Corps de l’article

Introduction

En congruence avec la thématique de ce numéro, cet article porte un regard à la fois rétrospectif et prospectif sur les enjeux du développement d’une pratique réflexive de l’enseignement en situation de stages[1] auquel notre équipe, l’équipe des stages du baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire (BEPP) de l’Université de Sherbrooke[2], s’est consacrée de 2003 à 2013. Nos travaux ont en fait débuté en 2001, s’inscrivant dans le cadre de la révision des programmes de formation à l’enseignement, demandée aux universités par le ministère de l’Éducation du Québec, pour les aligner sur le nouveau Programme de formation de l’école québécoise (ministère de l’Éducation du Québec, 2000), alors en implantation.

Au fil des années, les responsabilités de l’équipe des stages se sont exercées à différents niveaux : mise en place de formules de stage, encadrement des stagiaires, formation des personnes superviseures et soutien à leur travail sur le terrain, renforcement du partenariat avec le milieu scolaire, intégration de la formation, développement et recherche sur la formation en milieu de pratique, gestion administrative du système. Un processus continu de collaboration a marqué toutes ces actions. À titre d’exemple, chaque nouveau stage, mis en place de 2003 à 2007, a d’abord été discuté avec les partenaires du milieu scolaire et avec l’équipe responsable du BEPP.

Concrètement, ces changements se sont reflétés dans les documents de stage – guide général, description de chaque stage, documents d’évaluation – et dans les pratiques d’accompagnement en milieu de pratique. Des traces de ces décisions ont été consignées dans les procès-verbaux de toutes les rencontres de l’équipe des stages de même que dans les comptes rendus des rencontres avec les stagiaires (au moins deux par année pour chaque stage), avec les enseignants associés (deux par année par stage) et avec les superviseurs (sept demi-journées de coordination par année).

Afin de faire un bilan documenté de cette expérience et d’en dégager des propositions pour aller plus loin, nous décrirons d’abord le contexte de notre travail, puis nous cernerons les quatre principales problématiques auxquelles nous avons consacré nos efforts. L’éclairage théorique que nous avons utilisé pour conceptualiser la pratique enseignante, la formation à l’enseignement et, plus spécifiquement, les stages comme lieu d’intégration de la formation sera par la suite exposé. Enfin, nous présenterons le dispositif méthodologique de collecte et d’analyse de données, ainsi que les résultats de l’évaluation qu’il nous a permis de produire au regard des problématiques centrales de notre système de formation pratique.

1. Contexte

Le BEPP implanté depuis 2003 s’échelonne sur quatre années au cours desquelles plus de trente cours sont offerts : la moitié en formation didactique, le quart en formation pédagogique, les autres étant consacrés à la formation fondamentale, à des activités dites d’intégration ou à des cours optionnels. Vingt-quatre des cent vingt crédits du programme, soit 20 %, sont consacrés aux stages, ce qui représente presque une année complète de formation. En réalité, les stages sont répartis sur les quatre années du programme. Un étudiant au BEPP de l’Université de Sherbrooke passera 900 heures (environ 150 jours) dans le milieu de pratique, soit 200 heures de plus que la prescription ministérielle au Québec pour les programmes de formation à l’enseignement. Certains cours sont répartis sur l’année afin de favoriser une alternance cours-stages. L’aménagement de la grille-horaire tente de privilégier des cours en lien avec le vécu et les besoins en stage. Par exemple, en deuxième année de formation, les cours sont centrés sur les jeunes élèves et le stage se fait dans des classes du préscolaire ou du premier cycle du primaire.

Le dispositif d’accompagnement de ces expériences de stage par les superviseurs comprend :

  • des périodes d’observation directe en classe qui sont suivies de rencontres de rétroaction (trois par stage);

  • des analyses vidéos (deux par stage);

  • des séminaires de réflexion collective sur l’expérience (quatre séminaires de 90 minutes par stage, en groupes de six à douze stagiaires);

  • de la rétroaction sur des textes de réflexion préaction et postaction écrits par les stagiaires, notamment dans un premier portfolio, déposé à la fin du stage II, un devis d’organisation de la classe à la fin du stage III et un second portfolio, à la fin du stage IV.

De plus, un effort de concertation du travail des superviseurs est orchestré autour de trois journées et demie annuelles de rencontres de coordination, ainsi que de leur participation aux rencontres des équipes-sessions, qui sont constituées des professeurs, des chargés de cours ainsi que des personnes superviseures qui interviennent auprès des étudiants d’une même session afin de favoriser une formation intégrée.

Les actions de l’équipe responsable au sein du système des stages du BEPP peuvent être regroupées en six catégories : production de documents pédagogiques, encadrement des stagiaires et des superviseurs, formation des superviseurs et des enseignants associés, partenariat avec le milieu scolaire, gestion administrative et recherche sur la formation pratique.

La qualité de la supervision a été la priorité de l’équipe des stages depuis 2003. C’est pourquoi les personnes superviseures ont été invitées à s’inscrire à un microprogramme de trois cours (neuf crédits) sur l’accompagnement réflexif. Offert depuis l’automne 2004, il a été suivi au complet par une majorité des formateurs de terrain du BEPP. Au Québec, il est unique dans sa durée ainsi que dans son orientation résolument réflexive (par contraste avec normative) pour une préparation à ce rôle. Il a été élaboré autour de quatre intentions principales :

  • Permettre aux formateurs de terrain d’expliciter leur théorie d’action de la pratique d’accompagnement. Le premier des trois cours porte principalement sur cette intention. Les participants sont amenés à réfléchir sur leurs conceptions de l’éducation, de l’enseignement et de l’apprentissage comme fondements de leur pratique d’accompagnement.

