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La plupart des mobilisations contemporaines, mouvements sociaux mais aussi phénomènes émeutiers, s’accompagnent depuis plusieurs années d’images photographiques et vidéo produites par les acteurs même des évènements. Un des premiers exemples remonte au soulèvement populaire de 2007, en Birmanie, provoqué par les mesures soudaines d’augmentation des prix du gaz et de l’essence. Dans une situation de répression importante et d’organisation d’un « black-out » médiatique de la part des autorités, le soulèvement put connaître un écho international grâce à la diffusion d’images, essentiellement vidéo, réalisées au coeur même des manifestations. Ces images furent cependant le fruit d’une production organisée. Une association, Voice of Burma, basée à Oslo, permit aux Birmans de se coordonner sur place[1] et prit des arrangements pour la transmission des images par satellite, l’accès à Internet étant considérablement entravé. L’enregistrement et la mise en ligne à grande échelle du soulèvement iranien de juin 2009, en réaction à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, s’est avéré une pratique massive, anonyme et désorganisée. Aucune coordination ne prit en charge la production, et sa diffusion se fit individuellement via Internet. Les soulèvements arabes initiés moins de deux ans plus tard en Tunisie et en Égypte ont également été l’occasion d’une production massive d’images numériques diffusées sur des sites de partage de contenus et des réseaux sociaux.

S’il semble aujourd’hui possible de concevoir ces usages comme une part du « répertoire » (Tilly 1986) des mobilisations contemporaines, la sociologie des mouvements sociaux tarde à considérer l’image comme un objet d’étude, et rares sont les publications (Boëx 2013 ; Cuny et Nez 2013 ; Doerr et al. 2013) qui la prennent en compte autrement que comme un outil du dispositif d’enquête. Les recherches portant spécifiquement sur les images ont quant à elles souvent pour objet les productions artistiques, et les relations entre images et engagement sont en conséquence interrogées principalement par ce prisme. Ces cadres d’analyse excluent de fait la part de production « amateure » ou « privée » qui est le propre des mobilisations contemporaines. Les auteurs ayant participé à construire le champ de recherche dit des Visual studies[2] ont construit de nouveaux outils pour penser la relation entre images et politique et ont pris en compte les images comme des objets multiples et complexes détachés du seul domaine artistique. Cependant, si ces travaux sont d’une grande richesse, ils s’attachent principalement à décrire et dénoncer les processus de domination et considèrent de fait rarement les productions des « dominés ». Enfin, si les usages sociaux de la photographie font l’objet d’une importante littérature, ceux de l’image animée restent encore peu étudiés. Déconsidérés par la recherche sur les mouvements sociaux comme par la recherche sur les images, ces usages politiques de l’image animée s’avèrent donc difficiles à appréhender dans les cadres théoriques existants.

Dans la plupart des travaux considérant les mobilisations, ces objets et leurs usages sont cités au titre d’outils au service des « mobilisations informationnelles » (Granjon et Cardon 2010), comme éléments des « dispositifs de sensibilisation » à la cause (Traïni et Siméant 2009) ou sont désignés par l’expression « journalisme citoyen » (Bowman et Willis 2003 ; Gillmor 2004). Nous entendons démontrer ici que ces concepts ne sont pas suffisants pour la compréhension des usages de la vidéo dans les processus révolutionnaires tunisiens et égyptiens.

Pour ce faire, nous considérerons ces productions non comme des sources d’information plus ou moins fiables sur les faits et les évènements, ni tout à fait comme outils de description et d’analyse des situations qu’elles documentent (Lambelet 2010). Il s’agira plutôt de déceler les différentes fonctions attribuées à la vidéo, en particulier dans le moment insurrectionnel, les différents registres émotionnels mobilisés et la nature de l’investissement symbolique des acteurs dans cette pratique. Il ne s’agit dès lors plus uniquement d’une analyse des représentations, mais des usages sociaux des images animées (plus que d’une technologie) dans un contexte révolutionnaire. La production vidéo étant liée à la mobilisation, nous commencerons par contextualiser et questionner les motivations à l’origine de l’engagement en rappelant un des enjeux majeurs de ce soulèvement. Nous présenterons ensuite les différentes catégories de vidéos rencontrées et nous donnerons un aperçu de la constitution du corpus. Nous aborderons enfin les usages en deux parties. La première exposera leur complexité au travers d’une description des spécificités des modes de prise de vue et de diffusion. En second lieu, nous nous attacherons à présenter trois premiers registres d’usages (ou fonctions) que nous avons pu identifier. Ce parcours en deux temps nous permettra de relier les usages aux enjeux propres à cette période historique et à ce contexte culturel, suggérant que la prise d’images n’est pas seulement une pratique utilitaire et stratégique destinée à sensibiliser ou à produire une information alternative, mais qu’elle sert des objectifs complexes, participant aux processus de subjectivation des acteurs, et à la constitution d’une « communauté de contestation » (plutôt que d’un « groupe militant »), par la représentation et le partage de celle-ci.

