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Sans le savoir tu ressembles ainsi au sage d’Aristote plutôt qu’au théoricien qui cherche la cause avant de chercher la solution.

Marie Didier, Dans la nuit de Bicêtre … à propos de Jean-Baptiste Pussin …

Introduction

Le milieu universitaire est un important secteur économique qui peut favoriser l’inclusion socioprofessionnelle de personnes ayant besoin d’un soutien particulier pour s’y maintenir, en tant qu’étudiants ou comme membres du personnel, et la présence de personnes en rétablissement dans cet environnement leur permet aussi d’exercer une influence collective sur les idées, techniques et connaissances qui s’y développent. La possibilité pour de telles personnes de fréquenter ce milieu leur permet d’avoir accès au savoir scientifique, dispensé par exemple sous forme de cours ou de conférences, et d’avoir accès aux scientifiques eux-mêmes. En retour, les étudiants en rétablissement peuvent être sollicités pour prendre eux-mêmes part à de telles activités afin qu’y soient illustrés chaque fois les possibles horizons du rétablissement et ce, par-delà les pathologies et traitements spécifiques qui y sont éventuellement discutés.

D’autre part, les recherches sur les divers modèles de partenariat patient (p. ex. British Medical Journal, 2014 ; Vanier et al., 2014 ; Oliver et al., 2004) suggèrent de plus en plus que la participation de patients auxiliaires d’enseignement scientifique et médical représente une valeur ajoutée originale permettant d’aller plus loin que les vignettes ou études de cas traditionnels utilisées pour informer, former et sensibiliser les étudiants et les professionnels en sciences de la santé (Pelletier et al., 2016 ; Pelletier & Caron, 2015). Ce principe vaut également pour des personnes utilisatrices de services lorsqu’elles discutent entre elles de tels sujets. En effet, en matière de représentations sociales concernant les troubles mentaux et du comportement, la participation active de telles personnes sous forme de témoignage et de partage de leur vécu, en situations de face-à-face, a été démontrée efficace pour diminuer l’auto-stigmatisation, autant que la stigmatisation, des personnes qui en sont atteintes (Kassam, Glozier, Leese, Henderson & Thornicroft, 2010). Ce témoignage de la part des étudiants de l’Université du rétablissement s’inscrit dans cette tendance : il reflète le contenu d’un dialogue avec le chercheur Marc Lavoie, un spécialiste des troubles obsessifs-compulsifs (TOC) et du syndrome de Gilles de La Tourette, tels qu’ils peuvent être notamment observés à l’aide de diverses techniques de neuro-imagerie.

En effet, la possibilité pour des personnes aux prises avec des maladies chroniques d’avoir accès à de l’information scientifique médicale fiable et appropriée, et d’échanger avec des experts professionnels, est à la base de tout un courant dit d’éducation thérapeutique des patients (Tourette-Turgis, 2015). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 1998), l’éducation thérapeutique des patients vise à aider ceux-ci à acquérir ou à maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec des maladies chroniques, comprenant des activités organisées, notamment du soutien psychosocial, qui sont conçues pour rendre les patients conscients et informés de leur condition de santé, des soins, de l’organisation et des procédures hospitalières, ainsi que des comportements liés à la santé, à la maladie et au rétablissement. Le concept d’Université du rétablissement consiste aussi à s’entraider pour collaborer ensemble et assumer nos responsabilités dans notre propre processus de rétablissement, le tout dans le but de maintenir et d’améliorer notre qualité de vie. Ainsi, le 11 avril 2016, nous avons eu la chance de rencontrer le Dr Lavoie, qui a accepté notre invitation à venir discuter de ses travaux sur le lien entre les processus cognitifs et l’activité cérébrale. Ses recherches couvrent aussi les troubles anxieux et les TOC, lesquels nous interpellent directement puisque certains d’entre nous en sont affectés personnellement. Nous lui avons posé notamment trois questions, auxquelles il a aimablement accepté de proposer quelques pistes de réponse – nous l’en remercions – et notre réflexion s’est poursuivie sous la forme du témoignage qui suit.

Est-il possible de localiser ou d’associer les troubles obsessifs-compulsifs à des zones précises du cerveau ?

