Corps de l’article

1. Introduction et problématique

Au fil des ans, la fonction éducative de la littérature de jeunesse a été confirmée à maintes reprises par la recherche. L’émergence de ce champ d’études semble avoir trouvé écho dans les milieux éducatifs, car on note que les programmes d’études de diverses instances ministérielles lui accordent une importance grandissante (Noël-Gaudreault et Le Brun, 2013). Il n’est donc pas surprenant que de plus en plus d’enseignants optent pour ce soutien à l’enseignement qui offre de multiples possibilités pédagogiques dans plusieurs matières scolaires. Or, bien que l’on puisse se réjouir de l’espace grandissant qu’occupe la littérature jeunesse dans les salles de classe, des chercheurs déplorent le fait que l’on n’offre pas suffisamment aux élèves du préscolaire et du primaire l’opportunité de se familiariser avec les divers genres de textes, notamment les textes informatifs (Gagnon et Ziarko, 2011 ; Ness, 2011 ; Pentimonti, Zucker, Justice et Kaderavek, 2010 ; Yopp et Yopp, 2012). En effet, cette situation est préoccupante, puisque les élèves sont appelés à lire des textes informatifs dont la complexité augmente graduellement d’un niveau scolaire à l’autre. De fait, Hall, Sabey et McClellan (2005) soulignent que les élèves qui ne bénéficient pas d’un enseignement précoce du texte informatif voient leurs habiletés de lecture décliner après la 3e année. Alors que les récits, les contes, les fables, les légendes, les romans et les biographies sont généralement considérés comme des textes narratifs, les textes informatifs se distinguent par une présentation organisée et hiérarchisée de l’information. Faisant également partie de la littérature de jeunesse, ils proviennent de différentes sources, comme les magazines, les journaux, les sites Internet ou les livres documentaires (Giasson, 2012).

La nécessité d’exposer les élèves du préscolaire et du primaire à des textes variés a été montrée dans des études récentes (Stead, 2014 ; Yopp et Yopp 2012). Cependant, pour réaliser les activités pédagogiques faisant appel à la littérature de jeunesse, les choix des enseignants se portent davantage vers les oeuvres de fiction, lesquelles se présentent plutôt sous forme de textes narratifs. C’est précisément le cas de l’activité pédagogique qui consiste à faire la lecture aux élèves (Duke, 2000 ; Yopp et Yopp, 2012). L’enseignant qui lit à voix haute, à toute la classe ou à un petit groupe, agit en tant que modèle de lecteur compétent devant ses élèves. Ces périodes de lecture sont des occasions privilégiées pour les exposer aux processus de la lecture et pour démontrer explicitement les stratégies utiles lors de la lecture autonome (Moss, 2003). Mais bien que cette activité soit assez fréquente dans les classes du primaire (Giasson et Saint-Laurent, 1999 ; Jacobs, Morrisson et Swinyard, 2000), si les enseignants choisissent rarement des textes informatifs pour la mettre en oeuvre, les élèves ont peu d’occasions d’être exposés aux processus et aux stratégies qui soutiennent la compréhension des textes informatifs par la lecture que leur fait leur enseignant. Pourtant, des auteurs soutiennent qu’il s’agit là d’un dispositif pédagogique efficace pour soutenir le développement des compétences en lecture propres à la compréhension de ces textes (Dymock et Nicholson, 2010 ; Palmer et Stewart, 2005 ; Stead, 2014).

Bien que la recherche ait mis en évidence que les enseignants optent rarement pour des textes informatifs lors de la lecture aux élèves, peu de chercheurs semblent avoir essayé d’en connaître les raisons. Il s’agit pourtant d’un élément décisif qui a de l’influence sur les habiletés nécessaires à la lecture des textes informatifs. Pour essayer de combler cette lacune, cette étude tente de répondre aux questions suivantes : Pour quels motifs les enseignants favorisent-ils les textes narratifs lorsqu’ils font la lecture aux élèves ? En contrepartie, pour quels motifs délaissent-ils les textes informatifs durant ce type activité ? Quels défis et avantages associent-ils à l’usage de textes informatifs comme soutien à la lecture des élèves ?

2. Contexte théorique

La présente étude s’appuie sur des recherches qui se sont intéressées à la pratique pédagogique qui consiste à faire la lecture à voix haute aux élèves du préscolaire et du primaire. Elle se fonde également sur des recherches qui ont mis en évidence l’importance de choisir des textes informatifs pour cette activité et aussi sur d’autres recherches qui nous informent des avantages qui en découlent. Des écrits portant plus précisément sur la sélection des textes informatifs par les enseignants sont également pris en compte.

2.1 La lecture à voix haute aux élèves du préscolaire et du primaire

Les dispositifs pédagogiques faisant appel à la littérature de jeunesse sont variés, mais celui qui nous intéresse dans la présente étude est la lecture à voix haute que l’enseignant fait aux élèves. Sa valeur pédagogique n’est plus à démontrer. Selon Moss (2003), faire la lecture aux élèves est la pratique éducative la plus souvent recommandée aux enseignants du préscolaire et du primaire pour favoriser la réussite en lecture de leurs élèves. En effet, il s’agit d’une activité d’enseignement qui favorise la sensibilisation des élèves aux différentes caractéristiques du langage écrit (Garton et Pratt, 2004), leur acquisition du vocabulaire (Elley, 1989) et le développement de leurs habiletés de compréhension en lecture (Rosenhouse, Feitelson, Kita et Goldstein, 1997). Par cette stratégie d’enseignement, il est possible de guider les élèves dans leur exploration de divers genres de textes tout en les amenant à découvrir les différences entre les éléments propres à chacun de ces genres (Beck et McKeown, 2001). En faisant la lecture à voix haute, les enseignants sachant tirer profit de cette activité instaurent un climat positif entourant la lecture et suscitent des interactions qui amènent les élèves à réfléchir aux conventions de la langue qui se retrouvent dans les textes (Pellegrini et Galda, 2003).

Cependant, les enseignants semblent avoir une préférence marquée pour les textes narratifs lorsque vient le moment de faire la lecture aux élèves (Duke, 2003 ; Ness, 2011 ; Richgels, 2002 ; Yopp et Yopp, 2006). Mais comme le montrent les recherches qui suivent, il y aurait lieu de considérer également les textes informatifs, car ils possèdent des propriétés qui les distinguent des textes narratifs et ils offrent des opportunités d’apprentissage pouvant être profitables aux élèves du préscolaire et du primaire.

