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Cet article en deux parties est issu d’une communication présentée à un colloque consacré à Christian Metz [2], dont il nous avait paru opportun de saisir l’occasion pour rendre compte de la contribution du sémiologue français à la compréhension des divers « mécanismes » du montage cinématographique, notamment en ce qui a trait aux figures de l’alternance. Rappelons que nous menons depuis de nombreuses années déjà une réflexion de fond sur l’avènement du montage alterné, laquelle s’est notamment développée dans le cadre de deux projets de recherche [3] : le premier avait pour objet l’étude de l’émergence, aux premiers temps du cinéma, des modalités de cette pratique discursive qu’est l’alternance, fondée sur la récurrence des termes de deux séries, alors que le second, dont la visée était plus large, ambitionnait de procéder à la classification et à l’analyse des premières formes de montage apparues à l’époque de la cinématographie-attraction [4].

La pratique discursive de l’alternance occupant une place prépondérante dans l’histoire du montage [5], il nous semblait important d’analyser les différentes formes qu’elle a pu prendre avant l’avènement du cinéma institutionnel et de mettre en lumière les procédés auxquels on a eu recours avant qu’elle ne soit codifiée par l’institution. D’autant que l’alternance aurait, selon d’aucuns, ouvert la voie à un nouveau mode d’expression, comme le laisse entendre, par exemple, Noël Burch (1991, p. 152) lorsqu’il affirme que « nous devons reconnaître dans l’émergence du syntagme alterné le geste fondateur de la syntaxe moderne ».

C’est principalement par ses travaux sur la grande syntagmatique [6] (à partir d’ici « GS ») que Metz s’est employé, vers la fin des années 1960, à démêler l’écheveau des appellations proposées dans les nombreuses « tables de montage » produites depuis la fin des années 1910 par les théoriciens du cinéma. L’un des plus importants faits d’armes de Metz, c’est d’avoir levé une part considérable de l’ambiguïté qui prévalait dans les définitions des figures de montage, en abordant les choses d’un oeil neuf pour élaborer la nomenclature détaillée et précise de son tableau de la GS ; ce qui ne l’a pas empêché, comme il le dit lui-même (Metz 1968, p. 122), de s’appuyer, pour l’élaboration de ses huit types syntagmatiques, sur les « analyses en quelque sorte présémiologiques des critiques, historiens et théoriciens du cinéma » qui l’avaient précédé :

Parmi les auteurs qui ont établi des tables de montage, ou des classifications de divers ordres, ou qui ont étudié séparément tel ou tel type de montage, nous sommes notamment redevables à : Eisenstein, Poudovkine, Koulechov, Timochenko, Balázs, Arnheim, André Bazin, Edgar Morin, Gilbert Cohen-Séat, Jean Mitry, Marcel Martin, Henri Agel, François Chevassu, Anne Souriau… et peut-être tel ou tel autre que nous omettons ici par mégarde

Metz 1968, p. 122, note 3

Parmi les acquis de la GS, il y a notamment la distinction entre le montage « alterné » et le montage « parallèle [7] », deux des principales figures de l’alternance. Vu leur grande fortune éditoriale, les travaux de Metz ont permis à cette distinction de s’imposer, tant et si bien qu’elle est reconnue assez unanimement parmi les chercheurs francophones.

À peine une quinzaine d’années avant les premières interventions de Metz sur la question, la situation était tout autre. C’est du moins ce que l’on peut déduire de la consultation des écrits des Souriau, père et fille. Si l’on se reporte à l’important texte publié en 1951 par le père dans la Revue internationale de filmologie — dont le titre (« La structure de l’univers filmique et le vocabulaire de la filmologie ») révèle d’emblée la préoccupation de son auteur pour les questions de terminologie —, on ne peut que constater l’absence patente de termes pour désigner les figures de l’alternance :

[…] on me montre par tranches alternées deux cours d’événements simultanés. Je vois Dolorès brodant dans le salon […] tout en levant parfois les yeux vers la fenêtre d’un air d’attente. Puis je vois Ramiro galopant sur la route […] Puis je vois de nouveau Dolorès. Je comprends parfaitement que Ramiro galope pendant que Dolorès l’attend : les deux événements sont contemporains dans le temps diégétique ; ils sont alternés dans le temps filmophanique. Rien de plus clair

