Corps de l’article

Introduction

De nombreux travaux ont cherché à caractériser la croissance des PME. Dans un travail de synthèse édifiant, Davidsson, Achtenhagen et Naldi (2005) ont mis en lumière plusieurs points de convergence parmi lesquels la prédominance du rôle de l’équipe dirigeante, ainsi que l’existence de trajectoires de croissance sur des modalités stratégiques de développement oscillant entre croissance organique et croissance externe, création ou découverte d’opportunités. Parmi les différents choix stratégiques, l’internationalisation, entendue comme exportation, implantation à l’étranger, partenariat avec des entreprises étrangères, constitue un important levier de croissance. Essentiellement, trois explications dominent les recherches sur l’internationalisation : la première est de type économique, la seconde analyse principalement processus et séquençage, la troisième s’intéresse à la dimension réseau (Laghzaoui, 2009). Cette dernière approche s’appuie sur une abondante littérature sur les réseaux d’entreprises développée depuis la fin des années 1990, dans la suite de l’article fondateur de Thorelli (1986), et qui positionne la stratégie de développement de l’entreprise, et particulièrement de la PME, dans une logique réticulaire ; littérature dont le foisonnement fera écrire à Fréry en 1997 : « la grande entreprise capitaliste intégrée n’aura été qu’un épisode de l’histoire […] épisode qui semble désormais clos » (p. 48).

L’orchestration de relations interorganisationnelles au sein d’un maillage réticulaire constitue alors un actif intangible (Julien, 2005) qui permet à la PME de s’affranchir du traditionnel processus incrémental connu comme le modèle Upssala (Johanson et Vahlne, 1977 ; 2009), pour procéder à une internationalisation rapide et non stratifiée. Pour autant, la construction d’un réseau en dehors des frontières nationales ne s’établit ni rapidement ni facilement et les dirigeants de PME ont besoin, pour ce faire, de s’appuyer sur des acteurs publics ou privés (Julien, 2001). Les recherches sur l’entrepreneuriat international soulignent les effets positifs de l’accompagnement par la mise en oeuvre d’une approche par les réseaux (Beddi, Bueno-Merino et Coeurderoy, 2012), particulièrement pertinent pour les entreprises à internationalisation rapide et précoce (Catanzaro, Messeghem et Sammut, 2012), mais tout aussi bénéfique pour l’internationalisation d’entreprises plus traditionnellement centrées sur leur marché local (Shamsuddoha, Ali et Nelson, 2009). À partir d’une étude sur 203 PME implantées sur trois secteurs d’activité exportateurs du Bangladesh, Shamsuddoha, Ali et Nelson (2009) ont effectivement montré que les programmes d’accompagnement à l’internationalisation mis en place par le gouvernement ont considérablement favorisé l’internationalisation de ces PME, à la fois par un support direct à l’exportation (financement, assurance…) et par l’instauration d’une dynamique motivationnelle auprès des dirigeants de ces PME.

Or, dans la conjoncture économique actuelle qui limite les leviers d’action de nos gouvernements, la question qui se pose alors est d’identifier les acteurs, non dépendants des financements publics, susceptibles de mettre en oeuvre un accompagnement efficace et efficient qui permette d’affranchir les PME traditionnelles du processus traditionnel stratifié de type Uppsala, sans exiger un engagement financier trop important pour la PME.

Un de ces acteurs est le réseau des chambres de commerce et d’industrie françaises implantées dans le monde (les CCIFI). Ce réseau de CCIFI constitue un dispositif important d’accompagnement à l’internationalisation des PME en offrant des services d’appui au développement dans leur pays d’implantation, ancrés dans une logique réticulaire grâce à leur insertion de long terme au sein des réseaux d’affaires du pays concerné, avec un rapport qualité/coût particulièrement intéressant pour la PME. Les CCIFI couvrent deux activités : d’une part, un service d’appui aux entreprises (SAE) qui s’adresse aux dirigeants d’entreprises de France cherchant à développer un courant export allant jusqu’à l’aide à l’implantation au travers de leurs centres d’affaires (qui proposent des services de domiciliation et de suivi commercial) et d’autre part, une activité club d’affaires local pour animer les entreprises implantées sur les pays dans lesquels une CCIFI est active.

L’objectif de cet article est donc d’expliciter le rôle joué par les CCIFI dans l’accompagnement des stratégies d’internationalisation des PME dans une logique réticulaire. Notre travail s’inscrit dans la compréhension de la dynamique de croissance à l’international et vise à voir comment les dirigeants de PME s’appuient sur les CCIFI et leurs maillages relationnels pour insérer leurs activités dans des écosystèmes d’affaires étrangers afin de s’y implanter durablement et rentablement.

Nous étudierons plus spécifiquement le cas de la chambre de commerce et d’industrie française au Japon (CCIFJ), son rôle de facilitateur dans l’implantation des PME dans l’économie nippone, économie dans laquelle les relations d’affaires sont extrêmement codifiées, maillées et difficiles à instaurer (Lecler, 1992). Nous appuyant sur une enquête auprès d’une cinquantaine de dirigeants de PME, nous retracerons les cheminements de cinq d’entre elles, en éclairant les processus mis en oeuvre et leurs résultats au pays du Soleil-Levant, en repérant le rôle joué par la CCIFJ dans ces trajectoires.

Dans une première partie, nous poserons le cadre de la croissance par l’internationalisation et du rôle que peuvent y jouer les politiques d’accompagnement mises en place par les pouvoirs publics. Dans une seconde partie, nous présenterons l’étude menée auprès de dirigeants de PME afin de comprendre le rôle de la CCIFJ dans leur accompagnement sur le marché japonais. Enfin, nous discuterons des résultats de cette étude et des apports de notre analyse sur la compréhension de la croissance des entreprises accompagnées à l’internationalisation par une démarche réticulaire ; nous en expliciterons aussi les limites.

1. La croissance par l’internationalisation en prolongation réticulaire

Les modalités de la croissance des PME sont multiples : innovation, croissance interne, externe, pénétration de nouveaux marchés, dans et hors des frontières nationales. Nous avons choisi dans cet article de nous focaliser sur la croissance par l’internationalisation – exportation ou implantation hors des frontières. L’internationalisation des PME a donné lieu à d’importants travaux de recherche et constitue un champ de recherche distinct et dynamique couvrant « l’ensemble des démarches qu’une entreprise engage pour se développer au-delà de son territoire national : exportation, recherche de partenaires commerciaux, investissements à l’étranger, recrutement de personnel étranger » (Laghzaoui, 2009, p. 53). Dans ces recherches, se trouve confirmé le rôle majeur de l’entrepreneur, à la fois dans le choix du périmètre d’activités de l’entreprise et dans l’activation des leviers permettant de s’inscrire dans ce périmètre, leviers parmi lesquels le réseautage constitue une pierre angulaire (Littunen et Tohmo, 2003 ; Mustar, 2001 ; Julien, 2000).

Dans une stratégie de développement sur des marchés étrangers, « la firme engage alors des investissements incorporels (informations, relations contractuelles, relations partenariales, etc.) d’un type nouveau pour elle, car ils impliquent des partenaires étrangers […] L’établissement de relations financières, technologiques et de marché avec les autres acteurs du réseau permet aux firmes d’étendre leurs connexions et d’élargir progressivement leurs activités en dehors de leur territoire national jusqu’à devenir internationales. Ces rapports mènent la firme vers des relations internationales souvent intentionnées mais non programmées » (Laghzaoui, 2009, p. 58). Dans cette approche réseau, Laghzaoui (2009) décrit alors l’internationalisation comme un développement réticulaire procédant sur trois phases : prolongation (c’est-à-dire constitution du réseau à l’étranger par investissements incorporels essentiellement d’ordre relationnel et informationnel), pénétration (positionnement et engagement de ressources au sein du réseau) et intégration (gestion des relations au sein de plusieurs réseaux à l’international).

Cette volonté de prolongation réticulaire à l’étranger relève principalement de la volonté et de la vision du (ou des) dirigeant(s) de la PME.

1.1. Le rôle majeur des dirigeants dans l’internationalisation par les réseaux

Si « les entrepreneurs qui réussissent doivent savoir comment chercher et obtenir les ressources financières et humaines même dans un contexte de nouveaux marchés, limitation des ressources et grande incertitude[1] » (Baum et Locke, 2004, p. 589), les entrepreneurs qui réussissent à l’international sont ceux-là mêmes qui ont su s’appuyer sur leur réseau pour jouer l’effet de levier des externalités positives (Catanzaro, Messeghem et Sammut, 2012). Si l’entrepreneur se doit d’être à la fois un être individuel et collectif et que le réseautage constitue un exercice incontournable de la stratégie de développement, imbriquant réseaux d’affaires, réseaux institutionnels et réseaux informationnels (Julien, 2000), l’intégration et l’activation de réseaux constitue bien un levier fort pour les stratégies d’internationalisation (Oviatt et McDougall, 2005), car « la réussite de l’entrepreneur international, loin d’être un acte solitaire, a beaucoup de chances de tenir à la qualité des réseaux dans lequel s’inscrit le projet » (Beddi, Bueno-Merino et Coeurderoy, 2012) comme le soulignent les travaux récents largement analysés dans le numéro spécial consacré à l’internationalisation des PME de la Revue de l’Entrepreneuriat.