La « révolution de la dignité »

L’un des principaux slogans du soulèvement tunisien énonçait les revendications suivantes : « pain, liberté, dignité nationale »[3] ou « emploi, liberté, dignité nationale »[4] selon les versions[5]. Parmi ces trois objets de revendication, la dignité (karama) est centrale. En effet, la plupart des Tunisiens revendiquent le terme pour désigner leur révolution (Khiari 2011), en opposition à l’expression bucolique de « révolution du jasmin » que leur ont assignée la plupart des médias occidentaux. Ce terme possède en effet une longue tradition dans l’histoire du militantisme tunisien, comme le rappelle Michael Bechir Ayari (2011). D’une revendication anticoloniale qui en faisait un synonyme d’indépendance, renvoyant « d’abord à la volonté de l’homme colonisé d’accéder au rang d’être humain » (Ayari 2011 : 211), elle devint synonyme de développement dans les années Bourguiba (1957-1987), faisant de la modernisation de l’économie une condition de la dignité nationale. Ces deux acceptions, l’une faisant de l’indépendance la condition de recouvrement de la dignité nationale, et l’autre considérant la lutte pour la dignité et la gloire de la patrie indissociable de la bataille contre le « sous-développement », lient indéfectiblement la karama au watan, la patrie[6]. Cette revendication de dignité est ainsi formulée à l’échelle nationale, dans un usage de l’expression a priori réservée aux représentants de l’État qui s’expriment en son nom. C’est aussi une formule qui considère la dignité comme une revendication collective.

En Égypte aussi, la revendication de dignité s’avère centrale. Si le slogan a été repris presque à l’identique, la dignité ne se revendiquait plus comme « nationale » mais « humaine »[7]. Ce glissement sémantique n’exclut cependant pas une forte revendication de l’appartenance à la nation égyptienne, qui a pu s’exprimer sous d’autres formes. La persistance et la réactualisation de la revendication de dignité inscrivent ainsi les révolutions tunisienne et égyptienne de 2011 dans le paradigme proposé par Axel Honneth (2000) d’une « lutte pour la reconnaissance ». En effet, une analyse de ces révolutions en termes strictement socio-économiques semble insuffisante. Comme le décrit Sadri Khiari, les racines de la colère tunisienne sont à chercher dans l’amoralité[8] du régime Ben Ali (1987-2011) et dans sa capacité à contraindre « [...] chaque Tunisien a [en] être d’une certaine manière complice », conduisant à des formes « d’auto-dévalorisation collective et individuelle » (Hibou et Khiari 2011 : 29). Plus qu’un sentiment de peur, « le système de répression et de surveillance développé sous Ben Ali [aurait] ainsi produit un sentiment d’indignité » (ibid.). En ce sens, le mouvement tunisien, sans doute comme le mouvement égyptien dont les caractéristiques sont proches, est une tentative de reconquête de cette dignité perdue. Nous faisons l’hypothèse que l’usage de la vidéo s’inscrit dans cette attente, qu’il en est le symptôme et l’outil.

Images pauvres ou images « sans » ?

La grande majorité des vidéos produites pendant les premières semaines ne sont pas l’expression de démarches artistiques et ont de manière générale rarement fait l’objet d’un montage. Au bout de quelques jours, voire quelques semaines, apparaissent des productions plus construites nécessitant un temps d’élaboration long. Une fois le moment insurrectionnel en tant que tel passé, les productions rétrospectives ou commémoratives émergent. Les formes continuent d’évoluer ensuite sensiblement au fil des mois sans qu’il s’agisse d’une évolution linéaire : les productions les plus construites ne remplacent pas les productions « spontanées » mais s’y ajoutent.

Dans les productions des premières semaines, on distinguera deux types de vidéos : les montages – tendant à réunir soit des séquences réalisées dans la même situation soit plusieurs sources – et les plans-séquences. Les montages simples ou les « tourné-monté » sont assez rares. Les montages de plusieurs sources – extraits de vidéos mises en lignes par d’autres utilisateurs, photographies, extraits de journaux télévisés… – qui peuvent inclure de la musique et des cartons de texte sont pour la plupart des sortes de vidéo-tracts où la représentation des évènements est construite et sert un discours. Cela peut être de simples diaporamas ou des montages qui dénoncent les violences policières, qui reprennent les revendications ou se présentent comme des hymnes à la gloire des martyrs. Les plans-séquences sont des enregistrements de quelques secondes à plusieurs minutes sans intervention de montage, sans construction d’une narration nécessitant un travail de sélection et d’élaboration. La narration est interne à la prise de vue et au déroulement de la séquence, le son est direct et la séquence est très généralement mise en ligne dans son intégralité, même quand celle-ci dure plusieurs minutes. Cette dernière typologie est l’expression d’un geste de l’urgence. C’est sur ces images de l’urgence que le présent article se concentre.