Souriau 1951, p. 233-234 ; c’est nous qui soulignons

Nul doute que ces « tranches alternées » se rapportent à la figure que la théorie du cinéma finira par appeler « montage alterné », mais Étienne Souriau, pourtant conscient du « besoin de mots techniques pour […] désigner [les] faits filmiques [8] » (p. 234), ne s’avance pas sur ce terrain jusqu’à user d’une expression idoine (telle que « montage alterné »). Il est vrai que si Souriau s’attache ici à « pose[r] les bases d’une terminologie scientifique » (p. 231), ce n’est pas pour désigner les figures de montage, mais pour distinguer les différents « plans d’existence de l’univers filmique » (p. 234), ce qui l’amènera à concevoir son fameux « vocabulaire de la filmologie » (avec des termes comme afilmique, profilmique, filmographique, filmophanique, écranique, diégétique, etc.).

Dans le cas qui nous occupe — un montage présentant « par tranches alternées deux cours d’événements simultanés » —, ce que suggère Souriau, c’est de distinguer l’ordre du filmophanique, à savoir « les phénomènes relatifs à cette présentation en projection devant spectateurs » (p. 236) de l’ordre du diégétique, à savoir ce qui est « représenté par le film » (p. 237) : dans le temps filmophanique, les aventures de Dolorès (en A, disons) et de Ramiro (en B) sont présentées de façon alternante et discontinue (A1-B1-A2-B2), mais dans le temps diégétique, chacune des séries prise en bloc est en continuité (dans la diégèse, A2 suit A1 et B2 suit B1) et les événements de chacun des blocs sont réputés se dérouler simultanément les uns par rapport aux autres (A1A2 se déroulent en même temps que B1B2).

On peut donc présumer que la théorie du cinéma ne connaissait pas encore, au début des années 1950, d’usage stabilisé dans le vocabulaire des figures de l’alternance. La chose apparaîtra encore plus crûment deux petites années après la parution du texte d’Étienne Souriau, dans un article d’une précision théorique quasi chirurgicale, intitulé « Succession et simultanéité dans le film », où Anne Souriau (1953) décrit en long, en large et en profondeur ce qui sera ultérieurement désigné par l’expression « montage alterné », sans jamais s’autoriser, elle non plus, à lui donner un nom :

Mais le plus souvent, les deux actions simultanées nous sont simplement montrées en ordre alternatif. La succession unique du film est faite de deux successions entrelacées. […] Quand l’entrecroisement n’est pas assez serré, il arrive que le spectateur ne comprenne plus si les scènes qu’on lui présente ont lieu les unes après les autres, ou en même temps. […] par une interpolation spontanée, nous suivons de façon continue les existences parallèles de deux histoires présentées discontinûment.

L’effet d’alternance se trouve renforcé quand il s’agit d’une alternance prompte. […]

D’ailleurs, les scènes ne sont pas, à proprement parler, parallèles. Elles sont plus exactement convergentes. […] devant une séquence de poursuite bien menée, la salle vibre, parce que la rencontre des scènes alternées est virtuellement contenue dans ces actions (Souriau 1953, p. 67-68 ; c’est nous qui soulignons).

On voit que les périphrases foisonnent : actions simultanées, ordre alternatif, successions entrelacées, entrecroisement, existences parallèles de deux histoires présentées discontinûment, effet d’alternance, scènes parallèles, scènes convergentes, scènes alternées…

L’absence d’une terminologie claire et précise est tout aussi évidente dans les écrits des autres théoriciens ou historiens français des années 1950 et du début des années 1960 [9], comme en témoignent les exemples que voici, pris chez trois intervenants de l’époque dans la réflexion sur le cinéma : Henri Agel, André Bazin et Jean Mitry.