À partir d’une étude sur 289 PME canadiennes en croissance (croissance annuelle des ventes de plus de 20 % au cours des cinq dernières années), St-Pierre, Janssen, Julien et Therrien (2005), montrent que, si l’internationalisation fait appel à des stratégies et des pratiques particulières, différentes de celles adoptées par les entreprises locales, ces différences tiennent en grande partie aux caractéristiques propres des dirigeants et à leurs capacités à animer des réseaux sociaux et calculatoires.

De même, la capacité à créer et animer des réseaux d’affaires constitue une des neuf compétences clés mises en lumière par Pantin (2010) à partir de l’étude approfondie de trois PME (comptant respectivement 66, 125 et 440 salariés, et un taux d’exportation respectivement de 15 %, 65 % et 25 % du chiffre d’affaires).

Cette capacité devient encore plus prégnante dans les stratégies des entreprises nées globales, qualifiées aussi d’entreprises à internationalisation précoce et rapide.

Élaboré suite à une étude sur l’internationalisation des entreprises australiennes menée par le cabinet de conseil McKinsey en 1993, le concept Born Global positionne la stratégie internationale du dirigeant au coeur du développement de l’entreprise avec, en corollaire, un taux de croissance bien supérieur à la moyenne de l’industrie australienne.

D’autres travaux ont mis en lumière l’existence de PME à internationalisation précoce, pour lesquelles, dès la naissance, le champ d’activité est sans frontière, totalement global et international : les International New Ventures de Oviatt et McDougall (1994), les high technology startups de Jolly, Alahuhta et Jeannet (1992), les born globals de Madsen et Servais (1997), ou encore les entreprises à internationalisation rapide et précoce de Servantie (2007).

Les traits principaux de ces nouvelles formes de startups internationales relèvent de leur aptitude à intégrer, dès le démarrage, dans leur modèle économique, les nouvelles potentialités offertes par les technologies des télécommunications, des transports et par des ressources humaines elles-mêmes de plus en plus internationales. Ces entreprises ne se situent toutefois pas uniquement dans l’industrie des nouvelles technologies, mais aussi dans des secteurs industriels plus classiques (agroalimentaire, santé, composants mécaniques…).

Le caractère ontologiquement international de ces entreprises tient essentiellement à l’expérience et à la vision de leur(s) dirigeant(s) : « l’étude d’une entreprise née globale doit commencer avant sa naissance. Il est probable que plusieurs de ses gènes sont ancrés dans les réseaux dans lesquels son fondateur et ses dirigeants ont acquis leur expérience professionnelle. Dans de nombreux cas, on peut se demander si une entreprise born global est réellement une nouvelle entreprise. Légalement elle est certes nouvelle, pourtant ses compétences et capacités ne se sont-elles pas développées bien avant sa naissance juridique ?[2] » (Madsen et Servais, 1997, p. 573). Dans le même ordre d’idée, Jones (1999) préfère parler d’entrepreneurs internationaux plutôt que d’entreprise born global.

Le point distinctif majeur de ces entreprises born global relève de leur capacité à s’intégrer dans une multitude de réseaux (Oviatt et McDougall, 1994 ; Madsen et Servais, 1997), à établir dans ces réseaux des points d’appui et des ponts interréseaux, l’entrepreneur restant le pivot de l’internationalisation de l’entreprise dont la ressource essentielle est définitivement le réseau, réseau personnel ou professionnel, spécifiquement dans l’investigation des marchés étrangers (Rasmussen, Madsen et Evangelistal, 2001). De même, Oviatt et McDougall (1994) montrent bien comment les PME internationales créent de la valeur bien plus grâce à la construction et l’animation d’un réseau d’alliances que par l’investissement dans des actifs propres.

Conséquemment au foisonnement des recherches déployées sur la PME born global, la revue The Academy of Management Journal édita, en 2000, un dossier spécial sur l’entrepreneuriat international dans lequel toutes les contributions portent clairement l’accent à la fois sur le rôle incontestable de l’entrepreneur, ses capacités, son histoire, sa vision, et, sur les incontournables externalités de réseaux comme facteurs clés de succès d’une internationalisation réussie, ouvrant plus largement la voie aux recherches sur l’entrepreneuriat international (Acs, Dana et Jones, 2003).

L’essor des recherches sur ce champ n’a pas faibli depuis (Beddi, Bueno-Merino et Coeurderoy, 2012), mais les travaux restent majoritairement basés sur des études de cas d’entreprises à internationalisation précoce et rapide, laissant un peu dans l’ombre l’internationalisation des entreprises traditionnelles, pourtant majoritaires dans la population des PME, dont les dirigeants, sous estimant le plus souvent leur potentiel, ont besoin d’une stimulation de la confiance par un effet de levier externe (Julien, 2001 ; Colovic, 2013). Ce sont ces entreprises que nous avons placées au centre de notre analyse.

1.2. Croissance à l’international des PME : le levier de la confiance…

Globalement, les statistiques des exportations nationales françaises soulignent la faiblesse de l’internationalisation des PME et surtout leur recul sur ces dix dernières années. Une enquête menée en 2013 par la Banque HSBC relève en tête des réticences invoquées par les dirigeants de PME françaises contre le développement international : la crainte du risque, le manque d’information, l’appréhension de l’inconnu. 54 % des entrepreneurs souhaitent plus d’informations sur les clients potentiels, 42 % sur les concurrents, 35 % des informations économiques et règlementaires. Selon ce rapport HSBC, une comparaison des anticipations des sociétés déjà exportatrices en 2012 révèle même une détérioration significative de la confiance des PME vis-à-vis de leur capacité à s’internationaliser.

Marqueur d’une logique causale, ce retrait de la confiance va à l’encontre de la dynamique entrepreneuriale et fragilise l’entreprise sur une « gestion au rétroviseur ». La confiance joue un rôle non seulement dans l’intention de croître, mais aussi dans l’engagement dans l’intention. Confiance et engagement facilitent l’exploitation des ressources dans une perspective de croissance. La confiance provoque un effet de levier sur les ressources immatérielles qui démultiplient les efforts et l’efficacité dans l’utilisation des ressources matérielles : « l’analyse d’entretiens avec des dirigeants de PME “sorties de l’enfance” ayant connu une ou plusieurs périodes d’hypercroissance, suggère que la confiance a un effet de levier sur les ressources immatérielles de ces PME, résultant des efforts et de l’implication de chacun de leurs membres. En outre, si les parties prenantes de ces PME (clients, fournisseurs, partenaires financiers, etc.) acceptent de faire confiance aux dirigeants en s’engageant à leurs côtés lors des périodes de croissance forte, elles en attendent, en contrepartie, un engagement solide et durable dans la croissance, qui alimente l’hypercroissance » (Champagne de Labriolie, Prim-Allaz, Séville et Belliato, 2012, p. 82). A contrario, si la confiance s’émousse, l’engagement et l’intention d’engagement se fragilisent.

La confiance en la capacité à créer de la valeur constitue le point central de la problématique de croissance. Au-delà des mesures classiques de création de valeur, la démarche d’internationalisation s’apparente à un processus d’exploitation/création d’opportunités nouvelles favorisant de façon essentielle la création de valeur (Shane et Venkataraman, 2000). « L’entrepreneuriat international relève d’une combinaison de comportements innovants, proactifs et ouverts au risque, qui s’étend au-delà des frontières nationales et vise à la création de valeur dans les organisations[3] » (McDougall et Oviatt, 2000, p. 903).

De fait, pousser la PME à l’international nécessite à la fois de renforcer la confiance des dirigeants quant à leur probabilité de succès, de pallier la limite des ressources et de les aider à identifier la création de valeur prospective. Dans cet esprit, les pouvoirs publics ont déployé depuis plusieurs décennies, des programmes d’accompagnement des PME à l’international.

1.3. … et celui de l’accompagnement à l’insertion dans des écosystèmes étrangers

L’Institut für Mittelstandsforschung[4] (IfM) a montré à quel point l’internationalisation a contribué à la croissance des PME allemandes (Bourgeois et Lasserre, 2007) : en 2006, selon l’IfM, la force des PME allemandes repose sur leur fonctionnement en réseaux de partenariats qui assure la fluidité de la diffusion des savoirs et savoir-faire, y compris en matière d’intelligence économique (Bourgeois et Lasserre, 2007). Au sein des réseaux professionnels allemands, l’implication des responsables politiques locaux est forte, les chefs d’entreprise allemands agissent souvent en collectifs avec des réseaux structurés et supportés à l’international par un réseau de chambres de commerce implantées à l’étranger très actif avec lequel 28 % des PME allemandes travaillent régulièrement, les Außenhandelskammern (AHK), considérées par les dirigeants de PME comme un atout pour se développer à l’étranger (Bourgeois et Lasserre, 2007).