L’appréhension de ces productions s’avère particulièrement complexe de par leur nature. « Poor images » (Steyerl 2009), images « sans qualités » (Roubert 2006) ou « sans intentions », les plans-séquences sont souvent considérés comme des enregistrements spontanés, irréfléchis, et qui ne méritent pas d’être saisis comme des objets d’étude à part entière. Les études filmiques ou l’histoire de l’art fournissent des outils permettant d’interroger les choix esthétiques qui sont à l’origine d’une oeuvre ou d’un produit et qui sont les traces (volontaires ou non) d’une subjectivité ou d’une intention. Cependant, le chercheur se trouve relativement démuni dès lors que la notion de création se trouve écartée et/ou que la réalisation ne semble pas avoir été préméditée. En l’absence de montage, les traces intentionnelles semblent d’autant plus minces. S’agit-il pour autant « d’images sans intentions » ? L’absence d’intention esthétique, d’élaboration ou de conceptualisation préexistant au geste ne signifie pas une absence de point de vue. Le cadrage et les situations filmées font ainsi l’objet d’un choix qu’il est possible de relever. Le fait même de filmer est significatif. Par ailleurs, ces productions sont pour la très grande majorité destinées à être partagées, en particulier via Internet. Il nous faudra donc penser autant la production que sa diffusion, le geste de filmer et celui de mettre en ligne.

Nous nous appuyons pour ce faire sur un corpus constitué de près de 400 vidéos produites en Égypte et en Tunisie depuis la fin de l’année 2010, récoltées sur Internet et archivées. Des entretiens réalisés à l’occasion d’un terrain en Tunisie en 2013 et une observation des pratiques de partage sur le site Facebook viendront étayer et compléter les observations réalisées sur les objets. La constitution du corpus a fait l’objet d’un travail d’élaboration complexe. Comment en effet constituer un corpus non exhaustif (le nombre de données étant trop important par rapport aux possibilités d’analyse) cohérent, à partir d’éléments non préalablement hiérarchisés et sans outils de recherche documentaire appropriés ? Nous avons choisi d’adopter une démarche inductive dont la première phase, que nous nommerons « déambulation raisonnée » était destinée à visionner un très grand nombre de vidéos et à repérer des récurrences, dans les situations filmées et dans les manières de filmer. Sur la base de ces récurrences, nous avons pu dans une deuxième phase orienter la recherche vers des objets et des formes précises pour tenter de confirmer ou infirmer les « normes d’usage » ainsi repérées. Le présent article tente de rendre compte de cette première partie du travail consacrée au « moment insurrectionnel » et des toutes premières observations réalisées.

Filmer et partager

Filmer

Ce qui se dégage en premier lieu de ces vidéos est la nécessité de filmer. Leur nombre démesuré en est la première preuve. S’il est difficile d’évaluer le nombre de vidéos produites par rapport à celles qui ont été mises en ligne, les productions disponibles sont déjà considérables. Ainsi, le site YouTube propose jusqu’à 42 600 vidéos pour les mots clés « Tunisia protest 2011 », 67 000 pour « révolution tunisienne », 313 000 pour « Egyptian revolution »[9]… Ces résultats sont à considérer avec circonspection, la recherche ne concernant que les sources textuelles (titre, description), ils sont rarement pertinents. Ils sont cependant éclairants en termes d’échelle. D’autres sites tels que Facebook hébergent ou relaient également nombre de ces productions. La nécessité pour les acteurs de filmer est parfois exprimée dans les vidéos elles-mêmes par des interventions orales faisant référence au geste de filmer. Ce sont souvent les présents qui intiment au filmeur de continuer : « Il faut filmer, il faut filmer ! »[10], répète ainsi une voix devant le spectacle d’un fourgon de police en proie aux flammes. La nécessité se traduit aussi par l’implication physique des filmeurs, par un geste qui est réalisé au mépris de la peur, face à des forces de l’ordre qui tirent à balles réelles. On rencontre ainsi un grand nombre de vidéos filmées depuis les « premières lignes », sous les balles, ou même à terre.

L’implication physique des filmeurs est saisissante dans la forme même des images. La très grande majorité des vidéos est produite au moyen de téléphones portables. L’objet est tenu à bout de bras, souvent brandi dans des prises de vue « à bras levé ».

La main obtient une visée impossible à l’oeil, une visée tactile produisant des images qui peuvent avoir l’expressivité du geste. Comme si le regard filait le long du bras, se greffait sur la hanche, accompagnait les pieds, renversait la tête. 

