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Présentation

Cet ouvrage, rédigé par Mary Gordon, a comme objectif la diffusion du programme Racines de l’empathie, une approche éducative conçue pour les enfants d’âge scolaire, du jardin d’enfants à la huitième année (2e année du secondaire). Le programme vise à stimuler le développement des fonctions exécutives et de la régulation émotionnelle chez les enfants et les adultes, et est actuellement mis en oeuvre dans des classes de toutes les provinces canadiennes de même que dans de nombreux pays d’Europe, d’Amérique et d’Océanie. Les concepts centraux du livre sont le développement de l’empathie et l’enseignement de la compétence émotionnelle. Le programme éducatif proposé a pour mission la création de sociétés plus humaines, pacifiques et empreintes de civilité.

L’ouvrage est divisé en trois parties. La première partie comprend trois chapitres généraux portant sur les fondements conceptuels de deux programmes – Semailles de l’empathie, destiné aux enfants de trois à cinq ans en milieu de garde, et Racines de l’empathie, destiné aux enfants de la maternelle à la huitième année du secondaire – sur la signification et la portée du concept d’empathie ainsi que sur la démarche d’implantation des programmes en milieu scolaire. La deuxième partie regroupe les six dimensions de la relation humaine impliquées dans le développement de l’empathie et du comportement prosocial des jeunes enfants. Ces six dimensions sont les neurosciences, le tempérament, l’attachement, la littératie affective, la communication authentique et l’intégration sociale. L’auteure fait appel à des données issues de la neuropsychologie, de la psychologie du développement et des théories de la personnalité pour donner au programme un support scientifique solide. La troisième partie est composée de deux sections. L’auteure tisse tout d’abord des liens entre le développement des compétences sociales et émotionnelles des enfants et les problèmes qui affectent le monde contemporain, tels que la violence, la délinquance, la toxicomanie et l’injustice sociale. Ensuite, l’auteure présente un bilan (annexes A et B) des études scientifiques des deux dernières décennies portant sur l’efficacité du programme Racines de l’empathie et son impact sur la santé mentale et le développement des enfants.

Point de vue

L’empathie (du grec ancien ἐν, dans, à l’intérieur et ϖάθoς, souffrance, ce qu’on éprouve) a constitué un sujet d’intérêt pour les psychologues, les philosophes et les éducateurs depuis des temps immémoriaux. Les liens entre l’empathie et le développement social et moral de l’être humain ont placé ce concept au centre de la discussion en sciences humaines et sociales. En effet, plusieurs chercheurs ont constaté que les individus qui ressentent de l’empathie, qui reconnaissent les émotions des autres et se sentent concernés par eux, auront davantage tendance à s’entraider et à avoir de bonnes interactions sociales, plutôt que de chercher à faire du mal aux autres. C’est pourquoi le thème du livre  Racines de l’empathie. Changer le monde, un enfant à la fois suscite autant d’intérêt. Écrit dans un langage clair et accessible, le contenu est à la fois original, d’actualité et révèle une solide connaissance scientifique de la condition humaine. Ces deux aspects constituent, à notre avis, les points forts de la publication. D’ailleurs, l’auteure montre que l’empathie joue un rôle important dans le développement de l’enfant et, qu’en particulier, les pratiques éducatives des parents et la qualité des interactions dans la famille auront un impact sur le comportement prosocial tout au long de la vie.

Partant de ces faits, l’auteure introduit deux énoncés qui guident sa dissertation: 1) la littératie affective revêt la même importance que l’apprentissage de la lecture et la numératie, 2) l’empathie est une composante fondamentale de la compétence sociale et émotionnelle. En d’autres mots, l’empathie, la capacité de ressentir les émotions d’autrui, se développe et s’apprend en interaction avec les adultes, les parents, les enseignants et les pairs qui entourent les enfants. Il est clair que les parents et les enseignants empathiques, qui tiennent compte du point de vue d’autrui, peuvent davantage promouvoir l’attachement, la littératie affective, la communication authentique et l’intégration sociale.

Cependant, contrairement à la clarté des concepts énoncés dans les premiers chapitres, les catégories utilisées dans la deuxième partie pour traiter des six dimensions de la relation humaine ne sont pas complètement explicitées. Tel est le cas, par exemple, de la première dimension, les neurosciences. Les concepts et les explications sur le fonctionnement du système nerveux sont clairs mais les recherches sur la neuropsychologie de l’empathie, les neurones miroirs et les théories sur la mimique sont absentes. Pourtant, les théories de la rétroaction faciale postulent que des mouvements faciaux modulent le ressenti émotionnel et que le fait de percevoir ou de penser aux émotions amène à expérimenter les sensations et les sentiments de la personne imitée ou imaginée, car ce processus faciliterait la compréhension émotionnelle. Finalement, la troisième partie suggère que les difficultés de types social, émotionnel et relationnel sont les caractéristiques distinctives des déficits de l’empathie, une affirmation supportée par de nombreuses données neuropsychologiques. En effet, l’empathie a été maintes fois impliquée dans différents types de problèmes tels que le comportement psychopathique, le trouble de personnalité limite, l’autisme et les troubles de conduites.

En résumé, Racines de l’empathie. Changer le monde, un enfant à la fois est une approche expérientielle et interactive de l’apprentissage conçue pour promouvoir le développement de l’empathie et du comportement prosocial. Le programme repose sur une solide connaissance scientifique des facteurs qui guident le développement de l’enfant, notamment, l’importance de la littératie émotionnelle. L’ouvrage se termine sur l’analyse de plusieurs études prospectives et longitudinales qui suggèrent que le programme améliore le comportement prosocial des enfants et constitue un facteur de protection contre le développement de comportements agressifs. L’utilisation de différentes mesures d’efficacité et de devis méthodologiques variés a montré des résultats semblables, ce qui laisse penser que le programme a un potentiel très important et une très grande influence sur le développement de l’empathie, particulièrement durant la petite enfance. Comme Michael Fullan l’indique dans la préface, le programme «montre que l’on peut offrir à tous les enfants, même les plus difficiles, une expérience qui va littéralement changer leur vie en leur révélant le sens de la condition humaine dans un monde de diversité» (p. XV).