En 1957, Henri Agel s’inspire de la distinction établie par Poudovkine entre « cinq grands modes de montage [10] » pour proposer une définition du « montage parallèle » qui correspond à ce qu’on entend plutôt aujourd’hui par montage alterné : « Le montage parallèle nous montre en alternance deux actions simultanées se passant dans des lieux différents » (Agel 1957, p. 96), et utilise l’expression « montage alterné » pour faire référence, à propos d’Intolerance (Intolérance, 1916) de David Wark Griffith, à ce qu’on qualifierait plutôt aujourd’hui de montage parallèle :

Intolérance […] reste à ce jour une des tentatives les plus audacieuses de montage alterné. Le film comporte quatre épisodes, qui sont présentés d’abord successivement, puis en s’engrenant les uns dans les autres : la chute de Babylone, la passion du Christ, la Saint-Barthélemy, la Mère et la Loi (tragédie contemporaine)

Agel 1957, p. 97 ; c’est nous qui soulignons

En 1958, dans le chapitre intitulé « Montage interdit » du premier tome de Qu’est-ce que le cinéma ?, André Bazin utilise l’expression « montage parallèle » pour désigner une séquence qu’on considérerait plutôt aujourd’hui comme relevant du montage alterné. Cette séquence montre alternativement des événements se déroulant de façon simultanée (d’un côté, un jeune garçon ramenant un lionceau à son campement, de l’autre, la lionne qui traque l’enfant à distance) : « Jusqu’ici tout a été fait au montage parallèle et ce suspense assez naïf est apparu comme des plus conventionnels » (Bazin 1958, p. 58 ; c’est nous qui soulignons [11]).

En 1963, dans le premier tome d’Esthétique et psychologie du cinéma, Jean Mitry ne fait pour sa part aucune distinction entre les expressions « montage alterné » et « montage parallèle », s’autorisant à utiliser indifféremment l’une ou l’autre (à l’instar, rappelons-le, de ce qui se passe aujourd’hui encore dans l’espace anglophone) pour désigner une figure qui fait alterner deux séries événementielles censées se dérouler en simultanéité dans l’univers diégétique suggéré par le film ; ainsi écrit-il, au sujet de The Birth of a Nation (Naissance d’une nation, David Wark Griffith, 1915) :

En un montage alterné et de plus en plus haletant on passe des séquences montrant la ville d’Atlanta en flammes aux scènes d’angoisse dans la propriété des Cameron, pour revenir aux combats et aux scènes fratricides. Et ainsi de suite…

Dans la séquence finale au terme de laquelle les Cameron assiégés dans une cabane sont délivrés par le Kuh-Klux-Klan [sic], le montage parallèle est soumis à une métrique savante […] C’est ainsi que l’on passe d’un plan lointain montrant la cabane assiégée à des plans de plus en plus gros faisant voir les assiégés se préparant au combat. On voit le visage de l’un, le geste de l’autre, etc. De là, on passe à la chevauchée du Kuh-Klux-Klan [sic] […] Une série de premiers plans et de gros plans pique les sabots des chevaux lancés au galop […] et, de nouveau, on voit l’ensemble de la chevauchée traversant la plaine […] On retourne alors à la cabane […] Puis on revient à la chevauchée […] Et l’on reprend l’alternance jusqu’à la résolution qui achève le film à la manière du final d’un vaste crescendo (Mitry 1963, p. 277 ; c’est nous qui soulignons).

Précisons que si Mitry use tantôt de l’expression « montage alterné » et tantôt de l’expression « montage parallèle », la seule figure dont il est question dans ce long extrait ressortit à ce que nous appellerions aujourd’hui (en suivant les principes de la GS, qui se sont imposés chez les chercheurs francophones) du montage alterné.

Mitry utilise par ailleurs, deux pages plus haut dans le même ouvrage, au sujet cette fois de The Ex-Convict (Edwin Porter, 1904), l’expression « montage contrasté » pour désigner une figure qui fait alterner deux séries de motifs connotant une forme de parallélisme entre deux situations dont les rapports temporels l’une avec l’autre ne sont pas pertinents (soit une figure qui correspond plutôt à une séquence en montage parallèle) :

Dans The Ex-Convict, un industriel refuse du travail à un ancien condamné. Pour signifier le drame et surtout pour agir sur l’esprit du spectateur, il était nécessaire d’insister sur la différence de situation des deux hommes. Porter fut donc amené à ce qu’on appelle aujourd’hui le montage contrasté. Des scènes de vie dans le misérable intérieur de l’ancien condamné étaient opposées à d’autres scènes de vie luxueuse dans l’intérieur bourgeois. Cette application du montage dans une suite comparative dont la progression reposait sur l’alternance des scènes apportait un point de plus à l’actif d’un art qui ne devait généraliser cette formule que beaucoup plus tard

