Corps de l’article

1. Quelques observations préliminaires

L’enseignement de la traduction publicitaire est (encore) peu présent dans les centres universitaires, ce qui oblige souvent le traducteur à apprendre son métier sur le tas, en autodidacte. Ceci s’explique du fait que la réflexion théorique sur la traduction spécialisée, et sur la traduction publicitaire en particulier, a joué jusqu’à il y a une trentaine d’années un simple rôle de service par rapport à la pratique. Le concept fondamental sur lequel se fonde la théorie dans ce domaine de spécialité est celui d’adaptation, qui consiste, selon Roger Boivineau, à « écrire sur la trame suggérée par l’annonce originale un nouveau texte » (1972, p. 15) dans lequel le traducteur n’est pas censé « respecter scrupuleusement la pensée de l’auteur, ni même son style. Il s’agira plutôt d’atteindre le but recherché avec l’annonce originale, et la voie pour rejoindre ce but pourra s’écarter sensiblement de celle suivie par le concepteur » (ibid.). L’adaptation du texte aux besoins et aux conventions socioculturelles du destinataire est, selon Katharina Reiss (1981), la meilleure modalité de traduction des textes publicitaires, car elle conserve la nature persuasive du texte d’origine.

Les points de vue théoriques sur la traduction publicitaire se sont enrichis depuis le début des années 1990 dans la foulée des Translation Studies. Dans son livre The Discourse of Advertising paru en 1992, Guy Cook signale ainsi que le traducteur publicitaire doit adapter l’annonce à la culture du pays dans lequel elle passera, et ce, en n’en respectant que la structure externe. Gideon Toury estime pour sa part que la norme à suivre consiste à chercher l’acceptabilité du texte d’arrivée étant donné que « translations are facts of target cultures » (1995, p. 29). On pourrait résumer en gros les normes issues de ces approches théoriques, tous auteurs confondus, comme ceci :

  • a) La finalité commerciale doit toujours justifier les moyens linguistiques employés.

  • b) On adapte le texte et/ou l’image en fonction de la culture du destinataire.

Certes, ces études (enrichies par la suite) constituent dans leur globalité une référence essentielle, quoique, à notre sens, elles soient trop génériques pour être appliquées à la pratique professionnelle du futur traducteur publicitaire.

Les réflexions qui ont suivi se sont centrées sur des exemples concrets et ont visé des paires de langues ciblées (Snell-Hornby et al., 1995 ; Quillard, 1999 ; Katan, 1999 ; Bonhomme et Rinn, 1997 ; Guidère, 2000 et 2009 ; Smith, 2006 ; Baider et Lamprou, 2007 ; Ventura, 2009, entre autres). Les approches sont assez variées ainsi que les points de vue (cognitif, sémiotique, pragmatique), et il s’agit, dans la plupart des cas, de comptes rendus d’expériences de traduction. De ces expériences et analyses, il ressort que les opérations que le traducteur publicitaire doit réaliser sont aussi variées que nécessaires : dans la pratique, le traducteur doit se soumettre à des contraintes qui vont bien au-delà de celles qui avaient été théorisées. La manière de fonctionner du traducteur publicitaire est dictée, d’une part, par la marque, le client et, surtout, par les lois en vigueur dans le pays auquel est destiné le produit. Le traducteur est, d’autre part, soumis à des règles, peut-être moins strictes, mais tout aussi contraignantes pour l’opération traduisante : il s’agit des conventions et des prescriptions morales ou religieuses (le tabou), du canal de diffusion du message commercial (télévision, radio, Internet, presse, panneaux, etc.) et du marché.

Bien que l’utilité des réflexions théoriques et des exemples ad hoc fournis par un certain nombre d’auteurs pour la formation du traducteur publicitaire ne puisse être niée, force est de reconnaître qu’en raison de la diversité de l’objet à traduire, de la variété des canaux de communication, de l’évolution constante du marché et du renouveau des techniques publicitaires employées, tout effort visant à associer une théorie déterminée à une pratique particulièrement variée paraît vain, puisque tout essai d’unification des comportements traduisants est voué à l’échec.

Il n’en demeure pas moins que, dans la structure du langage publicitaire, il existe un élément unificateur qui reste invariable, quels que soient la paire de langues, le type d’annonce, le canal employé pour le diffuser, les lois et les conventions, les modes et les temps: nous parlons du discours argumentatif. Comme le signalent Jean-Michel Adam et Marc Bonhomme, « [l]a publicité constitue l’une des preuves les plus éclatantes de la perpétuation de la rhétorique » (1997, p. 218). Le concept d’adaptation, voire celui de localisation[1], n’est ni plus ni moins que rhétorique : le principe rhétorique par excellence est celui de toujours adapter son discours à des interlocuteurs qui puissent comprendre et accepter volontairement ce qui leur est proposé. Que l’adaptation se fasse dans une langue étrangère ne change pas la visée rhétorique de la traduction. Bien au contraire, elle la confirme. En effet, tout bon traducteur, notamment en publicité, devrait être un bon spécialiste en rhétorique discursive. Rappelons, en passant, que le célèbre ouvrage de Jean-Paul Vinay et Jean Dalbernet s’appelle Stylistique comparée du français et de l’anglais (1977), et que les enjeux y sont, justement, rhétoriques.[2]

Nous défendons donc l’idée que, pour pouvoir adapter un message publicitaire, l’opération préalable du traducteur publicitaire suppose avant tout la connaissance et la compréhension de la nature rhétorique de la publicité. Nous entendons par rhétorique la technique de la communication efficace et du discours persuasif. D’où l’intérêt que nous allons prêter au discours publicitaire en tant qu’acte perlocutoire[3], en nous concentrant notamment sur l’argumentation et ses modèles les plus élémentaires. Dans ce but, nous proposons un survol théorique à l’usage du traducteur fondé sur la théorie de l’argumentation (Aristote, 1991, 1992, 1995 ; Toulmin, 1958 ; Perelman, 1977 ; Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1992 [1988]) et appliqué à la publicité[4] et à sa traduction. En ce sens, nous allons aborder notamment le concept de raisonnement (Kerbrat-Orecchioni, 1998 ; Vega y Vega, 2000 et 2012 ; Ventura, 2012 et 2015), sur lequel se bâtit le discours publicitaire. Nous en préciserons par la suite les différentes modalités de traduction.