Dans le même ordre d’idée, Colovic (2013) a analysé l’action des pôles de compétitivité français dans l’internationalisation des PME, et montré combien ces derniers « peuvent ainsi être considérés comme des véritables accélérateurs de l’internationalisation des PME » (p. 146), surtout dans leur action de maillage international interréseaux édifiant une « alliance parapluie » qui « assure la confiance et facilitent la création de relations de coopération entre les entreprises membres » et par là même accélèrent leur internationalisation.

En effet, alliances et partenariats au sein d’écosystèmes d’affaires complexes, comme peuvent l’être les pôles de compétitivité, comprenant grandes et petites entreprises, prestataires de services, établissements publics et privés, constituent « des cadres de mise en réseau et de constitution de grappes de petites entreprises souvent plus utiles qu’un soutien direct » (OCDE, 2002, p. 8) et jouent un rôle capital dans la croissance des PME (OCDE, 2002). L’inscription dans des réseaux, qu’ils soient personnels ou d’affaires, constitue un levier de performance du processus d’internationalisation (Littunen et Tohmo, 2003 ; Mustar, 2001 ; Julien, 2000).

L’ancrage dans des réseaux d’affaires s’établit grâce à des appuis de conseillers externes privés ou publics (Julien, 2001). Ces appuis constituent une aide quasi incontournable pour la petite entreprise pour laquelle l’international implique un saut qualitatif important remettant en cause procédures et routines d’autant mieux internalisées qu’elles ont fait leur preuve sur le marché local (Léo, 2000).

L’importance des structures d’accompagnement dans l’internationalisation des PME s’est largement matérialisée puisque, sur 20 années de 1985 à 2005, le nombre d’agences à vocation d’accompagnement a été multiplié par trois à travers le monde (Lederman, Olarreaga et Payton, 2010), ce développement s’appuyant sur diverses études, dont celle de Coughlin et Cartwright menée en 1987 aux États-Unis qui montrait que 1 $ investi dans les programmes d’accompagnement déclenchait 432 $ d’exportations supplémentaires.

Cependant, 20 ans plus tard et la globalisation des marchés plus avancée, les avis sont plus nuancés. Shamsuddoha, Ali et Nelson (2009) ont identifié et analysé 17 études empiriques quantitatives et qualitatives menées depuis 1999 traitant de l’impact des programmes d’aide à l’exportation sur la performance à l’export des entreprises pour constater une absence de consensus sur l’efficacité des dits programmes. À travers leur analyse, une forme de taxonomie des programmes d’aide peut être mise à jour : par exemple, en deux grandes catégories telles que les programmes de type aides marketing et ceux de type aides financières. Une taxonomie plus fine distingue les programmes de type motivationnels (sensibilisation), les programmes de type informationnels (études de marché sur clients, concurrents, réseaux, réglementation) et les programmes de type opérationnels (organisation de missions commerciales, logistique et assistance à l’étranger).

Les programmes d’accompagnement apportent de fait une extension de ressources aux PME à la fois sur le plan des ressources humaines (organisation des recherches et missions) et sur le plan des ressources immatérielles (informations, connaissances, relations). Ces dernières, bien que moins qualifiables et mesurables, constituent un levier capital de la réussite de l’internationalisation de la PME (Demick et O’Reilly, 2000).

Questionnant le constat d’utilité des programmes d’aide à l’internationalisation, Yannopoulos (2010) a interrogé 137 dirigeants de PME canadiennes afin de vérifier si le degré d’utilité des aides diffère selon les types d’entreprises, notamment selon la taille et le degré d’ouverture à l’international. Ses analyses montrent en premier lieu que les programmes de type informationnels (« market intelligence ») sont jugés plus utiles que les autres types de programmes. Segmentant les entreprises en trois groupes selon leur degré de dynamisme international (entreprises réactives à l’internationalisation, entreprises actives à l’internationalisation et entreprises systématiquement internationales), l’auteur montre l’appétence générale des dirigeants pour les programmes d’aide de type informationnel et une nette différence d’appréciation pour les programmes d’aide de type opérationnel ; ces derniers étant notablement plus appréciés des entreprises plus avancées dans leur internationalisation. Contre intuitivement, la recherche de Yannopoulos montre que les entreprises les plus dynamiques à l’international sont aussi les plus intéressées par un support opérationnel dans les différents pays.

Opérer une segmentation des besoins en matière de programme d’aide à l’internationalisation s’avère une nécessité face à la montée en puissance des entreprises « born global » ou encore des entreprises à internationalisation précoce évoquées dans la partie précédente. À partir d’une étude sur les entreprises chinoises à internationalisation précoce, Zhou (2007) montre le basculement d’une démarche graduelle d’acquisition/exploitation/capitalisation de connaissances constitutive du management des entreprises traditionnelles à une démarche exploratrice d’acquisition de connaissances focalisée sur la réponse à une opportunité, dont la capitalisation devient un effet collatéral de l’action.

Dès lors, il semble évident que les entreprises à internationalisation précoce n’ont pas besoin de programme d’aide de type motivationnel et, de fait, de nombreux programmes d’accompagnement à l’export ne sont pas adaptés à ce type d’entreprise (Bell, McNaughton, Young et Crick, 2003).

Les travaux menés par Shamsuddoha, Ali et Nelson (2009) et Yannopoulos (2010) montrent que, pour les entreprises orientées sur l’international, les programmes de types opérationnels sont ceux qui enrichissent le plus les ressources dont elles disposent, jouant à plein le rôle d’effet de levier sur la performance globale. Reprenant en cela les préconisations de Zhou (2007), les auteurs suggèrent aux acteurs publics de développer davantage les programmes d’aide à l’internationalisation de type opérationnels, apportant à la fois une extension des ressources des PME et une acquisition rapide et chemin faisant du capital immatériel (connaissances et réseau relationnel) indispensable au succès des stratégies de pénétration de marchés étrangers.

Catanzaro, Messeghem et Sammut (2012) posent la question de la place de la dimension réseau dans l’accompagnement à l’international des entreprises à internationalisation précoce et rapide, soulignant que « la littérature en accompagnement international semble ignorer cette dimension et les possibilités d’accompagnement pour aider l’entreprise à construire ses réseaux internationaux » (p. 35). Les auteurs s’appuient sur les travaux de Huggins (2010) qui distingue deux types de réseaux : (1) les réseaux sociaux construits sur des liens interpersonnels oscillant entre confiance et obligations et (2) les réseaux calculatoires élaborés sur des liens interorganisationnels fondés sur une logique économique et transactionnelle. Ces deux types de réseaux, permettant de générer de la valeur, constituent respectivement un capital social et un capital réseau. Cette approche par la valeur du réseau renvoie à l’idée selon laquelle les entrepreneurs bénéficient de plus de ressources qu’ils n’en contrôlent (Bernasconi et Monsted, 2000).

Catanzaro, Messeghem et Sammut (2012) ont bien décrit le dispositif français d’aide à l’internationalisation, les différents acteurs le composant ainsi que les services qu’ils proposent, ceci les amenant à la conclusion que « les initiatives d’accompagnement identifiées dans cette étude montrent que la dimension réticulaire est au coeur de cette offre d’accompagnement » (p. 49). Dans leur étude, les auteurs mentionnent les chambres de commerce françaises à l’étranger comme acteur relais pour un soutien informationnel et l’inscription dans des écosystèmes locaux.

En complément à l’étude de Catanzaro, Messeghem et Sammut (2012), nous avons décidé d’éclairer le rôle que jouent ces chambres de commerce françaises et d’industrie (CCI) implantées à l’étranger dans le processus d’internationalisation des entreprises, pas seulement pour les PME à internationalisation précoce mais pour tout type de PME.

Nous montrerons dans la partie suivante que les CCI françaises à l’étranger, organisations totalement différentes, dans leur statut, leur fonctionnement, leurs ressources, des CCI en France, participent pleinement et en interaction avec le dispositif national, au soutien de l’internationalisation des PME françaises.

2. Démarche méthodologique

Qu’ils traitent d’entreprises « born global » ou d’entreprises régionales, les travaux sur l’internationalisation des PME sont unanimes sur l’obligation d’inscrire l’action dans une logique réticulaire, les réseaux apportant à la fois externalités positives et extension de ressources diversifiées. Toutefois, aucun réseau ne s’initie ex nihilo, le temps et l’énergie nécessaires à sa construction et sa consolidation constituent des ressources dont le dirigeant d’une PME ne dispose pas à profusion. S’intégrer rapidement dans un nouvel écosystème fonctionnant avec ses propres codes industriels et socioculturels, souvent fortement différents de l’écosystème originel de la PME, ne peut s’effectuer sans appui.