Oui. Par exemple, comparativement à des sujets sans historique de troubles neuropsychiatriques, Saxena et al. (2004) ont observé que les patients avec TOC peuvent présenter une métabolisation du glucose significativement plus importante du thalamus gauche, celui-ci se révélant alors en état de sur-activation. Le thalamus est une structure anatomique située entre le cortex et le tronc cérébral et dont la fonction consiste essentiellement à relayer et intégrer des « afférences » sensitives et sensorielles (vers le cerveau) et des « efférences » motrices (à partir du cerveau). Le dysfonctionnement du thalamus peut donc expliquer le difficile passage à l’action raisonnée. Une telle observation est possible par le truchement d’une technique d’imagerie moléculaire qui mesure la composition chimique du tissu neuronal. On peut donc « voir » qu’en présence de TOC, tel que déjà révélés par exemple à l’aide du Yale-Brown Obsessive Compulsive Rating Scale, qui est une grille d’observation clinique (Storch et al., 2010), il y a sur-activation du thalamus qui est en corrélation avec la sévérité des symptômes observés et ce, au détriment du fonctionnement régulier du système nerveux. En bref, la spontanéité du passage naturel et raisonné à l’action est perturbée par ce qui devient en effet une obsession pour la symétrie ou l’ordre/désordre des objets dans une pièce lorsque ceux-ci ne sont pas disposés tel que le sujet se serait attendu ou aurait souhaité qu’ils le soient, pour ne prendre que cet exemple.

Est-il possible de modifier les bases anatomiques d’un trouble observé ?

Oui. Jusqu’à encore relativement récemment, on prenait pour acquis que la configuration du cerveau humain était physiologiquement fixée dès la jeune enfance et pour de bon, et qu’elle ne pouvait être l’objet de transformations subséquentes. La notion de neuroplasticité (Chamak, 2015) a dorénavant remplacé cette vision d’un cerveau statique. La communauté scientifique reconnaît maintenant que le cerveau a la capacité de s’adapter et de changer en cours de vie selon les expériences vécues. Cette nouvelle vision offre ainsi une perspective encourageante en termes de rétablissement chez les personnes qui ont des problèmes de santé mentale comme les TOC. Par exemple, les travaux de Marc Lavoie et ses collègues chercheurs contribuent à identifier des changements physiologiques faisant suite à une thérapie cognitivo-comportementale. Celle-ci est d’abord centrée sur la modification de pensées et de comportements problématiques, modification essentiellement rendue possible par la prise de conscience de leur existence et de leurs impacts négatifs sur le bien-être de la personne, et non par une intervention sur l’anatomie cérébrale elle-même. Ainsi, pour pouvoir observer des changements physiologiques, tout un ensemble de techniques d’imagerie cérébrale a été mis au point ces dernières années pour refléter directement l’activité du cerveau. Elles s’appuient sur la notion de localisation cérébrale en postulant qu’à des fonctions données correspondent des régions spécifiques du cerveau ou des réseaux de régions cérébrales données. Il peut par exemple s’agir d’électroencéphalographie (EEG), de magnétoencéphalographie (MEG) ou encore de tomographie par émission de positons (TEP). L’imagerie par résonance magnétique (IRM) peut quant à elle porter sur des configurations ou des volumes de telles ou telles parties du cerveau lorsque celui-ci est au repos, ou encore sur des réactions lorsqu’il s’agit de voir comment cet organe réagit à tels ou tels stimuli, et on parle alors d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IMRf). Il y a aussi des techniques d’imagerie moléculaire qui mesurent la composition chimique du tissu neuronal, tel que mentionné ci-haut pour le thalamus des personnes avec TOC. Ces techniques ont donc en commun d’être non-invasives, à l’exception peut-être de certaines techniques d’imagerie moléculaire qui utilisent, par exemple, des traceurs radioactifs qui se lient à un tissu ou un composé chimique spécifique – cette technique ne peut cependant pas être appliquée aux enfants.

L’observation du cerveau peut donc se faire sans aller à l’intérieur de la boîte crânienne. Comme nous l’a expliqué Marc Lavoie, la thérapie cognitivo-comportementale s’est ainsi révélée efficace, pour ainsi dire images à l’appui, pour amener graduellement les sujets à faire travailler des zones du cerveau autres que celles qui sont généralement associées à des pensées ou des comportements problématiques.

Par neuro-imagerie on peut donc constater l’efficacité d’une thérapie sur l’anatomie cérébrale d’un patient ?