2. Que faut-il traduire en publicité ?

Dans cette analyse, nous nous intéressons moins à comment on traduit (approche descriptive) qu’à quoi traduire (approche prescriptive) dans le discours publicitaire. Il est clair que, en publicité, il faut traduire ce qui est pertinent. Nous adhérons en ce sens au point de vue de Henry Schogt et Claude Tatilon, lorsqu’ils affirment que « [e]n traduction, lorsqu’une structure s’avère pertinente, parce qu’elle assume une certaine fonction tenue pour importante, cette structure est à “traduire” impérativement : non pas pour sa forme mais pour sa fonction ! » (1993, p. 77). Tout comme pour la traduction de textes utilitaires, « l’enjeu est de transmettre, le plus fidèlement possible l’information pertinente du texte de départ sans altérer l’orientation pragmatique de celui-ci » (Tatilon, 2003, p. 112), point de vue qui n’est pas étranger à la pensée fonctionnaliste. Fidélité, préciserions-nous, non pas à la forme, cela va de soi, mais à la typologie discursive dans laquelle la publicité s’inscrit et, fondamentalement, aux arguments de vente, éléments pertinents et nécessaires de tout message commercial.

On objectera peut-être que la création (production) des messages publicitaires d’une multinationale relève du rédacteur publicitaire, qui est aussi chargé de produire pour le marché international différentes versions (ou canevas) à partir de la trame proposée pour l’original. Cela ne fait aucun doute. Cependant, il est tout aussi vrai que ces diverses versions rédigées en langue originale doivent être traduites par la suite dans la langue du pays cible.

Qu’elle soit limitée au transfert essentiellement linguistique ou élargie à la complexité du message (linguistique, iconique, sonore), la prestation du traducteur publicitaire suppose en amont la capacité d’analyse de l’annonce publicitaire sur le plan rhétorique (qui va bien évidemment au-delà des fioritures du style) et notamment la saisie du sens (encodé) sur le plan argumentatif. Sans quoi les effets perlocutoires[5] visés par le locuteur risquent de s’estomper, voire de s’effacer dans l’annonce d’arrivée, qui perdra ainsi toute sa « fonctionnalité » commerciale.

3. Comment raisonne la publicité ?

Pour déclencher l’achat, le vendeur recourt à des méthodes qui permettent de préparer un argumentaire structuré, en utilisant des arguments (de vente) de manière méthodique. Lors d’une vente, et pour établir un argumentaire, le vendeur est censé « définir pour chaque argument sa caractéristique, l’avantage qu’il procure, et la preuve de ce qui est avancé » (Prades, 2012, p. 18). Parmi les méthodes qui permettent de structurer un argumentaire,[6] on soulignera la méthode CAP (caractéristique, avantage, preuve), l’une des plus employées. Pour montrer les phases qui la composent, nous allons emprunter un exemple à Dhénin et al. (2004, p. 182) appliqué à la vente d’un graveur de DVD :

Il peut être verrouillé. (Caractéristique)

Vos enfants ne peuvent pas l’utiliser sans votre accord.  (Avantage)

Cette touche permet de bloquer l’appareil avec un code personnel. (Preuve)

Or, il arrive souvent que la preuve soit difficilement démontrable à des fins persuasives. D’où parfois le besoin de la laisser implicite dans le discours pour que le récepteur (consommateur) la dégage tout seul. Prenons par exemple la publicité d’une crème hydratante pour le corps des laboratoires dermatologiques Eucerin[7] : on y énonce les caractéristiques (C) du produit – « 5 % urée et 18 composants essentiels aux peaux sèches » – ainsi que ses avantages – « Répare la barrière protectrice de la peau. Rétablit la production naturelle d’hydratation. Apaise la sécheresse cutanée ». Aucune référence directe (ou même indirecte) n’est faite, en revanche, aux preuves (P) de ce que le vendeur avance.

Par ailleurs, tout énoncé dans une annonce publicitaire n’est pas forcément un argument ou une conclusion. Un énoncé tel que « La glace Y est très bonne » n’est ni un argument ni une conclusion. C’est une simple assertion qui ne produit, en principe, aucun effet persuasif sur le récepteur. Elle ne devient argument ou conclusion que si on la justifie (Aristote, Premiers Analytiques, 70a 25-26 ; Toulmin, 1993, p. 118-132). Sur quoi le vendeur peut-il se fonder pour affirmer que la glace qu’il veut promouvoir est bonne ? Par exemple, sur le fait que (a) elle est faite de manière artisanale et (b) elle ne contient pas d’agents de conservation ni de colorants artificiels. Voilà le pourquoi, voilà les données, la justification de ce qu’y est affirmé (Toulmin, 1993, p. 119). La première assertion (conclusion) se voit donc étayée par une donnée explicative qui lui sert d’assise. On pourrait dire que « La glace Y est bonne parce qu’elle est faite de manière artisanale et parce qu’elle ne contient pas d’agents de conservation ni de colorants artificiels ». Pour que cette justification soit valable aux yeux des interlocuteurs, il faut que le passage de l’argument à la conclusion soit assuré, suivant Aristote, par un topos, c’est-à-dire un stéréotype conceptuel. Les arguments (a + b) doivent pouvoir mener à la conclusion en appliquant un topos qui fonctionne comme prémisse majeure, soit : « La glace faite de manière artisanale et sans agents de conservation ni colorants artificiels est bonne. » Pour qu’il y ait argument ou conclusion, il faut donc un mouvement d’inférence. Le topos sur lequel se fonde ce raisonnement élémentaire n’est pas une vérité absolue, bien qu’il soit sans doute partagé par un nombre considérable de personnes. Ce qui fait le succès de la logique « molle » (Adam et Bonhomme, 1997, p. 115) du discours publicitaire, c’est qu’elle agit très efficacement sur les esprits en obtenant assez facilement leur adhésion. D’ailleurs, comme l’affirment Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, « les croyances les plus solides sont celles qui non seulement sont admises sans preuve, mais qui, bien souvent ne sont même pas explicitées » (1992 [1988], p. 10).[8]