  • Développer les compétences nécessaires à l’exercice d’un accompagnement réflexif. Le deuxième cours permet aux participants de traduire dans les gestes professionnels de l’accompagnement (observation, rétroaction, analyse vidéo, animation de séminaires) leur théorie d’action à partir d’études de cas, d’analyses de pratiques enseignantes et de divers exemples d’accompagnement.

  • Accompagner les formateurs de terrain dans une analyse de leurs pratiques effectives afin de les aider à réduire l’écart entre leur théorie professée et leur théorie pratiquée de l’accompagnement. Ce n’est qu’au troisième cours que chaque participant est accompagné individuellement dans une analyse de sa pratique d’accompagnement par le formateur. Cette rencontre d’analyse vise d’une part à modéliser une façon d’accompagner intégrée et d’autre part, et surtout, à induire une réflexion authentique du formateur de terrain sur sa pratique actuelle et comment il souhaite qu’elle évolue.

  • La quatrième intention est poursuivie tout au long du microprogramme. Il s’agit de contribuer à l’émergence d’une communauté de pratique professionnelle au sein d’un groupe de personnes oeuvrant en situation d’accompagnement des pratiques enseignantes, que ce soit en formation initiale, en insertion professionnelle ou en formation continue.

2. Problématiques

Afin d’être en mesure d’évaluer les résultats des choix que nous avons faits pour le fonctionnement du système de formation pratique du BEPP, nous avons regroupé nos questionnements autour de quatre problématiques qui nous paraissaient centrales au regard de nos actions.

2.1 L’organisation générale de la formation pratique au BEPP

En vue d’élargir le regard porté sur le système, nous avons, à la fin de chaque année d’implantation et pendant quelques années subséquentes, distribué des questionnaires détaillés qui ont été remplis par les enseignants associés, les stagiaires et les superviseurs. Tous ces groupes ont de plus été invités à s’exprimer au sujet de la formule du stage lors de diverses rencontres tenues avec eux. Les positions exprimées par les formateurs universitaires, soit lors des rencontres d’équipes-session soit lors des assemblées départementales, ont également été prises en considération dans le travail de régulation effectué par l’équipe des stages à la fin de chaque année.

La posture épistémologique que nous avons adoptée par rapport à l’acte d’enseigner, et qui est décrite dans la section suivante, nous a conduits, d’une part, à placer l’accent sur la réflexion ainsi que l’exercice de capacités d’observation, d’analyse, d’interprétation et de prise de décision par les stagiaires et, d’autre part, à confier aux personnes superviseures le mandat d’accompagner le développement de ces capacités. Nous avons situé leur analyse des pratiques enseignantes comme un moment d’un cycle continu d’apprentissage expérientiel de la profession, plutôt que comme un moment d’évaluation-sanction à l’extérieur de ce cycle. Nous leur avons fait valoir que, pour parvenir à s’inscrire au coeur de l’acte d’enseigner, leur analyse doit savoir faire place aux intentionnalités (réflexion préaction) et aux interprétations (réflexion postaction) des enseignants; elle tente d’accéder au sens qui se construit dans l’action/réflexion de l’acteur. De plus, nous les avons invités à faire en sorte que leur analyse contribue en même temps à créer un intérêt, chez leurs stagiaires, pour l’interprétation que d’autres, praticiens ou chercheurs, ont construit des situations professionnelles rencontrées par un enseignant.

2.2 L’intégration cours-stages

En étroite collaboration avec les autres composantes du programme de BEPP, nous avons voulu offrir une formation de plus en plus intégrée où les activités des cours et des stages se complèteraient de façon à favoriser le développement des compétences essentielles à l’accomplissement des nombreuses tâches d’un professionnel de l’enseignement.

Les référents didactico-pédagogiques ou praxiques pour réfléchir aux pratiques enseignantes sont très nombreux. Nous n’avons pas voulu réduire la richesse de cette diversité en imposant, comme peuvent le faire certaines grilles d’évaluation, une vision unique et restreinte des composantes de l’acte d’enseigner, par exemple en suggérant un seul modèle de gestion des comportements ou d’enseignement d’une matière. Ce n’est pas ainsi que nous avons voulu favoriser l’établissement de liens cours-stages.

À cette fin, nous avons plutôt cru utile et nécessaire de préciser le type d’enseignant que nous souhaitions former. Cet exercice s’est révélé impossible à compléter pour l’ensemble des intervenants du programme de BEPP : trop de conceptions différentes, voire opposées; trop peu de temps pour en discuter. Nous l’avons donc limité aux acteurs de la formation pratique – stagiaires, enseignants associés, directions d’école et superviseurs – en inscrivant dans le Guide général des stages (Faculté d’éducation, 2003) que :

Essentiellement, le système de formation en milieu de pratique mis en place à l’Université de Sherbrooke vise à former des enseignantes ou des enseignants : centrés sur les élèves, équitables pour tous les élèves, capables de donner sens aux apprentissages scolaires, habiles à collaborer, démontrant des habitudes réflexives, cohérents, engagés dans leur profession

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Nous avons formulé et partagé cette description en vue de fournir un repère réflexif significatif au sein de notre système et de concerter les efforts de formation des différents acteurs. Ce choix s’inscrivait dans notre conception, décrite dans la section suivante, que les stages doivent être considérés comme le lieu d’intégration de la formation.