De fait, nous nous sommes intéressés au rôle que jouent les chambres de commerce françaises implantées à l’étranger dans l’insertion des PME françaises sur les marchés internationaux, détaillant l’exemple spécifique de la chambre de commerce française au Japon.

Dans un premier temps, nous présenterons les chambres de commerce françaises à l’international (CCIFI), puis nous focaliserons dans une deuxième partie sur la chambre de commerce et d’industrie française au Japon (CCIFJ). Enfin la troisième partie rendra compte, à partir des cinq études longitudinales, du soutien apporté par la CCIFJ dans l’accès de ces PME au marché japonais et de leurs résultats.

2.1. Présentation des CCIFI et leur appui à l’internationalisation des PME françaises

Les CCIFI sont historiquement les opérateurs ayant proposé les premiers des services d’appui à l’internationalisation des PME depuis plus de 40 ans pour les plus anciennes. Depuis, l’État français et les collectivités locales se sont positionnés pour compléter le dispositif avec des zones de recouvrement. Pourtant, les CCIFI restent des acteurs peu connus et peu analysés dans la littérature sur l’accompagnement à l’export. Nous pensons donc qu’il est intéressant de montrer le rôle de ces services d’appui des CCIFI dans le contexte actuel pour voir comment ils se sont positionnés pour tenter d’apporter une réponse à l’accompagnement des PME françaises dans leur processus d’internationalisation.

Il existe en 2014 plus d’une centaine de chambres de commerce françaises à l’international implantées dans 82 pays en réseau au sein de l’association CCI France International, fondée en 1907. Les CCIFI sont des associations indépendantes de droit local qui constituent un réseau mondial de relations et de contacts d’affaires de plus de 32 000 entreprises françaises, animé par près de 900 collaborateurs permanents, biculturels pour la plupart.

Ce réseau s’éloigne radicalement du modèle des CCI nationales d’abord par son financement puisque les CCIFI ne perçoivent aucun financement public et pratiquement la totalité de leurs ressources proviennent des adhésions de leurs membres (97 %), puis par son fonctionnement de type club d’affaires, très orienté sur l’animation du réseau et des services apportés à ses entreprises adhérentes par exemple :

  • animation du réseau à travers des soirées réseautage dans le pays d’accueil ;

  • valorisation des adhérents au travers des galas visant à renforcer la qualité de la relation avec les partenaires d’affaires du pays d’accueil invités par les entreprises françaises lors de ces soirées mixant gastronomie, art, culture et affaires ;

  • organisation d’événements par des comités thématiques offrant l’occasion d’échanger des informations et de recueillir les meilleures pratiques sur les marchés du pays d’accueil ;

  • représentation des intérêts des adhérents auprès des administrations du pays d’accueil au travers d’une structure européenne (EBC : European Business Council) créée en 1972 ;

  • aide au recrutement au travers du service emploi pour les postes recherchés par les entreprises adhérentes ;

  • formation visant à fidéliser les salariés dans les pays d’accueil et développer leurs compétences ;

  • communication et promotion des adhérents sur les différents supports (magazines, site internet, etc.).

En parallèle à cette animation locale, les CCIFI jouent aussi un rôle essentiel dans l’appui aux entreprises qui veulent se développer à l’international en offrant des services adaptés à l’avancée des projets d’internationalisation couvrant les trois champs de l’accompagnement que sont le support informationnel, le support opérationnel et le support relationnel :

  • support informationnel par la recherche de données : état des lieux socio-économiques du pays, études de marché spécifiques, prospection et mise en relation commerciale ou partenariale, analyses clients potentiels, tests produits, étude d’image…

  • support opérationnel par la mise à disposition de ressources : recrutement de collaborateurs locaux, mise à disposition d’un commercial en temps partagé et portage salarial, mise à disposition de plateformes de domiciliation et de postes de travail, formation des collaborateurs locaux ou français…

  • support relationnel par l’aide aux processus : organisation d’événements, aide à l’implantation, prise en charge des formalités administratives de création de structures locales…

En 2013, près de 3 500 événements ont été organisés à l’étranger pour les entreprises françaises souhaitant exporter ou s’implanter, 855 entreprises sont domiciliées dans une CCIFI, 730 postes de travail sont à disposition des PME, près de 2 000 PME ont bénéficié de missions d’étude et de prospection, 71 incubateurs sont à disposition de la startup internationale dans 58 pays, 2 000 emplois ont été pourvus, 37 CCIFI proposent le portage salarial[5].

Les CCIFI travaillent en partenariat avec l’équipe de France de l’export, créée par Christine Lagarde alors ministre de l’Économie en 2008, regroupant les organismes tels que Business France, Sopexa, Oséo et la BPI, la Coface, les missions économiques des ambassades, les conseillers du Commerce extérieur. Un « continuum consulaire » a été mis en place avec les CCI de France permettant de rester au plus près des besoins des PME. Ces dispositifs ont été renforcés dernièrement avec la volonté du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, de développer la diplomatie économique faisant des ambassades françaises un levier fort de déploiement dans les pays étrangers[6]. Les plans régionaux d’internationalisation des entreprises ont été formalisés depuis 2013, enrichissant le groupe des organismes précédemment cités avec les chambres de métiers et de l’artisanat, les conseils généraux et les pôles de compétitivité régionaux pour renforcer la proximité avec les entreprises.

2.2. Cas particulier de la CCI française au Japon

Créée en 1918, la chambre de commerce et d’industrie française au Japon (CCIFJ) est une association de droit japonais gouvernée par un conseil d’administration comptant 20 administrateurs et 3 auditeurs, directeurs de sièges japonais de grands groupes[7] ou présidents de PME. En 2014, la CCIFJ compte 498 membres adhérents, entreprises françaises majoritairement, mais aussi entreprises européennes et japonaises, ce nombre la situant comme la première chambre européenne au Japon.

La CCIFJ emploie une vingtaine de collaborateurs qui animent le réseau des entreprises adhérentes et assurent les missions d’appui pour les entreprises souhaitant prospecter le marché japonais.

Le budget de la CCIFJ pour l’année 2014 s’élève à 4 millions d’euros, un tiers provenant de la cotisation de ses membres adhérents (cotisations de 700 € pour les startups, 1 850 € pour les membres actifs et 3 700 € pour les 85 membres bienfaiteurs), un tiers des missions d’appui aux entreprises et du centre d’affaires et un tiers des différents services aux entreprises adhérentes.

La CCIFJ a fédéré les adhérents en comités. Les membres de ces comités se rencontrent lors de réunions périodiques sous forme de conférences ou d’événements de réseautage. Leur rôle est de réfléchir et de faire des propositions afin de définir les grandes lignes de la stratégie et des activités de la chambre.

Tableau 1

Différents exemples de comités de réseautage de la CCIFJ

Différents exemples de comités de réseautage de la CCIFJ

-> Voir la liste des tableaux

En 2014, la CCIFJ a organisé 106 événements regroupant 4 200 participants, dont 50 conférences de réseautage apportant aux industriels des informations spécifiques et surtout l’opportunité de développer leur réseau d’affaires. 25 séminaires Japon ont été organisés en partenariat avec le réseau des CCI de France et en coordination avec l’organisme Business France (regroupant depuis janvier 2015 les deux organismes Ubifrance et l’Agence française pour les investissements internationaux sous la direction du ministre des Affaires étrangères et du Développement international).

40 % des événements organisés par la CCIFJ le sont conjointement avec ses partenaires parmi lesquels : les chambres de commerce européennes et nord-américaines, la chambre de commerce de Tokyo, le Paris Club, la Maison franco-japonaise, l’Association Alumni de Sciences-Po Paris, le Club VIE, l’association Femmes actives Japon.

Afin de conseiller les PME françaises souhaitant se développer dans l’archipel, une trentaine de séminaires Japon sont organisés dans les régions françaises en partenariat avec le réseau des CCI en France.

Les offres de service de la CCIFJ aux entreprises reposent sur trois grands axes :

  • Appui aux entreprises : dans le cadre de cette activité, 160 prestations ont été réalisées en 2014, des prestations individuelles de suivi sur mesure d’implantation sur le sol nippon, répondant à un besoin toujours croissant de réactivité et d’efficacité, ainsi que des prestations destinées à faciliter les premières prospections ou validations de l’existence d’un segment de marché porteur pour l’entreprise prospectrice au Japon. Pour répondre aux demandes des PME françaises, la CCIFJ propose un service de domiciliation afin de permettre à des entreprises souhaitant s’implanter sur le marché japonais de bénéficier d’une structure d’accueil et de services d’appui et d’encadrement. Un accroissement de la capacité de domiciliation a été réalisé en 2013 pour répondre à la demande croissante portant l’offre à 12 stations de travail en open space et 3 bureaux fermés possédant respectivement 2, 3 et 5 stations de travail.