L’argumentation publicitaire est fondée sur une série d’arguments rhétoriques (assez similaires à ceux qu’on vient de montrer) ayant pour but d’amener un certain type de public à acheter un produit ou un service, en lui faisant croire qu’il en a besoin. L’argumentation dont se sert le discours publicitaire est généralement très simple, voire élémentaire.[9] Le publicitaire ne cherche pas à convaincre le consommateur par la logique au sens strict : « la rhétorique publicitaire doit être pensée en termes de persuasion et d’action (achat-consommation) plutôt qu’en termes de conviction et d’intelligence » (Adam et Bonhomme, 1997, p. 19). Si l’argumentation publicitaire n’aboutit pas toujours à convaincre son récepteur, elle arrive néanmoins à le séduire (Ventura, 2012, p. 254) en obtenant, généralement, l’adhésion à ses prémisses, ce qui est possible du fait que ces prémisses consistent en des propositions admises par les destinataires du message publicitaire. Lors de la traduction d’une annonce, ce fait ne pourra pas passer inaperçu sous peine de perte d’une part de marché international.

3.1 Le corps de la preuve : l’enthymème

Les êtres humains se caractérisent par une tendance naturelle à défendre leurs idées en formulant des affirmations accompagnées d’une explication qui les justifie :

Il n’y a dans le discours que deux parties, car il est nécessaire de dire quel est le sujet, et de le démontrer. Il est, par conséquent, impossible, une fois qu’on l’a exposé, de ne pas le démontrer, ou de le démontrer sans l’avoir préalablement exposé…

Aristote, Rhét., III, 1414a 31

Or, l’une des opérations cognitivo-discursives les plus élémentaires et intuitives chez l’homme est l’enthymème (Vega y Vega, 2000, p. 175 et 2012, p. 6 et p. 9),[10] « un syllogisme qui part de prémisses vraisemblables ou de signes » (Aristote, Premiers Analytiques, 27, 10). En tant que processus, l’enthymème « réfléchit la manière de travailler de l’esprit humain, en décrivant comment les personnes réagissent quand ils argumentent » (Walker cité par Hood, 2012, p. 21 ; nous traduisons). Chaque fois que l’on veut persuader quelqu’un, que ce soit d’une manière consciente ou inconsciente, on crée des enthymèmes (Walker, 1994, p. 61).[11] Ce type de raisonnement est destiné à prouver une proposition qui constitue la conclusion d’un enchaînement d’idées qui confirment une thèse. De nature rhétorique (Aristote, Rhét., I, 1356b), l’enthymème se compose de deux prémisses (probables ou vraisemblables) qui suggèrent une conclusion ; un ou deux des éléments de ce raisonnement peuvent être omis ou rester sous-entendus (implicites).

Le fait que le discours publicitaire soit souvent bâti sur des raisonnements elliptiques oblige le récepteur à reconstituer les chaînons manquants de l’argumentation afin de saisir le sens du message, ce qui implique un certain « effort interprétatif » (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p. 297). En effet, à la différence du syllogisme logique,[12] dans l’enthymème, si l’une des propositions fait référence à un fait connu, il est inutile de l’expliciter : c’est le récepteur qui va se charger de l’apporter, de l’inférer. C’est aussi au récepteur de tirer ses conclusions ou de concevoir la prémisse générale, si besoin est, en puisant dans son bagage de connaissances – l’encyclopédie du lecteur (Eco, 1995) – et dans son expérience. D’une certaine manière, c’est donc le récepteur lui-même qui fabrique les chaînons manquants du raisonnement à partir des stimuli fournis par l’annonceur (qui crée du nouveau, de nouvelles connaissances) en fonction de ce qui est déjà connu et partagé par une majorité (Harper, 1973 ; Bitzer, 1959). L’enthymème s’appuie sur les connaissances (système de valeurs, attitudes, savoirs) du récepteur pour faciliter l’argumentation et aboutir ainsi à la persuasion. Il s’agit là d’une donnée fondamentale dont il faut tenir compte lors de l’opération traduisante, car ce bagage commun ne constitue pas une vérité universelle, mais un ensemble de connaissances partagées par un groupe dans une certaine culture et à une certaine époque.

Il se trouve que, comme la persuasion est le but premier de la publicité, l’enthymème en est l’outil privilégié (le « corps de la preuve »).[13] Sans doute est-ce grâce à cette structure logique (textuelle ou visuelle), qui sert de preuve, que le discours publicitaire atteint la séduction et la persuasion. Même si l’enthymème fait partie d’une rhétorique naturelle et intuitive, savoir le reconnaître et en comprendre le mécanisme interne permet la maîtrise d’un outil hautement persuasif, souple et malléable, dont la publicité a su se servir d’une façon méthodique pour atteindre son but commercial. La souplesse interprétative de ce raisonnement unie à son efficacité persuasive se trouve être un grand allié des publicitaires, comme nous allons le montrer avec deux exemples qui illustrent deux formulations différentes de l’argument en n’explicitant, selon le cas, que la prémisse majeure, que la prémisse mineure ou que la conclusion.