Duguet 1981 : 166

C’est ainsi qu’Anne-Marie Duguet (1981) décrit dans les années quatre-vingt la Paluche, une minuscule caméra inventée par l’ingénieur créateur Jean-Pierre Beauviala. À l’époque, l’outil semblait révolutionner la manière d’impliquer le corps dans la prise de vue. Elle ajoute : « la caméra, ne se tenant plus devant l’oeil, libère le regard de celui qui filme » (Duguet 1981 : 167). Cette description vieille de trente ans résonne étonnamment aujourd’hui. La visée s’est assurément détachée de l’oeil depuis l’émergence des premiers appareils photo à écrans LCD, et le téléphone portable reproduit cette expérience physique de la prise de vue. Il se fait prolongement du corps, il en absorbe ou accuse les mouvements, les secousses et les élans. L’outil devient une prothèse de l’oeil, le filmeur tend le bras pour saisir ce que l’oeil ne peut voir. Cette relation à l’outil rappelle le « ciné-oeil », décrit en ces termes par Dziga Vertov :

Je suis l’oeil mécanique. Moi, machine, je vous montre le monde comme seule je peux le voir. Je me libère désormais et pour toujours de l’immobilité humaine. Je suis dans le mouvement ininterrompu.

Vertov 1972 : 30

Cependant, la description de Vertov est celle d’une machine indépendante de l’oeil et libérée du corps, comme le sont aujourd’hui les minuscules caméras montées sur des drones. Au contraire, les téléphones portables d’aujourd’hui ne quittent quasiment jamais le corps de leur propriétaire. C’est un objet de l’intimité, il contient une quantité importante de données privées et il accompagne son propriétaire partout, jour… et nuit[11]. La plupart des images produites au moyen de téléphones portables donnent ainsi forme à une « image-corps », ou « bodymage » (l’anglais permettant une contraction impossible en français) où le tremblé s’apparente à une palpitation. Le filmeur montre parfois ses mains, tient l’appareil contre son corps et l’emporte dans sa course enregistrant ses halètements, son essoufflement et sa voix. Ces bodymages sont en effet des plans subjectifs. Il est impossible d’oublier que quelqu’un est là et tient l’appareil. Si le plan tremble, c’est un corps qui tremble, si l’appareil semble tomber, c’est un corps qui s’écroule.

La présence du corps à l’image est due en partie aux spécificités techniques de l’outil d’enregistrement, mais il révèle également un rapport à la prise de vue qui ne s’encombre pas de considérations esthétiques et qui situe le geste de filmer au coeur de la pratique manifestante. Le filmeur n’étant pas un opérateur au travail, journaliste ou artiste à l’oeuvre, et le geste de filmer n’étant pas investi de façon à produire une distance d’avec l’événement, la distinction entre le fait de filmer et de manifester ne semble pas s’opérer. La production de l’image est ainsi organiquement intégrée à l’expérience. Par ailleurs, s’il ne nous est pas possible ici de nous attarder sur ce point, remarquons que ces spécificités techniques et formelles ont des conséquences importantes en réception, « l’effet de présence » devenant un « effet de réel ».

Cette présence du corps est aussi permise par la voix. Les vidéos sans interventions orales du filmeur en hors-champ sont en effet très rares. Beaucoup sont de l’ordre de l’exclamation ou de l’injonction. Ce sont des slogans, des cris, des exclamations scandalisées, joyeuses ou effrayées, ou des échanges avec d’autres personnes en hors champ. Certaines interventions ont une fonction descriptive ou informative (lieu, date, situation…) et quand elles forment des adresses à un futur spectateur, traduisent une intention de diffusion contemporaine de la prise de vue. Trois destinataires explicitement désignés émergent : c’est parfois une adresse à un spectateur étranger avec des interpellations prononcées en anglais en particulier. C’est parfois aux concitoyens, avec des phrases telles que « N’ayez plus peur, levez vos têtes ! »[12]. C’est aussi à ceux contre qui se dirige la contestation avec des déclarations qui se veulent adressées à Ben Ali ou Moubarak directement. Les différents destinataires peuvent être réunis dans une même vidéo, les adresses fluctuant parfois de « nous » à « eux », du français à l’arabe. La présence de destinataires multiples et différenciés permet de percevoir la complexité des intentions à l’oeuvre. Par ailleurs, le fait que l’intention de diffusion soit dans bien des cas contemporaine de l’enregistrement inscrit cette pratique dans une double temporalité (enregistrement/diffusion) et souligne l’importance accordée au partage de l’expérience.