2.2 L’importance de lire des textes informatifs aux élèves

Les textes informatifs visent à fournir au lecteur des informations précises et objectives sur des thèmes variés (Hammett Price, van Kleeck et Huberty, 2009). Si les animaux ont longtemps constitué le principal sujet des textes informatifs en littérature de jeunesse, la nature, la géographie, l’histoire, le corps humain, les sciences et les technologies ne sont maintenant plus en reste (Armand, 2004). Il en va de même pour les arts, la philosophie ou la citoyenneté, ce qui fait dire à Ballanger (2008, p. 18) qu’il n’y a plus guère de sujets interdits ou inaccessibles aux jeunes lecteurs. Sous forme d’abécédaire, d’imagier, d’album, de dictionnaire illustré, d’encyclopédie ou de livre documentaire proprement dit, le contenu informatif est livré sous forme d’exposé didactique, de pseudo-narration, de questions-réponses ou d’activités à réaliser (Armand, 2004). Ils peuvent également prendre la forme d’un texte explicatif ou d’un texte argumentatif (Ballanger, 2008). Bref, les textes informatifs se présentent selon différentes formes et différentes structures. Meyer (1985) identifie cinq structures qui se retrouvent généralement dans les textes informatifs en littérature de jeunesse : la structure descriptive, la structure séquentielle, la structure comparative, la structure de cause à effet, et enfin, la structure énonçant un problème suivi d’une solution. Par ailleurs, pour Bautier, Crinon, Delarue-Breton et Marin (2012), les textes informatifs contemporains se présentent comme des textes composites pouvant être élaborés selon des structures encore plus diversifiées et complexes que celles qui sont identifiées par Meyer. À l’instar des hypertextes électroniques, la structure des textes informatifs est possiblement fragmentée, composée d’atomes d’information, accessibles autant par des éléments visuels (par exemple : des photos, des illustrations, des schémas) que par des textes. Ces informations sont reliées en réseau plus ou moins explicite qui n’impose pas au lecteur une lecture linéaire, mais qui l’invite plutôt à déterminer son propre parcours de lecture. Comme le soulignent Bautier et al. (2012), les exigences cognitives qu’imposent ces textes composites sont d’autant plus grandes que le lecteur doit réguler davantage sa lecture tout en évitant d’être désorienté par les divers parcours de lecture qui s’offrent à lui.

Une telle régulation semble aussi nécessaire chez l’élève qui fait la lecture de textes informatifs sur support numérique. Aussi, comme le font remarquer Lebrun, Lacelle et Boutin (2012), la lecture multimodale, qui intègre l’image, le texte, le son ou tout autre mode de représentation, nécessite des habiletés en littératie médiatique chez le lecteur. Entre autres, on peut souligner l’habileté à décrypter la relation texte-image, un élément commun à bon nombre de textes informatifs, tant dans leur forme classique que dans leur forme numérique. Cette caractéristique du texte informatif sollicite, chez le lecteur, la faculté de déchiffrer, de comprendre et d’interpréter des images qui entretiennent une relation avec le texte (Lebrun, 2012). Cependant, d’après Vandendorpe (2012, p. 25), l’école fait traditionnellement très peu de place à l’image. Il y aurait pourtant lieu d’apprendre à décoder les images, notamment l’image photographique dans l’utilisation qui en est faite dans l’information […]. À cet effet, Lebrun nous rappelle qu’il existe plusieurs taxonomies qui décrivent les types de relations texte-image. Pour illustrer ses propos, elle en présente plusieurs, dont celle de Marsh et White (2003) :

Marsh et White (2003) ont élaboré une typologie qui parle de trois types de relations texte-image. La relation texte-image est étroite lorsque l’un répète le contenu (concrétise, décrit), organise ou synthétise des éléments de l’autre. Elle est dite lâche lorsque l’image est là simplement pour décorer, susciter l’émotion. Enfin, la relation va au-delà de la simple compréhension en parallèle de l’image et du texte, si l’image aide à interpréter le texte

Lebrun, 2012, p. 145

Ainsi, la nécessité, pour les élèves, de développer très tôt leur compétence à lire des textes informatifs se fonde sur plusieurs facteurs. Par exemple, dans les matières scolaires telles que les sciences et les technologies, les mathématiques ou les sciences sociales, ils doivent parvenir à lire des textes informatifs dont la complexité augmente graduellement d’un niveau scolaire à l’autre (Leach, Scarborough et Rescorla, 2003). Dans les livres auxquels ils ont accès, les illustrations cèdent la place aux textes écrits qui deviennent plus longs, plus complexes et plus denses. Peu à peu, ils se retrouvent dans des conditions où ils doivent faire ces lectures de façon autonome dans le cadre des devoirs ou des leçons (Ruddell, 2012). Venezky (2000) a montré qu’à partir de la sixième année scolaire, 75 % des textes que les élèves ont à lire à l’école sont des textes informatifs. La compréhension de ces textes peut donc s’avérer déterminante pour leur réussite scolaire dans différents domaines d’étude. Selon Venezky, également, pour vaquer à leurs activités quotidiennes, les textes informatifs sont parmi ceux que les adultes ont à lire le plus souvent. Par ailleurs, étant donné que les élèves sont encouragés à parfaire leurs compétences relatives à l’usage de la technologie de l’information, il faut considérer qu’environ 95 % des sites Internet auxquels ils accèdent présentent des textes informatifs qu’ils doivent être en mesure de comprendre (Kamil et Lane, 1998).

Pour de telles raisons, il importe de préparer adéquatement les élèves à faire face aux exigences liées à la compréhension des textes informatifs. Pour favoriser leur succès, il est impératif de les exposer à ces textes bien avant qu’ils aient à en faire une lecture autonome (Chall, Jacobs et Baldwin, 1990).

2.3 Les avantages que procure l’exposition aux textes informatifs

Selon Ness (2011), les textes informatifs permettent aux élèves de se familiariser avec un vocabulaire spécialisé et avec un langage spécifique aux sujets traités. Ils leur permettent également d’acquérir des connaissances variées, nécessaires à leur compréhension de l’univers physique et social. Par ailleurs, comme les textes informatifs se présentent selon une variété de structures (pour une description détaillée, voir Donovan et Smolkin, 2002), les élèves qui y sont exposés peuvent se familiariser avec les divers éléments linguistiques qui s’y retrouvent. En outre, comme le soutiennent plusieurs auteurs (Dreher, 2003 ; Kraemer, McCabe et Sinatra, 2012), bon nombre d’élèves ont un intérêt plus marqué pour les textes informatifs que pour les textes narratifs. Il semble impératif de tenir compte de ce facteur qui peut soutenir la motivation pour la lecture.

Pour leur part, Smolkin et Donovan (2001) ont comparé des sessions de lecture aux élèves alors qu’une enseignante faisait la lecture de textes informatifs ou la lecture de textes narratifs. Ils ont noté que la lecture des textes informatifs a suscité un nombre plus élevé de commentaires liés à la compréhension des élèves que n’a su le faire la lecture des textes narratifs. Les auteurs attribuent cette différence au fait que les textes informatifs exigent davantage d’effort de recherche de sens de la part des élèves, suscitant ainsi des habiletés de la pensée de plus haut niveau. Ils soutiennent aussi que, lorsque des textes informatifs sont lus par l’enseignante, les élèves, même ceux qui ne savent pas encore lire, se familiarisent avec une variété de principes linguistiques menant vers la compréhension de l’écrit.