Le premier exemple d’enthymème publicitaire que nous allons fournir est sûrement le plus proche de l’enthymème le plus célèbre de tous, celui de Descartes : « Je pense, donc je suis » (Cogito ergo sum). Cette devise a inspiré la marque Apple, qui l’a paraphrasée pour une de ses campagnes publicitaires (1998) en gardant très ingénieusement la même structure enthymématique : « I think, therefore iMac ».[14] L’énoncé (l’accroche) que voilà présente à la fois la prémisse mineure et la conclusion d’un raisonnement que le récepteur va devoir reconstruire de manière intuitive et logique en remplissant les vides du texte. Ainsi, compte tenu du bagage culturel du destinataire du message commercial, l’annonceur lui confie la tâche interprétative et de l’énoncé (incomplet) et de la globalité du raisonnement (sur lequel se fonde l’argument de vente), profitant notamment de l’association mentale (intertexte polyphonique) avec le raisonnement de Descartes (« Cogito ergo sum »). Par suite d’une subtile paronomase doublée d’une métathèse efficace (I-AM ~ I-MA), le destinataire se voit invité à concevoir l’implicite. Comme chez Descartes, l’énoncé cible sous-entend une prémisse majeure. Suivant une logique naturelle de la cause et de l’effet, le destinataire pourrait la concevoir pour produire un raisonnement fini qui pourrait s’expliciter ainsi :

People who think are iMac (Thinking is being iMac)
I think,
therefore I am iMac

Ceci implique aussi, et par ricochet, le raisonnement inverse, à savoir que ceux qui n’utilisent pas Mac ne pensent pas (clin d’oeil sournois et malin à la concurrence). Ce message publicitaire laisserait ainsi sous-entendre la supériorité (intellectuelle) des utilisateurs de Mac…

Le deuxième exemple est tiré du catalogue de vente de la marque IKEA (2012). Lorsqu’un géant du mobilier prêt-à-assembler tel qu’IKEA s’annonce, il utilise prioritairement deux arguments de vente qui n’ont pratiquement pas changé depuis trente ans et qui sont compris et partagés par beaucoup de consommateurs : bas prix et praticité. Dit en d’autres termes, IKEA est à la portée de toutes les poches en proposant des solutions de rangement, et donc d’espace, à ceux qui vivent dans de petits intérieurs. Ses catalogues se servent en général d’une accroche qui tient lieu de prémisse majeure que le destinataire est censé reconstruire par lui-même (Kerbrat-Orecchioni, 1998, p. 298). En guise d’exemple de ce processus, nous ferons référence à une annonce destinée au marché français et dont voilà la phrase d’accroche :

Petits espaces grandes idées.

Catalogue IKEA, 2012, page couverture[15]

Pour que le récepteur soit à même de reconstruire les pièces manquantes du puzzle argumentatif, le publicitaire lui présente une combinaison d’éléments censés l’aider dans sa tâche interprétative : un élément iconique (faisant généralement office d’exemple), un bref élément textuel (ici sous forme d’accroche) et le nom de la marque qui, étant donné son parcours et sa trajectoire dans le marché international, n’a pas besoin d’expliciter ses arguments de vente. Les implicites du discours seront aisément inférés par le destinataire à partir de l’observation et de l’association mentale (logique). Comme Aristote le définit, l’enthymème part de signes, de l’observable. Grâce à l’élément iconique illustratif (beaucoup de meubles et d’accessoires de cuisine prennent place dans un tout petit espace) qui tient lieu d’exemple et de rappel de l’image de la marque, le récepteur est en mesure de contextualiser l’argument et de tirer les conclusions souhaitées. Voilà une reconstitution possible des chaînons manquants du raisonnement :

Raisonnement nº 1
Ceux qui ont de petits espaces ont de grandes idées.
Or, vous avez de petits espaces
Donc, vous avez de grandes idées

Il est clair que, à ce stade de l’interprétation, sans le rappel de la marque, le récepteur serait incapable d’arriver à la conclusion souhaitée par l’annonceur. C’est le rappel de la marque – et notamment de ce qu’elle suppose dans l’imaginaire du récepteur – qui permet l’accès au stade suivant du raisonnement :

Raisonnement nº 2 (implicite)
IKEA résout les problèmes d’espace dans les petits foyers en proposant des meubles et des accessoires pratiques et pas chers (soit IKEA a de grandes idées pour les petits espaces).
Or, vous avez des problèmes d’espace et vous avez besoin de meubles et d’accessoires pratiques et pas chers.
Donc, vous résolvez vos problèmes en faisant vos achats chez IKEA.

Ici, la prémisse majeure ne correspond à aucune loi générale universellement valable ; elle est pourtant connue et partagée (en tant que lieu commun) par un certain nombre de personnes de nombreux pays, destinataires du slogan, qui y adhérent. À un problème d’espace, IKEA répond par une solution adéquate et économique. D’où sa force persuasive pour un groupe particulier de consommateurs.

3.2 Le paralogisme et l’argument fallacieux

À côté des raisonnements déductifs fondés sur des vraisemblances ou des signes, les arguments éristiques[16] occupent une place importante en publicité : nous ne citerons que ceux qui reçoivent une particulière attention chez les publicitaires, à savoir le paralogisme et l’argument fallacieux.