2.3 Le développement des compétences des stagiaires

Nous avons élaboré un dispositif de formation pratique qui, tout en étant cohérent avec les intentions de formation formulées pour l’ensemble des cours de chacune des quatre années du nouveau BEPP, ne considère pas les stages comme moments d’application des contenus des cours, mais cherche plutôt à reconnaître leur contribution originale à la formation d’un professionnel au même titre qu’est reconnu l’apport de chacun des cours.

Cette posture s’appuie sur l’idée que les stages permettent le développement de compétences spécifiques en milieu de pratique. Elle nous a permis d’identifier des objets de formation propres aux activités de stage et de les traduire dans de multiples instruments et démarches visant à favoriser leur appropriation par les stagiaires. Après avoir fait la synthèse de nombreuses listes de compétences nécessaires à l’enseignement, nous sommes parvenus à en identifier trois qui, selon nous, se développent principalement en stages :

  1. Gérer un groupe d’élèves d’âge préscolaire et primaire pour favoriser leur apprentissage; cette compétence est directement liée au cycle de l’action professionnelle de l’enseignant (préaction – interaction – postaction) et caractérise l’essentiel de son expertise professionnelle.

  2. Collaborer avec différentes personnes dans les divers contextes liés à la profession enseignante; malgré les simulations et préparations possibles en salle de cours, nous estimons que les réels enjeux des exigeantes et très diversifiées collaborations de l’enseignant ne peuvent être saisis qu’en situation réelle.

  3. Réfléchir professionnellement de façon à reconstruire dans la pratique les propositions des cours et de façon à construire son identité professionnelle; cette compétence réflexive est au coeur de l’évolution d’une pratique enseignante à partir des premières expériences de stages et tout au long de la carrière.

Nous avons donc structuré l’instrument d’évaluation des stages à partir de ces trois compétences plutôt qu’à partir du référentiel québécois (ministère de l’Éducation du Québec, 2001), de façon à permettre aux acteurs du système des stages de mieux cibler les visées d’apprentissage propres aux activités de formation en milieu de pratique. Nous avons par ailleurs établi des liens explicites entre ces visées et celles plus nombreuses et plus larges de l’ensemble du programme de BEPP qui, lui, poursuit, par ses cours et par ses stages, le développement des douze compétences du référentiel.

2.4 L’accompagnement par les superviseurs et par les enseignants associés

La contribution des stages à la formation initiale des enseignants est aussi de favoriser la mise en relation de toutes les composantes d’un programme au profit d’une pratique professionnelle cohérente. La reconnaissance de cette fonction a permis de définir des modes d’accompagnement de l’expérience de stage pour soutenir les stagiaires dans la mobilisation des nombreuses ressources qui leur sont offertes tout au long de leur formation et qui peuvent être illustrées ainsi :

Figure 1

Les ressources offertes aux stagiaires

Les ressources offertes aux stagiaires

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Nous plaçant du point de vue de l’étudiant confronté à autant de propositions diverses, voire parfois contradictoires, à mettre en oeuvre dans les médiations qu’il exerce entre les élèves et leurs objets d’apprentissage, développant ainsi ses compétences, nous nous sommes appuyés sur l’idée que les stages sont le lieu d’intégration de la formation. Cela signifie que c’est en stage que peuvent à la fois se construire et se démontrer les compétences professionnelles, le reste des activités de formation contribuant à l’acquisition par les étudiants de ressources pour l’action réelle. Ce choix ne constitue pas un jugement sur la relative importance des cours et des stages, mais cherche plutôt à situer clairement leur complémentarité pour le développement de l’expertise professionnelle.

Avant de présenter la façon dont nous avons procédé pour faire le point sur ces quatre problématiques dans le cadre de l’évaluation du système de stages du BEPP, nous devons d’abord préciser les éclairages théoriques qui ont guidé nos actions.

3. Cadre conceptuel

Nos conceptions de la pratique de même que de la formation à l’enseignement sont d’abord présentées, puis nous nous attardons au cadre le plus directement lié à l’enjeu, prioritaire, selon nous, pour rendre compte de la réussite d’un système de formation pratique, celui de l’intégration de la formation.

3.1 Conception de la pratique et de la formation à l’enseignement

Nous concevons l’enseignant comme un chercheur dans sa pratique (Duckworth, 1986), au sens où les matériaux de son expérience d’intervention, qu’ils soient positifs ou négatifs, nourrissent constamment son apprentissage professionnel. Comme pour tout apprenant, l’absence d’une continuité dans son expérience marque l’amorce d’une démarche que Dewey (1938) nomme démarche d’enquête (inquiry). Cette démarche combine l’action et la raison dans le monde. Elle permet à l’être humain de construire ses connaissances, au sens de les relier les unes aux autres dans un mouvement d’élargissement de son univers de signification. Nous qualifions de réflexive la pratique de l’enseignement, car en accord avec Schön (1994), face à la complexité grandissante et au caractère constamment changeant des cas, nous pensons qu’il n’est pas possible d’appliquer des solutions toutes faites aux problèmes rencontrés, mais qu’il faut plutôt reconnaître qu’une partie du savoir nécessaire à une intervention pertinente réside dans l’agir professionnel lui-même. Ce concept d’enseignant réflexif renvoie à l’image du praticien qui envisage sa pratique comme une action réfléchie productrice de savoirs à la fois utiles et conceptuellement fondés.