Partager

Le partage, s’il peut avoir lieu via l’écran du téléphone en coprésence, consiste généralement en la mise en ligne de la vidéo. Tous les filmeurs interrogés ont en effet affirmé avoir déjà mis en ligne une de leurs vidéos. Certains systématiquement et sans sélection, d’autres plus ponctuellement. La mise en ligne s’avère par ailleurs n’être que le point de départ du processus de diffusion. Une vidéo peut circuler en étant relayée au moyen d’un lien hypertexte renvoyant à la page du site qui l’héberge, on parlera alors de vidéo « embed ». Elle peut être également copiée et mise en ligne de nouveau des dizaines, parfois des centaines de fois, dans sa version originale, qualité et durée originelle se perdant au gré des copies. Parfois elle est remise en ligne sous-titrée, parfois sonorisée ou remontée... L’image se fait « rumorale » (Froissart 2002), de chaînes YouTube en blogs, en pages Facebook. Le terme channel désignant les comptes YouTube s’apparentent dès lors plus à la chaîne humaine qu’à la chaîne de télévision… Cette diffusion collective est souvent encouragée : les injonctions « Relayez s’il vous plaît » ou « PLEASE SHARE ! »[13] apparaissent régulièrement dans le titre des vidéos.

Ce phénomène n’est bien entendu pas propre aux mobilisations et s’étend à tout type de contenu. Les réseaux sociaux eux-mêmes encouragent ces pratiques au moyen d’outils permettant de reproduire un contenu sur sa propre page. Cependant, l’acte de reproduction, de signalement et de rediffusion d’un contenu « contestataire » peut s’apparenter à une forme de mobilisation où l’internaute choisit d’y associer son image et ainsi de marquer son adhésion à la cause défendue par les producteurs du contenu (Babeau 2014). Que cette forme de mobilisation ne s’apparente qu’à du « clicktivism » ou « slacktivism »[14], un activisme passif incapable de dépasser le cadre de la toile comme l’affirment certains analystes (Morozov 2011), n’enlève rien à l’ampleur du phénomène. Ceci d’autant plus que le partage n’est pas nécessairement « passif », impliquant parfois un véritable travail, comme dans le cas de la traduction. Ainsi, le descriptif d’une vidéo tunisienne remise en ligne par un algérien énonçait : « Je me sentais obligé de sous-titrer cette vidéo pour que TOUT LE MONDE comprenne ce que raconte ce brave tunisien »[15]. Par ailleurs, plus que pour les autres internautes, le fait de partager des vidéos en lien avec la mobilisation implique pour les Tunisiens et les Égyptiens de se montrer acteur ou solidaire du soulèvement, et éventuellement de se sentir partie liée dans une entreprise collective.

La mise en ligne revêt en outre une fonction conversationnelle (Gunthert 2012a) pour laquelle le partage de l’image nourrit l’échange sur l’image[16], et avec l’image elle-même (Beuscart et al. 2009). Cette fonction est à considérer principalement pour les contenus mis en ligne sur Facebook, qui s’avère un espace de sociabilité plus propice à la conversation que YouTube. Pour prendre part à la conversation, il suffit de mettre en ligne une vidéo, de commenter celles des autres de quelques mots ou d’un simple « j’aime ». Là encore, ces participations ont une portée réduite ou nulle sur la dynamique du conflit lui-même. Cependant, elles participent de l’émergence de communautés éphémères de producteurs ou de spectateurs. Comme le décrit Fabien Granjon (2013) pour les réseaux sociaux, la vidéo participe ainsi de la « formation du consensus » et de la « mobilisation pour l’action » (Klandermans 1988), au travers de « la construction de l’indignation et la convergence du sens » et de « la constitution d’un potentiel positif de mobilisation et d’activation de la révolte ».

La nécessité de filmer, l’engagement dans la prise de vue, la multiplicité des destinataires, et la participation au processus de diffusion suggèrent donc que l’enregistrement et la mise en ligne revêtent des fonctions complexes. Nous avons identifié plusieurs registres ou fonction des vidéos selon les usages que nous avons pu observer. Ces différents registres se superposant, il ne nous est pas permis de constituer des catégories et nous nous proposons plutôt ici de tenter une énumération hiérarchisée d’un certain nombre d’entre eux, sans prétendre à une quelconque exhaustivité.

Registres d’usages et fonctions multiples

Faire histoire et faire preuve

Un des premiers registres d’usage est celui de la trace. Il s’agit ainsi selon les termes d’un enquêté de « faire histoire »[17]. Le geste de filmer est alors un geste de réappropriation symbolique qui se révèle tout à fait nouveau. En effet, comme il est nécessaire de replacer la production vidéo au coeur des enjeux du contexte révolutionnaire, il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre de spécificités historiques et culturelles. La Tunisie et l’Égypte, comme la plupart des pays ayant subi un régime autoritaire, ont été marquées par une occultation et une réécriture de l’Histoire qui ont dépossédé les citoyens de leur mémoire historique. Dans ce contexte, la mémoire devient un enjeu majeur et l’enregistrement vidéo est d’abord une manière de garder une trace de l’évènement. Le sentiment d’assister et de prendre part à un moment historique survient en effet rapidement. Beaucoup témoignent de l’incrédulité initiale puis, dès le deuxième jour parfois, de la conviction que « quelque chose se passe »[18]. Cette trace est donc destinée à faire archive.