  • Aide au recrutement : proposition aux entreprises de candidats en vue d’un recrutement, 93 offres traitées sur 2013 (soit une progression de +38 % par rapport à 2012). En 2013, 723 candidats en recherche d’emploi se sont enregistrés dans ses fichiers, dont 516 Français, 182 Japonais et 25 de diverses nationalités. Un service de mise à disposition de chargés d’affaires à temps partiel est aussi offert pour apporter une solution au suivi nécessaire au Japon et optimiser l’impact des démarches des entreprises françaises.

  • Édition et diffusion de l’information économique : au travers du magazine France Japon Éco, magazine bilingue consacré exclusivement à l’économie et à la société japonaise. Édité chaque trimestre, le magazine rassemble les moments forts de l’actualité, un dossier complet sur un thème économique ou social, des interviews de personnalités françaises et japonaises, des articles techniques, juridiques et fiscaux. Ce magazine est enrichi de L’Hebdo du Japon, une revue de la presse japonaise en français envoyée par courriel.

En 2014, la CCIFJ a reçu 650 demandes d’appui à une démarche de recherche d’informations ou de partenaires sur le marché japonais et réalisé 160 prestations complètes. Son centre d’affaires a domicilié 14 PME de différents secteurs d’activité[8].

Plus de 20 % des demandes d’appui provenaient d’entreprises ayant déjà travaillé avec la CCIFJ, ce chiffre souligne l’ancrage de la démarche dans un projet long terme, la plupart des dirigeants d’entreprise ne viennent pas au Japon juste pour voir, mais raisonnent sur un horizon moyen, long terme.

Le profil type de l’entreprise s’appuyant sur la CCIFJ pour ses démarches de développement au Japon est une PME réalisant un chiffre d’affaires compris entre 1 et 5 millions d’euros.

2.3. Collecte et analyse des données

Nous avons cherché à analyser les interactions entre les services de la CCI française au Japon et les PME ayant une stratégie d’exportation ou d’implantation sur le marché japonais ainsi que l’impact de ces interactions sur les résultats de leurs actions. Dans la lignée des considérations méthodologiques de Davidsson et Wiklund (2000) soulignant l’importance des approches longitudinales, nous avons analysé cinq cas d’entreprises de taille petite à moyenne en vue de caractériser spécifiquement leur processus d’approche du marché japonais, leurs résultats et les impacts de ces approches sur leur dynamique. Cette analyse a été complétée par une enquête de satisfaction sur les services d’appui aux entreprises de la chambre de commerce française au Japon.

Nous avons recueilli données et informations de différentes sources :

  1. En 2013, un court questionnaire a été envoyé par courrier électronique à 300 dirigeants de PME françaises ayant utilisé les services de la CCIFJ dans les deux dernières années. Cette enquête visant à obtenir des éléments d’appréciation sur leur interaction avec la CCIFJ dans leur processus de développement au Japon. Nous avons traité alors les 54 réponses obtenues des dirigeants après une ou deux relances téléphoniques. Ces relances téléphoniques ont permis de constater que l’absence de réponse exprimait un manque de disponibilité et non un degré d’insatisfaction conduisant au refus d’expression. L’échantillon ainsi obtenu était suffisamment représentatif de la variété de secteurs d’activité et de taille de la population globale.

  2. Nous avons ensuite recueilli plus spécifiquement l’histoire de cinq d’entre eux exprimée lors d’entretiens téléphoniques d’une heure environ pour une analyse approfondie de la démarche d’investigation au Japon et une évaluation plus qualitative du rôle de la CCIFJ complétées d’informations secondaires fournies par les articles de presse et rapports d’activité. La sélection des cinq dirigeants s’est établie en recherchant la diversité en termes de secteur d’activité, âge et degré d’avancement du processus d’internationalisation. Les dirigeants ayant accepté de répondre aux questions se classent tous dans la catégorie des dirigeants très satisfaits, ce qui permet de mettre en lumière les raisons de cette satisfaction. Ceci introduit bien entendu un prisme dans l’analyse, mais répond à notre objectif de montrer pourquoi les dirigeants sont satisfaits de l’accompagnement par la CCIFJ. Une étude ultérieure ciblant les dirigeants plus critiques permettra d’en établir les limites. Notre approche est à visée explicative et cherche à raconter l’histoire d’entreprises en recherche de développement au Japon ; les cinq entretiens réalisés montrent des histoires très similaires, décrivant, selon le directeur de la CCIFJ, le modèle général du processus d’accompagnement des PME à l’international par la CCIFJ. De fait, nous avons limité notre étude à ces cinq cas pour éviter la saturation. L’entretien semi-directif a été mené à partir d’une grille préalablement établie visant à obtenir (1) des données sur l’entreprise, son histoire, ses technologies, ses produits, (2) des informations sur son processus de développement international et plus particulièrement au Japon, le déroulé, les difficultés, les résultats obtenus, (3) des appréciations sur le rôle joué par la CCIFJ dans le processus et les résultats obtenus. Afin de minimiser les effets de rationalisation a posteriori, nous avons triangulé les informations obtenues par des entretiens avec le directeur de la CCIFJ et trois de ses administrateurs ainsi que par le recours à des données secondaires.

  3. Nous nous sommes donc entretenus avec le directeur de la CCIFJ afin de bien comprendre le fonctionnement et les objectifs de cette association, l’entretien a duré deux heures puis a été suivi de quelques appels téléphoniques complémentaires pour confirmer quelques points. Nous avons ensuite discuté une heure avec trois dirigeants d’entreprises administrateurs de la CCIFJ (entreprises Essilor, Alcatel et Orange). Nous avons cherché à comprendre tout d’abord le fonctionnement de la CCIFJ et ses interactions avec les industriels, puis les processus mis en oeuvre dans l’accompagnement du développement d’une activité sur le marché japonais, les difficultés rencontrées et les résultats obtenus.

  4. Nous avons en parallèle utilisé un corpus de sources secondaires privées et publiques composées principalement de la lettre d’information de la CCI française au Japon, sa plaquette de présentation des services d’accompagnement aux entreprises ainsi que des articles de presse liés à des actions réussies ou à des nouvelles offres mises en place, les sites internet des entreprises ainsi que des articles de presse régionale les concernant.

Les entretiens n’ont pas été enregistrés, mais ont bénéficié de la prise de notes et ont été retranscrits immédiatement après chaque discussion. La triangulation des informations a été réalisée par confrontation des différents entretiens et les données secondaires. Nous avons ensuite analysé les informations obtenues manuellement, d’une part, en donnant à lire une synthèse de chaque entretien avec les dirigeants de PME assortie de témoignages significatifs, et, d’autre part, en identifiant les thèmes récurrents qui permettent d’apporter une image globale de l’étude.

3. Résultats des enquêtes

3.1. Analyse des résultats de l’enquête par courrier électronique

Les besoins en matière d’accompagnement exprimés par les dirigeants dans cette enquête sont cohérents avec ceux recensés par les différents travaux que nous avons présentés dans la première partie de cet article. En effet, comme nous pouvons le lire sur la figure 1, les dirigeants témoins souhaitent en premier lieu un support relationnel à l’internationalisation, assorti d’un support opérationnel (aide à la communication, aide à l’implantation, suivi des relations), enfin un support informationnel. Le support financier apparaissant bien moins important en ce qui concerne les prestations attendues des CCIFI.

Figure 1

Supports nécessaires pour un développement au Japon

Supports nécessaires pour un développement au Japon

-> Voir la liste des figures

Les réponses de la CCIFJ à ces besoins sont appréciées avec un taux de satisfaction important par ces dirigeants comme le montrent les tableaux 2, 3 et 4.

Tableau 2

Réponses à la question : « comment évaluez-vous la mission de la CCIFJ ? »

Réponses à la question : « comment évaluez-vous la mission de la CCIFJ ? »

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 3

Réponses à la question : « quel est l’impact de la mission de la CCIFJ ? »

Réponses à la question : « quel est l’impact de la mission de la CCIFJ ? »

-> Voir la liste des tableaux

Tableau 4

Réponses à la question : « résultat de la mission de la CCIFJ ? »

Réponses à la question : « résultat de la mission de la CCIFJ ? »

-> Voir la liste des tableaux

Même si un nombre non négligeable de dirigeants (52 %) estiment ne pas avoir obtenu de résultat suite à la mission, les taux de satisfaction recueillis montrent bien que les dirigeants estiment que la CCIFJ leur doit une obligation de moyens et non une obligation de résultat puisque l’absence de résultat impacte apparemment peu leur perception de la qualité de la prestation.