L’étude de Gill (2009) apporte des éléments importants mettant en évidence que les textes informatifs nécessitent des stratégies de lecture différentes de celles qui sont couramment montrées par les enseignants lors de la lecture de textes narratifs. Par exemple, contrairement au texte narratif, la lecture du texte informatif n’exige pas toujours une lecture linéaire ; elle invite plutôt le lecteur à une exploration du texte non nécessairement séquentielle. L’enseignant peut montrer cet aspect particulier en attirant l’attention des élèves sur les illustrations, les diagrammes, les sous-titres ou d’autres éléments du texte, tout en modélisant, en contexte, les stratégies qui soutiennent la compréhension, telles que déterminer son intention de lecture, activer ses connaissances antérieures, analyser la structure du texte, se questionner avant, pendant et après la lecture, se faire des images mentales, faire des inférences et résumer l’information en lisant (Dymock et Nicholson, 2010). Bien que des stratégies analogues soient nécessaires lors de la lecture de textes narratifs, il n’en demeure pas moins qu’il existe des différences dans le traitement de l’information que proposent ces différents genres de textes (Graesser et Goodman, 1985). Par ailleurs, selon Richgels (2002), en choisissant les textes qu’il lira à voix haute aux élèves, l’enseignant peut choisir un texte informatif et un texte narratif traitant du même sujet afin d’amener les élèves à distinguer les éléments factuels et avérés de ceux qui sont fictifs ou imaginaires qui s’y trouvent. On peut toutefois se demander s’il s’agit d’un facteur dont les enseignants tiennent compte lorsque vient le moment de sélectionner les textes lus aux élèves.

2.4 La sélection des textes informatifs pour la lecture aux élèves

Bien que l’importance d’exposer les jeunes élèves aux textes informatifs ait été montrée, les enseignants auraient tout de même une préférence marquée pour les textes narratifs comme soutien à la lecture aux élèves (Duke, 2003 ; Ness, 2011 ; Richgels, 2002 ; Yopp et Yopp, 2006). Ce choix implicite, selon les auteurs cités, s’expliquerait peut-être par le fait que certains enseignants ne se sentiraient pas à l’aise d’aborder avec leurs élèves les diverses structures des textes informatifs. De plus, ils pourraient penser que les textes informatifs sont trop complexes pour de jeunes élèves ou que ces derniers les considèrent comme ennuyants, ce qui a pourtant été démontré comme une croyance non fondée (Kraemer et al., 2012). D’autres enseignants pourraient penser que les textes informatifs peuvent difficilement être lus à voix haute d’une façon dynamique ou motivante (Young et Moss, 2006 ; Palmer et Stewart, 2005). Ces quelques suppositions doivent toutefois être étudiées davantage.

D’autre part, la prise de conscience des chercheurs en ce qui concerne l’importance d’exposer les élèves aux textes informatifs à un jeune âge semble coïncider avec l’expansion de l’offre de textes informatifs sur le marché de la littérature de jeunesse (Gill, 2009 ; Moss, 2003). Toutefois, il semble qu’à l’heure actuelle les enseignants soient bien peu informés des divers facteurs à prendre en compte pour sélectionner des textes informatifs susceptibles de rehausser leur enseignement (Burka, 2012 ; Donovan et Smolkin, 2002). À cet égard, Atkinson, Matuswvich et Huber (2009) soutiennent que deux critères semblent guider les enseignants dans leur sélection des livres lus aux élèves : la disponibilité des livres qui se retrouvent à la bibliothèque scolaire et les recommandations qui peuvent être lues sur les jaquettes de livres.

Il existe pourtant des guides développés dans le but d’orienter les enseignants dans leurs choix de textes informatifs. Burka (2012) en a inventorié plusieurs dans le but d’en évaluer la pertinence. Elle a constaté que, en général, ces guides proposent de nombreux critères permettant de juger de l’exactitude de l’information présentée dans les textes. Toutefois, selon l’auteure, bien que ces critères soient valides, d’autres éléments doivent être pris en considération pour que les enseignants puissent faire des choix éclairés en ce qui concerne les textes informatifs. Dans ce sens, Smolkin et Donovan (2001) soutiennent que, en plus des critères de qualité qui doivent être considérés, pour faire des choix judicieux, les enseignants doivent aussi avoir à l’esprit leurs objectifs d’enseignement. Ils doivent tenir compte de la complexité des livres, tout comme ils doivent s’assurer qu’ils soient à la portée de leurs élèves. Par exemple, il leur faut se demander si les livres choisis permettront aux élèves de faire des liens avec leurs expériences personnelles, s’ils sont susceptibles de capter leur intérêt et s’ils se rapprochent de leur niveau de compréhension. Enfin, selon Atkinson et al. (2009), il importe aussi que les textes informatifs lus aux élèves puissent encourager leur curiosité et leur esprit de découverte en leur proposant de nombreuses occasions de questionnement.

À ce jour, des auteurs ont mis en évidence la nécessité d’exposer davantage les élèves du préscolaire et du primaire aux textes informatifs (Duke, 2000 ; Moss, 2004 ; Ness, 2011 ; Ruddell, 2012). D’autres auteurs ont développé des modèles pour guider les pratiques d’enseignement faisant usage de ces textes (Dymock et Nicholson, 2010 ; Palmer et Stewart, 2005 ; Stead, 2014) ou des critères pour juger de leur qualité (Atkinson et al., 2009). Cependant, les facteurs qui orientent les choix des enseignants lors de la sélection des textes lus aux élèves, de même que leurs conceptions des défis ou des avantages associés à l’usage des textes informatifs comme soutien à cette activité semblent être peu étudiés. Par la présente étude, nous voulons explorer ce sujet en interrogeant des enseignants du préscolaire et du primaire qui ont instauré la lecture aux élèves dans leurs pratiques pédagogiques régulières.

3. Méthodologie

Cette étude s’insère dans un programme de recherche d’envergure portant sur diverses perspectives concernant les usages des textes informatifs dans les classes du préscolaire et du primaire. Seuls les éléments qui se rapportent au présent volet sont rapportés dans cet article.

3.1 Sujets

Le recrutement des participants s’est effectué par l’entremise de 29 directions d’école qui ont accepté de transmettre aux enseignants du préscolaire et du primaire (de la maternelle à la 3e année) une invitation à participer à la recherche. Dans la semaine qui a suivi notre demande, 22 enseignantes ont manifesté par courriel leur intérêt à y prendre part. Notre échantillon s’est donc constitué sur la base d’une participation volontaire. Cet échantillon est composé de 11 enseignantes qui oeuvrent dans des classes préscolaires et de 11 autres enseignantes qui oeuvrent dans des classes du primaire (1re à 3e année). Elles possèdent de deux à 28 années d’expérience (m = 13,61) dans le domaine de l’enseignement, dont quelques mois à 15 années (m = 3,38) dans une classe du niveau scolaire où elles se trouvent actuellement. En ce qui concerne leur formation, puisque, dans les écoles concernées, l’exigence d’embauche pour enseigner dans les classes du préscolaire ou du primaire est le baccalauréat en éducation, nous tenons pour acquis que, pour le moins, elles ont toutes complété ce niveau d’étude.