Elle est également destinée à constituer une « preuve ». La fonction informationnelle est en effet particulièrement importante, l’image étant un outil efficace pour témoigner au jour le jour de l’évolution de la mobilisation et accumuler des « preuves » de la violence du régime. Là encore, le contexte de production doit être mis en perspective historique. En Tunisie comme en Égypte, des mobilisations importantes avaient précédé les révolutions de 2011 : celles des usines textiles entre 2006 et 2010 en Égypte et celles du bassin minier de Gasfa en 2008 en Tunisie. Ces soulèvements n’avaient fait l’objet d’aucun relais médiatique national ou international. Selon le témoignage d’un habitant de la ville tunisienne de Gafsa, distante de quelques kilomètres seulement de Redeyef qui fut l’épicentre de la contestation dans le bassin minier, les soulèvements et leur violente répression furent découverts tardivement même par les habitants des régions voisines[19]. Filmer est donc peut-être un moyen pour éviter que l’oubli et le silence n’écrasent à nouveau la lutte. Cet enjeu est d’autant plus important dans le cadre d’une forte répression dont les auteurs pourraient rester impunis. Ainsi, le catalogage morbide des blessés et des morts qui constitue une part importante de la production vidéo revêt plusieurs fonctions. Dans le chaos de l’affrontement de rue et face aux multiples arrestations, il est d’abord nécessaire pour identifier et compter les blessés et les morts. Les filmeurs adoptent ainsi souvent une manière de filmer spécifique, passant de chambre en chambre dans les hôpitaux accueillant les blessés, filmant les plaies et surtout les visages pour permettre sans doute une éventuelle identification par les familles. Ce catalogage, comme les prises de vues montrant la répression en action ou les « preuves » de l’usage de balles réelles telles que les cartouches ou les impacts de balles dans les corps ou les édifices, a aussi une fonction de dénonciation. Puisque le croire est plus que jamais lié au voir, il faut montrer pour être cru. C’est une guerre de l’image contre les omissions et les négations du pouvoir, contre la possibilité d’un massacre invisible. Cette accumulation de preuves a donc un double but : au présent pour mobiliser des compatriotes encore sceptiques et éventuellement des soutiens internationaux, et pour permettre la gestion des blessés et des morts ; au futur pour constituer un « dossier à charge » contre les coupables et assurer une mémoire des victimes.

Partager l’expérience et « faire collectif »

La vidéo ne sert pas uniquement à la diffusion d’informations sur l’évolution de la mobilisation ou à l’établissement de preuves, mais également à l’établissement de recueils de témoignages d’expériences de l’indignité. Ces témoignages sont à distinguer de ceux concernant la mobilisation elle-même. Ce sont par exemple des vidéos réalisées dans les cortèges où les filmeurs sollicitent directement cette parole par des questions plus ou moins préparées. Ce sont aussi des prises de parole spontanées où le filmeur est pris à parti, obligé parfois de filmer. Si l’enregistrement de témoignages est aussi une sorte de « faire archive », son partage en concomitance avec l’évènement l’investit d’une fonction dès lors plus complexe. La production de vidéos et leur diffusion sont en effet susceptibles de participer à un « processus pratique au cours duquel des expériences individuelles de mépris sont interprétées comme des expériences typiques d’un groupe tout entier » (Honneth 2000 : 271), processus qui s’avère nécessaire, selon Axel Honneth, à l’émergence d’un mouvement social. Tel un recueil de doléances, ces vidéos constituent un corpus à part entière, réalisé sans concertation, comme une mise en pratique du désir de redonner la parole aux exclus. Les témoignages sont en effet souvent le fait des plus démunis, personnes âgées et femmes. Une des images les plus frappantes de ces révolutions aura sans doute été celle de ces manifestants se ruant sur les caméras pour témoigner, se battant presque pour donner leur avis et raconter leur vécu, leurs souffrances. L’image d’une parole qui se libère dans la contestation est ainsi, au regard des vidéos, assez éclatante. Cependant, c’est une parole de l’urgence. Les débats, autres que ceux improvisés dans la rue, sont rarement documentés dans les vidéos. La « parole des intérieurs », des maisons, des cafés, des lieux du collectif, reste invisible et les moments de construction d’une autoréflexivité restent ainsi, semble-t-il, hors caméra. D’une manière générale, les intérieurs apparaissent peu. Notons que ce dernier point va à l’encontre de l’abolition de la frontière public/privé qui s’affirme dans la plupart des usages contemporains de l’image. Ici, l’intimité est protégée, nécessaire et en partie taboue.