L’activité réflexive de l’enseignant le conduit à de nouvelles compréhensions des situations rencontrées. Même lorsqu’elle s’appuie sur des résultats de recherche, la réflexion professionnelle joue avant tout un rôle de reconstruction de l’expérience, qui peut éventuellement conduire à une transformation de la pratique. L’action est toujours le creuset de cette activité réflexive. L’enseignant réflexif est celui qui dialogue avec la situation dans laquelle il intervient, qui est à l’écoute des éléments composant le contexte de son action. Sa pratique s’amorce d’abord et avant tout par l’expérience d’une situation d’enseignement : même dans sa forme la plus immédiate, cette expérience s’accompagne d’un savoir-dans-l’action intuitif, tacite, instinctif, engrammé et appuyé sur des préstructures qui guident l’action et qui déterminent la réaction première à la situation rencontrée (Schön, 1994). Le premier pas de distanciation par rapport à ce savoir entièrement contenu dans l’action, c’est une réflexion-dans-l’action qui n’a pas nécessairement besoin du support des mots et qui permet des ajustements dans l’action sans en interrompre le déroulement. À la suite d’une situation expérimentée, la réflexion-sur-l’action s’exerce de deux façons. Elle peut être un effort pour découvrir les significations que l’on s’est formées dans l’action; cela exige de revoir mentalement le déroulement de l’action et de tenter de retracer la réflexion-dans-l’action qui s’y est opérée. L’autre type de réflexion-sur-l’action est celui de la conversation réflexive avec la situation qui permet de construire du sens à partir de l’ensemble des matériaux qu’offre l’expérience d’intervention (incluant donc à la fois l’agent, le sujet et l’objet de la situation d’enseignement-apprentissage).

La complexité de l’intervention éducative en contexte scolaire et la multiplicité des variables simultanément en jeu dans les situations d’enseignement-apprentissage (Lenoir, 2009) font de l’acte d’enseigner une expérience professionnelle d’une grande densité. Les dimensions cognitives, affectives, sociales et morales des personnes interagissant au sein de ces situations sont constamment sollicitées. Dans un contexte souvent instable et imprévisible, la capacité réflexive de l’enseignante ou de l’enseignant au coeur de ce contexte est source de stabilité. En effet, elle lui permet de développer une intervention éducative qui est à la fois rigoureuse et pertinente. La rigueur est souvent associée aux savoirs théoriques, à cause de leur mode de production. Mais cette rigueur ne suffit pas pour affronter les multiples exigences de l’action concrète en situation de groupe-classe. Par ailleurs, les savoirs pratiques sont souvent perçus comme plus pertinents puisqu’ils sont élaborés en contexte. Cependant, la diversité des élèves, l’ampleur des contenus à aborder, la complexité des problèmes rencontrés sont telles que le recours à des référents professionnels théoriques devient indispensable pour favoriser l’apprentissage de tous les élèves. Rigueur et pertinence devraient donc caractériser le rapport aux savoirs théoriques et pratiques induit par un parcours de formation à l’enseignement.

3.2 L’intégration de la formation

La Figure 2 (Boutet, 2005) illustre les principales composantes de notre façon de poser le défi de l’intégration de la formation :

Figure 2

Le stage comme lieu d’intégration de la formation

Le stage comme lieu d’intégration de la formation

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Notons d’abord que le schéma n’oppose pas pratique et théorie, les présentant plutôt comme deux modes différents de saisie de la réalité de l’enseignement, réunis par une démarche réflexive définie comme transformation de l’expérience par la réflexion. Certes, toute profession doit pouvoir s’appuyer sur un certain ensemble de savoirs théoriques pour fonder ses actions; l’éclosion de nombreuses professions au XXe siècle repose d’ailleurs en grande partie sur un effort de mise en relation de savoirs théoriques avec des situations de vie réelle; les cours universitaires présentent de tels savoirs aux étudiants. Par ailleurs, au fil des interventions professionnelles en contexte réel, des savoirs se construisent, savoirs qui s’avèrent utiles pour affronter les exigences concrètes de la profession et avec lesquels les étudiants sont mis en contact à l’occasion de leurs stages. Le statut de ces savoirs, que l’on peut qualifier de savoirs pratiques, et la nature de leur lien avec les savoirs théoriques font l’objet de débats depuis fort longtemps. En les plaçant ainsi à égalité, nous concevons l’apprentissage en stage comme une démarche d’apprentissage expérientiel (Bourassa, Serres, & Ross, 1999; Dewey, 1938; Kolb, 1984), ce qui nous semble particulièrement pertinent pour la profession enseignante, puisque des propositions théoriques directement applicables aux situations de pratique y sont rares.

Le schéma illustre également que la démarche d’apprentissage en stage est favorisée par les éléments de contexte décrits dans les cercles qui l’encadrent. En contexte scolaire, la qualité du milieu de stage réfère aux caractéristiques du modèle d’enseignement offert aux stagiaires dans la classe et dans l’école qu’ils fréquentent, alors que la densité de l’expérience de stage varie selon les plus ou moins grandes responsabilités professionnelles confiées aux stagiaires. En contexte universitaire, les efforts qui sont faits dans les cours pour établir des liens entre leurs propositions didactico-pédagogiques et l’expérience de stage, de même que ceux faits pour mettre en relation le langage de la pratique avec le langage de la formation et de la recherche, sont favorables à une démarche réflexive de chaque étudiant lui permettant de lier cours et stages.