Dans leurs messages publicitaires, les entreprises font souvent des allégations trompeuses, qui ont tout l’air d’être vraies, en jouant avec les émotions et la crédulité (ou l’ignorance) du client potentiel pour obtenir un certain comportement (l’achat). Il arrive d’ailleurs qu’un argument soit faux, ce qui donne lieu à un paralogisme (argument aberrant), voire à un argument fallacieux induisant en erreur le consommateur. Lorsque l’argument de vente se développe dans le discours publicitaire sous la forme d’un raisonnement qui se contente d’articuler trois cas particuliers sans relation de cause à effet entre eux, le raisonnement enthymématique se dénature et devient un paralogisme. Cela est assez fréquent en publicité.[17]

Pour trouver des preuves à leurs arguments de vente, certaines marques puisent à des arguments fallacieux :[18] parmi les plus utilisés de nos jours, on citera les arguments ad populum [appel au peuple ou à la loi du nombre], ad hominem [argument contre l’homme], ad verecundiam [argument par autorité], ad antiquitatem [appel à la tradition] et ad novitatem [appel à la nouveauté]. Il s’agit de faux raisonnements qui amènent (induisent) le récepteur à croire une chose qui, la plupart du temps, est loin d’être certaine. Bien évidemment, comme la publicité mensongère[19] peut faire l’objet de poursuites judiciaires, les annonceurs s’assurent de présenter leurs arguments de la manière la plus vague possible, en les masquant et en laissant volontairement certaines affirmations sous-entendues afin que les conclusions tirées par le consommateur ne restent qu’une interprétation libre et personnelle. Voyons-en quelques exemples.

Argumentum ad hominem. Par cet argument, on s’attaque à la personne qui formule une thèse avec le but de discréditer ensuite ses propos. En publicité, l’attaque est formulée contre le concurrent (la marque). En le dénigrant, on cherche à entraîner le discrédit de ses produits. C’est le cas de certaines publicités comparatives aux États-Unis, qui entraînent de véritables guerres médiatiques, comme celles entre McDonald’s et Burger King ou entre Coca Cola et Pepsi. En guise d’exemple, citons une annonce de Pepsi créée en 2013 à l’occasion de la fête d’Halloween[20] et qui montrait dans un contexte nocturne et lugubre une canette de cette boisson déguisée en Coca Cola. Dans le slogan, Pepsi souhaitait une terrifiante Halloween : « We wish you a scary Halloween ». Citons également une annonce de Tampax (campagne 2011) destinée aux États-Unis, dans laquelle on compare le tampon Tampax Pearl à celui d’une autre marque concurrente : « Tampax Pearl with cleanguard protects BETTER than U by Kotex ».

Argumentum ad populum. Cet argument conclut qu’une proposition est vraie du fait qu’un grand nombre de personnes le croit ou affirme le croire. En voilà un certain nombre d’exemples[21] :

  • (1) 8 femmes sur 10 sont satisfaites. (Forté Pharma Laboratoires)

  • (2) Efficacité peau défroissée constatée par 93 % des femmes. (L’Oréal)

  • (3) Clinique est Nº 1 des fonds de teint sur le marché sélectif en Europe. (Clinique)

  • (4) Effet immédiat, peau lissée pour 84 % des femmes. (Sérum végétal, Yves Rocher)

  • (5) Bi-Oil est le nº 1 des dermo-cosmétiques pour les cicatrices et les vergetures dans 17 pays. (Omega Pharma)

  • (6) Satisfaction prouvée : 96 % des femmes qui ont testé Optima Capillaire sont satisfaites. (Laboratoires Vitarmonyl)

  • (7) Pour en être convaincu, comme les 94,8 % de personnes satisfaites, prenez 3 capsules par jour pendant 3 mois. (Phytalgic)

  • (8) Le 1er anti-âge qui éclipse les signes de fatigue dès la 1re nuit. (Garnier)

Argumentum ad antiquitatem. Par cet argument, on proclame qu’une chose est correcte ou bonne parce qu’elle est traditionnelle. Par exemple, certaines marques présentent leur produit comme étant artisanal ou fait à l’ancienne[22] :

  • (9) Un doux parfum d’antan. (Bonne Maman)

  • (10) Ils ont volé notre recette. Pirates ! (Tipiac)

  • (11) Les Sablés d’Antan. (Biscuiterie de l’Abbaye)

  • (12) Sablés d’autrefois. (Bonneterre)

  • (13) Depuis plus de 60 ans, Pradel élabore et signe les vins qui font référence en Côtes de Provence. (Pradel)

  • (14) Fórmula original 1872. (Matusalem Rum) [« Formule originelle 1872 » ; nous traduisons]

  • (15) Forever vibrant since 1820. (Beefeater)

  • (16) Lo aprendió de su padre. Su padre, de su abuelo. Y así durante más de 120 años. (5J Cinco Jotas) [« Il l’a appris de son père. Son père de son grand-père. Et cela depuis plus de 120 ans. » ; nous traduisons].

  • (17) Déjà connue des Indiens d’Amérique du Nord, le cranberry protège et renforce naturellement. (gyndelta)

Argumentum ad novitatem. En opposition avec l’argument antérieur, celui-ci soutient qu’une chose est bonne ou correcte parce qu’elle est nouvelle, moderne[23] :

  • (18) Tout le monde n’a pas la chance d’avoir la bonne technologie au bon moment. (Citroën)

  • (19) Nouvelle 500. Toujours plus originale. (Fiat)

  • (20) Le nouveau geste naturel à base de plantes et d’huiles essentielles. (Ménostick)

  • (21) Nouvelle technologie Siemens. (Siemens)

  • (22) Nouvelle Audi Q7 avec transmission quattro. L’exigence n’a pas de limites. (Audi)

  • (23) Le savoir-faire innovant du Solera Vat apporte toute sa richesse à un whisky unique. (Glenfiddich)

  • (24) Nissan électrique, l’énergie d’aller jusqu’au bout […]. Innover autrement. (Nissan Innovation that excites)

  • (25) Nouvelle bouteille extracold à refroidir au congélateur. (Heineken)