À ce partage de l’expérience par l’enregistrement de témoignages vient s’ajouter un investissement particulier dans la représentation des situations collectives. De très nombreuses vidéos saisissent l’ampleur des cortèges, avec des prises de vues en plan large et en plongée, depuis des fenêtres, des toits, des promontoires, ou simplement des panoramiques à bras levé. Ce sont aussi des prises de vues en marche, se frayant un chemin parmi les corps. Il s’agit de montrer le cortège, sa forme soudée, sa dimension, mais aussi la foule, sa densité et sa clameur. Les prises de vues de choeurs chantant ou scandant des slogans sont nombreuses et souvent d’une durée longue (plusieurs minutes). Le collectif est ainsi représenté dans une forme harmonieuse et homogène qui rend compte de sa cohésion. La réappropriation de la représentation du collectif passe également par l’exaltation du courage du peuple qui s’illustre paradoxalement dans les actes de courage individuels. Ainsi, nombreuses sont les vidéos montrant des personnes qui prennent la parole seules ou qui affrontent seules la répression. C’est une femme qui monte sur un muret et crie sa colère à la foule réunie devant le siège de l’UGTT à Tunis[20] ; c’est un homme qui crie sa joie de nuit sur l’avenue Bourguiba quelques heures après la fuite de Ben Ali[21] ; ou un autre qui s’immobilise devant le canon à eau d’un char dans une rue en Égypte[22]. Chaque fois, plusieurs filmeurs enregistrent la scène et le mot « courage » est répété dans la bande son[23] et dans les commentaires et titres donnés aux vidéos en ligne[24]. Ces enregistrements et leur diffusion participent à des processus, bien que mineurs, d’héroïsation. Ainsi, le « risque de la commémoration » qui « détache une figure en particulier » contrariant « un soulèvement dont la force provient à l’inverse d’un regroupement impersonnel entre entités hétérogènes » (Zabunyan 2013 : 44) n’est pas uniquement lié aux médias de masse qui raffolent de ces héros ordinaires. Les internautes et les filmeurs eux-mêmes participent, dans une moindre mesure, à l’exaltation de l’héroïsme individuel. La circulation de ce type de vidéos en est également une preuve : ce sont les vidéos les plus vues[25] et les plus relayées.

Le collectif s’exprime ainsi également en ligne, dans la participation à une « communauté de filmeurs » où chaque vidéo est une pierre à un édifice commun. En ce sens, l’anonymat – qui prédomine sur YouTube – peut s’apparenter à une revendication, comme le déclarera l’auteur anonyme de « Fragments d’une révolution », un documentaire réalisé à partir d’images amateur du mouvement iranien, « Anonyme est aujourd’hui notre manière de ne pas dire je, mais nous »[26].

« J’y suis » et « J’y étais »

L’appareil de prise de vue est parfois retourné vers soi. C’est une façon de s’inscrire dans l’image, dans le décor. Cependant, ce geste n’est pas seulement une « solennisation réciproque des personnages et du décor » tel que le décrit Pierre Bourdieu (1965 : 60) pour la photographie touristique. Pour une vidéo qui sera diffusée par la suite anonymement, c’est l’occasion de laisser une signature et un moyen de revendiquer la prise de risque en affirmant ainsi « je me montre à visage découvert, je n’ai plus peur »[27]. Le geste est alors destiné aux concitoyens et les invite à rejoindre la mobilisation.

La présence du filmeur à l’image peut aussi intervenir en dehors du théâtre des évènements. C’est le cas dans les « vidéos-blogs », ou « vlogs ». Cette pratique, très répandue sur YouTube, a consacré la webcam comme caméra de la représentation de soi et de l’expression publique plutôt que comme simple outil de la visiophonie. Il est cependant nécessaire de souligner que cette pratique s’avère répandue principalement dans le monde occidental. Dans le cas des soulèvements arabes, les vlogs sont rares. Ils sont surtout le fait de blogueurs, d’exilés et de quelques intellectuels. Cette rareté est peut-être un des facteurs de célébrité du vlog d’une jeune égyptienne, Asmaa Mahfouz[28], apostrophant ses concitoyens face à la caméra, les prenant à témoin et les exhortant à la rejoindre dans la rue. Reproduite des dizaines, peut-être des centaines de fois, cette vidéo se trouve définie dans plusieurs titres et descriptions comme « la vidéo qui aida à répandre la révolution »[29].

Sans retourner la caméra vers soi, la vidéo peut être aussi l’affirmation d’un engagement, ne serait-ce que par la revendication de sa présence à l’évènement. Les vidéos mises en lignes sur Facebook s’accompagnent souvent d’un commentaire affirmant cette présence, comme par exemple en Tunisie « Fi Kasbah tawa », c’est-à-dire « À la Kasbah maintenant ». Diffuser une vidéo est donc une manière d’affirmer « voilà où j’ai choisi d’être, voilà mon camp ». C’est à nouveau un appel à être rejoint.