Non. Malgré l’enthousiasme des premières découvertes, enthousiasme parfois débridé et qui a occasionnellement donné lieu à certaines exagérations quant aux conclusions qui pouvaient être réellement tirées des résultats de recherche (p. ex. Dieu se trouverait ou ne se trouverait pas dans telle ou telle partie du cerveau, Shukla, Acharya & Rajput, 2013), l’apport de la neuroimagerie en psychiatrie s’est jusqu’à maintenant limité principalement à l’observation de phénomènes structurels et fonctionnels au niveau du système nerveux. L’imagerie peut révéler des zones, des connexions qui se font ou ne se sont pas, en comparant avec des patrons statistiques de sorte que ce qui peut apparaître en rouge, en bleu ou en vert plus ou moins clair ou foncé, ce sont les degrés de différence ou de similarité par rapport à ces patrons (Statistical Parametric Mapping). Depuis les dernières années, une vision plus nuancée des applications pratiques des découvertes s’est développée. Les données recueillies permettent ainsi d’avoir globalement une meilleure compréhension du fonctionnement cérébral, mais elles ne jouent pas encore de rôle réel dans le diagnostic et le traitement des troubles mentaux pour des individus en particulier. Les cliniciens pourront peut-être un jour utiliser davantage l’imagerie cérébrale comme complément à leur jugement clinique, et ce, afin d’offrir des soins réellement personnalisés. En attendant, les recherches se poursuivent et on a montré, par exemple, que dans des situations de stress, les pensées, les réactions et les comportements des personnes présentant des TOC peuvent être tributaires de certaines zones du cerveau, probablement au détriment d’autres zones qui se trouvent ainsi à être sous sollicitées, notamment le cortex frontal qui, lui, est davantage le siège du raisonnement et de l’abstraction. Il s’ensuit des difficultés de mémorisation et d’apprentissage, et donc des impacts significatifs sur les capacités cognitives et d’adaptation. Ces difficultés ont à leur tour des conséquences néfastes sur le sentiment de sécurité et de contrôle, et donc sur le stress perçu. Heureusement, on sait maintenant qu’il est possible d’inverser une telle spirale en cercle vicieux. C’est-à-dire que la recherche a pu mettre statistiquement en évidence que la thérapie cognitivo-comportementale pouvait entraîner les changements physiologiques souhaités avec des groupes de participants. De tels changements ne sont peut-être pas encore clairement perceptibles sur une base individuelle, mais il y a donc de l’espoir !

Conclusion

Ce qui a déclenché cette réflexion sous forme de témoignage était le dialogue survenu entre un chercheur spécialisé sur les TOC, le Dr Marc Lavoie, et les étudiants de l’Université du rétablissement. Cette possibilité d’assister à des cours et conférences sur des thèmes aussi variés que possible nous apparaît structurante, avec peut-être des effets similaires à ceux de la thérapie cognitivo-comportementale. Les effets de cette métacognition collective seront éventuellement observables empiriquement par neuro-imagerie. En attendant, tous ces différents angles et ces connaissances complémentaires sur la neuro-diversité (Harmon, 2004 ; Jaarsma & Welin, 2011) nous sont utiles personnellement, et nous permettent aussi de mieux comprendre les défis auxquels font face d’autres de nos collègues en rétablissement et d’entretenir un sentiment d’appartenance. L’Université du rétablissement est donc un concept qui s’inspire et combine différents aspects soit des Recovery Colleges britanniques, Recovery University ou Collegiate Recovery Communities américains, ou encore de l’Université des patients et de l’éducation thérapeutique en France. L’Université du rétablissement est aussi une entreprise sociale adaptée (Pelletier, 2014) dont le conseil d’administration est majoritairement composé de personnes utilisatrices de services de santé mentale, selon les principes du « par-et-pour » et du « rien sur nous sans nous ». Il ne s’agit donc pas d’une construction ou d’un édifice en particulier. Étant sans mur, il s’agit plutôt d’un principe immanent d’organisation, pour paraphraser Aristote, principe qui conditionne les rapports de mutualité et d’alliance entre ses membres. De discuter ensemble de troubles obsessifs-compulsifs et de neuro-imagerie, pour ne parler que de ces techniques-là, nous a permis de mieux nous comprendre et de promouvoir une « image » positive de nous-mêmes (Mottron, 2011, 2015). Comme l’a déjà écrit Yves Lecomte, l’un des pionniers de Santé mentale au Québec, aussi prometteuses soient-elles, les techniques d’observation ne représentent jamais l’essentiel de l’intervention et c’est à la qualité de la relation qu’il faut s’attarder, puisque l’alliance thérapeutique demeure « l’influence la plus déterminante du succès thérapeutique » (Lecomte, 1999).