Mitry 1963, p. 275 ; c’est nous qui soulignons [12]

Il est clair qu’en 1963, au moment de la publication du premier tome d’Esthétique et psychologie du cinéma, le vocabulaire n’est pas encore fixé, d’autant que l’auteur de l’ouvrage y écrit aussi ceci, à propos du montage « macrostructurel » d’Intolerance :

Amplifiant les procédés du montage entrecroisé et des actions parallèles, Griffith, menant de front ces quatre histoires, devait sauter constamment de l’une à l’autre et poursuivre, à travers l’espace et le temps, le cheminement de quatre tragédies dont les événements, rejaillissant les uns sur les autres, se renforçaient symboliquement

Mitry 1963, p. 278 ; c’est nous qui soulignons

Là (dans le cas de The Ex-Convict), « montage contrasté » et « alternance », et ici (dans le cas d’Intolerance), « montage entrecroisé » et « actions parallèles ». Il est vrai qu’il s’agit de films s’inscrivant dans des paradigmes différents : The Ex-Convict est un digne représentant de la cinématographie-attraction, alors qu’Intolerance est plutôt un produit du cinéma-institution [13]. Toujours est-il que Mitry propose encore et encore d’autres termes, d’autres expressions, qui viennent se greffer à la terminologie qu’il utilise déjà, ce qui n’arrange en rien la confusion régnante.

En 1968, lorsque Metz publie le premier tome de ses fameux Essais sur la signification au cinéma, qui contient la version définitive du tableau de la GS [14], le vocabulaire est toujours « flottant ». Comme Metz (1968, p. 130) le souligne, ce procédé « bien connu des théoriciens du cinéma » qu’est le « syntagme alterné » fait l’objet d’appellations diverses (« “montage alterné”, “montage parallèle”, “synchronisme”, etc. »). En parvenant à imposer, du moins dans l’espace francophone, une distinction nette et tranchée entre montage alterné (pour lui « syntagme alterné ») et montage parallèle (pour lui « syntagme parallèle »), Metz aura donc contribué comme nul autre à lever une grande partie de la confusion qui régnait en son temps au sujet des figures de l’alternance. Mais une partie seulement, car son analyse syntagmatique de la bande-images du film Adieu Philippine (Jacques Rozier, 1962) montre bien (comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article) qu’une certaine confusion demeure.

Au départ, les définitions de Metz semblent en effet claires, nettes et précises. Pour lui, le montage alterné correspond à une forme d’alternance qui engage un rapport particulier à la temporalité narrative, dont les traits distinctifs apparaissent dans la définition qu’il donne de son « syntagme alterné » :

[…] le montage présente par alternance deux ou plusieurs séries événementielles de façon telle qu’à l’intérieur de chaque série les rapports temporels soient de consécution, mais qu’entre les séries prises en bloc le rapport temporel soit de simultanéité (ce qu’on peut traduire par la formule : « Alternance des images = simultanéité des faits »)

Metz 1968, p. 130

L’une des caractéristiques essentielles du montage alterné, ce serait donc que les séries événementielles se déroulent en simultanéité dans l’univers diégétique suggéré par le film.

Quant au montage parallèle (« syntagme parallèle », dans le vocabulaire metzien), il correspondrait à une forme d’alternance n’engageant, au contraire, aucun rapport de temporalité :

[…] le montage rapproche et entremêle en tresse deux ou plusieurs « motifs » qui reviennent par alternance, ce rapprochement n’assignant aucun rapport précis (ni temporel, ni spatial) entre lesdits motifs, du moins au plan de la dénotation, mais ayant directement valeur symbolique (scènes de la vie des riches et scènes de la vie des pauvres, images de calme et images d’agitation, la ville et la campagne, la mer et les champs de blé, etc.)

Metz 1968, p. 127

Dans pareil cas, les deux séries de motifs connotent une forme quelconque de parallélisme reliant sur le plan symbolique des situations entre lesquelles le rapport temporel n’est pas pertinent.