3.2 Instrumentation

La collecte des données a été faite au moyen d’un questionnaire et d’une entrevue individuelle semi-dirigée. En plus des données démographiques usuelles, le questionnaire, comptant huit questions, a permis de recueillir des informations sur les pratiques de lecture à voix haute des enseignantes, notamment la fréquence de cette activité. Nous leur avons également demandé de lister les titres de tous les livres (ou textes) lus aux élèves au cours des cinq derniers jours d’école, en indiquant aussi les auteurs de ces écrits.

Les entrevues individuelles semi-dirigées ont porté sur des facteurs influençant la sélection des textes que les enseignantes lisent aux élèves. Le protocole d’entrevue, développé à partir de la recherche sur le sujet, comportait des questions exploratoires (par exemple : En général, quel type de texte lisez-vous le plus souvent à voix haute à vos élèves ?), des questions analytiques (par exemple : Quelles sont les raisons pour lesquelles vous leur lisez le plus souvent ce type de texte ?) et des questions d’opinion (par exemple : D’après vous, quels sont les défis qui pourraient se poser pour les élèves lorsque vous leur lisez des textes informatifs ?).

3.3 Déroulement

À la suite de la réception du courriel signalant l’intérêt à participer à la recherche, une rencontre entre la participante et la chercheuse a eu lieu afin de fournir tous les détails concernant les étapes de la recherche, d’établir un calendrier pour l’ensemble de la collecte des données et de transmettre les informations concernant la déontologie. Le questionnaire était alors remis à l’enseignante pour qu’elle puisse le remplir et le remettre au début de la prochaine rencontre prévue (séances d’observation en classe qui ne sont pas rapportées dans cet article).

L’entrevue constituait la dernière étape de la recherche. De 30 à 45 minutes, elle a été menée par la chercheuse. Avant l’entrevue, le protocole était lu conjointement afin de faire connaître les questions à l’avance et de s’assurer de leur clarté. Pendant l’entrevue, l’enseignante avait à sa disposition une copie écrite des questions. L’entrevue a été enregistrée sur support audionumérique et retranscrite intégralement par une assistante de recherche expérimentée dans la réalisation de cette tâche. Par la suite, le verbatim de l’entrevue a été transmis par courriel à l’enseignante pour qu’elle puisse corroborer ses propos. Cette étape a été réalisée pour favoriser l’authenticité et la crédibilité de nos résultats, deux critères de scientificité importants selon Corbière et Larivière (2014). Il faut noter que toutes les participantes ont confirmé l’exactitude des propos transcrits dans le verbatim de leur entrevue.

3.4 Méthode d’analyse des résultats

Les données obtenues par le questionnaire ont été traitées statistiquement en calculant des fréquences ou des moyennes. En ce qui a trait aux titres des textes lus aux élèves dans les cinq derniers jours d’école, chacun a fait l’objet d’une recherche sur Internet pour trouver l’information nécessaire permettant de le classer comme un texte narratif ou un texte informatif, selon des critères de classement établis par Lukens, Smith et Miller Coffel (2013). Ainsi, parmi les textes informatifs, nous avons inclus ceux dont l’objectif est de présenter une information basée sur des faits exacts et vérifiables et qui reposent sur une documentation pouvant être attestée par d’autres sources. Ces textes, qui visent à informer ou à persuader, se distinguent des textes qui sont ancrés dans la fiction ou dans l’imaginaire. Nous avons également tenu compte de la structure des textes afin de déterminer s’il s’agissait de textes informatifs, par exemple, la structure descriptive, séquentielle, comparative, de cause à effet ou l’énonciation d’un problème suivi d’une solution. Les textes présentant une combinaison de ces structures ont également été classés comme faisant partie des textes informatifs.

Les entrevues ont fait l’objet d’une analyse de contenu à l’aide d’une grille de codage comprenant des catégories prédéterminées à partir des thèmes de la collecte des données : les motifs évoqués pour lire plus souvent des textes narratifs ou des textes informatifs, les motifs évoqués pour délaisser les textes informatifs lors de la lecture aux élèves et les conceptions des défis et des avantages que pose la lecture de textes informatifs aux élèves. Nous avons suivi les démarches proposées par Miles et Huberman (2003) pour l’analyse des transcriptions : 1) sélection des données pertinentes ; 2) identification ; 3) classement et 4) regroupement des unités de sens selon les thèmes mentionnés précédemment. L’ensemble des entrevues a été analysé par la chercheuse, alors que l’assistante de recherche, après avoir pris connaissance des éléments de la grille de codage à l’aide de multiples exemples, a procédé à l’analyse de cinq entrevues. Selon les principes de l’analyse qualitative soutenus par Mukamurera, Lacourse et Couturier (2006, p. 127), cette double analyse favorise la triangulation des données et amène le chercheur à […] confronter les significations dégagées. Comme ce processus peut être long et exigeant, on pourrait se limiter à un échantillon du corpus plutôt qu’à l’ensemble du matériel recueilli En tenant compte du nombre d’unités de sens qui avait été classées dans les mêmes catégories par la chercheuse et par l’assistante de recherche, un accord interjuge supérieur à 80 % a été obtenu pour chacune des cinq entrevues.

3.5 Considérations éthiques

Des certificats d’approbation éthique ont été obtenus auprès du comité d’éthique de la recherche de l’université de rattachement de la chercheuse et auprès des trois conseils scolaires responsables des écoles où enseignent les participantes. Lors de la rencontre initiale, chaque participante a été informée des étapes de la recherche et de la nécessité de signer un formulaire de consentement, de manière libre et éclairée, pour chaque activité de collecte de données et pour permettre la publication des résultats. Ces formulaires ont été signés et remis à la chercheuse aux moments prévus. Avant d’entreprendre la transcription mot à mot des entrevues, l’assistante de recherche a signé un formulaire de confidentialité. Les questionnaires ont été identifiés par des codes numériques. Pour les entrevues, des pseudonymes ont été attribués aux participantes afin d’assurer leur anonymat. Chaque participante a reçu le verbatim de son entrevue ainsi qu’un résumé des résultats de la recherche.

4. Résultats

Nous présentons en premier lieu des informations provenant du questionnaire, car elles apportent des éléments contextuels pour situer l’étude. Par la suite viennent les propos recueillis lors des entrevues auprès des enseignantes.

