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Le succès d’une économie de plus en plus mondialisée repose sur un réseau mondial performant de navires et de ports. Les actes de piraterie présentent des risques élevés en raison de la vulnérabilité des infrastructures de transport. L’évaluation des risques et l’élaboration de mesures contre des actes de piraterie sont essentielles pour maintenir la croissance économique et pour protéger la sécurité du public. Dans une perspective de planification de mesures sécuritaires adéquates, les auteurs utilisent différentes approches constructivistes pour dégager quatre thématiques : le contenu des discours, le rôle des institutions, la formulation des politiques et les processus de gouvernance.

Le contenu des discours juridiques joue un rôle décisif dans la définition de qui est considéré comme un acte de piraterie. À l’aide d’une analyse de l’évolution historique du langage juridique, Gould démontre que la formule « ennemi de l’humanité » est un construit social qui oriente la compréhension des actes de piraterie et la réponse collective à y apporter. S’inscrivant dans la même démarche méthodologique, Dutton effectue une analyse de contenu des différentes législations internationales qui gouvernent les mesures antipiraterie pour expliquer que les lois internationales sont mal intégrées aux normes locales et aux processus institutionnels nationaux. Bueger et Stockbruegger, quant à eux, portent leur attention sur la cohérence entre les discours et les actions de lutte contre la piraterie. Ils soulignent que les meilleures opérations sont fondées sur une perspective de sécurité globale qui intègre à la fois les intérêts communs et les normes de sécurité. S’inspirant d’études sur les mouvements sociaux, McGahan et Lee abordent le problème de la piraterie sous un angle humanitaire. Ils expliquent fort habilement que le processus visant à accorder une légitimité aux États dans leur intervention affiche certaines limites en raison de la complicité des États à créer des inégalités qui donnent naissance à des activités illicites. L’ensemble de ces chapitres montre que le discours légal est politisé et qu’il en résulte des éléments juridiques parfois très éloignés des pratiques de lutte contre la piraterie en mer.

Les institutions réunissent des acteurs des secteurs public et privé. Sur le plan public, la lutte contre la piraterie peut être soumise aux instances politiques à différents échelons institutionnels. Sur le plan privé, l’exploitation du potentiel maximal des flottes et des ports repose surtout sur les connaissances et les compétences des transporteurs et des opérateurs de terminaux. Une composante significative de la lutte contre la piraterie maritime est la complexité des relations entre les intervenants. Les institutions internationales regroupent des acteurs publics et privés qui jouent des rôles variés et dont les intérêts sont différents et souvent même divergents ou opposés. La compréhension du processus régissant les relations entre ces différents acteurs est importante. Nance et Struett affirment dans le premier chapitre du livre que les régimes législatifs demeurent trop décentralisés et fragmentés pour permettre une convergence de solutions aux actes de piraterie. De façon plus marquée, ils expliquent au chapitre 6 que les chevauchements des régimes légaux et institutionnels réduisent la capacité des États et des parties prenantes à mettre un terme aux actes de piraterie. À l’évidence, les structures politiques sont inadaptées pour contrer les problèmes de piraterie.

La formulation et la mise en oeuvre de stratégies de lutte contre les actes de piraterie reposent sur un jeu complexe entre les acteurs et leur environnement institutionnel. Les organisations publiques peuvent prescrire des normes, imposer des règles et établir des standards dans les domaines de la sécurité, de la sûreté et de la protection publique. Force est de reconnaître toutefois que la complexité des conditions de gouvernance de lutte contre la piraterie rend l’exercice de ces fonctions administratives très variable. Les acteurs privés ont la capacité de négocier des transactions et des accords dans les structures légales, financières et politiques propres aux différentes régions du monde. Ainsi, Heinz (au chapitre 3) et Steele (au chapitre 8) examinent respectivement le cadre normatif des traités internationaux et les composantes du fonctionnement des relations internationales. Ils démontrent que ces mécanismes, s’ils peuvent certes contribuer à la compréhension du phénomène de la piraterie, posent également des limites et des défis à la gouvernance globale.

Les processus qui régissent les relations entre ces parties prenantes pour lutter contre la piraterie maritime résultent d’un processus de concertation et d’établissement de priorités entre les législateurs et les acteurs privés. Ces agendas sont fixés dans des plans d’affaires et des plans gouvernementaux qui peuvent être accélérés, modifiés ou retardés en fonction des conjonctures sociales, politiques et économiques. Au chapitre 9, Cronin souligne comment les approches constructivistes permettent de donner un sens aux contradictions de la gouvernance globale dans le contexte d’une pluralité de perspectives pour lutter contre les actes de piraterie maritime. Il met en lumière la nécessité de coopération. D’une part, l’action des gouvernements ne se limite pas à des mesures législatives ou du financement. D’autre part, les entreprises privées peuvent participer à différentes interventions publiques par des prises de position, des demandes ou des processus de consultation.

Superbement documentés, les chapitres de Maritime Piracy and the Construction of Global Governance offrent un éclairage original et très constructif sur l’interaction entre la piraterie maritime et la gouvernance globale. Toutefois, en dépit de la richesse intellectuelle de l’argumentation, l’ouvrage montre quelques lacunes. Premièrement, si les auteurs dénoncent certes les incongruités de la gouvernance globale sur le plan des lois et des organisations internationales, le livre aurait bénéficié d’un chapitre empirique sur les actes de piraterie. Le problème de la piraterie maritime est souvent lié à d’autres problèmes, dont la famine, les migrations forcées et les États en faillite qui mériteraient d’être approfondis. Deuxièmement, l’ouvrage ne présente aucun tableau, aucune carte, aucun chiffre. L’accent mis sur les actes de piraterie porte essentiellement sur la Somalie et le golfe d’Aden. Or, selon l’International Maritime Bureau, c’est en Indonésie que l’on recense le plus grand nombre d’actes de piraterie. Troisièmement, les auteurs oublient que le nombre d’attaques de piraterie est descendu à son plus bas niveau depuis 2007. Cette diminution est attribuable aux efforts partagés des marines internationales et des services de sécurité privés. Une typologie des niveaux de coopération incluant le rôle des acteurs et leurs stratégies permettrait de définir des indicateurs de performance des efforts menés contre les actes de piraterie. En s’élevant au-dessus d’une analyse strictement juridico-politique, il est possible de démontrer que les succès de certaines trajectoires et pratiques de gouvernance sont ceux des pratiques adaptées aux exigences spécifiques des différents types de marchandises (transport de vrac, par cargo, par conteneurs), de passagers (croisières, services de traversier, navigation de plaisance) et de routes (de transit, côtière, océanique).

Maritime Piracy and the Construction of Global Governance affiche une grande rigueur intellectuelle et évite de nombreux clichés sur la piraterie maritime. Les auteurs de cet ouvrage soulignent qu’il n’existe pas de configuration optimale de liens entre institutions, mécanismes et processus. Le livre, riche d’enseignement, soulève un paradoxe étonnant. Les structures de gouvernance globale sont-elles limitées dans leur capacité à réduire et à gérer le problème de la piraterie ? Ou la piraterie maritime est-elle un signe avant-coureur du désordre croissant du système international ?