne direction. En définitive, Translation Effects trace un excellent portrait du rôle que la traduction a joué dans la culture canadienne, surtout depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles. Les études de cas mettent l’accent sur l’apport de la traduction à la société. Conséquemment, la traduction y est représentée comme étant une métaphore de l’expérience canadienne.