Argumentum ad verecundiam. Cet argument consiste à fonder la véracité d’un propos en s’appuyant sur l’autorité, le prestige, la position, les connaissances de la personne qui le formule plutôt que sur le contenu. Ainsi, en publicité, on prétend qu’un produit est bon du fait qu’une célébrité, un soi-disant professionnel du domaine concerné par le produit ou une institution l’affirment, ou bien parce qu’ils disent en faire usage. Que ce soit dans le domaine de la santé ou de la nutrition, le recours à cette stratégie argumentative est assez fréquent en publicité. Nous en donnons pour preuve les exemples que voici[24] :

  • (26) « Para mí Danacol es el mejor. Me funciona. » Manolo Escobar (Danacol) [« Pour moi, Danacol est le meilleur. Ça me réussit. »]

  • (27) « Activia te ayuda a mejorar el bienestar digestivo reduciendo la sensación de hinchazón. » Carmen Machi (Danone) [« Activia aide à améliorer le confort digestif et contribue à réduire les sensations de ballonnement. »]

  • (28) « Ya estoy en mi peso y me mantengo en él. » Jose Campos (Natur House) [« J’ai retrouvé mon poids et je le conserve. »].

  • (29) « Revisé mi audición en GAES porque me lo recomendó un amigo. Yo se lo recomendaría a todo el mundo. » Imanol Arias (GAES Centros auditivos) [« J’ai consulté GAES pour faire un contrôle de mon audition parce qu’un ami me l’a recommandé. Moi, je le recommanderais à tout le monde. »]

Dans tous les cas cités, les personnes qui prennent la parole pour promouvoir tel ou tel produit ou service sont des personnages très connus en Espagne.

Il arrive que deux ou plusieurs arguments fallacieux soient employés dans une même publicité. Tel est le cas d’une annonce récente de la marque Sephora[25] :

  • (30) LE NOUVEAU SOIN LISSANT INSTANTANÉ DU DOCTEUR BRANDT, DERMATOLOGUE RECONNU AUX USA […]

    96 % des femmes trouvent leurs rides et ridules au niveau du contour de l’oeil atténuées après une heure

    100 % des femmes trouvent leur peau d’apparence plus jeune après un mois

En dépit de leur grande faiblesse argumentative, les arguments qu’on vient de montrer sont très employés par les publicitaires, notamment quand il s’agit de produits pour lesquels il n’est pas aisé de prouver les qualités que les annonceurs prétendent leur attribuer. En principe, il n’y a rien d’illogique ni d’incorrect dans le fait de faire appel à une autorité pour promouvoir un produit ; encore faut-il prouver que cette autorité en est vraiment une dans la matière et, surtout, que ses affirmations sont véridiques (cf. Ventura 2012, p. 273).[26]

4. Traduire les arguments

Pour reprendre une assertion historique de Claude Tatilon relativement au traducteur publicitaire, « plus qu’une belle infidèle, son adaptation devra être une belle efficace » (1972, p. 15). À son dire, l’efficacité réside dans les qualités d’écriture pertinentes :

ce sont elles, les fonctions, qui sont à traduire, lorsqu’on les juge pertinentes, et non les formes, les structures qui les manifestent. Un seul exemple, celui d’un slogan publicitaire vantant les mérites d’un parapluie (Knirps, 2000) : « Il vous plaira avant même qu’il ait plu ! » Traduit en anglais par When it rains, it reigns!, le slogan garde toute sa force d’incitation à l’achat car il conserve l’essentiel du message : l’affirmation louangeuse, le jeu verbal, la concision – toutes qualités d’écriture pertinentes en quoi réside son efficacité.

Tatilon, 2003, p. 116

Le principe fondamental qui détermine le processus de traduction publicitaire est sans aucun doute le but. Il est clair que la traduction publicitaire doit être fonctionnelle. En ce sens, il nous semble que la théorie du skopos de Vermeer (1978) enrichie par l’apport de Reiss (Reiss et Vermeer, 1984), reste, en dépit des critiques (Snell-Hornby, 1990 ; Newmark, 1991 et 2000 ; Chesterman, 1994) une référence incontournable en traduction publicitaire. Suivant cette théorie, un même texte source peut donner lieu à différents textes cibles acceptables en fonction du but (skopos), à savoir (et entre autres) les besoins du client selon ses stratégies de communication. Ce but de la traduction peut justifier un grand nombre d’adaptations (Pym, 2010, p. 125) en fonction du marché visé, ce qui n’empêche pas le respect des règles de « cohérence » interne et de « fidélité » (selon laquelle le texte cible est censé garder un lien suffisant avec le texte source), qui paraît essentiel pour que l’on puisse parler de traduction en général et de traduction publicitaire en particulier.

Le traducteur publicitaire doit donc se mettre au service d’un client (la marque) qui attend de lui un texte capable d’obtenir une réponse physique de la part du consommateur, à savoir l’acte d’achat du produit publicisé. Pour obtenir l’efficacité voulue dans le texte d’arrivée, il est indispensable que celui-ci atteigne au moins le même degré d’efficacité perlocutoire que le texte de départ. Or, pour faire en sorte que son texte d’arrivée soit efficace (fidèle à l’information pertinente du texte source), le traducteur doit évidemment connaître la cible de la publicité, mais aussi en percer et en déchiffrer les arguments de vente, en dégager la nature intrinsèque, c’est-à-dire la nature rhétorique, et ce, bien avant de s’attaquer aux questions de traduction proprement dites. C’est seulement après avoir bien cerné et saisi cet ensemble de conditions préalables qu’il pourra traduire convenablement (soit, efficacement) le message commercial.