Les résultats économiques sont cependant non négligeables puisque 44 % des dirigeants estiment que leur chiffre d’affaires au Japon a progressé à l’issue des prestations mises en oeuvre par la CCIFJ et 20 % ont même dû accroitre leur effectif pour répondre à cette croissance des ventes ; les 24 entreprises en croissance se situent sur différents secteurs d’activité : Agroalimentaire (10), TIC et logiciels (5), Médical (5), Mode (2), Biens industriels (2).

Les impacts des actions menées avec la CCIFJ en termes de croissance du chiffre d’affaires et de croissance des effectifs concernent toute taille de PME, de la TPE à moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires, à la PME excédent les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires, comme le montre la figure 2.

Figure 2

Taille des entreprises en croissance suite à leurs missions au Japon

Taille des entreprises en croissance suite à leurs missions au Japon

-> Voir la liste des figures

Cette rapide enquête auprès des dirigeants d’entreprise ayant bénéficié des services d’accompagnement de la CIFJ donne quelques éléments de l’impact quantitatif de ces services sur l’insertion des entreprises concernées sur le marché japonais. Cependant ces données ne suffisent pas à comprendre la mise en oeuvre du processus d’insertion. Pour aller plus loin dans la compréhension de ce processus, cinq des dirigeants ont été interviewés plus spécifiquement. La synthèse des entretiens est rendue dans la partie suivante.

3.2. Étude qualitative de cinq cas de PME en déploiement avec la CCIFJ

À la suite de l’enquête par courriel présentée ci-dessus, nous avons approfondi l’étude de cinq PME ayant bénéficié des services d’appui à l’internationalisation de la CCIFJ. Le tableau 5 montre la diversité des secteurs d’activité et souligne la focalisation commerciale motivant l’intérêt des dirigeants pour le Japon. Nous présentons ensuite une rapide histoire des premiers pas de chaque entreprise au Japon.

Tableau 5

Données sur les entreprises analysées

Données sur les entreprises analysées

-> Voir la liste des tableaux

3.2.1. L’entreprise Temps Danse

Temps Danse est une entreprise créée en 1983 par son actuel gérant, Patrick Chipont, avec l’objectif de mettre au point des vêtements féminins adaptés à la danse et au fitness qui puissent également être portés au quotidien. L’entreprise compte 5 salariés. Elle a développé pendant plusieurs années en France un style reconnaissable avant d’attaquer l’export. En 2012, Patrick Chipont prend contact avec la CCIFJ pour trouver des débouchés pour ses créations au Japon. Le service « Appui aux entreprises » lui propose de démarcher des importateurs pour mesurer le potentiel de Temps Danse au Japon et d’organiser, si les résultats de cette étude préliminaire sont encourageants, une série de rendez-vous dans l’Archipel. En février 2013, Patrick Chipont et sa collaboratrice, Gwenaëlle Chabot, se rendent au Japon où ils rencontrent 8 importateurs spécialisés, à Tokyo et à Osaka ; ces rencontres leur permettent de comprendre la structure et la dynamique du marché japonais ainsi que le positionnement des différents acteurs. Trois d’entre eux se montrent particulièrement intéressés par leurs explications et leurs propositions. L’entreprise japonaise Sylvia, un importateur démarché par la CCIFJ puis rencontré à nouveau sur un salon en Italie passe une première commande, se montre satisfait des ventes induites, et décide de repasser commande. Patrick Chipont estime cette collaboration, initiée grâce aux premiers contacts avec la CCIFJ, à fort potentiel de développement. Un importateur situé à Osaka passe également à Temps Danse une belle première commande pour la collection de Printemps 2014. Enfin la société Triall 3, demande également à Temps Danse de lui envoyer quelques produits, pour les tester sur le marché japonais : Triall 3 ouvre un stand au Printemps de Ginza à Tokyo et compte y vendre les produits Temps Danse aux cotés de sa gamme de yoga. Le succès a été au rendez-vous et Triall 3 a très rapidement repassé une commande de réassort.

« Le choix des produits est pour l’instant réduit à 5-6 références, mais ils ont décidé de tester deux nouveaux produits. Ils sont très prudents dans leurs commandes, mais si les ventes sont là, ils augmenteront leur gamme Temps Danse peu à peu. Nous sommes plutôt contents car les prospects qui étaient vraiment intéressés ont finalement passé commande. Nous pensons que si ces premiers tests se passent bien, les commandes devraient augmenter. »

Patrick Chipont, gérant

3.2.2. L’entreprise A2mac1

A2mac1 est le spécialiste français de l’analyse concurrentielle de véhicules motorisés. Créée en 1998, l’entreprise analyse, démonte puis photographie chaque année des milliers de pièces automobiles, avant de compiler ses observations sous forme de base de données. Grâce à cette gigantesque carte mémoire de l’industrie automobile, les grands groupes mondiaux scrutent les réalisations de la concurrence et s’en inspirent pour leurs futures créations. En 2009 A2mac1 s’implante au Japon, sous la forme d’un bureau de représentation domicilié au sein du business center de la CCIFJ. A2mac1 place à la tête de ce bureau un jeune ingénieur en VIE, Benoît Castets, embauché ensuite comme technicien-commercial afin de renforcer les liens historiques d’A2mac1 et d’élargir sa clientèle.

En 2012, Benoît Castets fait appel à la CCIFJ pour l’aider dans ses démarches. Sur la base d’un cahier des charges strictement rédigé, les équipes CCIFJ contactent une trentaine de fournisseurs de composants automobiles japonais pour leur proposer les services d’A2mac1. Elles remettent à Benoît Castets un rapport, précisant quels fournisseurs ont manifesté de l’intérêt pour les outils de benchmarking qu’il propose. Benoît Castets se charge ensuite de relancer les prospects et les invite à le rencontrer. En 6 mois, suite à cette mission, A2mac1 signe deux nouveaux contrats : l’un avec un fabricant de joints et l’autre avec un fabricant de sièges automobiles. Fort de ces succès, la société est passée de 2010 à 2014, de 90 à 150 salariés.

« Les entreprises démarchées par la CCIFJ et avec lesquelles nous n’avons rien signé pour l’instant ne sont pas perdues pour autant. Il faut laisser le temps aux Japonais de comprendre qui nous sommes ; nous disposons maintenant de contacts au sein de ces entreprises que nous allons suivre et revoir sur les salons automobiles. Maintenant nous connaissons bien les acteurs de la filière et leurs interactions, ceci nous évitera des erreurs de positionnement lourdes de conséquences dans une économie codifiée comme l’est l’économie japonaise. »

Benoît Castets, directeur du bureau de Tokyo

3.2.3. L’entreprise TV Paint

TV Paint est un fabricant de logiciels qui a développé un outil de dessin et d’animation dont l’originalité réside dans l’imitation des rendus traditionnels : gouache, aquarelle, crayon… En 2009, l’entreprise se rend pour la première fois au Japon avec la CCIFJ. Cette expérience de terrain est renouvelée en 2010 puis en 2013 et permet à TV Paint de compléter son carnet d’adresses de plusieurs studios d’animation, de créateurs et de célébrités du dessin animé au Japon. Depuis 2009, cette multiplication des contacts à différents niveaux du secteur de l’animation a permis à l’entreprise lorraine de multiplier par 9 son chiffre d’affaires dans l’Archipel.

« Le processus de décision prend du temps au Japon mais il est payant : la plupart de nos clients japonais achètent la nouvelle version de notre logiciel dès sa sortie. Nous avons été très satisfaits par les prestations de la CCIFJ qui nous ont permis d’avoir accès à des entreprises et à des figures clés auxquelles nous n’aurions jamais eu accès par nos propres moyens. La qualité de l’organisation logistique et la connaissance de notre dossier ont été très appréciées. Cette expérience japonaise nous a donné confiance dans nos capacités. Forts de notre expérience en matière de missions de prospections au Japon, nous avons décidé de prospecter au Canada en 2010, fief de nos principaux concurrents, via la chambre de commerce française au Canada. Non seulement la qualité de nos interlocuteurs s’est avérée immédiate (rendez-vous dans le Canada anglophone, planning adapté aux déplacements à effectuer…), mais nous avons également été informés des réactions et des besoins des clients potentiels tous les deux jours dans la quinzaine qui a précédé la mission. Ces informations nous ont permis de faire une évaluation précise du marché avant même d’arriver sur le continent. Enfin, les conseils pré-mission et le débriefing post-mission ont été très pertinents. Cerise sur le gâteau : nous avons pu récupérer plus de cinq fois la somme investie pour ces missions de prospection. »

Fabrice Debarge, responsable des ventes, TV Paint Développement

3.2.4. L’entreprise Melfor

L’entreprise Melfor a mis au point un produit original qui allie vinaigre d’alcool, miel et infusion de plantes. Fin 2012, Philippe Higy, qui dirige l’entité de Melfor chargée du marché allemand, se rend au Japon dans le cadre d’une mission de prospection organisée en partenariat par la CCIFJ et la CCI International Alsace. Jusque-là, Melfor exportait une palette par an de ses produits au Japon, un volume qui ne reflétait pas le potentiel du marché local. La mission organisée avec la CCIFJ leur a permis de rencontrer des importateurs importants, mais aussi des distributeurs influents susceptibles de pousser leurs produits.