4.1 Données statistiques

Le questionnaire a permis de vérifier que la lecture à voix haute aux élèves est une activité pédagogique régulièrement mise en pratique par les enseignantes. Trois des 22 enseignantes (13,6 %) ont indiqué qu’elles font la lecture aux élèves plus d’une fois par jour, alors que dix autres (45,5 %) le font chaque jour. Pour sept enseignantes (31,8 %), cette activité a lieu quelques fois par semaine et, pour deux autres enseignantes (9,1 %), elle a lieu une fois par semaine. Aucune répondante n’a indiqué qu’elle faisait la lecture aux élèves moins d’une fois par semaine ou jamais.

Les participantes ont fourni la liste des livres (ou des textes) qu’elles ont lus aux élèves au cours des cinq derniers jours d’école. Cette période rétroactive nous semble suffisante pour recueillir un ensemble de titres représentatif de la variété des textes qui sont habituellement lus à voix haute par les enseignantes. Dans l’ensemble, elles ont indiqué 194 titres. Nous avons déterminé que 174 (89,7 %) de ces textes étaient des textes narratifs, alors que 17 (8,8 %) étaient des textes informatifs. La liste de ces titres est présentée à l’annexe 1. Pour trois titres (1,5 %), il n’a pas été possible de faire ce classement avec certitude, car les informations que nous avons repérées sur Internet ne permettaient pas de déterminer s’il s’agissait de textes narratifs de fiction ou informatifs.

À la lumière de ces informations contextuelles, nous présentons maintenant les résultats des entrevues en fonction des thèmes qui sont en lien avec les questions de la recherche. Chacun de ces thèmes est explicité à partir des propos recueillis auprès des participantes. Un tableau, présenté à l’annexe 2, résume ces informations.

4.2 Les motifs évoqués pour lire plus souvent des textes narratifs ou des textes informatifs

La majorité des enseignantes consultées ont affirmé qu’elles choisissaient plus souvent des textes narratifs pour lire aux élèves. En évoquant les motifs qui justifient ce choix, elles établissent parfois des comparaisons avec les textes informatifs. Par exemple, selon plusieurs enseignantes, l’intérêt des élèves serait plus marqué pour les textes narratifs que pour les textes informatifs. Comme l’explique Fariza : Je lis plus souvent des textes narratifs, parce que les enfants aiment beaucoup entendre des histoires, ce que n’offre pas le texte informatif. Quant à Armande, elle affirme : Les contes, c’est ce qui accroche plus les élèves ; pas comme les livres informatifs. D’ailleurs, pour soutenir cet intérêt, plusieurs enseignantes n’hésitent pas à faire de l’animation théâtrale ou à profiter de l’aspect ludique qu’elles retrouvent dans les textes narratifs. Jeanine considère l’importance de donner vie aux textes narratifs qu’elle lit aux élèves : J’aime beaucoup les jeux de rôles. Je choisis plus souvent les textes narratifs, car je peux changer ma voix, dépendamment des personnages. Je trouve que je capte vraiment l’attention des élèves comme ça ; mais pas avec le texte informatif.

Des enseignantes ont exprimé qu’elles choisissaient plus souvent les textes narratifs afin de répondre aux exigences du curriculum scolaire. Lydia précise : En 3e année, le récit, c’est le gros morceau. On passe plusieurs mois à étudier le cadre du récit, alors c’est sûr qu’on va chercher des récits pour pouvoir les amener à en écrire puis en reconnaître la structure. C’est un motif que partage Linda qui enseigne au Jardin (en maternelle). Elle précise son choix en soulignant : J’aime bien les questions que je peux leur poser avec le texte narratif. Ça leur fait voir un p’tit peu le schéma de récit parce que je sais ce qui s’en vient pour eux quand ils seront en 1re année.

L’intérêt personnel pour les textes narratifs est un motif qui semble porter certaines enseignantes à opter pour ces textes pour la lecture aux élèves. Maria dit que, pour elle, c’est un facteur déterminant : Je pense que je choisis surtout selon mon intérêt. Comme j’aime raconter des histoires, c’est le choix qui m’interpelle. C’est tellement plus facile pour moi de me diriger vers des textes narratifs ! Ça s’impose naturellement.

Selon plusieurs enseignantes, il y aurait une plus grande disponibilité de textes narratifs à leur portée, ce qui fait en sorte qu’ils se retrouvent facilement dans leurs choix de lecture aux élèves. Pour Nicole, c’est un facteur évident : Les textes narratifs sont partout ! C’est ce que j’ai le plus dans ma classe. Les textes informatifs, je ne pense pas que j’en aie… Par ailleurs, certaines enseignantes choisissent de lire des textes narratifs qui, selon elles, favorisent le goût de lire, ce qui semble très important pour Nicole qui ajoute : Je suis en 1re année et je veux tellement qu’ils découvrent le plaisir de lire. C’est pas qu’on n’aime pas les livres instructifs, mais c’est bien plus les histoires qui vont leur montrer ça. Pour Alicia, les textes narratifs offrent également des occasions aux élèves de développer leur culture littéraire :

Les textes narratifs, ils permettent aux élèves de découvrir des nouveaux styles de lecture, de nouveaux auteurs, des collections. Par exemple, il y a eu la fièvre des Geronimo Stilton dans la classe. Quand on est allé au Salon du livre, ils en ont tous acheté. Je trouve que ça présente aux élèves une autre perspective de leur lire des histoires différentes. Et ça les aide aussi à choisir leurs livres à la bibliothèque, et pour leur lecture autonome par la suite.

D’autre part, certaines enseignantes choisissent plus souvent de lire des textes narratifs aux élèves, car elles les associent au plaisir et à la détente que procure la lecture. Pour Isabel, la lecture d’un texte narratif aux élèves est synonyme d’un moment de détente qui est apprécié par les élèves :

Lorsque je lis des livres aux élèves, ce sont souvent des histoires drôles. Ils aiment rire. C’est un moment de détente. Ils trouvent ça drôle que Madame se permette de faire des p’tites folies (rire). J’essaie aussi de choisir des livres qu’ils ont déjà lus, parce que je pense que c’est important de leur faire comprendre qu’on peut lire des livres souvent. Quand je choisis les livres, c’est justement pour donner cet effet de détente. Les enfants lisent beaucoup dans une journée, mais c’est rarement pour se détendre ; c’est pour le travail. Il faut apprendre à lire comme passe-temps.

D’autres enseignantes optent pour les textes narratifs qui, selon elles, proposent des thèmes en lien avec le vécu des élèves. Comme l’indique Vicky : Ces histoires sont créées à partir du vécu des élèves. Les auteurs écrivent souvent des histoires qui vont chercher un lien affectif chez l’enfant. Enfin, la présence des illustrations est aussi un facteur qui incite des enseignantes à opter pour des textes narratifs lors de la lecture aux élèves. Pour Denise, ce facteur est important : Je choisis les textes narratifs parce que ce sont de belles histoires qui sont bien illustrées. C’est ce qui attire les enfants. On ne trouve pas ça dans les autres livres.