Pour que le texte d’arrivée soit fonctionnel, il faut nécessairement et tout d’abord que le traducteur saisisse la portée argumentative du message, tout comme est censé le faire le destinataire du message de la culture source. À une différence près toutefois : le destinataire ou le client potentiel du message peut retenir l’essentiel du message sans être forcément conscient de la portée du discours ou de l’exactitude, la vraisemblance ou la fausseté des arguments. Le traducteur est pour sa part censé se mettre au service du message (et de ce qu’il véhicule), du client et ensuite du destinataire. Il ne se limitera donc pas à substituer du textuel au textuel (et de l’iconique à de l’iconique, voire du son à du son, si nécessaire), mais essentiellement des arguments à des arguments. Ainsi le traducteur se devra-t-il d’être fidèle non pas à la lettre (on l’a déjà vu) ni à l’esprit, mais au raisonnement, qui joue sur l’implicite et le sous-entendu, domaine privilégié du discours publicitaire.

Pour mondialiser[27] un produit, il faut obligatoirement que les arguments de vente et l’argumentation qui les reflète soient exportables ; nous entendons par arguments exportables les arguments auxquels une majorité de consommateurs, quelle que soit leur culture, peuvent adhérer. Il arrive parfois que certains arguments, conçus ad hoc et exposés dans une langue franche, ne passent pas par la traduction pour atteindre le récepteur. Citons un exemple parmi bien d’autres : le slogan « Un peu d’air sur terre » de la maison Lacoste (2009)[28] est resté inchangé à l’échelle mondiale, étant donné notamment le prestige lié à la langue française dans le domaine de la mode. Cela se produit notamment avec les multinationales hégémoniques spécialisées dans les produits de luxe (Ventura, 2009).

Dans le cas des « publicités universelles » (Gouadec, 2009, p. 124) qui ne supposent pas de modification des images (internationalisation),[29] on a une « simple création d’une version linguistiquement adaptée à chaque pays ou groupe de pays » (ibid.). Dans ce cas, et pour atteindre l’adéquation du texte cible, le traducteur devra veiller au respect des aspects référentiels et notamment pragmatiques, qui devront être soignés au plus haut point. L’élément pertinent étant l’argument de vente, le traducteur (en accord avec son client) se doit de ne jamais perdre de vue l’esprit et l’image de la marque, tout en créant du nouveau. Aussi faut-il traduire le nom d’un produit quand il exprime sa qualité essentielle, sur laquelle se fonde son principal argument de vente. On peut ici penser à l’assouplissant Cajoline, devenu Coccolino pour les Italiens, Snuggle pour les Britanniques, Kuschelweich [doux, moelleux, douillet] pour les Allemands, Mimosín pour les Espagnols. Contrairement au nom du produit, l’élément iconique qui l’accompagne est resté inchangé : métaphore de la douceur (et de la tendresse), le nounours a traversé bon nombre de frontières. Par ailleurs, les phrases d’accroche ou d’assise de certaines multinationales ont été traduites avec succès dans certains pays ; c’est le cas de la marque italienne Chicco dont la phrase d’accroche « Dove c’è un bambino » a été traduite littéralement en français « Où il y a un enfant », en espagnol , « Donde hay un niño », et en anglais, « Wherever there’s a baby ».

Toute fidélité à la forme aux dépens de l’argument de vente peut se révéler un échec commercial. Nous en donnons pour exemple l’annonce (campagne 2006) d’une boisson amincissante, Turbo Draine Minceur, de la marque Forté Pharma. La phrase d’accroche, « L’exercice minceur pour éliminer », était illustrée par l’image d’une jeune fille en tenue de sport buvant le produit avec une paille. Dans la version espagnole, on a voulu garder l’image et le nom du produit, ainsi que le terme français minceur dans la phrase d’accroche : « El ejercicio “minceur” para drenar » [L’exercice minceur pour drainer]. Cette fidélité au nom du produit et non à l’argument (mincir, minceur) a donné un texte cible sans doute peu fonctionnel en espagnol, et ce, en dépit d’un texte descriptif présenté en bas de page et censé éclaircir la nature du produit et ses caractéristiques. Dans la version espagnole, en effet, l’argument de vente du texte source a disparu : ce qui était pertinent n’a pas été traduit. Une adaptation aurait donc été souhaitable, quitte à devoir changer le nom du produit.

L’effort d’adaptation du message commercial peut être plus ou moins important en fonction du degré d’universalité – majeur ou mineur – des arguments employés par les multinationales. Aussi, les accroches utilisées sur la page couverture du Catalogue IKEA 2012 pour la France, le Québec, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie ont-ils des traits argumentatifs communs, bien que tous assez différents d’un point de vue formel, qui résument l’image de la marque et sa stratégie de vente :

  • (31) Petits espaces grandes idées (Catalogue IKEA 2012, France)

  • (32) Pliant, empilable, mobile, magique (Catalogue IKEA 2012, Québec)

  • (33) A home doesn’t need to be big just smart (Catalogue IKEA 2012, Royaume-Uni)

  • (34) Una casa no necesita ser grande, si sabes aprovechar el espacio [Une maison n’a pas besoin d’être grande si on sait tirer parti de l’espace] (Catalogue IKEA 2012, Espagne)

  • (35) Für alle, die mehr Ideen als Platz haben [Pour tous ceux qui ont plus d’idées que d’espace] (Catalogue IKEA 2012, Allemagne)

  • (36) Crea il tuo spazio [Créez votre espace] (Catalogue IKEA 2012, Italie)

Dans le cas de certains produits pour lesquels l’internationalisation se révèle problématique, la version suggérée par le rédacteur peut se voir fortement modifiée par le traducteur en fonction de plusieurs contraintes. En effet, de nos jours, le traducteur publicitaire se charge de plus en plus de l’ensemble du processus de communication commerciale en adaptant le message à un lieu (locus), une province, un pays, une région ou un continent (Gouadec, 2009, p. 126 ; Guidère, 2009, p. 421). Traducteur spécialisé, le localisateur intervient ainsi dans le processus et le cycle de « localisation » (Gouadec, 2009, p. 123) en assurant la totalité des tâches relatives à la communication publicitaire : il réécrit alors l’élément textuel en tenant compte de diverses contraintes (discursives, iconiques, sonores, etc.) qui peuvent impliquer ou non une intervention sur le support pour extraire le contenu à localiser et le réintégrer après sa localisation (Gouadec, 2009, p. 126). Ainsi, la prestation du traducteur, soi-disant « limitée » à la traduction de l’élément textuel lorsqu’il s’agit d’un produit internationalisé, se voit-elle « augmentée ou élargie » (ibid. en italique dans l’original) s’il est question d’un produit à localiser.