Même si Metz ne s’en réclame pas explicitement [15], on peut supposer que c’est dans Le langage cinématographique de Marcel Martin, paru en 1955, qu’il a puisé le principe de différenciation entre montage alterné et montage parallèle selon le critère de la temporalité narrative (séries événementielles simultanées pour le premier et rapports temporels non pertinents pour le second). Martin (1955, p. 147-150) fait en effet dans cet ouvrage une proposition claire et précise allant dans ce sens ; il y explique notamment que, pour lui, le montage alterné articule des motifs qui sont dans un rapport temporel de simultanéité :

— le montage alterné : il s’agit d’un montage par parallélisme fondé sur la contemporanéité stricte des deux actions qu’il juxtapose, lesquelles finissent d’ailleurs le plus souvent par se rejoindre à la fin du film […]

Martin 1955, p. 149 ; c’est nous qui soulignons le mot parallélisme, les autres italiques sont de l’auteur

et que la figure du montage parallèle articule des motifs entre lesquels le rapport temporel est non pertinent :

— le montage parallèle : deux (et quelquefois plusieurs) actions sont menées de front par intercalation de fragments appartenant alternativement à chacune d’elles, en vue de faire surgir une signification de leur confrontation. […] Ce montage se caractérise par son indifférence au temps […]

Martin 1955, p. 147 ; c’est nous qui soulignons le mot alternativement, les autres italiques sont de l’auteur [16]

On remarquera que Martin, pour définir ce qu’il entend par montage parallèle, utilise le mot « alternativement », tout comme il utilise le mot « parallélisme » dans sa définition du montage alterné. Il faut dire que les champs sémantiques des mots « parallèle » et « alterné » présentent, comme on s’en convaincra facilement en consultant n’importe quel dictionnaire, d’énormes zones de recoupement. Ce qu’une séquence en montage alterné entrecroise, ce sont effectivement des événements « parallèles », au sens où ils se produisent simultanément, et ce qu’une séquence en montage parallèle entrecroise, ce sont des séries qui se présentent aux yeux du spectateur d’une manière alternative. On voit bien qu’il y a là un énorme potentiel de confusion et que ce n’est que par décret qu’on peut imposer (comme l’a fait Metz, à la suite de Martin) une distinction nette entre les définitions des deux plus importantes figures de l’alternance [17].

Cela dit, malgré le « décret » prononcé par Metz, les sources de confusion ne sont pas pour autant toutes disparues comme par enchantement. Il n’est qu’à voir, comme nous le constaterons dans la deuxième partie de cet article, comment Metz lui-même jongle avec ses propres définitions, une fois qu’il passe du monde conceptuel de la réflexion théorique [18] au monde bien réel de la pratique filmique (et de son corollaire du côté des études cinématographiques qu’est l’analyse de films).

Car Metz a eu l’heureuse idée de s’empresser de tester sa nomenclature (avec la collaboration de Michèle Lacoste) sur un film, dans deux articles parus d’abord en 1967 dans la revue Image et Son [19]. Ce que Metz et Lacoste nous y proposent, c’est d’une part le « tableau des segments autonomes » d’Adieu Philippine, obtenu par l’intermédiaire d’une analyse fine, segment par segment, et, d’autre part, une « étude syntagmatique » du même film. Ces textes regorgent de commentaires autocritiques fort utiles pour qui veut comprendre les tenants et les aboutissants du tableau de la GS. Dans leur analyse syntagmatique d’Adieu Philippine, Metz et Lacoste sont en fait confrontés à une série de problèmes, notamment en ce qui concerne les figures de l’alternance. Bien sûr, ces problèmes tiennent en partie au fait que l’organisation syntagmatique du film de Rozier résiste un tant soit peu aux critères prédéfinis par Metz (ce à quoi on pouvait en toute logique s’attendre), mais la principale difficulté découle selon nous des lacunes définitionnelles de la GS elle-même [20].

Ces lacunes ne sont nulle part plus sensibles et plus visibles que dans les types syntagmatiques qui tressent ensemble deux (ou plusieurs) séries événementielles. Metz (1968, p. 164, note 9) en est bien conscient, qui soulève trois « problèmes posés par le fait de l’alternance ». C’est à l’exposé de ces problèmes et aux solutions que nous tenterons d’y apporter que sera consacrée la suite de cet article (à paraître dans le prochain numéro de la revue).