« Suite à notre mission au Japon, nous avons eu l’embarras du choix pour sélectionner notre importateur. Nos ventes à l’export constituent un tiers de notre chiffre d’affaires, mais elles nous ont demandé des investissements importants. Dès mon retour à Mulhouse, j’ai repris rapidement contact avec mes prospects ; les entretiens avaient été très positifs, le ciblage réalisé par la CCIFJ m’a permis de rencontrer des importateurs appropriés et qui s’intéressaient réellement à nos produits. L’un d’entre eux nous a immédiatement demandé des échantillons ; il souhaitait que je lui envoie pour 800 euros de marchandises et il était prêt à tout payer, mais il les voulait rapidement. Un intense échange d’emails a débouché sur la commande d’un conteneur entier de produits. Pour nous, cette commande est assez incroyable ; le grand export se résume souvent à de petites quantités ; il est difficile à développer. À présent, nous disposons de nombreux contacts japonais et nous avons pu bénéficier du partage d’expérience avec des Français déjà implantés membres de la CCIFJ. »

Philippe Higy, directeur

3.2.5. L’entreprise Chanteclair

Créée en 1973, la Bonneterie Chanteclair est spécialisée dans la conception et la fabrication de vêtements en maille pour femmes, hommes et enfants et emploie 35 salariés. En 2007, l’entreprise participe à une mission de prospection au Japon avec la CCIFJ. Suite à une série de rencontres à Tokyo, Chanteclair signe un contrat avec le spécialiste de la vente par correspondance, Dinos. L’image de cette société lui permet de se faire connaître au sein de la communauté d’affaires japonaise du secteur et l’entreprise signe en 2011 un second contrat avec les grands magasins Wako. En avril 2012, la direction de Chanteclair s’est rendue une nouvelle fois au Japon dans le cadre d’un programme de rendez-vous organisé par la CCIFJ. Trois des dix-sept prospects rencontrés à cette occasion ont visité le site de production de l’entreprise dans la région de Troyes en 2013 pour rencontrer Jean-Pierre Chanteclair, le président de la société, et discuter de possibles partenariats. Le Japon est un marché clé pour Chanteclair, qui a vu son chiffre d’affaires y progresser de 49 % entre 2010 et 2013. Aujourd’hui, l’entreprise réalise un chiffre d’affaires de 450 000 euros dans l’Archipel, soit le tiers de son chiffre d’affaires global.

« Ce n’est qu’un début, nous croyons très fort au Japon et nous envisageons en ce moment l’ouverture d’un bureau de représentation dans ce pays pour assurer l’interface avec nos clients. La CCIFJ nous aide en nous accompagnant dans cette démarche et en renforçant notre confiance en notre potentiel de développement sur ce marché si difficile à attaquer. La signature d’un contrat avec un importateur japonais a clairement obligé l’entreprise à remonter le niveau de qualité de ses produits, réduisant sur le moment sa marge, mais lui permettant sans conteste l’accès au grand magasin Wako, équivalent haut de gamme du Printemps, et en conséquence la remontée de ses marges. Cette réussite, car nous l’avons perçue comme telle, nous a donné une confiance telle que nous avons décidé de prospecter le marché coréen avec la FKCCI ».

Jean-Pierre Chanteclair, PDG

3.2.6. Synthèse

Le tableau 6 donne une synthèse des résultats obtenus pour chacune des entreprises. Les apports de la CCIFJ s’établissent sur deux types d’indicateurs, d’une part des indicateurs quantitatifs, nombre de contacts qualifiés et nombre de contrats signés (qui permet d’apprécier le degré de qualification des contacts) et d’autre part, l’indicateur qualitatif qu’est la croissance du capital immatériel (connaissance de l’écosystème et intégration dans ses réseaux et connexion avec les acteurs idoines).

Tableau 6

Synthèse des résultats des missions CCIFJ pour les entreprises observées

Synthèse des résultats des missions CCIFJ pour les entreprises observées

-> Voir la liste des tableaux

4. Discussion sur le rôle des CCIFI dans la croissance par l’internationalisation

4.1. Un acteur relais d’introduction dans les réseaux locaux…

Nos deux études complémentaires mettent en lumière le rôle fondamental du dispositif CCIFI dans l’internationalisation des PME. Notre travail montre que le dispositif CCIFI, plus qu’accompagnateur, constitue un point d’appui sur des écosystèmes entiers construisant par son action des ponts interréseaux participant de fait à la croissance des entreprises.

La démarche mise en oeuvre avec les équipes de la CCIFJ apparaît solidement ancrée dans cette logique réticulaire qui a permis aux industriels français de commencer l’édification des deux types de réseaux présentés par Huggins (2010) :

  • Le réseau social avec initiation de rencontres avec différents acteurs de l’écosystème d’affaires japonais idoine (interprètes, analystes locaux, importateurs, juristes, chargés d’affaires, entrepreneurs français implantés…).

  • Le réseau calculatoire orienté plus spécifiquement vers le développement d’affaires au Japon (signatures effectives de contrats de partenariat ou de commercialisation).

Reprenant la terminologie de Laghzaoui (2009), nous situons deux entreprises sur les cinq (Temps Danse et Melflor) dans la phase de prolongation, une d’entre elles dans la phase de pénétration (A2mac1) et deux d’entre elles dans la phase d’intégration (TV Paint et Chanteclair). Acteur majeur de lancement de la phase de prolongation, la CCIFJ a apporté aux dirigeants un support informationnel dans la connaissance des écosystèmes cibles par la fourniture d’études sectorielle, ainsi qu’une mise en place d’un ancrage relationnel avec des contacts qualifiés à différents niveaux de l’écosystème. Pour la phase de pénétration, la CCIFJ a favorisé l’engagement de ressources (mise à disposition de commerciaux en temps partagé et domiciliation) puis l’insertion non seulement dans les réseaux relationnels et calculatoires japonais, mais la construction de points d’appui et de ponts interréseaux dans le maillage mondial des CCIFI, ce qui a posé les fondements de la phase d’intégration.

Si les dirigeants des cas présentés dans cet article ont apprécié les apports de la CCIFJ, c’est surtout, au-delà des résultats économiques, l’inscription de leur action dans les écosystèmes et réseaux d’affaires locaux permettant un engagement robuste et pérenne. Les dirigeants estiment que les prestations d’appui apportées par la CCIFJ permettent, non seulement, de soutenir l’intention d’engagement et d’ouvrir les premières connexions aux réseaux des pays cibles, mais aussi, et cet aspect leur semble fondamental, de créer la confiance transformant l’idée de l’internationalisation en un possible, un réalisable, débouchant sur un réalisé et un engagement de long terme sur une internationalisation pérennisée. L’exemple de la société A2mac1 est à ce titre révélateur : le cadre dirigeant localement la société, depuis deux ans en poste au Japon, ressent quand même le besoin de s’appuyer sur la CCIFJ pour décupler ses ressources afin de consolider son action, positionner ses effets et poursuivre la spirale vertueuse de son développement dans l’archipel nippon.

4.2. … dans une logique de dynamisation entrepreneuriale…

Les cinq dirigeants des entreprises présentées mettent en avant le rôle essentiel de la CCIFJ dans leur envie de pousser leur investigation de marchés étrangers parce que la mission CCIFJ a donné confiance et confirmé l’envie de voir plus loin, d’investiguer davantage.

Ce gain en confiance constitue bien une dimension primordiale des échanges avec la CCIFJ : confiance dans les capacités de leur entreprise qui ouvre alors le champ des possibles aux entrepreneurs dopés par leurs premiers succès comme le montre les témoignages de Fabrice Debarge, responsable des ventes de TV Paint ou encore celui de Jean-Pierre Chanteclair, PDG de l’entreprise éponyme, et qui les oriente définitivement vers une démarche d’internationalisation vécue comme un processus d’exploitation/création d’opportunités nouvelles favorisant de façon essentielle la création de valeur (Shane et Venkataraman, 2000).