L’adaptation d’un message commercial peut s’avérer improductive (au sens commercial du terme), et ce, non seulement à cause de problèmes juridiques ou de facteurs de nature technique. Il arrive le plus souvent que le problème surgisse au regard des arguments de vente employés par l’annonceur et inscrits dans le message source, ces arguments n’étant pas persuasifs dans le pays cible auquel la traduction est destinée. Dans de tels cas, le message original doit être recréé en fonction du nouvel argument de vente préalablement établi avec le client (Guidère, 2009, p. 421). Voyons-en un exemple concret. L’argument de vente de la marque italienne Barilla, spécialisée dans la production de pâtes alimentaires, se résume dans la phrase d’accroche « Dove c’è Barilla c’è casa », soit « Là où il y a Barilla, on est chez soi » ou « Barilla, c’est chez vous » (notre traduction : versions libres). Nous avons là la prémisse majeure d’un raisonnement qui se fonde sur des lieux communs adaptés à l’esprit et au modus vivendi à l’italienne : le foyer, le repas en famille, les pâtes, soit des concepts auxquels une majorité d’Italiens adhèrent. Or, ces lieux communs ne sont pas forcément partagés par d’autres cultures. Les consommateurs américains, par exemple – dont les goûts culinaires et le concept de foyer et de famille ont peu en commun avec ceux des Italiens –, n’adhéreraient pas à l’argument de vente conçu ad hoc pour les consommateurs italiens, et donc ne saisiraient pas la vraie portée du raisonnement. Or, nous savons que du point de vue de la rentabilité, quel que soit l’argument, l’image de la marque doit être sauvegardée. D’où la nécessité de localiser le produit, d’envisager un nouvel argument de vente et de recréer le message commercial dans sa totalité pour obtenir l’adhésion du consommateur cible et par là atteindre le but commercial souhaité. Aux États-Unis, Barilla a créé non seulement un nouveau slogan, The Choice of Italy,[30] depuis 2003, mais aussi un nouvel argument de vente. Conçu pour répondre aux attentes (et obtenir l’adhésion) de l’Américain moyen, il est fondé essentiellement sur la valeur nutritionnelle du produit, riche en carbohydrates et oméga 3.[31]

Ce transfert sur le plan des arguments se produit aussi avec les annonces qui jouent sur des arguments fallacieux. Prenons comme exemple l’argument ad hominem que nous avons déjà cité, qui se trouve notamment reflété dans la publicité américaine. Les rivalités entre de célèbres multinationales ne laissent pas le public indifférent, en raison de leur caractère agressif envers le concurrent. Ainsi, dans une campagne comparative de la marque Apple (1996),[32] on peut lire (entre autres) :

  • (37) THE WINDOWS USER

    HOBBIES: No time for hobbies, still trying to install system.

    SECRET SHAME: Has a Mac at home for the “kids”. Really, really liked Microsoft Bob.

    BELIEF: Thinks Bill Gates is God.

Envisager une adaptation de ce texte publicitaire pour le marché européen, en particulier pour les pays de l’Union européenne, en gardant les mêmes arguments aurait été inacceptable sur le plan juridique, car, bien que la publicité comparative y soit admise, il est illégal de dénigrer la concurrence (Directive CE, 2006), ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. Dans la campagne de 2012 destinée au marché français, le slogan « Venez comme vous êtes » joue sur d’autres atouts argumentatifs, tels que chez McDonald’s tout le monde est le bienvenu. L’argument par autorité implique aussi en général, quoique non pas toujours, la localisation du produit, car on n’obtient l’adhésion du consommateur que s’il sait reconnaître l’autorité (la célébrité). Nous en avons un exemple éclatant dans une campagne publicitaire de la multinationale Danone : ses produits lactés sont présentés dans chaque pays par une personnalité publique (notamment un acteur, une actrice ou un footballeur) qui en expose les vertus. En France, l’ambassadeur de Danone depuis 2004[33] est Zinédine Zidane ; en Espagne (2013 et 2014), c’est Carmen Machi (une actrice) qui représentait la marque ; en Italie (2010 et 2011), l’élue était Raffaella Carrà (chanteuse, actrice et présentatrice) et, aux États-Unis (2010), le choix est tombé sur Jamie-Lee Curtis (actrice).

5. Conclusion

Afin de chercher la fonctionnalité du texte d’arrivée (le message commercial), le traducteur, nous le savons, est censé traduire ce qui est pertinent (soit persuasif). Pour que le message commercial d’arrivée obtienne l’effet perlocutoire recherché dans le message source, il faut impérativement saisir les arguments de vente dans le but de les restituer (adapter) « fidèlement » dans le respect de l’image de la marque : la compréhension de la dynamique argumentative sous-jacente devient alors nécessaire. Or, la saisie du sens du message commercial passe obligatoirement par la prise en compte des opérations cognitivo-discursives qui sont mises en place dans le discours publicitaire. Quelle que soit la technique employée pour mener à bien l’opération traduisante d’un message publicitaire, quelles que soient sa voie de transmission et la typologie du produit à promouvoir, la maîtrise et le maniement de la logique argumentative restent les savoirs (et les atouts) incontournables du traducteur publicitaire.