La présence de ces contextes favorables n’est cependant pas suffisante pour assurer une formation intégrée. Le coeur du schéma illustre le rôle et l’importance de dispositifs de soutien à la transformation de l’expérience. La supervision pédagogique est au centre de ces dispositifs : entre guides de stage, grilles d’évaluation, journaux de bord, etc., elle s’applique à accompagner les processus individuels de développement des compétences professionnelles. C’est pourquoi les superviseurs devraient être, à nos yeux, des professionnels spécialistes du soutien à la réflexion transformatrice de l’expérience. Le véritable objectif de leur intervention est de contribuer à ce que dans la tête de chaque stagiaire s’effectue la liaison entre les savoirs propositionnels et les situations réelles de pratiques, liaison qui ne peut s’effectuer que par la réflexion des stagiaires sur les composantes de leur action réelle auprès des élèves. C’est donc une relation d’accompagnement de la réflexion bien plus que d’évaluation des compétences qu’ils devraient établir avec leurs stagiaires. En adoptant cette posture, ils peuvent favoriser le nécessaire dialogue entre les multiples savoirs qui circulent dans les situations d’enseignement-apprentissage et l’interprétation que chaque stagiaire en fait; ils peuvent également soutenir la construction d’une identité professionnelle qui doit pouvoir et savoir s’affirmer au sein de ces situations. Nous considérons donc la supervision comme une médiation à la fois intégratrice et émancipatrice, qui tente constamment de se rapprocher des pratiques effectives du stagiaire et de son univers de signification. Son principal outil est l’analyse des pratiques.

4. Dispositif méthodologique

Nous avons mené une recherche-action de nature descriptive et évaluative. En tant qu’acteurs quotidiens fortement engagés dans un système de formation pratique, nous avions un réel défi de nous en distancier suffisamment pour l’observer sous différents aspects et identifier ses conséquences sur les stagiaires. À cette fin, nous avons dès le début et de diverses façons été attentifs aux perspectives des autres acteurs du système. Cela s’est traduit par une collecte de données continue de 2003 à 2008; à partir de là, l’implantation des nouveaux stages I-II-III et IV étant complétée, nous avons recueilli ponctuellement quelques données supplémentaires. Nous présentons l’ensemble dans la section 4.1 alors que dans la section 4.2 nous décrivons le travail d’analyse et de synthèse qu’elles nous ont permis de faire. Les constats que nous avons pu tirer de ce travail pour tracer un bilan sont présentés dans la dernière partie de l’article, de même que les propositions que nous avons pu en dégager pour des actions futures.

4.1 Données recueillies

Le Tableau 1 offre un portrait de l’ensemble des données recueillies. Précisons d’abord que les questionnaires annuels (plus de 1500) ont tous adopté la même forme : une première section portait sur les orientations du stage, une seconde sur les aspects organisationnels incluant l’articulation du stage avec les autres composantes du programme et une troisième sur l’accompagnement. Ils comportaient tous au moins une question ouverte, permettant l’expression de commentaires et de suggestions par les répondants, car nous voulions nous assurer de bien entendre les opinions des divers acteurs des nouvelles formules de stages.

Tableau 1

Données recueillies

Données recueillies

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Soulignons ensuite que plusieurs entretiens de groupe semi-dirigés (plus d’une vingtaine), qui ont rejoint près de 150 personnes, ont été conduits. À la différence des questionnaires, les entretiens n’ont pas rejoint tous les groupes d’acteurs de tous les stages. Compte tenu des contraintes de temps et de déplacements liées à l’organisation d’entretiens de groupe, nous avons plutôt ciblé, pour chaque stage, des participants dont la perspective sur des problématiques spécifiques se posant dans tel ou tel stage nous intéressait. Même si nos intentions de discussion lors de ces entretiens étaient plus ciblées, nous avons quand même fait place aux autres préoccupations exprimées par les participants et les avons également notées et retranscrites aux fins d’analyse.

Quant aux comptes rendus de rencontres, ils ont été rédigés et consignés dans le cadre des actions normales de l’équipe des stages. Nous les avons utilisés principalement pour avoir accès à des données révélant les délibérations ayant cours au sein du système de stages relativement aux divers cas d’étudiants en difficulté et aux aspects problématiques de l’organisation des stages.

Notons enfin que nous avons eu la chance au fil des années de recueillir 34 entretiens individuels de rétroaction tenus par différents superviseurs avec leurs stagiaires, à la suite d’une observation en classe. Il n’est pas facile ni fréquent de pouvoir s’approcher aussi près des pratiques réelles d’accompagnement. La rencontre de rétroaction est certes la composante la plus significative de la tâche des personnes superviseures et la plus révélatrice de leur manière d’exercer leur rôle. Ces données sont donc précieuses et très riches pour nous permettre en quelque sorte de voir notre système à l’oeuvre.

Ce corpus considérable de données brutes a été recueilli sur plusieurs années avec une intention générale de documenter l’implantation de notre système de formation pratique, mais sans qu’aient été précisés au départ des objectifs spécifiques d’une recherche-évaluation.

4.2 Analyse des données

Ce n’est qu’a posteriori, en analysant les données quantitatives et qualitatives pour leur donner sens, que nous avons pu relier les catégories découlant des données avec les problématiques plus précises auxquelles nous souhaitions répondre par la recherche. En ce sens, nous avons adopté une approche inductive, d’autant plus justifiée et adéquate à notre démarche que notre objet, en raison de son unicité et de sa nouveauté, avait un caractère exploratoire, pour lequel nous n’avions évidemment « pas accès à des catégories déjà existantes dans la littérature » (Blais & Martineau, 2006, p. 4).