Parmi les 22 enseignantes interrogées, Muriel, qui enseigne en 1re année, est la seule à affirmer qu’elle choisit plus souvent les textes informatifs pour faire la lecture à voix haute pour ses élèves. La raison qui oriente son choix est la nécessité de répondre aux exigences du curriculum scolaire. Comme elle le mentionne : Je choisis mes livres en fonction des sciences et technologies et les études sociales. Je regarde les contenus et ça me guide pour trouver des textes informatifs.

4.3 Les motifs évoqués pour délaisser les textes informatifs

Lorsqu’on demande aux enseignantes de préciser pourquoi elles n’optent pas plus souvent pour des textes informatifs comme soutien à la lecture aux élèves, il arrive que certaines réponses reflètent simplement la contrepartie des motifs évoqués précédemment pour justifier la préférence pour les textes narratifs. Ces comparaisons soulignent surtout ce que, selon elles, les textes informatifs n’offrent pas. Par exemple, Maude et Lucia réitèrent que les textes informatifs sont moins disponibles en affirmant qu’il est difficile d’en trouver qui soient de bonne qualité. Selon Maude, avec les textes informatifs, il est aussi plus difficile de faire des liens avec le vécu des élèves, car ces textes susciteraient moins leurs émotions. Quant à Alicia et Vicky, elles délaissent les textes informatifs, car elles considèrent qu’il est difficile d’en faire une lecture expressive. Pour sa part, Fernande affirme : C’est bien difficile pour moi de mettre de l’expression et de retenir l’intérêt de mes élèves si je lis un texte informatif qui parle des choses vraies, par exemple. On n’est plus dans l’imaginaire avec ça !

D’autres arguments sont également soutenus par les enseignantes pour expliquer pourquoi elles délaissent les textes informatifs comme soutien à la lecture aux élèves. Chloé explique que la complexité des textes informatifs fait en sorte qu’elle évite de les lire à voix haute aux élèves. De plus, elle déplore le fait que des textes informatifs désuets ne conviennent pas aux élèves, car justement, ils présenteraient des informations trop complexes. Elle explique :

Si on met la main sur un livre, mais qu’il n’est pas écrit pour le niveau des élèves et qu’il contient des informations que je devrai leur expliquer, je ne vais pas le choisir parce que ça va les mêler. Ce qui arrive aussi, c’est que les vieux livres, ils avaient souvent des concepts scientifiques ou mathématiques trop avancés pour la réelle compréhension des enfants. C’est ce qui fait qu’il faut vraiment avoir des livres informatifs récents. Sans ça, ça ne vaut pas la peine. Si on a une bibliothèque d’école qui est très très très fournie, ça va. Mais souvent, c’est des vieux livres qui ne sont pas pertinents à présenter.

Un autre argument pour lequel certaines enseignantes délaissent les textes informatifs est qu’elles ont l’impression que les enfants les associent au travail scolaire. Les propos d’Annette mettent en évidence cette association : Le texte informatif exige plus d’attention de la part de l’enfant. C’est pas du jeu. Quand c’est un texte informatif, ils savent qu’il va y avoir un travail à faire après. C’est pas une lecture de fin de journée ! Par ailleurs, certaines enseignantes associent les textes informatifs à l’étude de concepts précis dans diverses matières scolaires. Par exemple, Yolande explique qu’elle lit à ses élèves une série de livrets qui accompagne son programme de mathématiques. Quant à Jacqueline, elle dit : Je vais lire des textes informatifs en avril, quand ce sera au programme en français. Mais j’en lis aussi pour les sciences, le cycle de l’eau et tout cela.

4.4 Les défis que posent les textes informatifs lus aux élèves

La majorité des enseignantes interrogées choisissent rarement les textes informatifs lorsqu’elles font la lecture aux élèves. Néanmoins, lorsqu’on leur demande d’envisager les défis que ce choix pourrait poser aux élèves, elles expriment plusieurs opinions. Les défis associés au manque de vocabulaire constituent le facteur qui est énoncé le plus souvent. Lucia s’exprime en ce sens : La lourdeur du texte ou bien les mots longs comme ça n’a pas de bon sens pourraient faire en sorte qu’il y ait un bris de compréhension. Jeanine ajoute à cela que : S’il faut toujours s’arrêter pour expliquer des nouveaux mots, ils ne vont pas comprendre ce qu’on essaye de lire. Pour certaines enseignantes, les défis associés au vocabulaire seraient liés au fait que, pour une part importante de la clientèle scolaire qui se retrouve dans leur classe, le français n’est pas la langue première. Comme le note Fariza : J’ai une petite élève anglophone qui apprend à parler français. Même si elle avait des connaissances antérieures, il lui manquerait beaucoup de vocabulaire. À cela, s’ajoute la présence des élèves allophones dans les classes. À cet égard, Isabel explique : Ici, dans notre communauté, c’est pas juste l’anglais qui prime, mais c’est aussi l’arabe, parce qu’on a beaucoup de familles libanaises dans le quartier. Comme les textes informatifs ont des mots difficiles, c’est bien sûr qu’ils ne les connaissent pas.

Selon quelques enseignantes, d’autres lacunes présentes chez les élèves apportent aussi des défis faisant en sorte qu’elles ne leur lisent pas souvent des textes informatifs. Leur manque de connaissances antérieures serait l’une de ces limites qui influencent leur choix. Selon Lydia : C’est important de choisir des livres en lien avec les sujets étudiés en classe. Il faut qu’il y ait un contexte autour. Pour les livres informatifs, il est essentiel de construire ce contexte pour que ça marche. Pour d’autres enseignantes, c’est le manque d’expérience avec l’écrit des élèves qui pose un défi. Selon Isabel : Des enfants à qui on ne lit jamais, c’est certain qu’ils vont être bloqués quelque part lorsqu’on va leur lire des textes informatifs à l’école. Les élèves qui lisent, on peut voir qu’ils comprennent tout ! Le manque d’intérêt pour les sujets abordés dans les textes informatifs est aussi mentionné par quelques enseignantes, dont Jacqueline, qui précise : Si on parle de quelque chose qui les intéresse pas du tout, y’en a peut-être qui vont être sur la lune, sûrement. Quant à Jeanine, elle souligne que les intérêts diffèrent selon le sexe des élèves, ce qui pose problème : C’est difficile de trouver des textes informatifs pour intéresser les filles et les garçons. Y’a des p’tites filles que les sauterelles, ça les intéresse pas, mais les p’tits garçons, ils aiment toujours ça, les insectes.