Enfin, la nécessité de filmer n’est pas seulement dictée par l’importance de faire savoir ce qui a lieu car d’autres sont là pour le faire. D’autres filmeurs apparaissent en effet régulièrement dans le champ. La nécessité est celle de posséder sa propre image, sa propre représentation de ce qui a lieu. L’enjeu n’est alors plus seulement l’inscription de son propre corps dans le décor, mais dans l’histoire. Il s’agit ainsi, comme le décrit André Gunthert pour la photographie, de « pérenniser symboliquement une expérience précieuse » (Gunthert 2012b : n.p.). Alors, l’image fait fonction de relique plus que d’archive, comme la possession d’un morceau du mur de Berlin attesterait de notre présence à l’évènement. Ainsi que le suggère Olivier Beuvelet (2012), le noème de la photographie (et de la vidéo avec elle), « ça a été »[30], selon l’expression de Roland Barthes (1980), devient peut-être un « j’y étais ».

Conclusion

Le « moment insurrectionnel » est marqué par un investissement important des acteurs dans la documentation de l’évènement en train de se produire. Cette documentation est nécessaire au mouvement dans ses fonctions informationnelles et mobilisatrices. On identifie deux registres émotionnels principaux : indigner en montrant la violence de la répression, la misère et les humiliations subies par ses concitoyens et encourager en montrant son propre engagement, le courage des autres, ou simplement que « c’est possible »[31] (une vidéo d’un fourgon de police qui brûle s’inscrit dans cette dernière fonction par exemple). On remarque cependant que les fonctions ou registres d’usage ne sont pas uniquement liés au moment insurrectionnel et à la mobilisation. Cette production sert également des processus de réappropriation symbolique de l’histoire « en cours » et de réappropriation de la représentation du peuple et de soi-même, en collectif et individus agissant. La prise d’images et sa diffusion s’apparentent par ailleurs à un engagement personnel, un investissement physique et virtuel dans l’évènement en train de se produire. La diffusion est un moyen de partager expériences et subjectivités dans des « modalités originales de subjectivation, sous un mode polyphonique en dialogue avec d’autres que soi-même » (Allard 2008 : 110). Si elle participe à sensibiliser et mobiliser, la production-diffusion de vidéos dans ce cadre ne peut donc se résumer à un élément d’un « dispositif de sensibilisation » que des « entrepreneurs de cause déploient délibérément afin de toucher les publics » (Traïni 2009a : 106). Le concept « d’entrepreneurs de cause » est problématique dans les contextes tunisiens et égyptiens, tout comme l’idée d’une action « délibérée ». Par ailleurs, au contraire des photographies de foetus ou d’animaux dans les manifestations contre l’avortement ou pour les droits des animaux (Traïni 2009b), les vidéos engagent un point de vue singulier qui se revendique en quelque sorte comme tel. Filmer est en effet un acte pour soi même avant d’être pour les autres, même si l’intention de diffusion peut être contemporaine de l’enregistrement. En outre, il s’agira tout autant de « sensibiliser » que de solliciter la reconnaissance du courage. Les vidéos montrant l’ampleur des cortèges, la cohésion du collectif, le courage individuel, des autres et de soi-même, ne sont en effet pas destinées à provoquer un « choc moral » (Jasper 1997) mais à « donner à voir » un peuple digne. L’enjeu est donc d’abord celui d’obtenir visibilité et reconnaissance, à un double niveau, individuel et collectif : en tant que citoyen aux yeux de la nation, et en tant que Tunisiens ou Égyptiens aux yeux du monde. Par ailleurs, si certains producteurs se définissent eux-mêmes comme « journalistes citoyens », ils ne constituent qu’une minorité parmi les filmeurs, la plupart de ceux que nous avons interrogés ne se définissant pas par rapport à leur pratique. Documenter pour « faire savoir » est un enjeu partagé mais les acteurs ne se réduisent donc pas à des apprentis journalistes qui tenteraient de mimer la profession. Le « Soyez nos yeux »[32] de la BBC ou le « Vous aussi vous pouvez être nos yeux autour du monde »[33] de l’émission « Les Observateurs » de France 24 sont des injonctions trompeuses. Il est indispensable d’affirmer que ces productions audiovisuelles ne peuvent être « nos yeux ». Elles sont l’expression de ceux qui ont vu et vécu ces mobilisations au présent. Ce sont leurs yeux. Et c’est la raison pour laquelle cette production s’avère précieuse. « Que verra l’historien de demain s’il se contente des images ? », s’interrogeait Marc Ferro (1991 : 18) après la guerre du Golfe. « Que verra l’historien s’il se contente des images choisies ? », pourrait-on lui répondre aujourd’hui. Notre « relation aux luttes qui affectent l’Histoire », et « la façon dont nous [pourrions] en être les témoins » (Zabunyan 2011 : 88) reposent désormais sur notre capacité à les considérer à travers le regard de ceux qui les font.