Les réponses aux questionnaires ont été en très grande majorité exprimées sous la forme d’un choix à partir d’une échelle de Likert qui comprenait les échelons suivants : fortement en désaccord – en désaccord – plus ou moins en accord – en accord – fortement en accord – je ne peux pas me prononcer. Nous en avons fait une analyse statistique qui a permis de dégager des pourcentages d’accord/désaccord avec un ensemble d’énoncés (en moyenne 35) portant sur les divers aspects de l’organisation de chaque stage. Les quelques commentaires ouverts formulés par les répondants ont fait l’objet d’une analyse de contenu qui s’est amorcée par une lecture ouverte suivie de relectures successives conduisant à la définition de catégories stables permettant de situer les propos au regard des questionnements que nous avions cernés lors de l’élaboration du questionnaire. Dû au grand nombre de répondants rejoints au fil des années, nous considérons que nous avons ainsi pu évaluer, sinon le degré de qualité, au moins le niveau de satisfaction des divers groupes d’acteurs envers la qualité de l’organisation générale du système de formation pratique du BEPP autant dans ses dimensions logistiques (calendriers, documentation, etc.) que dans ses dimensions pédagogiques, notamment le choix de miser sur la réflexion des stagiaires et d’accompagner la transformation de leurs expériences d’observation, d’analyse, d’interprétation et de prise de décision en situation réelle. La congruence des opinions exprimées par les divers acteurs renforce notre conviction que nous sommes parvenus à avoir l’heure juste à ce sujet.

L’analyse des questionnaires a été complétée par une analyse des propos tenus par les participants lors des entretiens de groupe réalisés pour approfondir des problématiques plus spécifiques. Nous avons d’abord repéré, pour chaque rencontre, les propos portant sur la problématique dont nous voulions principalement discuter. Ainsi, en stage I, nous avons interviewé des enseignants associés et des superviseurs sur les modifications substantielles que nous avons apportées à l’organisation de ce stage qui, auparavant, était un stage d’aide aux devoirs. En stage II, c’est le choix de placer deux stagiaires par classe qui a été discuté avec les personnes superviseures du point de vue du développement des compétences des stagiaires. En stage III, nous avons rencontré les trois groupes (les stagiaires, les enseignants associés et les superviseurs), car le calendrier de ce stage posait problème, particulièrement au regard de l’intégration cours-stages sur laquelle tous les formateurs du BEPP III, universitaires et de terrain, misaient beaucoup. Enfin, c’est auprès des enseignants associés du stage IV que nous avons vérifié la satisfaction envers la qualité de l’accompagnement offert par les superviseurs et leur contribution au développement des compétences des stagiaires en préparation à leur insertion professionnelle. Par la suite, notre analyse de contenu a porté sur les propos touchant aux autres aspects : comme nous avions respecté la même structure que celle du questionnaire, il a été aisé de relier cette analyse à celle du questionnaire, confirmant et parfois nuançant les principales satisfactions et insatisfactions ainsi que les constats et recommandations au sujet de l’organisation générale du système.

L’analyse des comptes rendus des rencontres de l’équipe des stages avait commencé avant que nous n’amorcions la démarche de bilan décrite dans cet article. En effet, par souci d’équité dans le traitement des nombreuses demandes et dans la résolution des problèmes des stagiaires en difficulté, nous les avions regroupés dans des catégories auxquelles nous pouvions référer pour prendre nos décisions, établissant ainsi une sorte de « jurisprudence » des cas de notre pratique. Cet exercice s’est révélé fort utile par rapport à l’évaluation du développement des compétences des stagiaires. Par ailleurs, les comptes rendus contenaient également des références à l’ensemble des composantes du système dont nous étions responsables. L’analyse de tous les comptes rendus a permis de mettre en lumière les réflexions de notre équipe sur l’évolution des multiples aspects du dispositif de formation pratique au BEPP.

Quant à l’analyse des rencontres de rétroaction à partir d’enregistrements, elle a été faite par trois étudiantes, dont une en a fait l’objet de son doctorat et une autre, de son essai de maîtrise; la troisième a travaillé comme assistante dans le cadre d’une recherche sur la supervision-médiation financée par le Fonds québécois pour la recherche sur la société et la culture (FQRSC)[3] :

  • la doctorante a tenté d’identifier, à l’aide d’une grille prédéfinie, les principales composantes de la théorie d’action de la personne superviseure, observables dans neuf de ces rencontres (Dufresne, 2014);

  • l’essai de maîtrise a tenté de décrire la plus ou moins grande réflexivité du dialogue superviseur-stagiaire ayant cours dans huit de ces rencontres (Gagné, 2009);

  • le travail accompli dans le cadre de la recherche sur la supervision-médiation a décrit de façon plus globale le contenu des interventions faites par la personne superviseure dans dix-sept de ces rencontres, selon qu’elles portaient sur la situation observée, l’expression de ses points de vue, ses réactions aux propos de la stagiaire ou l’exercice d’une médiation cours-stages. L’étudiante qui a fait cette analyse a par ailleurs choisi de mettre l’accent sur l’intégration cours-stages dans l’essai de maîtrise qu’elle a complété par la suite, cette fois à l’aide d’un questionnaire rempli par des personnes superviseures (Thiffault, 2012).