Certaines enseignantes sont d’avis que les textes informatifs ont des caractéristiques qui en font des choix peu pertinents pour la lecture à voix haute. Selon Maude, la longueur des textes est l’une de ces caractéristiques : Les élèves me disaient « oh, c’est long ! », « Est-ce que ça va être encore long ? » Avec ces réactions, je me dis que le texte informatif, c’est pas nécessairement un bon choix pour lire aux élèves. Par ailleurs, pour d’autres enseignantes, le manque de support visuel des textes informatifs ferait en sorte qu’ils sont peu attrayants pour les élèves. Comme le mentionne Sabrina : Les textes informatifs n’ont pas toujours d’images. Ça fait que c’est bien plus difficile de capter leur attention !

Enfin, des enseignantes ont mentionné que la lecture d’un texte informatif exige plus de préparation, ce qui en fait un choix moins attrayant lorsqu’elles choisissent les textes à lire aux élèves. Plusieurs reconnaissent qu’une préparation insuffisante apporte des défis lors de la lecture aux élèves. D’après Jeanine : Le texte informatif, il faut le lire en détail, anticiper les questions des élèves et faire des recherches pour répondre à leurs questions. Je n’ai pas toujours le temps de faire ça.

4.5. Les avantages de lire des textes informatifs aux élèves

Bien que, en général, la majorité des participantes lisent peu de textes informatifs à leurs élèves, elles conçoivent qu’il y aurait des avantages à le faire davantage. En outre, certaines enseignantes pensent que les textes informatifs permettraient de répondre aux questions des élèves et de susciter leur réflexion. Aux dires de Saliha : Les textes informatifs pourraient servir à vérifier des informations qu’ils ont déjà, les comparer, peut-être entamer une discussion à la suite de ça. La lecture de livres informatifs aux élèves serait aussi, selon Kim, un moyen, pour les élèves, d’acquérir des connaissances. Elle dit : L’informatif, ça leur reste à l’esprit, tandis que le narratif, ils savent que c’est pour s’amuser. Certaines enseignantes pensent aussi qu’elles auraient avantage à lire davantage de textes informatifs aux élèves dans le but de les préparer aux évaluations provinciales. À ce sujet, Isabel fait la réflexion suivante : Je pourrais leur en lire plus souvent et les préparer à répondre à des questions après. En 3e année, on les prépare pour le testing [sic] provincial. On commence déjà en janvier. Enfin, selon Muriel, la seule enseignante qui opte plus souvent pour des textes informatifs lors de la lecture aux élèves, le fait de leur lire ces textes favoriserait leur réussite scolaire. Elle explique : C’est bon, pas seulement pour le vocabulaire, il y a la compréhension aussi. D’après les recherches, plus on lit aux élèves, mieux ils performent dans toutes les matières. Autant les textes informatifs que les textes narratifs. Ah oui, j’y crois beaucoup.

5. Discussion des résultats

Nous constatons, comme d’autres chercheurs avant nous (Duke, 2000 ; Ness, 2011 ; Yopp et Yopp, 2012), que les textes informatifs sont négligés par les enseignants du préscolaire et du primaire lors de la lecture aux élèves. En exposant les multiples facteurs évoqués par des enseignantes pour expliquer cet état de fait, la présente étude apporte des connaissances nouvelles qui mettent en lumière une perspective importante de cette problématique. En effet, considérant la nécessité d’exposer très tôt les élèves à des textes diversifiés, il importe de comprendre les motifs qui incitent les enseignants à délaisser les textes informatifs lors de la sélection des textes lus aux élèves. Comme nous l’avons mentionné, ce choix n’est pas anodin, car il peut avoir un impact considérable sur la réussite scolaire des élèves, surtout après la 3e année (Chall et al., 1990). Dans ce sens, les données du Programme international de recherche en lecture scolaire (PIRLS) de 2011 montrent que les élèves canadiens de la 4e année, tout comme ceux d’autres pays ayant participé à l’enquête, obtiennent des résultats significativement plus faibles en lecture de textes informatifs qu’en lecture de textes narratifs (Conseil des ministres de l’Éducation du Canada, 2012).

Le constat qui s’impose à partir des résultats de notre étude est qu’il est urgent d’amener les enseignants du préscolaire et du primaire à considérer davantage la valeur pédagogique que présentent les textes informatifs. Plusieurs enseignantes ont été en mesure de relever quelques avantages découlant de la lecture de ces textes aux élèves. Cependant, elles ont aussi fait valoir plusieurs défis qui pourraient s’ensuivre. De l’avis de Hall et Sabey (2007), les enseignants connaissent peu de méthodes ou de stratégies pour enseigner adéquatement les particularités des textes informatifs. Par conséquent, dans les programmes de formation à l’enseignement tout comme dans les activités de développement professionnel, il serait impératif de mettre davantage l’accent sur l’acquisition de connaissances pratiques et théoriques qui inciteraient les enseignants à inclure les textes informatifs dans les activités pédagogiques de diverses matières scolaires. Il importe aussi de les amener à développer des compétences pédagogiques permettant de faire un enseignement adéquat des particularités des textes informatifs, par exemple les diverses structures de ces textes. Par ailleurs, il serait également nécessaire de démystifier certaines conceptions que les enseignants peuvent entretenir à l’égard des textes informatifs comme soutien à la lecture des élèves. C’est le cas notamment de leur perception de l’intérêt des élèves pour ce genre de texte, qu’ils persistent à considérer comme peu attrayant en tant que soutien à la lecture, alors qu’il serait susceptible de plaire davantage aux élèves (Kraemer et al., 2012).

Par ailleurs, comme Hoffman, Collins et Schickedanz (2015), nous croyons qu’il n’est pas suffisant d’amener les enseignants à lire plus souvent des textes informatifs aux élèves ; ils doivent également tirer profit de cette activité pour enseigner des concepts relatifs aux matières scolaires telles que les sciences et la technologie, les sciences humaines, les arts, etc. Dans ce but, il nous semble que les quatre pratiques essentielles ciblées par Hoffman et al. (2015) visant à intégrer dans l’enseignement la lecture à voix haute de textes informatifs seraient utiles pour déterminer les contenus d’une formation offerte aux enseignants. Le premier contenu porterait sur la sélection des textes informatifs et viserait à amener les enseignants à reconnaître les critères de qualité de ce genre de texte. Le deuxième contenu mettrait l’accent sur l’enseignement des stratégies nécessaires à la compréhension des textes informatifs en ciblant l’enseignement du vocabulaire, la structure des textes et d’autres éléments qui les caractérisent et qui soutiennent la compréhension (par exemple : la table des matières, la lecture des tableaux, etc.). Quant au troisième contenu, il amènerait les enseignants à mieux ancrer les textes informatifs lus à voix haute dans les sujets à l’étude dans les diverses matières scolaires. Enfin, le quatrième contenu viserait à outiller les enseignants pour qu’ils puissent approfondir leurs propres connaissances conceptuelles concernant les sujets enseignés en leur faisant connaître diverses sources de référence dans des domaines variés tels que les arts, les sciences et la technologie ou les sciences humaines. À notre avis, une piste de recherche pertinente serait de documenter les retombées d’un tel programme pour voir s’il est possible d’influencer ainsi les choix des enseignants en ce qui concerne les textes lus à voix haute aux élèves.