Notre étude éclaire la volonté des dirigeants de petites entreprises d’inscrire leur action non seulement dans une logique réticulaire, mais aussi dans une stratégie émergente ou chemin faisant exploratrice. Sans programmation préalable des opérations, les dirigeants interviewés ont su rester ouverts aux propositions de la CCIFJ et prompts à saisir les opportunités, voire à créer des opportunités par une démarche proactive pour construire avec les équipes de la CCIFJ des objectifs possibles d’affaires dans l’archipel nippon. En ce sens, les CCIFI constituent ce que Cavusgil (1994) nomme les stimuli externes qui, bien articulés avec les caractéristiques propres du dirigeant et ses motifs entrepreneuriaux d’internationalisation, permettent à la PME de s’affranchir du processus incrémental et progressif pour procéder à une internationalisation réticulaire plus rapide.

Il nous semble que l’action des CCI françaises à l’étranger active chez le dirigeant la logique entrepreneuriale, quels que soient l’expérience ou l’âge de l’entreprise ou de son dirigeant : expliciter les effets recherchés sur le nouveau marché, orchestrer les moyens de l’entreprise avec ceux de la CCIFI, chaque effet devenant une ressource permettant d’obtenir un nouvel effet. La CCIFI ne va pas présenter au dirigeant un plan d’action détaillé sur des causalités, elle va plutôt clarifier le paysage local, dynamiser les mises en relation, projeter l’entrepreneur dans un processus actif d’apprentissage par l’action et de création de possibles réalisables.

4.3. … et de création de valeur immatérielle

Parmi les 54 dirigeants ayant répondu à l’enquête par courriel, seulement 11 ont créé des emplois dans la suite du développement de leur volant d’affaires avec le Japon. Pour autant, les cinq études longitudinales plus finement analysées montrent que l’internationalisation a fait « grandir » chacune des entreprises : fort peu si l’on considère les seuls indicateurs chiffre d’affaires ou effectif, mais considérablement plus à l’examen des dimensions plus qualitatives, pour autant tout à fait stratégiques, que sont la création de compétences nouvelles, l’amélioration des procédures, l’augmentation du niveau de qualité des produits, l’innovation, l’image de la marque ; ces dimensions provoquant, par effet rebond, un meilleur positionnement sur leur marché national et in fine une réelle création de valeur.

En effet, si l’internationalisation est considérée comme l’un des vecteurs de croissance de l’entreprise, elle n’implique pas nécessairement une croissance calibrée des effectifs ou du chiffre d’affaires. La croissance des PME constitue un phénomène complexe et multiforme qu’il est difficile de ramener à une mesure traduisant la variation positive d’un indicateur donné. Sur cet indicateur, les perceptions diffèrent selon qu’elles soient exprimées par les dirigeants, les pouvoirs publics ou les investisseurs : ainsi l’emploi ou l’effectif salarié est revendiqué d’un point de vue sociétal tandis que les dirigeants s’intéressent au chiffre d’affaires et les investisseurs au profit. Cependant, ces indicateurs ne reflètent qu’une petite partie de la croissance et se révèlent souvent insuffisants dans le cas des PME. Il faut alors aussi qualifier la création de valeur immatérielle telle que la connaissance ou les maillages interorganisationnels qui constituent aussi des paramètres d’appréciation de la croissance. (Boissin, Sauvannet, Deschamp et Geindre, 2009).

Le support opérationnel de la CCIFJ en logistique, fourniture d’espaces de travail et de ressources humaines, apporte bien aux PME à la fois une extension de ressources et une acquisition rapide et chemin faisant du capital immatériel (connaissances et réseau relationnel), levier de la création de valeur et du succès des stratégies de pénétration de marchés étrangers ainsi que l’ont suggéré différents travaux de recherche (Zhou, 2007 ; Shamsuddoha, Ali et Nelson, 2009 ; Yannopoulos, 2010).

Parce qu’il est fondamentalement inscrit dans une logique réticulaire, l’accompagnement par les CCIFI ne constitue pas un énième programme de support à l’internationalisation, mais un réel moteur de croissance qualitative et quantitative pour les PME françaises.

Notre étude confirme les apports des travaux de Catanzaro, Messeghem et Sammut (2012), mais nous pensons que leurs conclusions formulées pour les entreprises à internationalisation précoce et rapide se révèlent tout aussi pertinentes pour les entreprises traditionnelles. Nous pouvons reprendre la proposition de ces auteurs selon laquelle « l’accompagnement au développement de réseaux est donc une manière efficace et complète pour accompagner l’EIRP » (p. 49) mais nous pensons nécessaire de l’élargir pour accompagner non seulement le développement international des EIRP mais celui de toute entreprise et, peut-être même surtout, celui de celles qui ont tardivement intégré la dimension internationale à leur modèle économique.

En termes de politiques publiques, il est important de mieux insérer les CCIFI dans le réseau des prestataires d’accompagnement à l’internationalisation des PME et de clarifier leur positionnement comme support opérationnel et informationnel dans les pays ciblés, en lien avec les multiples prestataires publics nationaux, que ce soit dans le maillage des alliances parapluie orchestrées par les pôles de compétitivité (Colovic, 2013) ou dans les plans régionaux d’internationalisation des entreprises. Bien que de statut privé, les CCIFI doivent être répertoriés comme acteurs relais majeurs non seulement dans l’internationalisation des PME, mais aussi dans le renforcement des actifs intangibles et la création de valeur immatérielle.

4.4. Les limites de l’étude

Bien entendu, notre travail reste exploratoire et, confirmer le rôle des CCIFI dans l’internationalisation des PME et dans leur croissance devra nécessiter une démarche plus systématique, car notre étude présente des limites de différents niveaux :

  • en premier lieu, nous avons étudié un tout petit nombre de cas et limité notre recherche aux témoignages de dirigeants ayant bénéficié de l’accompagnement par une CCIFI et ayant manifesté leur satisfaction sur cet accompagnement ; de fait, il sera nécessaire d’élargir la population en faisant témoigner aussi des dirigeants insatisfaits et des dirigeants ayant porté leur effort à l’internationalisation sans l’accompagnement d’une CCIFI. Ceci permettra d’établir un échantillon de contrôle ;

  • en deuxième lieu, nous sommes restés sur une approche très globale dans la présentation des démarches de constitution des réseaux de chaque entreprise ; il sera nécessaire de mener plusieurs études longitudinales afin de mettre en lumière les ressorts de la constitution du réseau et les points d’articulation avec la CCIFI. Une étude plus approfondie nous permettra de repérer les transformations induites par la mise en relation d’une PME avec un réseau japonais en mobilisant les apports de la sociologie de la traduction (Akrich, Callon et Latour, 2006) positionnant la CCIFI comme un acteur-réseau à même de traduire les positions des différents protagonistes et les amener à accepter la coopération et la constitution du réseau ;

  • enfin notre travail est exclusivement ancré dans le marché japonais que l’on sait particulièrement marqué par les réseaux sociaux et calculatoires (Lecler, 1992) ; il sera nécessaire d’élargir l’analyse à d’autres zones géographiques afin de repérer les invariants culturels des invariants processuels.

Nous poursuivrons alors nos travaux sur l’internationalisation des PME par dynamique réticulaire en introduisant les propositions ci-dessus.

Conclusion

Notre travail s’intéresse à la croissance des PME par l’internationalisation, exportation ou implantation à l’étranger. L’internationalisation relevant essentiellement d’un choix du dirigeant, nous avons analysé la démarche à partir du ressenti des dirigeants de PME. Afin de mieux cerner le propos, nous avons plus finement étudié les cas de cinq PME engagées dans la pénétration du marché japonais et nous avons montré le rôle capital joué par les structures consulaires locales que sont les chambres de commerce françaises à l’international.

Les CCIFI constituent donc un maillon essentiel de la création de valeur par l’internationalisation des PME, non pas tant par les résultats qu’elles permettent d’obtenir, que par la démarche dans laquelle elles intègrent les entrepreneurs : une démarche proactive de création d’opportunités, une démarche combinant ressources propres et externalités, une démarche guidée par une logique réticulaire favorisant la croissance des actifs intangibles. Si la relation entre cette démarche de création de valeur et la croissance de l’entreprise reste à expliciter sur le plan quantitatif, il est certain que la question de la croissance constitue un enjeu de management fondamental propre à modifier en profondeur les réflexions stratégiques et les pratiques managériales.

Le propos de cet article n’est pas ici d’établir une apologie des CCI françaises à l’étranger. Nous avons plutôt voulu montrer comment ces structures consulaires, loin de s’apparenter à des sociétés de conseils, ressemblent davantage à des clubs d’affaires, jouant un rôle capital dans les mises en relations et l’animation des réseaux. Ces structures consulaires se révèlent comme des activateurs d’effectuation des entrepreneurs se projetant sur une zone d’activité nouvelle, méconnue ou peu connue d’eux.

Nos travaux devraient se poursuivre pour offrir un champ d’analyse plus large et plus robuste et une appréciation plus fine des variables d’action pour une meilleure compréhension des parcours internationaux des PME.