L’analyse de contenu des propos tenus lors de ces rencontres est assez unique en raison de sa proximité de la pratique réelle de personnes superviseures. Elle nous a permis d’apprécier avec réalisme l’accompagnement offert dans notre système, notamment sous l’angle de sa contribution au lien cours-stage.

5. Bilan et pistes d’action à partir des résultats de l’analyse

À partir de 2009, nous avons été en mesure de dégager et de formuler les principaux constats à partir des résultats de l’analyse. Ils ont pris la forme d’énoncés validés dans les rencontres que nous avons continué d’avoir avec les personnes superviseures, les autres formateurs universitaires, les directions d’écoles, les enseignants associés et les stagiaires. Ils ont ainsi été partagés et discutés avec de nombreux intervenants; ils sont donc stabilisés et font l’objet d’un large consensus. Nous les avons regroupés en fonction des quatre problématiques que nous avons évaluées.

5.1 L’organisation générale de la formation pratique au BEPP

  • Elle est globalement adéquate.

  • Les calendriers de stages sont variés et cohérents avec les intentions de chaque stage sauf pour le stage III. C’est d’ailleurs pourquoi ce dernier a été modifié à partir de 2010-2011.

  • Les outils sont pertinents pour soutenir la réflexion avant, pendant et après l’action.

  • Le partenariat avec les écoles est transparent et évolue de plus en plus vers la mise en relation des besoins de formation des stagiaires avec des contextes de classe appropriés.

5.2 L’intégration cours-stages

  • Le dialogue entre les superviseurs et les formateurs universitaires progresse.

  • Il y a très peu de traces explicites de liens cours-stages dans les rencontres de rétroaction entre superviseurs et stagiaires.

  • Il y a peu de réflexion significative sur l’expérience de stage pendant les cours.

5.3 Le développement des compétences des stagiaires

  • Les stagiaires manquent de modèles pour se préparer à l’action en classe. Les modèles qui leur sont proposés, notamment dans les cours de didactique, malgré leur intérêt et leur importance pour la formation, sont peu adaptés aux exigences de la tâche d’un enseignant.

  • Les stagiaires n’utilisent pas une grande diversité de stratégies pour enseigner, même si plusieurs leur sont présentées dans les cours.

  • Il n’y a pas de modélisation rigoureuse des propositions théoriques, que ce soit dans les cours (approches de formation peu exemplaires) ou dans les stages (pratiques peu exemplaires en ce qui concerne la collaboration entre intervenants ou les démarches pédagogiques).

  • La deuxième composante de la compétence réflexive, à savoir la construction de l’identité professionnelle, est davantage un objet de préoccupation pour les formateurs de terrain que ne l’est l’autre composante, à savoir la reconstruction dans la pratique des propositions des cours.

  • Les stagiaires saisissent peu les enjeux éthiques liés à la profession enseignante.

5.4 L’accompagnement par les superviseurs et par les enseignants associés

  • La qualité de l’accompagnement s’améliore, grâce à une formation continue des superviseurs et une formation ponctuelle des enseignants associés.

  • La pertinence du rôle des superviseurs qui n’était reconnue que par 60 % des stagiaires en 2003 l’est maintenant par 80 % d’entre eux.

  • Il est très difficile de rejoindre les enseignants associés et de travailler avec eux comme coformateurs.

  • La tâche des personnes superviseures est trop remplie par rapport à leur rémunération.

5.5 Pistes d’action

Une fois ce bilan complété, il nous est apparu difficile d’aller beaucoup plus loin dans l’état actuel du contexte du programme et des ressources allouées à la formation pratique. Évidemment, des améliorations mineures demeurent toujours possibles, par exemple l’ajout d’outils pour mieux soutenir la réflexion préaction des stagiaires.

Aller vraiment plus loin, ce serait, à nos yeux, faire en sorte que l’expérience de stage joue davantage son rôle intégrateur de la formation à l’enseignement. Cela suppose en tout premier lieu qu’au sein du programme ce rôle soit reconnu. Une meilleure intégration de la formation se traduirait par un plus grand impact de notre programme de formation sur les pratiques enseignantes. Il est connu que les programmes les plus efficaces à cet égard sont ceux où les formateurs concertent leurs actions (Darling-Hammond & Bransford, 2007; Guyton & McIntyre, 1990). Sur la base de notre bilan, il nous semble nécessaire d’apporter quelques précisions pour traduire ce principe de concertation dans la réalité de nos dispositifs de formation et surtout dans les pratiques des futurs enseignants. Nous avons formulé les trois propositions suivantes à cette fin :

  • en lien avec la problématique de l’organisation générale de la formation pratique au BEPP : développer entre tous les formateurs, incluant les enseignants associés, des perspectives partagées sur l’enseignement-apprentissage par l’analyse vidéo conjointe de situations de classe;

  • en lien avec la problématique de l’intégration cours-stages : mandater et former les superviseurs pour exercer des médiations entre cours et stages dans leur accompagnement réflexif de l’expérience de stage;

  • en lien avec la problématique du développement des compétences des stagiaires : mandater et former les superviseurs pour accompagner les enseignants associés, non seulement dans l’exercice de leur rôle auprès de leurs stagiaires, mais aussi dans l’analyse de leurs propres pratiques;

  • en lien avec la problématique de l’accompagnement : faire en sorte que les superviseurs aient plus de temps de contact avec les stagiaires et avec les enseignants associés.