À d’autres égards, les résultats de notre étude mettent en évidence que l’intérêt personnel des enseignants pour les textes narratifs de fiction, l’aspect ludique de ces textes, le plaisir ou la détente qu’ils procurent, les thèmes intimistes qu’ils abordent ou leur contribution à la culture littéraire des élèves, sont des motifs qui les portent à opter pour des textes narratifs lorsqu’ils sélectionnent les textes à lire à voix haute aux élèves. Ces motifs ont une portée affective qui nous semble évidente, ce qui nous amène à les mettre en lien avec la théorie transactionnelle de la lecture (Rosenblatt, 1978). En effet, ces motifs évoqués par les enseignants nous portent à croire qu’en faisant la lecture aux élèves ils choisissent des textes leur permettant de vivre et de faire vivre à ces derniers une expérience esthétique de la lecture, laquelle donne priorité à une réponse personnelle, affective et émotive (Rosenblatt, 2005). Dès lors, on peut pressentir qu’ils considèrent que la lecture de textes informatifs amène plutôt l’occasion de vivre une expérience efférente de la lecture, laquelle se centre surtout sur la signification littérale des textes et sur la recherche d’informations. Rappelons que, pour Rosenblatt (1978), les expériences esthétiques et efférentes de la lecture ne doivent pas être considérées comme en opposition. De part et d’autre, ces expériences sont essentielles pour se développer en tant que lecteur. D’ailleurs, pour certains lecteurs, les textes informatifs ne sont-ils pas susceptibles de provoquer une expérience esthétique de la lecture, tout autant que les textes narratifs de fiction ? N’empêche que, pour certains enseignants, il semble bien que leurs conceptions les amènent à croire que cette expérience esthétique de la lecture ne peut pas se vivre avec des textes informatifs. Pourtant, pour soutenir le développement des compétences en lecture de leurs élèves, ils auraient avantage à leur faire la lecture de textes variés qui offrent des occasions de vivre toute une gamme d’expériences en lecture, qu’elles soient esthétiques ou efférentes. Voilà une autre considération importante à prendre en compte dans les programmes de développement professionnel des enseignants portant sur les textes informatifs.

6. Conclusion

Par l’entremise d’entrevues menées auprès d’enseignantes du préscolaire et du primaire, il a été possible d’atteindre les objectifs de cette étude, qui étaient de faire connaître les facteurs qui orientent leurs choix quant à la sélection des textes lus à voix haute aux élèves, de même que leurs conceptions en regard des textes informatifs comme soutien à cette activité pédagogique. Nos résultats montrent que des facteurs affectifs semblent guider les enseignantes interrogées lorsqu’elles effectuent leur sélection et que leurs conceptions les amènent à délaisser les textes informatifs au profit des textes narratifs. Ces résultats mettent en évidence la nécessité d’offrir aux enseignants une formation orientée vers l’usage des textes informatifs en classe, notamment en ce qui concerne les avantages d’en faire la lecture à voix haute aux élèves.

Cette recherche comporte les limites inhérentes à l’approche qualitative en recherche. Ainsi, il ne saurait être question de généraliser les résultats à l’ensemble des enseignants du préscolaire et du primaire. De plus, il importe de noter certaines limites méthodologiques qui pourraient avoir une incidence sur les résultats de notre recherche. Une première limite méthodologique est le fait que nous ne savons pas avec exactitude dans quelle mesure les enseignantes ayant participé à cette recherche font la lecture aux élèves. Cette information importante ne provient pas d’une observation objective, mais plutôt des enseignantes elles-mêmes. Il est possible que la désirabilité sociale ait influencé leur réponse concernant la fréquence de cette activité. Aussi, il est possible que l’échelle de Likert sur laquelle nous leur avons demandé d’indiquer la fréquence de cette activité ne soit pas suffisamment précise. Notons toutefois que cette question visait essentiellement à vérifier si, de façon générale, la lecture à voix haute faisait partie de leurs pratiques pédagogiques. Une deuxième limite méthodologique se retrouve dans le fait que nous avons demandé aux participantes d’indiquer les titres des livres (ou des textes) qu’elles avaient lus aux élèves au cours des cinq derniers jours d’école. Bien que cette période de cinq jours ait permis de recueillir un ensemble de titres pouvant être représentatifs de la variété des textes qu’elles lisent habituellement aux élèves, une période plus longue (par exemple : de dix à quinze jours) aurait offert un portrait encore plus précis en ce qui concerne les genres de textes présentés aux élèves. Une troisième limite à souligner est le fait que l’analyse des entrevues a été effectuée par la chercheuse elle-même et par une assistante de recherche. Pour éviter les biais d’analyse, il aurait été préférable que l’analyse des entrevues soit réalisée par un minimum de trois juges ayant un niveau de formation comparable, et qui auraient été indépendants de cette recherche.

Quoi qu’il en soit, nous croyons que les résultats de la présente étude peuvent tout de même servir de tremplin à d’autres recherches portant sur l’usage des textes informatifs en classe. Comme nous l’avons mentionné précédemment, il serait éclairant de savoir si une formation portant sur des aspects précis de la lecture à voix haute de textes informatifs serait susceptible d’influencer les choix des enseignants. En outre, pour orienter la formation professionnelle à ce sujet, il serait utile d’étudier les pratiques exemplaires des enseignants chez qui la lecture de textes informatifs aux élèves est déjà une pratique bien instaurée. Une autre recherche qui contribuerait à l’avancement des connaissances dans le domaine serait de considérer les autres activités pédagogiques faisant appel aux textes informatifs. Nous nous sommes arrêtée sur la pratique qui consiste à faire la lecture à voix haute aux élèves, mais nous ne sommes pas sans savoir que d’autres dispositifs pédagogiques peuvent également faire appel à ce genre de textes. Par ailleurs, une autre étude qui pourrait être réalisée serait de prendre en compte les connaissances des enseignants ou des futurs enseignants en ce qui concerne les textes informatifs, car il pourrait s’agir d’un aspect qui les mène à opter ou à délaisser ce genre de texte dans leurs pratiques pédagogiques.

À une époque où les élèves sont entourés d’écrits qui ont pour but de leur transmettre des informations variées, il leur est nécessaire de développer très tôt la capacité d’interpréter les textes informatifs. La croyance selon laquelle les élèves doivent apprendre à lire avant de lire pour apprendre est de plus en plus souvent réfutée par la recherche (Duke, 2003 ; Hall et al., 2005 ; Pentimonti et al., 2010). En leur faisant la lecture de textes informatifs, il y a fort à parier que les enseignants du préscolaire et du primaire peuvent offrir à leurs élèves des expériences de lecture esthétiques et efférentes pour les aider à devenir des lecteurs accomplis.