Il est clair que ces propositions induisent une redéfinition des rôles et des interactions entre les formateurs intervenant au sein du programme. La fonction d’accompagnement y devient centrale. À nos yeux, la solution de l’accompagnement pour repousser les limites de la formation n’a pas encore été véritablement mise à l’épreuve. En fait, il nous apparaît que cette fonction doit se professionnaliser par une formation accrue des personnes qui l’exercent. Même s’ils sont bien placés pour soutenir l’intégration des propositions théoriques aux situations de pratique, les superviseurs n’y parviennent pas vraiment, ajoutant souvent leurs propres suggestions à la diversité des propositions qui sont faites aux stagiaires. La professionnalisation de l’accompagnement aurait pour corollaire l’allocation de ressources supplémentaires à cette fonction et se traduirait par un redéploiement des dispositifs de formation et d’intégration autant en milieu universitaire qu’en milieu scolaire : augmentation des activités de médiation entre cours et stages et du temps consacré au soutien à la réflexion individuelle et collective, maintien d’un dialogue constant entre chercheurs et praticiens, multiplication de démarches de recherche-action collaborative et de résolution de problèmes, explicitation et mobilisation de savoirs pratiques.

Nous avons traduit ces possibilités en un plan d’action qui est articulé autour des objectifs généraux suivants :

  1. Pour l’organisation générale de la formation pratique  :

    1. concevoir le système de formation pratique comme un espace de partage d’expertises détenues par de multiples acteurs, qui pourrait donner lieu à un échange continuel de documents pédagogiques;

    2. créer un réseau d’écoles partenaires, sur le modèle des Professional Development Schools (Darling-Hammond, 1994; Holmes Group, 1995);

    3. animer le système de formation pratique au BEPP comme un système de recherche-formation-pratique, notamment par la mise en place d’une communauté de pratique en ligne pour soutenir les personnes superviseures dans leur pratique et pour recueillir des données de façon continue à partir de leur travail en milieu scolaire;

    4. concevoir le placement comme une démarche de mise en relation d’un projet de stagiaire avec un projet d’enseignant associé et un projet d’école.

  2. Pour l’intégration cours-stages :

    • développer la capacité des superviseurs à saisir les occasions d’établir des liens pratique-théorie pendant les rencontres de rétroaction et pendant les séminaires de stage.

  3. Pour le développement des compétences des stagiaires :

    1. former les superviseurs pour soutenir les enseignants associés dans l’explicitation de leurs propres pratiques;

    2. mandater les superviseurs pour contribuer au développement professionnel à la fois des stagiaires (formation initiale) et des enseignants associés (formation continue).

  4. Pour l’accompagnement :

    1. redéfinir le rôle des personnes superviseures comme celui d’accompagnement d’un projet de coformation (commun à l’enseignant associé et au stagiaire);

    2. trouver des modalités et des ressources financières pour rejoindre les enseignants associés et travailler régulièrement avec eux en tant que coformateurs;

    3. développer une procédure permettant d’assurer un accompagnement de qualité par les enseignants associés, du double point de vue de leurs pratiques d’enseignement et de leur réflexivité.

Conclusion

Apprendre à enseigner n’est pas simple. L’objet de cet apprentissage, le savoir enseigner, est un savoir complexe se construisant à l’intersection de savoirs disciplinaires et de savoirs professionnels en enseignement, constitués en partie de savoirs pratiques et en partie de savoirs théoriques (Shulman, 1987). Le développement d’une capacité à mettre en relation ces multiples savoirs et à les mobiliser dans une pratique cohérente, du point de vue de l’intervention éducative, et efficace, du point de vue de l’apprentissage des élèves, représente selon nous le principal défi de la formation des enseignants.

Le système de formation pratique que nous avons mis en place a su relever en partie ce défi. Nous en éprouvons une grande satisfaction, particulièrement du point de vue de la cohérence que nous sommes parvenus à établir entre ses diverses composantes et du point de vue de l’équité dont nous avons fait preuve dans nos relations avec les acteurs; un climat de réflexion collective s’est installé au fil des années, source de nombreux ajustements et approfondissements.

Le bilan présenté ici révèle cependant des limites aux actions que nous avons accomplies. La principale solution à laquelle nous en sommes arrivés pour surmonter ces obstacles est celle d’un soutien continu à l’intégration des gestes professionnels de l’enseignant. Elle s’appuie sur la conception que l’enseignant est un professionnel nécessairement réflexif à cause de la complexité de la situation dans laquelle il intervient. Notre posture au regard de la formation, initiale et continue, des enseignants contraste donc avec celle qui est adoptée lorsqu’on forme l’enseignant par la simple addition de propositions à appliquer dans sa classe. L’enseignant professionnel construit des solutions à partir des matériaux de la situation d’intervention (Schön, 1994). L’amélioration de sa pratique passe en grande partie par le développement de sa capacité de construction de sens. Nous croyons qu’une certaine forme d’accompagnement du développement professionnel à partir des situations de pratique pourrait permettre une telle construction de sens à toutes les étapes de la carrière enseignante et repousser les limites de la formation formelle pour la transformation des pratiques. C’est donc une posture professionnelle d’accompagnement que nous proposons et que nous avons traduite dans un plan d’action dont la mise à l’essai représenterait certes un changement majeur dans les programmes de formation à l’enseignement. Cette posture est toutefois de plus en plus reconnue et de mieux en mieux définie, non seulement en formation à l’enseignement, mais également dans un ensemble de domaines de formation ainsi qu’à diverses étapes de la carrière (Jorro, 2004; Lamaurelle, 2010; Paul, 2004). Nous sommes convaincus qu’il vaut la peine d’en explorer les possibilités.